Communicant


 

« Le Débat. – On vous désigne comme un “communicant” ou encore comme un “communicateur”. Comment vous-même appelez-vous le métier que vous exercez ? Est-ce vraiment un métier, pour commencer ?

Jacques Pilhan. – Lacan disait que ce qu’on ne peut pas nommer n’existe pas. J’ai bien peur que cela ne s’applique à mon métier. Aucun nom convaincant n’a pu lui être donné. Tous ceux qu’on emploie sont laids » (Pilhan, 1995 : 3).

 

Le communicant est avant tout celui qui « communique ou qui établit une communication », mais également celui « qui aime communiquer avec autrui » – « celui qui est communicant », puisqu’il s’agit d’un adjectif nominalisé. Cependant, la nature de l’activité du communicant, tout comme la définition du terme – doit-on par ailleurs parler de communicant ou de communicateur ? – recèle une diversité d’acceptions de la communication et, en particulier, de ses publics. Ainsi, à l’instar des sciences de l’information et de la communication qui se sont construites à la croisée de plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales, la fonction de communicant s’est structurée à la croisée de plusieurs professions en lien avec différentes pratiques et divers publics de la communication. En filigrane, cette structuration recèle tout le processus de construction sociale d’un métier, de ses acteurs et de leur idéologie (Walter, 1995 : 9) Elle tient donc à la fois d’une volonté d’organiser une fonction – celle de communicant – et d’une volonté de créer un discours d’accompagnement, parfois mythique, relatif à cette fonction.

 

Le communicant, un professionnel des publics

Le communicant, qu’il soit chargé de communication, « dircom », community manager ou spécialiste des relations publiques, est bien souvent en charge des relations avec la presse, il diffuse l’information aux parties prenantes, répond aux sollicitations des médias, ou gère les réseaux socio-numériques des organisations au sein desquelles il exerce ses fonctions ou pour le compte desquelles il intervient. Toute l’activité des communicants vise à renforcer la relation entretenue avec les différents publics, promouvoir une activité, des produits ou une image auprès de ces derniers, voire à mieux les connaitre afin de pouvoir mieux entrer en communication avec eux. Par exemple, les relations publiques – ou plus récemment les « relations publics » (Syntec RP, 1988) – ont eu très tôt à cœur de se constituer en un « ensemble de pratiques professionnelles qui visent à influencer d’autres acteurs sociaux pour le compte d’un individu, groupe ou organisation » et plus spécifiquement au travers « d’échanges » avec les « publics » (Catellani, Sauvajol-Rialland, 2015, voir aussi la notice « Relations publiques » dans le Publictionnaire [Catellani, 2016]).

De prime abord, l’approche sectorielle renseigne sur les différentes cibles ou interlocuteurs – les publics – avec lesquels le communicant entre… en communication. Travaillant dans le secteur marchand, associatif, humanitaire, gouvernemental ou territorial, le communicant interagit, dans le cadre de son activité, avec des publics aussi variés que des consommateurs, des citoyens, des syndicats, des associations, des médias, des financiers ou bien encore les pouvoirs publics (Libaert, Westphalen, 1989). En second lieu, les productions – dossier de presse, communiqués, événements, éléments de langage (Krieg-Planque, Oger, 2017), etc. – et les techniques employées renseignent sur la diversité des pratiques professionnelles et des expertises développées par les communicants. La communication événementielle, l’intelligence économique, l’édition ou le community management ne sont que quelques exemples des techniques déployées par les communicants pour interagir avec les publics. Elles se traduisent par une pluralité de métiers, tout comme une diversité des lieux d’exercice de ces métiers, de l’annonceur à l’agence en passant par les cabinets de conseil ou les organismes publics. Plus encore, la redéfinition des publics dans un contexte de changement d’environnement médiatique invite à la création de nouveaux métiers pour les communicants.

