Cérémonial du 11-Novembre


 

Le 11-Novembre constitue aujourd’hui l’un des repères mémoriels essentiels de la Nation française. Alors que depuis la fin des années 1990, le nombre de journées commémoratives officielles n’a cessé d’augmenter passant de 6 à 12, le 11-Novembre demeure la date repère qui s’impose le plus largement aux yeux des Français.

 

Le choix du 11-Novembre

La date commémore la fin des combats de la Grande Guerre, sur le front occidental, après la signature de l’armistice de Rethondes. Il entre en vigueur le 11 novembre 1918 à 11 heures du matin. Il est signé pour une durée de 36 jours et peut être prorogé, ce qui sera le cas jusqu’à la signature du traité de Versailles de juin 1919. Le 11 novembre 1918, à 16 heures, à la tribune de l’Assemblée nationale, Georges Clemenceau, président du Conseil, lit les conditions d’armistice et rend hommage aux soldats morts et vivants. Il salue la Lorraine et l’Alsace retrouvées et exalte la Nation. Pourtant la commémoration du 11-Novembre n’acquiert pas immédiatement une place prépondérante et son cérémonial doit attendre un peu pour se mettre en place. Le 11 novembre 1919 est marqué par une grande discrétion. La seule cérémonie organisée est celle qui se place dans la chapelle des Invalides en présence du maréchal Foch. Si le 11 novembre 1919 est quelque peu marginalisé, c’est que le défilé de la Victoire du 14 juillet de la même année a attiré toutes les attentions. Le défilé a été l’objet d’une grande liesse populaire et d’un déploiement impressionnant de forces militaires. Gorges Clemenceau, encore président du Conseil, a voulu que ce soit le plus grand hommage aux combattants, tant vivants que morts, que l’on puisse rendre. Les grands blessés font partie de l’hommage et un millier d’entre eux ouvrent le défilé dans des fauteuils roulants poussés par des infirmières. Le public est présent en une foule immense, les grands chefs sont acclamés et, pour la dernière fois, le défilé passe directement sous l’Arc de Triomphe. Dans la nuit du 13 au 14 juillet 1919, un cénotaphe est installé sous l’Arc afin que le public puisse rendre hommage aux morts pour la patrie. Le 2 novembre 1919, jour des morts dans la tradition chrétienne, de nombreuses cérémonies sont organisées également, qui vont reléguer le 11-Novembre au second plan. Les hommages publics s’individualisent alors en autant de cérémonies familiales qui se multiplient dans les cimetières et nécropoles provisoires de l’ancien front. Les mères, veuves et orphelins se rendent massivement sur les tombes de leur être cher.

 

13-7-19, le cénotaphe, arc de triomphe [place de l’Etoile, foule nombreuse] : [photographie de presse] / [Agence Rol]

 

Hommage au mort…

Ce n’est qu’en 1920 que la symbolique du 11-Novembre commence à se mettre réellement en place. Il faut dire que plusieurs facteurs concourent au succès public de la date. La IIIe République fête alors son cinquantième anniversaire et elle tient à faire savoir que c’est ce régime qui a gagné la guerre, alors même que Charles Maurras estimait, en 1914 que la République était incapable de mener simplement un conflit. Mais, plus encore, le 11 novembre 1920 est associé à un choix de mise en mémoire esquissé dès 1916. C’est alors, en effet, que commence à émerger l’idée de rendre hommage non seulement aux grands chefs tués dans la guerre, comme cela se pratiquait habituellement, mais aussi à un Soldat inconnu, représentant tous ses frères de combat. Le symbole est particulièrement fort dans l’espace public, car, du fait des conditions très particulières des combats sur le front occidental – conditions plus jamais retrouvées ensuite dans les conflits ultérieurs – un nombre considérable de corps de soldats tués n’a jamais été retrouvé. D’autres n’ont pu être identifiés. C’est bien l’idée de rendre hommage à ceux qui sont morts sans sépulture ou sans nom qui se dégage ainsi. La volonté nationale d’honorer les humbles soldats morts dans l’anonymat rejoint celle de nombreuses familles qui ne peuvent faire leur deuil en allant se recueillir sur la tombe d’un des leurs. Le 8 novembre 1920, les députés adoptent les deux articles suivants :

« Article 1er : les honneurs du Panthéon seront rendus aux restes d’un soldat non identifiés mort au Champ d’Honneur au cours de la guerre 1914-1918. La translation des restes de ce soldat sera faite solennellement le 11 novembre 1920.

