Défilé


 

Le défilé est une des manifestations les plus spectaculaires de la culture militaire. Généralement, il prolonge une prise d’armes (voir la notice « prise d’armes » [Cochet, 2018]). À l’origine, au XVIIIe siècle, il s’agit clairement de l’expression de méthodes de combat. Frédéric II de Prusse a fait adopter le « drill  » et la préparation au combat par « l’ordre serré » qui conçoit que le soldat ne vaut qu’intégré dans une masse. Ainsi le défilé est-il d’abord vu comme une préparation au combat, nécessitant une discipline très stricte et un « déroulé » très précis. À la fin du XVIIIe siècle et encore tout au long du XIXe siècle, la formation du soldat passe par deux phases précises. La formation individuelle, rendant l’homme capable de s’intégrer dans une unité de base, et la formation collective, capable de le rendre apte au combat.

 

Honneur aux troupes

Une fois que le défilé n’est plus jugé comme un élément de la formation du soldat, subsiste cependant sa valeur symbolique très forte en termes d’usages publics. Il faut remonter au « Triomphe » romain pour en saisir les dimensions essentielles. Comme dans ce dernier, il s’agit bien d’honorer publiquement des troupes victorieuses, mais surtout leur chef. La IIIe République française renoue avec ce rituel après – paradoxalement – la défaite de 1870. Mais il est vrai que la défaite a toujours une forte valeur pédagogique et rédemptrice. À compter de 1880, l’archétype du défilé militaire français devient celui du 14-Juillet, à Longchamp ou Vincennes d’abord, puis sur les Champs Élysées. La valeur symbolique se déplace d’ailleurs. À travers ses armées, c’est bien la Nation tout entière qui est honorée. Aujourd’hui, le défilé du 14-Juillet rend hommage aux différentes composantes des armées à travers les femmes et les hommes qui les composent. Les unités à pied ouvrent la marche, puis sont suivies des unités motorisées, tandis que défilent en même temps les unités aériennes. La dimension interarmées est ainsi fortement exprimée, tout comme est de plus en plus souvent exprimée la notion d’alliances internationales par l’invitation de troupes étrangères.

Au cœur même du défilé, qui constitue, a priori, un exemple public de cohésion, des cultures de groupes restreints s’expriment pleinement. En effet, rien n’est plus fallacieux que la notion d’uniforme militaire. Contrairement à ce que le terme semble indiquer, rien n’est moins « uniforme » qu’un uniforme. Les couleurs, codes de langage visuel (indication de grade, de spécialité, de récompenses, etc.) introduisent un véritable alphabet compris des seuls initiés, mais très parlant. Il en va également ainsi du signe – perceptible par tous les éléments du public – du nombre de pas parcourus à la minute par certaines troupes. Alors que le nombre réglementaire de pas à la minute est fixé à 120 pour la majorité des troupes à pied, la Légion défile traditionnellement à 88 pas, tandis que les chasseurs à pied ou alpins évoluent à 130.

 

« Puis, le 14 juillet 1919, nos troupes victorieuses ont fait leur entrée à Paris, en passant sous l’Arc de Triomphe. Les personnes âgées, qui avaient vu nos défaites en 1870, étaient très émues. Regardez l’image du début de ce chapitre. Vous y verrez, à cheval, les deux chefs qui avaient commandé toutes les armées de la France, le maréchal Foch et le maréchal Joffre ». Lavisse E., 1933, Histoire de France. Cours élémentaire. Classes de 10e et 9e des lycées et collèges (Garçons et Jeunes filles), Paris, A. Colin, p. 182. (coll. J. Walter).

 

[Défilé du 14 juillet 1919 sur les Champs-Élysées] : [photographie de presse] / [Agence Rol].

Polysémie des défilés

La forme et le nombre de défilés sont très diversifiés. Entre les fêtes nationales (8-Mai, 14-Juillet, 11-Novembre), dans lesquelles le cérémonial militaire est prédominant mais où la présence du public civil est massive et protocolarisée, le défilé peut prendre la dimension d’un entre-soi militaire. Il en va ainsi des cérémonies de passation de commandement dans une enceinte militaire ou de prises d’armes. Le défilé est alors un rituel à usage interne. Il en va de même lorsque, durant la Grande Guerre notamment, des exécutions de soldats ont lieu. Après une condamnation à mort par un conseil de guerre, pour des motifs gravissimes aux yeux de la justice militaire de l’époque, et l’exécution publique d’un soldat, les troupes de son régiment et des régiments voisins reçoivent l’ordre de défiler devant le corps, à titre pédagogique.

Les effets recherchés sur le public sont très variés. Il va de soi qu’un certain nombre d’États totalitaires ont fait du défilé militaire un moyen d’impressionner « l’ennemi » réel ou fantasmé. Les défilés nazis, ceux du régime soviétique sur la Place Rouge, ou aujourd’hui encore ceux du régime communiste coréen ont en commun d’être un salon de l’armement à ciel ouvert, destiné à semer la crainte chez des millions de spectateurs par le biais des diffusions télévisuelles. Le public local est infiniment moins nombreux, que celui qui, derrière un écran de télévision à des milliers de kilomètres du défilé, constate la puissance menaçante des armes de l’adversaire.

