Élections primaires


 

En France, l’entrée progressive dans la campagne présidentielle de 2022 et le recours aux primaires pour les représentants de deux formations politiques (Europe Écologie Les Verts, Les Républicains) ainsi que la Primaire populaire de la fin janvier 2022, invitent à s’interroger sur les processus politiques qui leur correspondent et sur leurs effets sur les publics auquel ils sont destinés. Afin de mettre en perspective un mode de sélection inégalement présent, et principalement depuis le début du présent siècle dans le cas français, il convient de se pencher dans un premier temps sur celui des États-Unis, qui ont expérimenté depuis plus d’un siècle ce système et sont longtemps restés la référence la plus importante dans ce domaine (Vergniolle de Chantal, 2001). Il sera surtout question des deux pays mentionnés ci-dessus, les primaires ayant lieu dans d’autres contrées ne relevant pas, en général, d’élections présidentielles – même si elles se sont multipliées depuis les années 1990. Elles ont commencé à susciter des travaux en France depuis une dizaine d’années, principalement de la part de politistes (Lefebvre 2011 ; 2020 ; Lefebvre, Treille, 2016 ; 2019). Les primaires ont été façonnées et formatées de différentes manières, en fonction des conjonctures et d’un certain nombre de rituels politiques. Leur adaptation, voire leur modernisation, peuvent être abordées, notamment en matière d’ouverture et de participation. Dans le cadre de la campagne présidentielle en France (2022), la Primaire populaire a eu lieu, à gauche, sous forme d’adhésion préalable à un processus en ligne. Une initiative de ce type n’avait pu déboucher sur une candidature effective en 2017. Celle qui s’est déroulée en janvier 2022 a fait face aux réticences dès l’année précédente de la plupart des candidats et des formations politiques qui les soutiennent (Cittone, 2021 ; Laemle, Clarini, 2021). Dans l’ensemble, les primaires demeurent le plus souvent contrôlées par des partis, même si, aux États-Unis, il est arrivé – rarement – que des outsiders réussissent, dans le cas de Donald Trump, à prendre l’ascendant, puis d’une certaine manière le contrôle du parti. De manière plus générale, on peut s’interroger sur la capacité de mobilisation des primaires en tant que telles. Elles contribuent en tout cas à tenir en haleine les militants, et les commentateurs. Les partis politiques, en y ayant recours, s’efforcent de donner une image de modernité, mais l’abstention et la défiance n’en demeurent pas moins.

 

Des débuts précoces aux États-Unis

Les origines des primaires se situent, aux États-Unis, dans le Sud et le Wisconsin, à l’échelle locale, entre les années 1890 et le début du XXe siècle (Polakoff, 1988 ; Jones, 2016 : 48-50). Le rôle du gouverneur républicain progressiste du Wisconsin, Robert La Follette (1855-1925), a été important (Bidegaray, 2001). L’apparition des primaires sur la scène présidentielle date de 1912, dans un contexte complexe. En effet, le président William Taft (1857-1930) et son prédécesseur Theodore Roosevelt (1858-1919) briguent l’investiture du Parti républicain. Des primaires sont organisées dans une douzaine d’États, où T. Roosevelt obtient une nette majorité. Mais pour les autres, c’est la direction du parti qui fait prévaloir la candidature de W. Taft, ce qui entraîne deux conséquences, avant la fin de l’année. T. Roosevelt se porte candidat au nom du très récent Parti progressiste, et la rivalité entre les deux hommes politiques facilite la victoire du démocrate Woodrow Wilson (1856-1924).

 

Par la suite, le recours aux primaires a un caractère fluctuant aux États-Unis, notamment lors des mandats de Franklin D. Roosevelt (1882-1945), mais, de manière générale, le système, depuis les années 1950 et 1960, continue à refléter la prédominance des deux principaux partis américains. Une minorité d’une dizaine d’États conserve le système du caucus, associé à des discussions directes au sein des partis, tandis que les primaires proprement dites sont ouvertes, semi-ouvertes – notamment aux électeurs indépendants – ou fermées. L’ensemble de ce processus complexe, essentiellement étudié à l’échelle des campagnes présidentielles (Maisel, 2016 : 95-100), conduit aux conventions démocrates et républicaines, jusqu’à nos jours. Lors des scrutins de 2008 et 2016, des primaires, avec des significations bien différentes, ont ouvert la voie aux élections de Barack Obama face à John McCain et D. Trump face à Hillary Clinton. En 2020, c’est l’ancien vice-président de B. Obama, Joe Biden, qui l’a emporté au sein du parti démocrate, puis face au président sortant.