Article 2 : le même jour, les restes du Soldat inconnu seront inhumés sous l’Arc de triomphe ».

Les sénateurs votent, pour leur part, ces deux articles le 9 novembre 1920.

Le lendemain, dans la citadelle basse de Verdun, le soldat Auguste Thin, du 132e RI désigne un cercueil parmi les huit rassemblés, en provenance des huit secteurs du front occidental les plus meurtriers : Flandres, Artois, Somme, Île-de-France, Champagne, Verdun, Chemin des Dames et Lorraine. Le cercueil ainsi choisi est transporté dans la nuit à Paris, devant le Panthéon. La célébration du cinquantenaire de la République est symbolisée par le fait que la châsse renfermant le cœur de Léon Gambetta doit être déposée dans la crypte du Panthéon, pendant que les restes de l’Inconnu gagnent l’Arc de Triomphe. L’association des deux moments constitue, bien entendu, un tout mémoriel pour la plus grande gloire de l’idéologie républicaine, les restes du tribun, homme fort du gouvernement de la Défense nationale de 1870-1871, étant associés au vainqueur anonyme de la Grande Guerre. Une foule considérable accompagne le cortège qui va du Panthéon à l’Arc de Triomphe. Mais il va falloir encore un peu de temps pour que le culte du Soldat inconnu connaisse une ritualisation précise. Entre le 11 novembre 1920 et le 28 janvier 1921, le cercueil de l’Inconnu est déposé dans une chapelle ardente du premier étage de l’Arc de Triomphe. Le 28 janvier 1921, il est déposé sous la voûte. La dalle de granit porte simplement les mots : « Ici repose un soldat français mort pour la Patrie (1914-1918) ». Le milieu des anciens combattants, qui constitue un élément essentiel du dispositif public des cérémonies, se mobilise alors pour faire adopter par le Parlement une date de commémoration officielle. C’est chose faite par la loi du 24 octobre 1922 qui établit le 11 novembre comme fête nationale (Le 11 novembre : un jour mémoire, 2003).

 

Cérémonies du 11 novembre 1920, le char décoré transportant le cœur de Gambetta et le canon transportant le cercueil du Soldat inconnu (photographie de presse, Agence Rol, BnF).

 

Cérémonies du 11 novembre 1920, le char décoré transportant le cœur de Gambetta, le canon transportant le cercueil du Soldat inconnu sous l’Arc de triomphe et la foule prenant possession des lieux (photographie de presse, Agence Rol, BnF).

 

À Paris, le cérémoniel de la flamme s’ouvre, pour la première fois, le 11 novembre 1923. L’idée vient en partie de l’ancien combattant Jacques Péricard, rendu célèbre en 1915 par Maurice Barrès, qui popularise son fameux cri de « Debout les morts ». André Maginot, ministre de la Guerre et des Anciens Combattants, allume la flamme du souvenir sur le foyer réalisé par le ferronnier Edgar Brandt. Bien que la cérémonie du ravivage de la flamme soit publique, les associations ayant le droit d’y procéder se considèrent comme un public de « Happy Few », tout en se voulant les représentantes de la Nation tout entière. Un Comité de la flamme est chargé, depuis 1923, de la tâche quotidienne de raviver la flamme à 18 h 30. 760 associations patriotiques ou d’anciens combattants participent à ce cérémonial très précis, qui comprend un défilé à pied jusqu’à l’Arc de Triomphe, porteurs de gerbes en tête, mise en place autour de la tombe de l’Inconnu, sonnerie « La Flamme » de clairon et roulement de tambour de la Garde Républicaine, dépôts des gerbes et ravivage de la flamme à l’aide d’un glaive qui ouvre la trappe de la flamme en grand tandis que retentit la sonnerie « aux morts ». Une minute de silence, drapeaux inclinés, se termine par l’hymne « Honneur au Soldat inconnu » puis, à nouveau par la sonnerie « La Flamme ». La signature du livre d’or et le salut des associations présentes complètent le cérémonial quotidien. Le public est forcément restreint en nombre. Pourtant, dans l’espace public, cette cérémonie quotidienne prend une dimension assez spectaculaire. D’une part, la remontée des Champs Élysées, jusqu’à l’Arc de Triomphe, empruntant le centre de l’avenue est perçue des nombreux automobilistes, piétons et touristes circulant sur « la plus belle avenue du monde ». D’autre part, les musiques présentes, notamment celle de la Garde Républicaine, établissent un dispositif sonore public impressionnant, à la tombée du jour. Enfin, la présence des enfants de l’enseignement primaire et secondaire est très fréquente. Ce public est conçu comme celui à qui doit échoir la transmission mémorielle de l’événement et de la cérémonie. Il en constitue donc un élément essentiel de la manifestation publique.

