Démocratie participative


 

Dilemme de la représentativité, de l’égalité, de l’échelle, de la compétence, du conflit et de la décision (Blondiaux, 2005 : 130-134), la participation et plus précisément la démocratie participative soulèvent une diversité de questionnements. Au sein de cette diversité, cinq enjeux semblent cruciaux pour examiner de plus près ce « contexte général participationniste » (Blatrix, 2010 : 215) : les modes de sélection des participants, les types de publics et modes d’engagement, les niveaux de participation, les dispositifs et les critiques de la démocratie participative. Avant de traiter de ces enjeux, il convient d’évoquer quelques éléments sur la genèse de cet « impératif participatif » (Blondiaux, 2008).

 

D’un mouvement « ascendant » à un mouvement « descendant » : tours et détours de la démocratie participative

Formulée par des auteurs critiques d’une conception étriquée de la démocratie (MacPherson, 1977 ; Pateman, 1970), le concept de démocratie participative est pendant les années 1960 et 1970 « pensé comme un instrument de contestation du système politique » (Blondiaux, 2008 : 15). Cette optique contestataire s’incarne notamment dans les groupes d’action municipale (GAM) à Grenoble et les ateliers populaires d’urbanisme à Roubaix. « Après une éclipse dans les années 1980, le renouveau du thème de la participation dans les années 1990 résulte au contraire  d’un mouvement descendant : ce sont les autorités politiques élues qui en sont les moteurs » (ibid. : 16). Entre cette période et les années 2000, Loïc Blondiaux (2005 : 120-121) distingue deux séquences législatives : une première phase au début des années 1990 avec une série de textes emblématiques qui ont posé le principe de la consultation, de l’information et de la concertation avec les habitants et une seconde, depuis la fin des années 1990, introduisant des mesures plus contraignantes comme la loi Vaillant (février 2002) qui oblige à la création de conseils de quartier dans les villes de plus de 80 000 habitants et donne à la commission nationale du débat public le statut d’autorité administrative indépendante.

 

Sélectionner les participants : tours et détours d’une démarche structurante

« Négocier l’action publique entre parties prenantes ; débattre dans des espaces ouverts présentés comme également accessibles ; donner au public les plus petites dimensions possibles selon un mode de sélection permettant de mettre en scène la délibération de citoyens ordinaires » (ibid. : 223), plusieurs modalités peuvent être envisagées pour sélectionner les publics des dispositifs de démocratie participative. Ces modalités ne sont pas neutres et produisent des phénomènes d’exclusion en termes de genre (Paoletti, Rui, 2015 ; Raibaud, 2015) et de catégories sociales. Ces modes de sélection aboutissent à des degrés d’inclusion et de distribution d’opportunités délibératives contrastés selon les groupes sociaux comme le montrent Ernesto Ganuza et Francisco Francés (2015). En comparant huit budgets participatifs en Allemagne, au Brésil, en Espagne et en France, ces deux auteurs mettent en évidence le fait que, « dans tous les cas, les populations de tranches d’âge intermédiaire sont surreprésentées par rapport aux plus jeunes et aux plus âgés [et que] les personnes qui ont un niveau de formation plus élevé que la moyenne sont également surreprésentées, alors que celles de niveau de formation moins élevé sont sous-représentées » (ibid. : 176). Dans leur analyse de dispositifs participatifs dits de « mini-public », Archon Fung et Erik O. Wright (2003 : 342-343) prennent en compte ce double enjeu de l’inclusion/exclusion et distinguent quatre modes de sélection des participants : l’auto-sélection volontaire où les rencontres publiques et activités sont ouvertes aux personnes « souhaitant » participer, la sélection de participants « représentatifs » de la démographie des territoires « concernés », l’affirmative action privilégiant la participation de populations socialement et économiquement défavorisées et une sélection mettant l’accent sur la création d’incitations structurelles à participer pour les individus à faible revenu.

