Audience


 

L’audience est ici définie comme un ensemble de données quantitatives relatives à la consommation des médias, calculées à partir de dispositifs techniques nommés « mesures d’audience ». De la confidentialité des données à leur commercialisation, d’un instrument de connaissance à un outil d’évaluation voire de sanction, d’un support de légitimation (Bourdon, 1998) à un indicateur économique, l’audience se caractérise par des définitions et des enjeux multiples qui ont évolué depuis la mise en place des premières enquêtes. C’est à partir de 1947 que s’écrit l’histoire des mesures d’audience en France, lorsque la Radiodiffusion Française (RDF) commence à distribuer des questionnaires sur l’écoute de la radio et de la télévision (Méadel, 1998). Aujourd’hui, les chiffres d’audience sont une préoccupation quotidienne, tant des responsables des médias, des programmateurs, que des annonceurs, des agences de publicité et de l’État. Pour Dominique Wolton (2003 : 28), « il y a le même décalage théorique entre mesure d’audience et public qu’entre le sondage et l’opinion publique ». Quelle figure du public est l’audience ? Le cas de la France illustre la définition proposée dans cette notice ; le lecteur pourra se référer à l’ouvrage coordonné par Jérôme Bourdon et Cécile Méadel (2014) pour une comparaison internationale des systèmes de mesure.

L’audience d’un support médiatique est le plus souvent calculée par des instituts spécialisés (en France, Médiamétrie pour la radio, la télévision et internet, Audipresse pour la presse), parfois en partenariat avec des instituts de sondage. En effet, les études d’audience sont le monopole de deux acteurs : la société d’études interprofessionnelle de la presse Audipresse (créée en 2007), dont l’étude AudiPresse ONE est actuellement la référence en termes d’étude d’audience de la presse – précédemment, c’était le Centre d’étude des supports publicitaires (CESP) qui constituait depuis 1957 la référence pour la mesure de l’audience de la presse (celui-ci joue aujourd’hui un rôle d’audit et de contrôle des études médias). Le second est Médiamétrie, dont le Médiamat est l’équivalent pour la radio et la télévision (Mediamétrie//Netratings pour l’internet). Étudier l’audience, c’est « dénombrer les personnes à l’écoute de telle émission, de telle chaîne pendant telle période ou telle tranche horaire » (Souchon, 1991 : 131). Ainsi, l’audience, ou plutôt les audiences, ce sont les auditeurs, les lecteurs, les téléspectateurs, les usagers d’un site internet, ou plutôt une projection statistique réalisée sur un moment de la programmation médiatique.

 

Un appareillage technique et statistique

Les sondages, menés auprès de populations de référence, sont un outil privilégié pour la mesure de l’audience. Ainsi Audipresse administre-t-elle actuellement un questionnaire (Internet et face à face) auprès d’un échantillon de 35 000 personnes âgées de 15 ans et plus pour l’étude annuelle AudiPresse ONE. En ce qui concerne la télévision, la méthode est plus sophistiquée : l’institut Médiamétrie a recours depuis les années 80 à la technologie de l’audimètre à bouton-poussoir : c’est-à-dire un boîtier qui enregistre tous les usages (marche/arrêt, changement de chaîne, autre utilisation) de tous les postes de télévision des foyers membres du panel (5 000 foyers, soit environ 11 600 individus âgés de 4 ans et plus à ce jour, source : www.mediametrie.fr) ; les données sont transmises quotidiennement par ligne téléphonique. Chaque membre du foyer (ainsi que chaque invité) doit signaler sa présence devant le poste à l’aide d’un bouton dédié. Les résultats d’audience sont ensuite présentés en chiffres ou en pourcentages, via une quantité importante d’indicateurs statistiques : le nombre de lecteurs, la part d’audience (calcul, en pourcentage, du nombre de téléspectateurs présents devant une émission par rapport au nombre total de téléspectateurs présents devant la télévision au même moment), la durée d’écoute hebdomadaire et annuelle… L’audience est déclinée par média, par programme et par tranche horaire (par quart d’heure pour la radio). Les variables sociodémographiques classiques, comme l’âge, le sexe, la catégorie socioprofessionnelle sont utilisées par Médiamétrie pour construire des catégories d’usagers permanentes d’une enquête à l’autre – et certainement pertinentes pour les annonceurs (voir infra) : les enfants de 4 à 14 ans, les « ménagères de moins de 50 ans », rebaptisées récemment « femmes responsables des achats de moins de 50 ans », les individus de catégorie socioprofessionnelle supérieure, etc. Le défi principal des mesures d’audience ces dernières années a été l’intégration de la diversification des supports médiatiques : lectures numériques de la presse, télévision de rattrapage (ou replay tv) notamment.

 

Un indicateur économique

L’audience incarne aujourd’hui la marchandisation du champ médiatique. En effet, elle est principalement devenue un indicateur économique quasi consensuel entre les acteurs des industries publicitaire et médiatique, qui participe de la détermination du coût des espaces publicitaires : « L’audience est l’indicateur qui permet de fixer la valeur des espaces publicitaires mis en vente et a essentiellement été formatée dans ce dessein. Elle exprime un nombre de contacts, c’est-à-dire d’individus touchés par tel ou tel support » (Chaniac, 2003 : 36). « Dès lors, les mesures d’audience deviennent une marchandise disponible pour tous ceux qui les financent ; leur statut est plus explicite : il s’agit d’un opérateur de marché qui permet à des acteurs impliqués dans une négociation commerciale de trouver une unité de mesure collectivement conçue, financée et acceptée » (Méadel, 2010 : 161).

