Célébration


 

Du latin celebrare, « célébration » signifie étymologiquement « fréquenter un lieu en grand nombre », ou « entourer une personne », « fêter en grand nombre, solennellement », « faire partie de la foule des invités d’une fête », « publier », « faire connaître », « pratiquer ». Dans le même ordre d’idée, celebratio signifie « affluence », « réunion nombreuse », « rassemblement », « assemblée », puis par dérivation « solennité », « fête ». Selon les définitions qu’en donne le Centre national de ressources textuelles et lexicale (accès : http://www.cnrtl.fr/definition/célébration), la célébration désigne en premier lieu l’« action de célébrer une cérémonie, une fête », mais aussi, dans une moindre mesure, l’« action de louer, d’honorer quelqu’un ou quelque chose ».

 

Une réalité plurielle

Le mot « célébration » renvoie à deux acceptions complémentaires se référant à des réalités diverses. La première acception est afférente à l’action de célébrer une cérémonie ou une fête (fête de fin d’études, baptême, Halloween, arrivée du Beaujolais nouveau, percée du vin jaune…). La seconde a partie liée avec l’action de louer, d’honorer quelqu’un ou quelque chose (les allocutions présidentielles, les discours prononcés par les témoins lors d’un mariage, les éloges formulés lors d’un pot de départ à la retraite ou de la remise d’une médaille civile ou militaire, les oraisons funèbres de Bossuet et d’André Malraux en constituent des exemples saisissants). Dans le cadre spécifique de la vie politique, les commémorations, cérémonies et célébrations ne manquent pas, elles sont consubstantielles à la société elle-même qui ressent par moment le besoin de se glorifier. À ce sujet, l’anthropologue Claude Rivière (2005 : 23) écrit : « Si le politique est ritualisé, c’est que le rite représente l’attitude fondamentale par laquelle quelqu’un se reconnaît comme inférieur face à la manifestation d’une puissance. Côté puissance qui se manifeste, le rite est le moyen théâtral d’accréditer sa supériorité et donc d’obtenir respect et honneur par l’étalage de symboles ». Tout pouvoir politique est friand de mises en scène de sa continuité et s’attache à produire du lien social par des célébrations de lui-même à destination de la population « de droite ou de gauche, les célébrations politiques, disant la fidélité à l’histoire et la différence culturelle, donnent un sens à notre être en proclamant glorieusement ses appartenances » (ibid. : 29). La célébration politique est avant tout célébration du pouvoir en majesté, mobilisation de symboles sur la scène sociale pour provoquer l’adhésion de la population à un programme politique, mais plus encore à une vision fédératrice du roman national. La célébration vise à montrer le pouvoir politique en performance, à illustrer ce que Georges Balandier (1980) appelle la « théâtrocratie ».

 

Un homme qui prononce un discours

Inauguration du Capitole de l’État du Minnesota par le Gouverneur Mark Dayton,  photo prise par l’Office du Gouverneur Mark Dayton, 12 août 2017 (Saint Paul, Minnesota, Etats-Unis d’Amérique). Source : Wikimédia (CC BY 2.0)

 

La célébration : acceptions anthropologique et sociologique

Certaines célébrations contemporaines ont donné à voir un progressif glissement d’une dimension religieuse vers une dimension beaucoup plus profane. Ce fut le cas notamment lors du passage à l’an 2000 qui a réactivé des peurs millénaristes et permis l’émergence de nouvelles formes de commémorations, comme en témoigne le socio-anthropologue Pierre Bouvier (2001) : « En ce passage de millénaire l’heure est à une mondialisation tempérée et séductrice. […] Les références ont profondément changé. La félicité augurée ne viendrait plus des cultures du religieux. Aujourd’hui l’économique devrait être le vecteur des futures joies du troisième millénaire en tant que nouvel ordonnateur des choses et des valeurs. Lui seul présenterait, éventuellement, la capacité à succéder aux dérèglements de la raison et aux génocides du siècle passé ».

Pour l’anthropologue Albert Piette (1997 : 148), il y a un dénominateur commun qui apparaît aisément lorsqu’on s’attache à mettre en œuvre une « anthropologie comparée des grands “rituels” contemporains (qu’ils soient célébrations religieuses, fêtes populaires, rencontres sportives, représentations théâtrales…) ». La célébration transcende donc complètement les catégories du religieux et du profane, du noble et du trivial, du populaire et du savant. Toute société repose sur un système complexe d’interactions qui contribuent à assurer la stabilité de l’ordre social : « Construite dans l’interaction, la face est une chose sociale qui n’est rien d’autre que la personnalisation de la société dans un corps et dans une situation. […] Cette exigence fondamentale à laquelle se soumettent nos comportements fait de l’interaction une célébration du social » (Bonicco, 2007 : 37). Pour le sociologue Erving Goffman, l’interaction est une célébration de l’ordre social. Il en est de même des salutations banales de la vie quotidienne, celles que ce dernier appelle les « menus propos » et qui constituent des célébrations de la société par elle-même et pour elle-même : « Dans ces échanges, chaque participant semble symboliser pour l’autre non pas une personne particulière, mais l’île entière, et c’est à l’île toute entière, via son représentant momentané, que le salut est donné » (Goffman, 1953 : 183).