On observe également un attachement à des figures « fondatrices » qui vont donner au métier ses premières marques de noblesse tout comme fixer des codes et des règles à même de définir l’activité du communicant et ses limites. En communication politique on évoque ainsi la figure de Michel Bongrand (1921-2014) qui « serait le “premier”, “l’inventeur”, celui par qui tout commence » et qui serait perçu comme ayant posé les bases d’une expertise du communicant avec la campagne de Jean Lecanuet pour la première élection présidentielle au suffrage universel direct de 1965 (Legavre, 2005). D’autres comme Jacques Pilhan (1944-1998), conseiller en communication politique de François Mitterrand puis Jacques Chirac, réfutent l’idée d’un métier de communicant autre qu’« artisanal » : « Ce métier, on l’invente en le faisant » (Pilhan, 1995 : 4). Nonobstant cette vision particulière, pour la communication politique et publique, c’est l’attente en matière d’information qui fait de la communication « un service dû aux citoyens et un service public » et qui conduit à la structuration d’un métier autour de « formations initiales et continues de haut niveau tant en universités qu’en écoles spécialisées » (Mégard, Rigaud, 2012 : 172). Loin du mythe de l’artisan qui aurait appris « en faisant », la professionnalisation du métier de communicant s’est accompagnée d’une professionnalisation des savoirs, des personnes et des formations, le tout au travers de la maîtrise d’outils et d’un savoir-faire, mais également d’une connaissance accrue des exigences des employeurs, annonceurs ou agences (Zeineb, Badulescu, 2014). Enfin, c’est un besoin de légitimation d’une profession face à des publics internes (managers, RH, salariés) et une volonté de dépasser une image purement opérationnelle et instrumentale de la com’, qui conduit les communicants à adopter une posture réflexive sur leur pratique et à revendiquer une expertise et un rôle stratégique dans le fonctionnement des organisations (Brulois, Charpentier, Viers, 2014). Le communicant est, avant tout, un professionnel des publics.

 

Codes et représentations en question

Dès lors, c’est la nature des échanges avec les publics qui définit bien souvent le communicant par la catégorie de pratiques professionnelles à laquelle son activité appartient. Ainsi, à la différence du « publicitaire », le spécialiste des relations publiques n’acceptera pas l’achat d’espace publicitaire comme moyen d’entrer en contact avec ses publics : « Les informations destinées aux médias ne doivent faire l’objet d’aucune transaction ou contrepartie financière, directe ou indirecte » (Syntec RP, 1988). À l’instar d’autres professions, la définition de la nature des échanges avec les publics passe par l’établissement de règles et de codes déontologiques qui contribuent à structurer l’activité du communicant. Ces codes informent sur les principes qui régissent le métier, mais ils produisent également un discours que la profession tient sur elle-même. Ce discours est une représentation idéale si ce n’est idéalisée du communicant et de la communication.

Dès 1906, la déclaration de principes de l’étatsunien Ivy Lee (1877-1934) pose les bases de la profession et donne un ensemble de règles que les communicants se doivent de respecter : « Pas de secret, pas de confusion avec la publicité, fournir de véritables informations, prendre en compte l’intérêt du public » (Walter, 1995 : 29). Par exemple, les communicants chargés de relations publiques s’appuient sur le Code d’éthique international des relations publiques de 1965, dit « Code d’Athènes », et sur le Code européen de déontologie professionnelle des relations publiques de 1978, dit « Code de Lisbonne ». De même, le code de déontologie de Syntec RP rappelle que les communicants et leurs agences sont tenus « de respecter tant l’intérêt de [leurs] clients que l’intérêt public ». Le communicant public s’appuie lui sur la Charte déontologique de la communication publique de 2002 publiée par l’association Cap’Com, Réseau de la communication publique et territoriale, et dite « Charte de Marseille ». Cette dernière précise le refus « de toute propagande ou falsification des faits », le respect de « la nécessaire transparence des informations » et fixe l’enjeu de « créer les conditions et les outils d’un réel débat public » (Cap’Com, 2002). On retrouve dans ces différents codes régulant la profession un triple enjeu en lien direct avec la question des publics. En premier, la question de la publicité au sens kantien du terme est centrale dans les tâches du communicant, pensé comme celui qui se doit de rendre publiques des informations. En deuxième lieu, c’est une conception habermassienne de l’espace public et de l’intérêt public qui est défendue avec notamment l’idée que la communication – en tant qu’agir communicationnel – contribuerait à la constitution d’un espace public (Habermas, 1962, 1981). Enfin, la transparence, en tant que refus du mensonge et comme affirmation de la véracité des informations semble aussi être une valeur fondamentale de la profession (Ollivier-Yaniv, 2006 : 97).

