Design de service


 

Le terme design  renvoie à la conception, voire à la traduction d’un concept, d’une idée en un projet, un dessin, un modèle ou un plan, facilitant la réalisation ou l’implémentation d’un objet, quelle que soit sa nature : produit, processus, service, espace, network. Dans la langue française il indique à la fois le dessein (l’idée, l’intention de réaliser quelque chose, le projet) et le dessin (la transcription et la représentation de l’idée). Le plus souvent, le mot design est suivi d’un nom ou d’un adjectif précisant la nature et l’objectif de la conception. « L’exercice consistant à définir le design est devenu un passage obligé en français, mais qui n’a plus de sens aujourd’hui, du moins s’il doit conduire à une définition générale. Pirouettes étymologiques et savantes nonobstant, l’extrême étalement du bassin sémantique de ce terme nous conduit à n’opter que pour des définitions en situation si la précision terminologique nous importe quelque peu. Autrement dit, c’est le projet qui nous anime et le contexte où nous nous situons qui en fixera le sens » (Findeli, 2004 : 7).

Ainsi le « design de services » renvoie-t-il à la conception de nouveaux services (et au développement de services existants) par un dessein fonctionnel, structurel, formel, identitaire, etc. qui intègre le point de vue des usagers.

À ce propos, la définition de Tomás Maldonado, ratifiée lors du deuxième congrès ICSID (International Council of Societies of Industrial Design) en 1961, peut très bien être appliquée au design de services, notamment concernant les qualités auxquelles il tend : « Le design est une activité créatrice dont le but est de déterminer les qualités formelles des objets produits industriellement [ou pas]. Par qualité formelle, on ne doit pas seulement entendre les qualités extérieures, mais surtout les relations structurelles et fonctionnelles qui font de l’objet une unité cohérente, tant du point de vue du concepteur que de l’usager. […] les propriétés d’un objet [ou d’un service] sont toujours le résultat de l’intégration de différents facteurs : fonctionnels, culturels, technologiques, ou économiques » (Maldonado, 1976 : 9). Pour compléter cette définition : « Le design de services s’intéresse à la fonctionnalité et à la forme des services du point de vue des clients. Il a pour objectif de s’assurer que l’interface du service est utile, utilisable et désirable du point de vue du client et efficace, performante et différenciante du point de vue du fournisseur » (Mager, 2008 : 354).

 

Évolution du concept

D’un point de vue théorique, le concept de design a évolué selon trois périodes chronologiques, caractérisées par leur visée principale (Findeli, 2005), qui montrent un effacement progressif de l’objet, comme centre d’intérêt, au profit d’abord des processus puis des acteurs. Pour chacune de ces périodes, le paradigme interprétatif choisi pour la description ou la compréhension du projet de design, correspond à un cadre disciplinaire spécifique :

La première période, qui s’étend jusqu’au début du modernisme, voit s’affirmer les théories orientées « objet », c’est-à-dire centrées sur le produit du design, qu’il soit artisanal ou industriel. Les propriétés formelles, esthétiques, symboliques, fonctionnelles et constructives de l’objet sont déduites rationnellement à partir d’un cadre artistique théorique. Les concepteurs conçoivent des produits de consommation ou des objets d’art. Le champ disciplinaire concerné est principalement celui de l’esthétique, mais aussi celui des sciences pour l’ingénieur (technologie, sciences des matériaux, etc) et des arts appliqués.

La deuxième période, qui commence dans les années 1950, grâce à la recherche opérationnelle, se caractérise par les théories orientées « processus », c’est-à-dire centrées sur la structure logique du processus de la conception et sur la posture épistémologique et méthodologique adoptée. Rappelons à ce propos la sémiotique générale du design développée par Charles W. Morris (Morris, 1964), les patterns de Christophe Alexander (1964), l’« aire de solution » du problème à concevoir de Bruce Archer (1965), les recherches sur l’intelligence artificielle et la prise de décision de Herbert A. Simon (1969), la méthode cybernétique d’Abraham Moles (1974), etc. Les concepteurs centrés sur les processus ne conçoivent pas des produits, mais bien des environnements fonctionnels, symboliques, esthétiques, hédoniques, sécuritaires, etc. dans lesquels les objets évoluent. Les champs disciplinaires concernés relèvent de la logique formelle ainsi que des sciences humaines et sociales (psychologie de l’environnement, psychologie cognitive, sociologie de la consommation, ergonomie, systémique, sémiotique…).