À ce sujet, le cas de la télévision est particulièrement éclairant : dans les années 50, les premières enquêtes d’audience avaient pour objectif de connaître les comportements et les goûts du public. Mais, rapidement, la pluralité des intérêts des différents acteurs concernés par les résultats des sondages a entraîné une multiplication des enquêtes et de leurs finalités. Ainsi les résultats limités et variables issus des enquêtes menées par téléphone par le « Service des relations avec les auditeurs et les téléspectateurs » de la RTF sont-ils devenus insuffisants. À partir de 1967, le « Service des études de marché » de l’ORTF met en place le système des « carnets d’écoute » hebdomadaires (Durand, 1998) : il s’agit de documents sur lesquels les individus indiquent les émissions qu’ils ont vues (en entier ou en partie) ainsi que leur intérêt pour le programme, sur une échelle de 1 à 6. Les personnes adressent leur carnet complété à l’ORTF qui calcule alors un pourcentage d’audience et un indice d’intérêt. Ces enquêtes sont rapidement utilisées comme un instrument de programmation (pour des détails sur ces outils et leurs résultats, voir Durand, 1998 et Souchon, 1973). En parallèle, un organisme interprofessionnel, le Centre d’étude des supports publicitaires (CESP), réalise à partir de 1964 des études qui ont pour objectif l’identification des comportements des téléspectateurs quart d’heure par quart d’heure : il s’agit déjà de produire des données servant à fixer le coût des espaces publicitaires. Puis, en 1974, à l’éclatement de l’ORTF, les données d’audience deviennent un instrument d’appréciation de l’action publique. L’usage politique de l’audience se manifeste à travers le rattachement du Centre d’étude de l’opinion (CEO, service en charge des études d’audience à l’ORTF) au Service juridique et technique de l’information (SJTI) lui-même rattaché au gouvernement. Dans le même temps, l’audience devient officiellement un indicateur économique, lorsqu’elle intègre une série de critères servant à évaluer la qualité des programmes télévisuels, afin ensuite de déterminer la part de redevance reversée à chacune des trois chaînes. La privatisation du CEO en 1985 en un institut nommé Médiamétrie attribue à ce dernier une situation de quasi-monopole (sur les détails de l’histoire de cette concurrence voir Méadel, 2010, en particulier les chapitres IV et VI). L’obligation de « faire de l’audience » apparaît dans le même temps, en lien avec la privatisation des chaînes de télévision : d’une part, les programmes doivent être les plus attractifs possible afin de réunir le plus grand nombre ; d’autre part – et corrélativement – les revenus tirés de la vente des espaces publicitaires pèsent un poids conséquent dans le budget des chaînes privées.

On le sait, consommer un programme médiatique ne signifie pas l’apprécier. L’audimètre ne mesure ni l’attention portée aux programmes de télévision, ni l’interprétation qui en est faite. Les chiffres ne nous disent rien ou si peu des rapports complexes que les publics entretiennent avec les médias. Ils ne renseignent pas non plus sur les préférences des téléspectateurs, en dépit d’un projet initial engagé en ce sens. L’audience joue aujourd’hui des rôles économique et symbolique forts pour des décideurs, des journalistes, des chefs de publicité, etc. Elle représente une « collection d’individus » qui sont « dans une certaine situation », mais « ne font rien ensemble » (Quéré, 2003 : 116-117). Projection statistique éphémère, l’audience est néanmoins une trace du public des médias.


Bibliographie

Bourdon J., 1998, « À la recherche du public ou vers l’indice exterminateur ? », Quaderni, 35, pp. 107-128.

Bourdon J., Méadel C. (eds), 2014, Television audiences around the world: deconstructing the ratings machine, Basingstoke, Palgrave Macmillan.

Chaniac R., 2003, « L’audience, un puissant artefact », Hermès, 37, pp. 35-48.

Durand J., 1998, « Les études sur l’audience de la radiotélévision en France », Quaderni, 35, pp. 79-92.

Méadel C., 1998, « De l’émergence d’un outil de quantification », Quaderni, 35, pp. 63-78.

Méadel C., 2010, Quantifier le public. Histoire des mesures d’audience de la radio et de la télévision, Paris, Economica.

Quéré L., 2003, « Le public comme forme et comme modalité d’expérience », pp. 113-134, in : Cefaï P., Pasquier D., dirs, Les Sens du public, Paris, Presses universitaires de France.

Souchon M., 1973, « La télévision regarde son public : les sondages de l’ORTF », pp. 81-92. In : Souchon M., dir., Anatomie d’un feuilleton : François Gaillard, Paris, Tema communication.

Souchon M., 1991, « Le point sur l’audience de la télévision », Réseaux, 49, pp. 129-134.

Wolton D., 2003, « Audience et publics : économie, culture, politique », Hermès, 37, pp. 27-34.

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