La dimension publique du défilé militaire demeure essentielle dans d’autres circonstances. En France, à la fin du XIXe siècle, dans l’ambiance d’une préparation à une éventuelle revanche, le défilé militaire prend des valeurs hautement symboliques. Il en va ainsi dans la phase où le général Boulanger est ministre de la Guerre. Le symbole fort de cette mise dans l’espace public du rituel du défilé en est la création d’une chanson, due à Lucien Delormel, Léon Garnier et Louis-César Desormes. En 1886, « En revenant de la Revue », créé par le chanteur Paulus au mois de mai, connaît un succès phénoménal. Le refrain exprime tout à fait clairement ce que représente alors un défilé militaire :

« Gais et contents,
Nous marchions, triomphants,
En allant à Longchamp,
Le cœur à l’aise,
Sans hésiter,
Car nous allions fêter,
Voir et complimenter
L’Armée française ».

En revenant de la revue / Lucien Delormel, aut. ; Léon Garnier, aut. ; Louis-César Desormes, comp. ; Bourvil, interprète, 1950.

 

Il s’agit alors de rendre sa fierté militaire au public après l’affront de la défaite de 1870 et de montrer hommes, chefs et matériels renouvelés, afin de retrouver le chemin de la gloire militaire aux yeux du plus grand nombre de Français, à un moment où le service militaire s’ancre dans le grand public.

De nos jours, il n’est pas certain que les défilés militaires soient chargés de la même symbolique. L’ambiance pacifiste des années 1920 et 1930, l’antimilitarisme de la guerre froide et des années post-1968 sont passés par là, notamment la chanson de Maxime le Forestier faisant rimer « parachutiste » avec « fasciste » en 1972 (Cochet, 2013). Pourtant, depuis la vague d’attentats islamistes, les défilés militaires sont largement applaudis dans l’espace public. Lors d’un défilé du 14-Juillet à Paris, il n’est qu’à voir et ressentir sur place, les vibrations d’émotion qui parcourent le public présent sur place, et non à partir d’un écran de télévision, loin de la tribune présidentielle. Non seulement le corps des Pompiers est massivement applaudi, comme c’est de coutume, en fonction des missions de service public que ce corps exécute, mais aussi la Légion, sans doute pour son « exotisme ». Depuis une quinzaine d’années, les autres armes sont tout autant saluées. Il semblerait que la fin de la conscription en 1997 ait permis à la Nation de se réconcilier avec son armée, avec laquelle elle a toujours entretenue des relations complexes et ambiguës depuis la révolution. En tout cas, la chanson de Georges Brassens : « La musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas » ne semble plus autant d’actualité et les défilés militaires retrouvent quelques couleurs.

 

Acteurs et publics

Dans le défilé, comme celui du 14-Juillet sur les Champs Élysées, la césure entre participants et public semble complète. Les militaires défilent, les civils regardent défiler. Il en va ainsi que l’on soit à Paris ou en province. En apparence, les applaudissements tiennent lieu de participation du public. Pourtant, malgré la rigidité du protocole, le partage entre « défilants » et spectateurs est bien réel, et, spécialement dans les tribunes réservées aux membres des familles, et l’on ressent réellement des vibrations parcourant les deux entités. C’est après le défilé, lorsque les unités y ayant participé se disloquent, que le lien entre public spectateur et participants éclate le plus ouvertement. Sur l’esplanade des Invalides se mêlent alors les deux composantes.

Dans le fonctionnement de la Ve République, le rôle symbolique du Président comme chef des armées est fortement réaffirmé. Il est le « défilant en chef » aux yeux du public massé de part et d’autre des Champs Élysées. En tant que chef des Armées, il remonte l’avenue sur laquelle les troupes lui présentent les armes. Aux yeux du public, il incarne alors les fonctions civiles et militaires dont il opère une synthèse, même s’il porte un costume civil. Le public l’applaudit généralement, même si François Hollande a connu aussi les sifflets lors de cette première phase du défilé de la fête nationale.

Le président est encore dans son rôle d’intercesseur entre publics militaire et civil par le biais de la Garden Party qu’il donne dans les jardins de l’Élysée, à partir du Président Sadi Carnot en 1889 à l’issue du défilé militaire. Alors que le public traditionnel est représenté surtout par les corps constitués, Valery Giscard d’Estaing convie… 13 000 Français à la Garden Party de 1978. Cette dernière, supprimée par Nicolas Sarkozy en 2010, pour cause d’économies, est alors le moyen de compenser, en quelque sorte, la relative « passivité » du public lors du défilé qui précède la Garden Party, par un rôle plus actif d’ouverture sur les ors de la République, pour un moment de partage républicain.

Emmanuel Macron, Président de la République, crédit photographique : © École polytechnique – J. Barande.


Bibliographie

Cochet F., 2013, Être Soldat. De la Révolution à nos jours, Paris, A. Colin.

Cochet F., 2018, « Prise d’armes», Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Accès : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/prise-darmes/.

Auteur·e·s

Cochet François

Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire Université de Lorraine Président du conseil d’orientation scientifique du mémorial de Verdun

Citer la notice

Cochet François, « Défilé » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 23 janvier 2018. Dernière modification le 18 septembre 2019. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/defile.

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