Enfin, la troisième période, qui émerge dans les années 1990 et perdure encore aujourd’hui, voit jaillir les théories orientées « acteurs », c’est-à-dire centrées sur les parties prenantes (à la fois les concepteurs et les publics/usagers). Il existe une abondante terminologie pour designer les acteurs visés en tant que destinataires, en tant que cibles. Joëlle Le Marec (2001 : 50) parle d’un « pôle récepteur  toujours défini par rapport à un pôle émetteur qui fabrique, crée, diffuse une offre destinée à être proposée à des individus dans des conditions déterminées. Ces conditions constituent les individus en public ». Les membres de ce public peuvent revêtir différents statuts : usagers, clients, consommateurs, etc. Or, les différents statuts correspondent à un glissement de sens et de pratiques lorsqu’il y a franchissement d’une limite virtuelle par rapport à l’espace, au verbe, à l’action, etc. Ainsi l’usager, qui dans le langage contemporain désigne l’utilisateur individuel d’un service (matériel ou immatériel) ou d’un espace de statut public, devient-il « client » s’il franchit les limites d’un espace marchand en devenant l’acheteur de biens matériels ou services payants. « L’usager n’est peut-être après tout qu’une catégorie provisoire ou transitionnelle dans un processus bien engagé de révolution des fondements de l’action publique, dont le modèle implicite est le client, mais qui ne peut être négocié en ces termes pour des raisons conjoncturelles, de valeurs partagées et de culture de résistance des agents publics » (Chauvière, 2006 : 107).

Le design de services émerge donc à cette période, pour essayer de conjuguer les exigences de l’usager final avec les performances du produit, avec une visée éthique (Ricœur, 1990) : les acteurs (soi-même et autrui), les modes de vie (Bourdieu, 1980) et les pratiques d’usages occupent une place prépondérante de la praxis. L’usager n’est plus un simple consommateur, mais devient lui-même porteur du projet, en interaction avec les autres usagers. Tout cela métamorphose totalement la conduite des projets en design. Les concepteurs conçoivent des modes de vie, à partir de la compréhension du comportement des publics/usagers, pour mieux répondre à leurs attentes. Ainsi le design de services peut-il jouer un rôle économique, social et culturel, en anticipant des nouvelles pratiques et des nouvelles formes de consommation. Les champs disciplinaires convoqués par ces théories centrées sur les acteurs, leurs interrelations et sur les usages, sont les sciences anthroposociales dans leur version interprétative et qualitative : la philosophie (herméneutique, ontologie, éthique), l’anthropologie culturelle, la sociologie des usages, les sciences de la communication, etc.

 

Design de services : une conception centrée « usager »

Pour une question de simplification, davantage méthodologique et conceptuelle que chronologique, lors d’une démarche de design, une distinction est opérée entre la phase conception et la phase réception correspondant à l’appropriation et à l’usage. Or, cette distinction est plus difficile à opérer dans le cadre du design de service qui, en adoptant une approche de co-conception, sous-tend une situation de co-présence synchronique des acteurs et non pas diachronique et séquentielle.

Une aide à la mise en œuvre de cette démarche dite de CCU (Conception centrée usager, ou UCD, User-Centered Design, en anglais), est fournie par la transposition de la norme ISO 13407 au champ théorique concerné. Les normes développées, notamment en matière d’ergonomie informatique, ont d’abord été dédiées aux préconisations sur la qualité ergonomique finale du produit (norme ISO 9241), puis elles ont visé le champ plus large de la méthodologie de conception (norme ISO 13407). Cette dernière norme définit les exigences auxquelles un projet doit répondre pour être considéré comme centré sur l’humain : la conception et le développement d’un produit doivent être guidés par les besoins et les attentes des usagers, plutôt que par les possibilités technologiques. L’implication des usagers doit intervenir à la fois en amont, dès les prémisses du projet, et de manière itérative, tout au long des étapes clés du projet, selon une démarche de qualité permanente (Deming, 1982). De plus, l’intervention d’une équipe multidisciplinaire, permet de viser une conception optimale.

