Formule


 

Critères définitoires de la formule

« Développement durable » (Krieg-Planque, 2010), « Issu de la diversité » (Molinari, 2014), « Obsolescence programmée » (Botero, 2014), « Classement de Shangaï » (Barats & Leblanc, 2013), « Théorie du genre », « Crise des réfugiés », ne sont que quelques exemples de formules traversant l’espace public. Ce phénomène discursif, à la charnière des champs politique, médiatique et institutionnel, et dont les dimensions sont à la fois discursive, sociale et communicationnelle, peut être défini à travers quatre critères : fonctionnement discursif, circulation, figement et caractère polémique.

La formule détient tout d’abord un fonctionnement discursif dans le sens où elle correspond à des discours observables dans des corpus concrets. Ce positionnement prenant en compte un contexte précis fait que la formule contribue à des enjeux politiques et sociaux. Elle est ensuite caractérisée par sa circulation, sa capacité à être reprise dans le débat public. La formule est de plus intrinsèquement liée à un processus de figement. Elle se construit en effet grâce à des unités discursives relativement stabilisées, principalement d’un point de vue sémantique. La formule possède enfin un caractère polémique. Elle est le reflet de conflits inhérents au débat public, qui donnent à voir le caractère idéologique du discours en donnant lieu à des affrontements d’interprétations aussi nombreuses que les différentes sources énonciatives concernées.

 

Paternité de la notion de formule

La notion de formule a été introduite en analyse du discours politique par le philosophe Jean-Pierre Faye en 1972 (Fiala, 2002) pour décrire l’émergence et la circulation des expressions « État total » et « État totalitaire » dans les années 1920-1930. L’analyse montre que la propagation de ces formules a joué un rôle significatif dans la construction de l’idéologie fasciste. L’étude des formules a ensuite été appliquée à d’autres champs d’analyse, comme celui du discours politique. Dans les années 1990, Alice Krieg ouvre un autre terrain de recherche – médiatique cette fois – en menant une analyse approfondie de la circulation de la formule « purification ethnique » (déclinée dans les expressions « épuration ethnique » ou encore « nettoyage ethnique ») dans la presse qui traite de la guerre en Yougoslavie entre 1980 et 1994 (Krieg, 2003).

 

La formule dans le processus de circulation des discours

La notion de formule telle qu’elle a été retravaillée par Alice Krieg-Planque met en avant cette capacité à être reprise afin de circuler dans l’espace public. La condition d’existence d’une formule tient finalement à ses conditions de réception, et c’est l’anticipation de sa réception qui va conditionner sa production. Qui plus est, la circulation de formules participe de leur processus de figement. La stabilisation d’une formule dépend de sa circulation et cette stabilisation correspond à une forme de cristallisation des enjeux traversant l’espace public. Pour Alice Krieg-Planque (2009 : 7), la formule est « un ensemble de formulations qui, du fait de leurs emplois à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces expressions contribuent dans le même temps à construire ». Cette catégorie d’analyse apparaît comme opératoire pour les discours publicisés – à différents degrés de figement. Elle ancre de plus la notion de formule dans une analyse de discours considérés comme le résultat d’une activité au sein d’une formation sociale, répondant à des enjeux politiques et sociaux.

 

La polémicité de la formule

La place des formules dans l’espace public est un élément essentiel à prendre en considération, étant donné que celles-ci s’imposent comme de véritables objets polémiques, et la prise en charge ou la non-prise en charge énonciative d’une formule dans un discours permet de dessiner son positionnement idéologique. Krieg-Planque met l’accent sur l’activité métalinguistique qui accompagne la circulation de la formule. Cette activité peut se traduire par l’emploi de plusieurs marques énonciatives de distanciation : usage d’expressions telles que « comme on dit », « pour reprendre cette expression » ou encore emploi des guillemets. Autrement dit, l’usage d’une formule est un moyen de mettre en avant une conflictualité. La formule doit être mise en relation avec ses enjeux politiques et sociaux dans le sens où l’on touche à des conflits profonds, d’intérêt public. On peut rapprocher cette vision des choses de la définition proposée par Ruth Amossy (2014) du discours polémique, qui contribue, selon elle, à la construction d’un espace public, en favorisant la protestation, en créant des communautés virtuelles, en incitant à la rencontre et à l’action, etc. La concision de la formule lui permet d’« être intégrée à des énoncés qui la soutiennent, la portent, la reprennent, la renforcent, la réitèrent ou la récusent » (Krieg-Planque, 2009 : 73). La circulation de formules est donc intrinsèquement liée au débat public, conçu à travers l’idée d’une polémicité.