 

De la louange à la cérémonie

La célébration désigne une cérémonie, un ensemble de rituels, de récits et de signes qui rassemblent périodiquement, en un temps et un lieu déterminés, un public et même une communauté qui veut renforcer sa cohésion en célébrant un évènement passé important. En tant que telle, la célébration mobilise et met en œuvre « une petite dramaturgie, conçue comme une représentation. Il y a la scène et les acteurs. Voyez à ce titre un mariage, un jugement aux assises ou une soutenance. On doit respecter scrupuleusement “l’ordre prescrit” » (Lardellier, 2013 : 15).

Dans toutes les cultures, la célébration s’est progressivement institutionnalisée, donnant naissance à la religion. Dans la religion catholique, la notion de célébration s’entend obligatoirement comme une entreprise totalisante dans laquelle tous les éléments épars concourent à donner à un acte liturgique et sacré toute la gravité et l’austérité requises. Lors de chaque office (messe, eucharistie, mariage, Bar Mitzvah, Aïd El Kébir), le ministre du Culte (catholique), le rabbin pour la religion juive et l’imam pour l’islam font de chaque célébration une invitation au rassemblement de leur peuple à l’instigation de leurs divinités respectives. Nombreux sont ceux qui, n’adhérant à aucune religion, appartiennent à des communautés laïques (groupes de motards, couples, fans de Star Wars, utilisateurs de produits Apple, admirateurs de chanteurs, ou de formations musicales, etc.), et éprouvent le besoin d’en célébrer les moments importants : « La complexité des rites contemporains déborde les phénomènes religieux explicités. […] les lieux de culte eux-mêmes se sont déplacés. Stades, palaces, casinos, centres commerciaux sont désormais les cathédrales des classes moyennes. Les salons bourgeois, où le petit écran trône comme un autel, désignent autant d’oratoires particuliers pour la messe cathodique » (Jeffrey, 2003 : 198).

 

Une pratique de l’espace public

Célébrer un événement, c’est le vivre pleinement et avec toute la solennité qui s’impose en pareille circonstance. Toute célébration revêt un caractère public, festif ou grave selon les cas, visible (ostentatoire parfois) et ritualisé, qu’il s’agisse d’un anniversaire, d’un office religieux baptême, communion) ou d’une commémoration nationale. Dans tous les cas, la célébration se conjugue nécessairement au pluriel puisqu’elle implique un assez grand public, un nombre important de participants (en un mot un public) réunis autour de valeurs, de pratiques et de convictions communes par un officiant : « Les fonctions [des rites contemporains] restent passablement inchangées – faire signe du salut, vivre du sens, rappeler et réguler les interdits, calmer l’angoisse, domestiquer la violence des pulsions, assurer et structurer le lien social, confirmer l’appartenance identitaire, initier au monde adulte, réaliser la transcendance et réguler le sacré, transiter des moments forts de la vie, surmonter des épreuves et des crises existentielles –, même si les représentations symboliques qu’ils mettent en œuvre sont radicalement transformées » (Jeffrey, 2003 : 198).

 

Un rassemblement de personnes assises sur des bancs, dans une église

Messe célébrée par Monseigneur Delannoy lors de la fête annuelle de Saint-Denis en la Cathédrale Saint-Denis, Guillaume Poli – Agence Ciric, 13 octobre 2019 (Saint-Denis, France). Source : Wikimédia (CC0 1.0) Public Domain Dedication

 

Vers des rites profanes

Si la célébration a longtemps conservé une forte coloration religieuse, on observe l’existence des célébrations d’évènements de nature profane : « La “déritualisation” qu’on croit observer actuellement ne réfère qu’à la perte de certaines pratiques religieuses historiquement datées, corrélative à un fléchissement des croyances. […] L’investissement de nouvelles croyances dans de nouveaux cultes profanes s’interpréterait-il alors comme une reritualisation […] très labile (le temps d’une mode) » (Rivière, 1995 : 8). Ces célébrations impliquent elles aussi une communauté profane, un public sinon conquis du moins acquis à une cause et mû par une même sensibilité. La victoire française en Coupe du Monde de football en 1998 a engendré des scènes de liesse sur les Champs-Élysées, des accolades entre inconnus et des effusions de joie marquées par la fierté et l’ivresse d’appartenir à une France Black-Blanc-Beur triomphante : « Dans le rite profane, le rapport au mythe initial peut fort bien être remplacé par un rapport à des valeurs qui énoncent un ordre social plutôt qu’un ordre religieux. Mais toujours le rite structure et intègre dans une représentation unifiée et ordonnée du monde les […] apprentissages gestuels et posturaux » (ibid. : 56).