La Conception centrée usager (CCU) inclut un ensemble de méthodes spécialisées de recueil de données, avant de convertir ces mêmes données en choix de conception, selon un processus itératif. Ce recueil est destiné à :

– la compréhension des attentes des usagers finaux et de leur environnement (techniques d’enquêtes, focus group, observation participante, recherche documentaire, …) ; ainsi qu’à la mesure de la faisabilité du produit/service ;

– l’interprétation des besoins et attentes des usagers, et de leurs pratiques d’usage (analyse qualitative de corpus, étude des publics, méthode ethnologique, analyse sémio-pragmatique…) ;

– l’évaluation de l’usage et du degré de satisfaction des usagers (test de mise en situation).

L’évaluation permet d’identifier les points à améliorer. Un modèle théorique du design, pour être complet, doit alors comporter une réflexion sur les acteurs et les conditions de la réception, sur les processus à mettre en œuvre pour satisfaire tous les publics visés, et sur les caractéristiques, matérielles ou non, de l’objet.

Le design centré usager s’oriente de plus en plus vers le design de l’expérience usager (UXD User Experience Design, qui fait référence au produit du design et non pas seulement au processus UCD ) : « The point of a psychologie of everyday tools is to advocate a user-centered design, a philosophy based on the needs and interests of the user, with an emphasis on making products usable and understandable. (« L’enjeu d’une psychologie des objets quotidiens est de défendre une conception centrée “usager”, c’est-à-dire une philosophie basée sur les besoins et les intérêts de l’utilisateur, en mettant l’accent sur la fabrication de produits utilisables et compréhensibles. » (Norman, 1988 : 188). La valeur ajoutée d’un produit ou d’un service n’est pas liée à sa valeur performantielle, mais bien à sa capacité à évoquer des expériences uniques et mémorables dans un lieu défini (soit il physique ou virtuel).

Aujourd’hui le secteur des services connait un essor considérable à la faveur d’un recours croissant aux technologies numériques. Le design de services doit prendre désormais en compte cette dimension interactive de l’expérience. Les objets de consommation deviennent alors des « supports », des interfaces, voire des objets sensibles qui permettent aux individus d’interagir avec leur environnement (ipod, guichets automatiques, bornes interactives, carte Imagine’R, Pass Navigo de la RATP, etc.).

L’interface n’est pas seulement une surface sur laquelle pouvoir échanger des informations et activer des fonctionnalités. Elle représente aussi la structure selon laquelle ces informations et fonctions s’organisent et fournissent des suggestions sur leur utilisation.

Pierre Lévy (1994) souligne que l’usage social des technologies découle de leurs interfaces. Cela signifie que ce n’est pas le principe constitutif d’un objet à en déterminer son utilisation, mais la manière dont ce principe articule le rapport entre l’objet et l’individu et les attentes induites. De manière plus générale, les nouvelles attentes et représentations sociales (individuelles et collectives) autour de la question des services, ainsi que les nouvelles pratiques qui en découlent, constituent autant de sujets émergents dans des champs différents, comme par exemple celui du design des politiques publiques. Les administrations doivent désormais travailler selon une économie d’échange et de partage, s’ouvrir vers l’extérieur et s’appuyer sur l’expertise d’usage voire sur la co-conception. Cette nouvelle approche renouvelle la façon de penser la transversalité, l’évaluation et les prospectives.


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Auteur·e·s

Laudati Patrizia

Design visuel et urbain Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis

Citer la notice

Laudati Patrizia, « Design de service » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 septembre 2015. Dernière modification le 22 février 2018. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/design-de-services.

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