 

Les publics de la participation à l’aune des modes d’engagement et des « savoirs » mobilisés : apport des typologies

Un ensemble de travaux permet de rendre compte de la pluralité des publics de la participation en proposant des typologies ou des idéaux-types. Dans son analyse de l’offre publique de participation à l’échelle d’une municipalité de 17 000 habitants, Guillaume Petit (2014) met en évidence les appropriations différenciées des dispositifs entre des participations ordinaires, ancrées dans des engagements préexistants autour des figures du citoyen et du militant associatif, et des participations extraordinaires, ponctuelles autour des figures de l’usager et de l’habitant. Dans une comparaison des dispositifs participatifs à Paris et Cordoue, Héloïse Nez (2013 : 34-46) distingue trois profils de participants : les militants accomplis faisant déjà partie d’association ne s’investissant pas à long terme dans la sphère participative,  les piliers des dispositifs participatifs s’investissant durablement dans l’espace de la participation locale, en étant souvent actifs parallèlement dans la sphère associative, sans s’engager toutefois dans la sphère politique et les nouvelles élites politiques locales reconvertissant l’engagement participatif en engagement politique partisan. Certains travaux soulignent également les formes différenciées d’engagement selon les publics, à l’image de la comparaison menée par Alice Mazeaud et Julien Talpin (2010 : 362) sur les budgets participatifs à Rome et Séville. Ces deux auteurs distinguent quatre motivations à l’engagement, chacune partagée en trois degrés d’engagement figurés par des cercles concentriques :

  1. le civisme, les participants animés par cette motivation étant partagés entre les participants réguliers, les bons citoyens empêchés et les soutiens à la démocratie participative ;
  2. l’intérêt personnel, comptant des participants réguliers, les efficaces et les sceptiques/déçus;
  3. la sociabilité, comptant des participants réguliers, les exclus symboliques et les absents;
  4. l’enrichissement cognitif, comptant des participants réguliers, les curieux et les indifférents.

Dans son analyse des programmes participatifs concernant la carte scolaire, Lorenzo Barrault-Stella (2013) propose une distinction entre une participation comme investissement politique avec des parents très politisés prolongeant d’autres engagements militants et une participation distante à des fins essentiellement informatives pour les quelques familles populaires participantes. Selon les publics, il existe une diversité de « savoirs citoyens » mobilisés. C’est ce que suggère Yves Sintomer (2008) via une classification en trois groupes : 1) la raison ordinaire comprenant le savoir d’usage et le « bon sens », 2) l’expertise citoyenne comprenant le savoir professionnel diffus, l’expertise par délégation et la contre‑expertise associative et 3) le savoir politique. Au-delà des participants « citoyens profanes », deux catégories d’acteurs jouent également un rôle clé au sein des dispositifs participatifs : les élus, « acteurs peu dialogiques » lors des débats publics (Lefebvre, 2007) ; et les « professionnels » de la participation, nébuleuse d’acteurs aux profils variés (Nonjon, 2005). Anciens travailleurs sociaux ou chefs de projets politiques de la ville, architectes, urbanistes, conseillers en management, marketing, consultants-chercheurs, ces acteurs interviennent au sein des dispositifs participatifs en proposant, en amont d’un projet d’infrastructure, de réaliser une radiographie du contexte, des impacts et des enjeux du futur aménagement, ou encore en évaluant la « satisfaction » des habitants ou en mettant en place des outils de « communication citoyenne ».

 

La démocratie participative au prisme des niveaux de participation

Il est également fondamental de préciser le contenu de la démocratie participative en rendant compte des différents niveaux de participation. À cet égard, deux grilles d’analyse apparaissent centrales au sein de littérature : l’échelle de la participation de Sherry Arnstein (1969) et la typologie proposée par Jules Pretty (1995). Élaborée au sujet de programmes sociaux de politiques urbaines aux États-Unis dans les années 1960, la première distingue trois niveaux de participation :

  • le niveau un, celui de la non-participation, correspond aux deux premiers degrés, ceux de la manipulation et de la thérapie ;
  • le deuxième niveau, celui de la coopération symbolique (tokenism), comporte trois degrés : l’information, la consultation et la réassurance (placation) ;
  • le troisième niveau, pouvoir effectif des citoyens, comporte trois degrés : le partenariat, la délégation de pouvoir et le contrôle citoyen.