Néanmoins, face à la pratique même du métier, ces injonctions peuvent parfois sembler paradoxales tant le devoir de placer l’intérêt de son public particulier – le client – au même niveau que celui du public, en général, paraît complexe et pose des questions éthiques au communicant. Certains domaines de la communication, comme la communication sur des sujets sensibles ou encore le lobbying (Poirmeur, 2016), cherchent parfois à garantir l’intérêt catégoriel d’un groupe au détriment de l’intérêt public (Poirmeur, 2017). Ainsi la fonction de relationniste, qui se réfère spécifiquement aux chargés de relations publiques, va-t-elle s’appuyer à son tour sur la « posture de l’avocat » pour justifier son activité d’influence « dans une perspective de légitimation de la défense d’un client contesté » (Libaert, 2016). Le communicant entre alors en contradiction avec les valeurs érigées et promues par la profession. Ces questionnements éthiques animent la profession et contribuent à la vitalité d’une réflexion sur les rapports entre les communicants et leurs publics. De même, ces contradictions interrogent sur la nature réelle de leurs activités de communication. S’agit-il d’influence, de propagande voire de manipulation ? En somme, si le terme de communicant regroupe une diversité de métiers, de pratiques et de conception différentes d’un métier, sa définition même reste toujours attachée à celle des publics, internes et externes, avec lesquels il entre en communication et à la nature de la relation qu’il entretient avec eux.


Bibliographie

Brulois V., Charpentier J-M., Viers J., 2014, « Des communicants en quête de savoirs et de pratiques réflexives dans une entreprise en tension », pp. 146-160, in : Lépine V., David M., dirs, Pratiques et réflexions autour des dispositifs d’apprentissage et de formation des communicateurs, Louvain-la Neuve, Presses universitaires de Louvain.

Cap’Com, 2002, La Charte de Marseille. Charte Déontologique de la communication publique. Accès : http://www.cap-com.org/sites/default/files/ckfinder/files/articles/La-Charte-de-Marseille.pdf.

Catellani A., 2016, « Relations publiques », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics, 07 nov. Accès : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/relations-publiques/.

Catellani A., Sauvajol-Rialland C., 2015, Les Relations publiques, Paris, Dunod.

Habermas J., 1962, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. de l’allemand par M. B. de Launay, Paris, Payot, 1993.

Habermas J., 1981, Théorie de l’agir communicationnel, 2 tomes, trad. de l’allemand par J.-M. Ferry, Paris, Fayard, 1987.

Krieg-Planque A., Oger C., 2017, « Éléments de langage », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics, 02 avr. Accès : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/elements-de-langage/.

Legavre J.-B., 2005, « La quête des origines. Retour sur la fondation de la communication politique experte en France », Questions de communication, 7, pp. 323-344. Accès : https://questionsdecommunication.revues.org/5669.

Libaert T., 2016, « La posture de l’avocat dans le discours des relations publiques », Communication et organisation, 50, pp. 139-148.

Libaert T., Westphalen M.-H., 1989, Communicator. Toute la communication d’entreprise, Paris, Dunod, 2012.

Mégard D., Rigaud D., 2012, « À l’écoute du métier de communicant public », Communication et organisation, 41, pp. 171-179. Accès : https://communicationorganisation.revues.org/3795.

Ollivier-Yaniv C., 2006, « La communication publique. Communication d’intérêt général et exercice du pouvoir », pp. 97-112, in : Olivesi S., dir., Sciences de l’information et de la communication. Objets, savoirs, discipline, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.

Pilhan J., 1995, « L’écriture médiatique. Entretien avec Jacques Pilhan », Le Débat, 5, 87, pp. 3-15.

Poirmeur T., 2016, « Lobbying », Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics, 07 nov. Accès : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/lobbying/.

Poirmeur Y., 2017, Lobbying et stratégies d’influence, Paris, Éd. LGDJ.

Syntec RP, 1988, Code de déontologie de Syntec conseil en relations publics, 2013.

Walter J., 1995, Directeur de communication. Les avatars d’un modèle professionnel, Paris, Éd. L’Harmattan.

Zeineb T., Badulescu C., 2014, « Employabilité, insertion professionnelle et mobilité des jeunes diplômés dans les métiers de la communication en France », pp. 102-122, in : Lépine V., David M., dirs, Pratiques et réflexions autour des dispositifs d’apprentissage et de formation des communicateurs, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain.

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