La foule joyeuse d’alors s’est donnée à voir, exposée et mise en scène en présence de toute une population réunie par la même occasion et les mêmes sentiments. La marche républicaine du 11 janvier 2015 à Paris au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher a permis de célébrer la mobilisation et la résistance de la population française contre la barbarie et le terrorisme islamiste : « Il faut lire dans la modernité un processus d’idéologisation incorporant des mythes : le mythe de la science […], le mythe du changement perpétuel, […] le mythe de l’immortalité. […] Nombre de ces mythes appellent un culte, exprimé en des attitudes ritualisées, et constitué par l’ensemble des marques de déférence à l’égard des forces, pouvoirs et valeurs, que l’on suppose supérieurs et transcendants à l’individu » (ibid. : 17).

 

Un lâcher de ballons avec de nombreuses personnes

Marche en hommage aux victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo, Sébastien Amiet, 10 janvier 2015 (Orléans, France). Source : Wikimédia (CC BY 2.0)

Depuis le mois de décembre 2019, le monde fait face à une crise sanitaire d’une rare violence liée à la propagation du coronavirus Sars-Covid-19 et au nombre très important de patients hospitalisés et de décès à l’hôpital et dans les établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes. Lors du premier confinement, les Françaises et les Français se sont fédérés autour d’un rituel exprimant la gratitude de tout un peuple pour celles et ceux qui montent tous les jours au front de la « guerre sanitaire » évoquée par le Président Emmanuel Macron contre ce virus. Chaque jour, à 20h pendant tout le premier confinement la population française a été au rendez-vous des balcons pour applaudir chaleureusement en hommage aux personnels soignants et aux personnels de soutien hospitalier, ainsi qu’à toutes les professions mobilisées contre la propagation de cette pandémie. C’est une forme de célébration profane née au cœur même de la crise sanitaire et s’est placée sous les auspices de la solidarité avec les professionnels de santé et de la gratitude. De la même, manière des scènes de haie d’honneur et d’applaudissements par des personnels se sont multiplié pour saluer les patients sortant des hôpitaux guéris de la Covid-19. La boucle rituelle est ainsi bouclée, soignants et soignés s’applaudissant les uns les autres en signe de réassurance et de joie d’avoir géré et combattu au mieux ce mal. Cependant, la Covid-19 a rendu impossible la tenue et le déroulement de funérailles dans des conditions habituelles. Les offices funéraires n’ont pas pu s’accomplir normalement et ont privé les familles dans la peine de la possibilité de se recueillir autour de la dépouille de leurs proches défunts. Ce n’est pas là la moindre des « défigurations symbolique et rituelle » subie par notre société en cette période anxiogène et incertaine.

Pour ces situations, la célébration remplit la même fonction : c’est une forme donnant du sens par et pour un public désireux d’enchanter, ou plutôt de ré-enchanter un quotidien parfois sombre et pesant comme celui que nous connaissons en ce moment même en raison de la pandémie de la Covid-19.


Bibliographie

Balandier G., 1980, Le Pouvoir sur scènes, Paris, Balland.

Bonicco C., 2007, « Goffman et l’ordre de l’interaction : un exemple de sociologie compréhensive », Philonsorbonne, 1, pp. 31-48.

Bouvier P., 2001, « Endoréïsme et célébrations », Socio-anthropologie, 9. Accès : https://socio-anthropologie.revues.org/4.

Goffman E., 1953, Communication Conduct in an Island Community. A Dissertation submitted to the Faculty of the Division of the Social Science in Candidacy for the Degree of Doctor of Philosophy, Université de Chicago (thèse de doctorat non publiée).

Goffman E., 1959, La Mise en scène de la vie quotidienne, tome 1. La Présentation de soi, trad. de l’anglais par A. Accardo, Paris, Éd. de Minuit, 1973.

Goffman E., 1959, La Mise en scène de la vie quotidienne, tome 2. Les Relations en public, trad. de l’anglais par A. Accardo, Paris, Éd. de Minuit, 1973.

Jeffrey D., 2003, Éloge des rituels, Québec, Presses de l’Université Laval.

Lardellier P., 2013, Nos modes, nos mythes, nos rites. Le social entre sens et sensible, Cormelles-le-Royal, EMS.

Piette A., 1991, « Pour une anthropologie comparée des rituels contemporains », Terrain, 29, pp. 139-150.

Rivière C., 1995, Les Rites profanes, Paris, Presses universitaires de France.

Rivière C., 2005, « Célébrations et cérémonial de la République », Hermès. La Revue, 43, pp. 23-29.

Auteur·e·s

Eyries Alexandre

Communications, médiations, organisations, savoirs Université de Bourgogne

Lardellier Pascal

Communications, médiations, organisations, savoirs Université de Bourgogne

Citer la notice

Eyries Alexandre et Lardellier Pascal, « Célébration » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 septembre 2015. Dernière modification le 24 janvier 2024. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/celebration.

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