Cette grille théorique a été depuis mobilisée pour analyser des programmes participatifs concernant la rénovation urbaine dans quatre villes françaises (Donzelot, Epstein, 2006). Développée à partir d’une mise en perspective de la participation concernant les réserves de biosphère, la typologie de Jules Pretty (1995) propose de différencier cinq formes de participation : l’exclusion, l’information et la consultation, la participation contributive, la concertation et l’auto-mobilisation.

 

Les dispositifs de démocratie participative : des périmètres variables de participants

« Le développement, au sein des politiques publiques, de formes variées de participation du public [constitue] un ensemble disparate plus ou moins institutionnalisé » (Blatrix, 2010 : 215). Il est cependant nécessaire de distinguer différents modèles ou approches de dispositifs pour examiner plus précisément la concrétisation de la notion de démocratie participative. Dans une comparaison internationale, Marie-Hélène Bacqué, Henri Rey et Yves Sintomer (2005) distinguent une dizaine de modèles : les assemblées, les référendums, les conseils de quartier, les fonds de quartier, les budgets participatifs, le développement communautaire, les jurys citoyens, les commissions consultatives, les plans stratégiques participatifs et les plans de développement communautaire, les dispositifs de représentation des citoyens usagers dans les services publics. Trois lignes de partage permettent de différencier ces dispositifs : la fréquence de la participation, le périmètre géographique des participants et le lien avec l’action publique. Certains programmes impliquent une participation se répétant dans le temps comme les budgets participatifs ou les conseils de quartier, tandis que d’autres sont plus éphémères comme les jurys citoyens. Au sein de cette diversité, certains dispositifs limitent la participation à un public relativement restreint (conseils et fonds de quartier) tandis que d’autres l’étendent à une municipalité entière (budgets participatifs) voire à une échelle régionale ou nationale (référendums). Concernant la connexion avec l’action publique, il s’agit parfois de délibérer et d’émettre des recommandations (jurys citoyens) ou de proposer des actions et projets concrets qui seront ensuite mis en œuvre.

Cette question du lien avec l’action publique est au cœur des tensions traversant les dispositifs de démocratie participative avec des objectifs et modes d’organisation distincts selon qu’il s’agit de logiques de consultation, de concertation ou de participation comme le souligne habilement Jean-Pierre Gaudin (2007 : 32) : « Consulter c’est tout juste prendre un avis ; concerter, c’est rechercher un compromis ; participer, c’est, plus ambitieusement, vouloir associer les citoyens aux orientations, voire aux décisions mêmes ».

Ces différences suggèrent des rôles des publics de la démocratie participative pouvant osciller entre publics à pacifier et convaincre comme dans le cadre de dispositifs relatifs à des projets d’énergie (Buu-Sao, 2013) et publics comme « contre-pouvoir coopératif inversant les priorités de l’action publique » (Bacqué, Rey, Sintomer, 2005).

 

Un « impératif participatif » contesté

Malgré « la force des injonctions à la participation » (Goirand, 2013 : 13), un certain nombre de critiques sont développées au sujet de la démocratie participative. Au sein de ces « fronts hétérogènes de la critique de la participation » (Gourgues, 2013 : 3), certaines émanent des acteurs invités à participer. Ces critiques peuvent être distinguées en deux catégories : celles des  participants aux dispositifs, qu’il s’agisse de responsables associatifs, syndicaux ou de citoyens engagés à titre individuel, insatisfaits des modalités de la participation, du manque de prise en compte de leur parole ou du verrouillage du thème du débat et celles d’acteurs de mouvements sociaux insistant sur le caractère fondamentalement protestataire de leur engagement et refusant bien souvent de prendre part aux débats tels qu’ils sont proposés par les autorités publiques, les considérant comme biaisés et inutiles (ibid. : 4).


Bibliographie

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Bacqué M.-H., Rey H., Sintomer Y., dirs, 2005, Gestion de proximité et démocratie participative. Une perspective comparative, Paris, Éd. La Découverte.

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Auteur·e·s

Wokuri Pierre

Arènes Sciences Po Rennes Université de Rennes 1

Citer la notice

Wokuri Pierre, « Démocratie participative » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 05 septembre 2018. Dernière modification le 19 janvier 2023. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/democratie-participative.

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