 

Sonnerie « aux morts » (auteur du fichier : Foxp2 [CC BY 2.0 FR] via sounddesigners.org).

 

Sonnerie « Honneur au Soldat inconnu » (interprète : Musique de l’air de Paris).

Le 11-Novembre sous l’Arc de Triomphe a connu également des péripéties mémorielles assez variées. Le 11 novembre 1940, après une première tentative de manifestation peu suivie le 8, entre 3 000 et 5 000 personnes convergent vers les Champs Élysées. Le recteur de l’académie de Paris a pourtant envoyé une circulaire aux proviseurs des lycées parisiens pour qu’ils empêchent leurs élèves d’aller manifester. La répression allemande est brutale et une centaine de personnes sont arrêtées. Ce 11 novembre 1940 devient un symbole pour la résistance parisienne en cours d’organisation. Les Français Libres, par le biais de Radio-Londres, soulignent l’importance de ce premier acte d’opposition collective à l’occupation. Le 11 novembre 1944 est marqué par la présence du Premier ministre britannique Winston Churchill lors des cérémonies de l’Arc de triomphe. Le 11 novembre 1945, la symbolique mémorielle parisienne se déplace dans l’espace. Charles de Gaulle, président du Gouvernement provisoire de la République Française, tient à faire du Mont Valérien, où de nombreux résistants ont été fusillés, un lieu symbolique. Quinze cercueils de Français morts pour la Patrie y sont déposés. Ils représentent des morts des trois Armes (Terre, Air, Mer), mais également des prisonniers de guerre, des déportés, hommes et femmes. L’idée est, bien entendu, de glorifier l’unité nationale et les différentes formes de combat et de résistance, sur des théâtres d’opérations variés connus par les Françaises et les Français, entre 1939 et 1945. Le 10 novembre 1945, les quinze corps sont amenés en trois cortèges, des portes de Paris aux Invalides. Le lendemain, 11 novembre, un cortège les accompagne sous l’Arc de Triomphe où le général de Gaulle les attend. Tout au long de la journée, la foule parisienne leur rend hommage, avant qu’ils ne soient transportés au Mont Valérien.

Depuis cette date, les cérémonies parisiennes du 11-Novembre constituent le moment essentiel de la mise en mémoire de la Grande Guerre par l’État. Des thématiques mémorielles peuvent y être associées. C’est ainsi qu’en 1984, les débuts de la guerre de 1914 et la victoire de la Marne ont été mises en avant. En 1986, c’est au tour de la bataille de Verdun d’être évoquée. En 1989, la mémoire de la révolution française, en 1992, les troupes coloniales ou en 1998, la contribution des Alliés à la victoire, sont ainsi associées aux cérémonies du 11 novembre.

Plaque apposée au n° 156 de l’avenue des Champs-Élysées, Paris 8e au débouché de la place Charles-de-Gaulle (Wikimedia Commons/Mu).

… Et aux morts

Mais le cérémoniel du 11-Novembre vaut aussi, et surtout sans doute, par les rituels communs qui se déroulent autour des monuments aux morts de toutes les communes de France qui s’en sont dotées, c’est-à-dire l’immense majorité des près de 36 000 communes françaises. L’essentiel des constructions de monuments aux morts se fait entre 1920 et 1925. Ces monuments, quels que soient leurs visages, s’inscrivent immédiatement dans l’espace public urbain ou villageois. La loi de séparation des Églises et de l’État de décembre 1905 oblige à ériger ces monuments en dehors d’un cadre religieux. C’est le plus souvent à proximité immédiate de la mairie de la commune que le monument est placé, au cœur même du village et visible de tous au premier coup d’œil. Très souvent, le monument aux morts prend, dans l’espace public, la place de référence, contraignant à le voir. La loi du 25 octobre 1919 permet d’inscrire sur ces monuments – aux formes variées – le nom des « Morts pour la France » nés ou domiciliés légalement en dernier lieu dans la commune. La loi du 28 février 2012 fixe au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, dans tous les conflits qui ont suivi la Grande Guerre. De fait, le 11-Novembre devient ainsi l’homologue du Memorial Day américain qui rend hommage, chaque dernier lundi du mois de mai, à l’ensemble des morts militaires américains tombés dans toutes les guerres.