Au-delà des données factuelles, on peut s’intéresser à la signification et à la portée des primaires. Aux États-Unis, au fil des décennies, elles se sont ritualisées, avec la succession des États où ils se déroulent et le fameux « super-mardi » dans quinze États, le 3 mars. Cette chronologie assez longue, qui débute en fait l’année qui précède l’élection présidentielle, est associée à de multiples enjeux, notamment liés au financement (ibid. : 100-103), à la régulation inégale de la collecte, à l’usage des ressources et à la médiatisation des campagnes. La scénarisation est surtout développée quand des candidats sortant de l’ordinaire, tel D. Trump, surgissent sur la scène politique, ou bien, comme B. Obama, n’ont qu’une expérience politique récente, mais attirent l’attention par leur parcours et leur verbe exceptionnels. La question de la mobilisation est importante, y compris à travers les réseaux sociaux, que les partisans de B. Obama – ou de Bernie Sanders en 2016, même si H. Clinton a obtenu en 2016 l’investiture démocrate – ont utilisés avec ingéniosité. Certains directeurs de campagne, entourées d’équipes spécialisées dans le recours aux médias, ont joué un rôle actif. Du côté des républicains, par exemple, Karl Rove a travaillé pour le compte de George W. Bush, à partir de la primaire de 2000, notamment face à J. Mc Cain (El Gammal, 2019 : 29-30).

 

Expériences françaises et éléments de comparaison

Le cas français ne relève pas des spécificités du cadre fédéral et du système politique américains, traditionnellement dominé par deux partis, mais des primaires présidentielles ont été mises en place, différemment et bien plus récemment.

D’abord, en France, le chef de l’État n’est élu au suffrage universel – l’élection de 1848 est isolée – que sous la Ve République, à compter de 1965. À cette époque, la conception dominante, notamment de la part du général de Gaulle (1890-1970), est celle d’une candidature face aux Françaises et aux Français, sans passer par une mise en concurrence au sein des partis. Ce mode de désignation ne donne lieu à des propositions que bien après la disparition du général de Gaulle. Charles Pasqua (1927-2015), pourtant gaulliste, en avance l’idée à partir de la fin des années 1980 (Lefebvre 2020 : 11 ; Timsit, 2021), mais c’est dans une partie de la gauche que l’on recourt en premier lieu aux primaires.

Dans le cas du Parti communiste (Robert Hue, Fabien Roussel), du Front de Gauche puis de La France Insoumise (Jean-Luc Mélenchon), il s’agit de la ratification de la candidature du dirigeant – ou, à l’extrême-gauche, d’une figure emblématique (Arlette Laguiller, Nathalie Arthaud, Olivier Besancenot, Philippe Poutou).

Au sein ou dans la mouvance du Parti socialiste, les primaires ont lieu jusqu’en 2017 sous deux formes, fermées, c’est-à-dire réservées aux militants, en 1995 pour Lionel Jospin face à Henri Emmanuelli (1945-2017). En 2006, elle ouvre la possibilité d’une cotisation réduite aux votants (Ségolène Royal devient candidate du PS face à Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn) puis elles sont plus ouvertes en 2011 (François Hollande l’emporte au second tour sur Martine Aubry) et 2017 (Benoît Hamon devance Manuel Valls). Les suites de cette primaire, marquée par un refus de la part de plusieurs candidats de soutenir Benoît Hamon et la perte d’influence spectaculaire du Parti socialiste à l’échelle nationale, ont conduit à un choix de candidature pour 2022 ne relevant pas d’une primaire, même si Stéphane le Foll a présenté sa candidature face à Anne Hidalgo.

De leur côté, les Verts ont pratiqué aussi leur propre primaire dès 2001. Le premier candidat investi, Alain Lipietz, a été remplacé au bout de quelques mois par Noël Mamère. Ont suivi Dominique Voynet, Eva Joly, puis Yannick Jadot, qui a retiré sa candidature en 2017 et l’a maintenue en 2021 après l’avoir emporté de peu au deuxième tour face à Sandrine Rousseau.