 

Interdépendance de la formule au contexte de production

De la même manière que le degré de figement est dépendant de son contexte d’apparition – en effet, comme le rappelle Alice Krieg-Planque (2012 : 99), « le figement doit toujours être ramené à des emplois dans des corpus déterminés » – le degré de figement des formules doit être rattaché à des situations précises. La formule est interdépendante de son contexte de production. On peut ainsi supposer que le figement d’une formule puisse avoir une durée de vie limitée, bornée à la durée de la polémique créée dans l’espace public. Une formule peut avoir un côté plus ou moins périssable et cela va dépendre de la mémoire discursive des interlocuteurs concernés.

 

Les formules dans l’espace public

Étudier le phénomène discursif de formule est de plus un moyen permettant d’éclairer les mutations profondes qui affectent les pratiques politiques, sociales et médiatiques contemporaines. L’espace public est traversé par une foule de discours dont la dimension argumentative peut être plus ou moins marquée (Amossy, Krieg-Planque, Paissa, 2014). L’analyse de formules peut être un moyen de comprendre cet espace public en constante modification, à travers le décryptage des différents positionnements idéologiques et argumentatifs des sujets énonciateurs interférant dans une sphère discursive précise. L’étude de la viralité des formules semble en outre particulièrement intéressante dans le contexte d’émergence de nouveaux formats médiatiques numériques, favorisant la circulation massive de formules.

 

Analyse de la formule, forme d’étude de parcours signifiants

Que ce soit à travers le discours politique ou médiatique, la formule se définit par sa faculté à circuler largement au sein de l’espace public. En tant que résultat d’une activité discursive, elle fait ainsi partie d’un ensemble plus large d’énoncés destinés à être repris par l’ensemble des discours traversant l’espace public, tels que les slogans, les éléments de langage – pouvant prendre la forme de réponses toutes faites, par exemple les différentes formes d’aphorisation (Maingueneau, 2011) ou encore les « petites phrases » (Krieg-Planque, 2011). L’intérêt d’analyser ces différentes productions discursives se situe avant tout dans l’exploration de leur dissémination. De manière plus large, l’étude de formules correspond ainsi à une forme d’analyse de « parcours » signifiants – pour reprendre l’expression proposée par Dominique Maingueneau (2014 : 97-101).


Bibliographie

Amossy R., 2014, Apologie de la polémique, Paris, Presses universitaires de France.

Amossy R., Krieg-Planque A., Paissa P., 2014, « Introduction », in : Amossy R., Krieg-Planque A., Paissa P., coords, « La formule en discours : perspectives argumentatives et culturelles », Repères-Dorif, 5. Accès : http://www.dorif.it/ezine/ezine_articles.php?id=177.

Barats Ch., Leblanc J.-M., 2013, « Généalogie de la co-construction médiatique du “classement de Shanghai” en France. Corpus de presse et usages sociodiscursifs », Mots. Les langages du politique, 102. Accès : http://mots.revues.org/21313.

Botero N., 2014, « Analyse discursive de la formule obsolescence programmée : entre passivation et agentivité », Le discours et la langue, Revue de linguistique française et d’analyse du discours, 5. 1., pp. 93-104.

Fiala P., 2002, Entrée « Formule », pp. 274-275, in : Charaudeau P., Maingueneau D., dirs, Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Éd. Le Seuil.

Krieg A., 2003, « Purification ethnique ». Une formule et son histoire, Paris, Éd. du CNRS.

Krieg-Planque A., 2009, La Notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté.

Krieg-Planque A., 2010, « La formule “développement durable” : un opérateur de neutralisation de la conflictualité », Langage et société, 134, pp. 5-29. Accès : http://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2010-4-page-5.htm.

Krieg-Planque A., 2011, « Les “petites phrases”, un objet pour l’analyse des discours politiques et médiatiques », Communication et Langages, 168, pp. 23-41.

Krieg-Planque A., 2012, Analyser les discours institutionnels, Paris, A. Colin.

Maingueneau D., 2011, « Sur une petite phrase “de” Nicolas Sarkozy. Aphorisation et auctorialité », Communication et Langages, 168, pp. 43-56.

Maingueneau D., 2014, Discours et analyse du discours, Paris, A. Colin.

Molinari Ch., 2014, « Issu de la diversité : une formule aux contours polémiques », Repères-Dorif, 5. Accès : http://www.dorif.it/ezine/ezine_articles.php?id=179.

Auteur·e·s

Simon Justine

Centre de recherche sur les médiations Université de Lorraine

Citer la notice

Simon Justine, « Formule » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 09 septembre 2016. Dernière modification le 24 janvier 2023. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/formule.

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