Le déroulé de la cérémonie du 11-Novembre est identique dans toutes les communes de France, quelle que soit leur taille. Après la lecture d’un texte du ministre de la Défense ou du ministre délégué aux Anciens Combattants et victimes de guerre, se place, de manière facultative, l’appel nominatif des morts de la commune. À l’appel de leur nom, l’assistance répond « Mort pour la France ». Cet appel peut se faire soit avant, soit après le dépôt de gerbes, au pied du monument aux morts. Le dépôt de gerbes s’effectue dans l’ordre inverse des préséances. L’autorité présidant la cérémonie – le maire dans les petites communes – dépose sa gerbe en dernier, même si le dépôt peut aussi s’effectuer tous ensemble. Le second temps du cérémonial est celui où retentit la sonnerie « aux morts », suivie d’une minute de silence. À l’issue de celle-ci est joué l’hymne national. Les drapeaux ou étendards présents sont abaissés par les porte-drapeaux durant la sonnerie « aux morts » et la minute de silence. Les autorités présentes en uniforme saluent pendant la sonnerie « aux morts », la minute de silence et l’hymne national. La cérémonie se termine par le remerciement des autorités aux porte-drapeaux et le départ des autorités.

Autant par un cérémonial uniforme dans toute la France, que par le poids symbolique de l’énormité de la mort de masse qu’il représente, le 11-Novembre constitue bien la référence essentielle dans le paysage mémoriel français depuis les lendemains de la Grande Guerre. Devant l’inflation du nombre de journées nationales de commémoration, tenant à une montée en puissance du « tout-mémoriel » au détriment de l’histoire, mais tenant aussi à des réflexes de concurrence des mémoires, voire de quête de voix électorales, certains ont préconisé, il y a quelques années déjà de faire officiellement du 11-Novembre ce qu’il est déjà, dans les faits, c’est-à-dire un Memorial Day français. Pour l’instant, ces propositions n’ont pas abouti. Sans doute parce que les associations de mémoire sont extraordinairement nombreuses en France et que chacune d’entre elles a tendance à penser qu’elle défend une mémoire unique.

 

Des publics en évolution

En dépassant ces débats mémoriels, les cérémonies locales du 11-Novembre revêtent encore une grande importance dans de nombreuses communes de taille modeste. Les publics y sont encore relativement nombreux depuis les années 1920 – ce qui n’est pas toujours le cas en ville – et variés. Au centre du dispositif de la cérémonie, deux publics privilégiés se complètent. D’une part, les anciens combattants et leurs porte-drapeaux, d’autre part les enfants des écoles, amenés par leurs instituteurs et institutrices. En ce qui concerne les seconds, c’est un point nodal depuis l’émergence des cérémonies aux monuments aux morts. Le message dual est clair à l’égard du public scolaire : les enfants des écoles sont des « apprenants » et doivent se voir en porteurs d’héritage de la Grande Guerre, notamment dans ses dimensions doloristes ; ils sont les passeurs de mémoire de l’avenir, et, à ce titre, public essentiel de la cérémonie d’hommage aux morts. Le public des anciens combattants a été, bien entendu, associé ès qualités à la cérémonie, dès les années 1920. Ils étaient alors des hommes encore jeunes, qui se réclamaient d’un passé militaire récent et d’un rôle d’avenir essentiel. Autour des monuments aux morts, la génération du feu de 1914-1918 a ensuite été remplacée par la génération massivement captive de 1939-1945. Aujourd’hui, le public des anciens combattants est surtout composé des anciens d’Algérie, Tunisie, Maroc. Dans un avenir plus ou moins proche, la question de la présence publique des anciens combattants va se poser. Les participants aux « Opérations extérieures » depuis la fin des années 1960, ne sont pas assez nombreux pour être présents dans de nombreuses communes. Le rôle et le poids des associations mémorielles et patriotiques (« Souvenir Français », par exemple), des Réserves (opérationnelle ou citoyenne) sont amenés à évoluer dans le dispositif public des cérémonies du 11-Novembre.


Bibliographie

Chemins de Mémoire, 2003, Le 11 novembre : un Jour mémoire, Paris, ministère de la Défense, secrétariat général à l’Administration, direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives. Accès : http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/le-11-novembre-un-jour-memoire.

Auteur·e·s

Cochet François

Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire Université de Lorraine Président du conseil d’orientation scientifique du mémorial de Verdun

Citer la notice

Cochet François, « Cérémonial du 11-Novembre » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 22 janvier 2018. Dernière modification le 01 février 2022. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/ceremonial-du-11-novembre.

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