La conjoncture à gauche apparaissant très délicate fin 2021, une Primaire populaire a été mise en place sous l’impulsion d’une organisation lancée par deux jeunes militants non dépourvus d’expérience, Samuel Grzybowski et Mathilde Imer (Boiteau, 2022 ; Proust, Vigoureux, 2022).  Parfois qualifiée d’« objet politique non identifié » (de Royer, 2022) et reposant sur le principe nouvellement introduit du jugement majoritaire, assorti de mentions (Lemaignen, 2022) – auquel avait recouru dans un cadre différent le mouvement écologiste Sunrise, tenant d’un «  Green New Deal » aux États-Unis (Nelken, 2022) – elle a mobilisé un peu moins de 400 000 votants, par voie électronique. Confirmant les prévisions, elle a abouti à la désignation de l’ancienne ministre Christiane Taubira. Trois des candidats sélectionnés par les organisateurs, avaient refusé d’emblée (Y. Jadot, J.-L. Mélenchon) ou plus tardivement (Anne Hidalgo) cette inscription (Belaïch, Laïreche, Nelken, 2022). Finalement, Christiane Taubira n’a pu réunir les parrainages nécessaires et les organisateurs de la Primaire populaire se sont divisés, certains appelant à voter en faveur de Jean-Luc Mélenchon et d’autres désapprouvant ce choix (Laemle, 2022).

À droite, c’est à l’approche du scrutin de 2017 que des primaires ouvertes étaient apparues. C’est François Fillon qui avait été choisi comme candidat Les Républicains à l’issue du second tour, face à Alain Juppé. En 2021, des primaires plus fermées sont mises en place par la même formation politique, à nouveau à deux tours, très rapprochés l’un de l’autre. C’est Valérie Pécresse, ancienne députée et ministre, présidente de la région Île-de-France, première candidate désignée au titre de cette famille politique, qui l’emporte face au député des Alpes-Maritimes Éric Ciotti (Tabard, 2021).

Quant au Front National, puis Rassemblement national, il n’a jamais eu recours à des primaires, la candidature présidentielle relevant de la direction du parti, en l’occurrence de la famille Le Pen. Les dissensions (Bruno Mégret en 2002) et les concurrences (Éric Zemmour en 2022) ne s’inscrivent pas non plus dans le cadre de primaires.

Dans l’ensemble, celles-ci sont rythmées par les débats, notamment télévisés, entre des candidats initialement nombreux, surtout aux États-Unis, dont le nombre se réduit en fonction de leurs résultats et de leur capacité de financement. Dans le cas français, les considérations financières relèvent moins des ressources individuelles des candidats que du rôle des formations politiques et du contrôle public (Lefebvre, 2020 : 51) ou d’un financement spécifique dans le cas de la Primaire populaire. Les débats ont sans doute un retentissement moindre qu’aux États-Unis, même si, depuis 2016, ils tiennent une place plus importante. Il est difficile de mesurer l’intérêt du public en dehors de deux critères. Prenons l’exemple de la France. D’abord, on relève le nombre des participants, qui ne dépasse le million que dans trois cas, PS en 2011, « Belle alliance populaire » autour du Parti socialiste en 2017, droites en 2016, dans ce dernier cas avec environ 4 400 000 voix au second tour (Timsit, 2021). Lors de celles, fermées, des LR de 2021, le parti organisateur a augmenté le nombre de ses adhérents, arrivant à environ 140 000, car la participation au processus était subordonnée au versement d’une cotisation. Deux des cinq candidats, V. Pécresse et Xavier Bertrand, qui avaient quitté LR, y ont réadhéré avec des milliers de leurs partisans. Les directeurs de campagne, dont Patrick Stefanini pour V. Pécresse, ont à cet effet cherché à « faire des cartes ». Le second critère concerne les audiences des débats télévisés. Elles fluctuent. Dans un schéma à quatre temps, elles sont plus importantes lors du premier et du dernier (Lefebvre, 2020 : 70).

En dehors des personnalités, des coulisses et des scènes associées aux primaires, des paramètres et des interrogations demeurent, en matière de sociologie (les participants sont souvent aisés et âgés, en tout cas en France, en dehors de la Primaire populaire, trop récente pour avoir suscité des études détaillées, même si les articles de presse ont été nombreux) ou au sujet des orientations souvent marquées des votants. La personnalisation est liée à ce qui est souvent qualifié d’hyper-présidentialisme (Lefebvre, 2020 : 104-114 et 77-84). Par ailleurs, les primaires ont introduit dans la vie politique des éléments de vocabulaire relevant initialement de la science politique (Thiers, 2015). Elles peuvent être aussi mises en relation, du moins en France, avec la crise des partis politiques et du militantisme (Lefebvre, 2011). Mais en sont-elles une conséquence, un révélateur ou bien contribuent-elles à la freiner ? Sans doute est-il trop tôt, de ce point de vue tout au moins, pour conclure.


Bibliographie

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Auteur·e·s

El Gammal Jean

Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire Université de Lorraine

Citer la notice

El Gammal Jean, « Élections primaires » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 11 mars 2022. Dernière modification le 16 mars 2022. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/elections-primaires.

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