Hommage public


 

Une actualité tragique et récurrente, liée à des attaques terroristes survenues en France depuis plusieurs années, ainsi que les disparitions ou les commémorations de figures de l’histoire de la France contemporaine ont conduit à la multiplication des hommages nationaux. On peut, il est vrai, les associer à une longue histoire, depuis la fin du XIXe siècle, lorsque la Troisième République a commencé à rendre hommage à un certain nombre de personnalités, dont Adolphe Thiers (1797-1877), Léon Gambetta (1838-1882) et Victor Hugo (1802-1885).

Tel qu’il est de nos jours, l’hommage de la nation est rendu à des militaires ou à des civils et concerne des publics très divers. En raison de leur bravoure, de leur renom ou de leur mort à la suite d’attentats, les uns et les autres sont l’objet de la reconnaissance ou de la compassion de la nation, sous des formes diverses et sous l’autorité des pouvoirs publics. Trois aspects sont principalement susceptibles de retenir l’attention : l’inscription dans la durée, l’organisation et les significations de ces manifestations officielles. Ainsi peut-on évoquer les autorités, des personnalités et les particuliers auxquels s’adressent les hommages, et dans certains cas, les publics qui assistent aux cérémonies ou sont conviés à s’y associer.

 

Entre passé et présent

S’il n’existe pas à l’heure actuelle d’histoire générale des hommages publics en France, des travaux ou des synthèses, au sujet des noms de rues (Milo, 1986), des statues (Lalouette, 2018), des monuments aux morts (Richard, 2011, chapitre XIII), des plaques, stèles et monuments commémoratifs (Fleury, 2010), des obsèques ou des deuils nationaux, permettent d’apporter des éclairages sur les hommages publics.

Plaque en hommage à Maurice Flandin et plaque de la rue Maurice Flandin, à Lyon. Photographie par Benoît Prieur (CC BY-SA 4.0).

 

On traitera ici de ce qui relève d’une approche nationale, même si elle est parfois associée à des initiatives et des manifestations locales.

Si l’on peut trouver à ces célébrations nationales des origines remontant au XVIIIe siècle, et particulièrement à compter de la Révolution française, à commencer pour un temps avec Honoré Gabriel Riqueti de Mirabeau (1749-1791), panthéonisé dans l’ancienne église Sainte-Geneviève, la Troisième République les a multipliées. La principale étude est celle de l’historien israélien Avner Ben Amos (2013). Sous un titre frappant, dans l’édition française, Le Vif saisit le mort, il a étudié les rapports entre les funérailles, la politique et la mémoire. Dans les années 1870 et 1880, les funérailles d’A. Thiers, L. Gambetta et surtout V. Hugo (Ben Amos, 1984 ; Perrignon, 2015) ont marqué les esprits. Celles de généraux et de maréchaux, après les deux guerres mondiales, ont correspondu à une grande part des funérailles d’État. Parallèlement, une série de panthéonisations (Ozouf, 1984 ; Richard, 2011 : chapitre XII) a eu lieu, même si bien des projets n’ont pas abouti, par exemple pour les cendres de Jules Michelet (1798-1874) (Creyghton, 2019). Parmi les plus célèbres, celles d’Émile Zola (1840-1902) en 1908, du cœur de L. Gambetta en 1920 (Magnol-Malhache, 1996), de Jean Jaurès (1859-1914) en 1924 et de Jean Moulin (1899-1943) en 1964. L’auteur du fameux discours (Malraux, 1996 : 295-305) prononcé en l’honneur de ce dernier, a lui-même été panthéonisé en 1996.

Depuis le début du présent siècle, on relève notamment la quadruple panthéonisation de résistants en 2015 (Geneviève Anthonioz-de Gaulle [1920-2002], Pierre Brossolette [1903-1944], Germaine Tillion [1907-2008], et Jean Zay [1904-1944]), mais aussi celles de Simone (1927-2017) et Antoine Veil (1926-2013) en 2018, avant celle de l’écrivain Maurice Genevoix (1890-1980) en hommage aux combattants de la Grande Guerre, le 11 novembre 2020 (Flandrin, 2020).

Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion, Pierre Brossolette et Jean Zay entrent au Panthéon, Paris. Photographie par Yann Caradec, le 27 mai 2015 (CC BY-SA 2.0).

 

Si les funérailles nationales et les panthéonisations constituent, avec les deuils nationaux – en général décrétés après des catastrophes nationales, des attentats de masse ou des disparitions de chefs d’État –, les formes les plus connues d’hommages publics, il s’agit aussi de décisions relevant de l’État, et au premier chef, sous le régime actuel, du président de la République.

 

L’organisation des cérémonies

En raison de la diversité dans le temps et l’espace, et de l’ampleur variable des cérémonies correspondant à des hommages nationaux, il n’existe pas de modèle unique, mais la codification est la règle, y compris pour les panthéonisations (Le Baron, 2020). Le type le plus fréquent d’organisation (Breteau, 2018), lorsque les cérémonies sont présidées par le chef de l’État ou le Premier ministre, le plus souvent aux Invalides – l’hôtel a été fondé par Louis XIV (1638-1715) en faveur des soldats âgés –, comprend l’entrée du ou des cercueils recouverts du drapeau tricolore, un ou plusieurs discours, la remise d’une décoration à titre posthume lorsqu’il s’agit de morts pour la France, une minute de silence, les honneurs militaires, la sonnerie aux morts et l’hymne national. Tout récemment, le 26 novembre, un tel hommage, devant une assistance peu nombreuse en raison du confinement, a été rendu à Daniel Cordier (1920-2020), l’avant-dernier compagnon de la Libération, centenaire, comme le dernier survivant, Hubert Germain.

Cette forme d’organisation est très marquée par ses caractères militaires, même si, dans certains cas – l’enseignant assassiné par un terroriste le 16 octobre 2020 Samuel Paty (né en 1973) –, le choix du lieu, la cour de la Sorbonne, comme les discours lus et prononcés relèvent pour l’essentiel de la défense de l’enseignement et de la laïcité (Cojean, 2020). Des initiatives de caractère culturel, plus rarement, peuvent être associées à des hommages : à l’occasion de la panthéonisation de M. Genevoix, l’État a fait appel au peintre Anselm Kiefer et au compositeur Pascal Dusapin (Lavrador, 2020).

Hommage à Samuel Paty, professeur assassiné à Conflans-Sainte-Honorine, organisé devant l’hôtel de ville à Saint-Denis le 17 octobre 2020. Photographie par Chris93, Wikimédia (CC BY-SA 4.0).

 

En outre, une certaine diversité se manifeste, qu’il s’agisse des circonstances ou de la notoriété. Des hommages nationaux ont été rendus aux Invalides à des personnalités du monde de la politique ou de la culture, disparues de mort naturelle qui, si différentes qu’elles aient été, n’avaient pas eu d’action militaire particulière (Philippe Séguin [1943-2010], Pierre Mauroy [1928-2013], Jean d’Ormesson [1925-2017], Charles Aznavour [1924-2018]), tandis que d’autres avaient pris part à la Résistance (Jacques Chaban-Delmas [1915-2000], l’abbé Pierre [1912-2007], Charles Pasqua [1927-2015], Claude Lanzmann [1925-2018]). Parmi les victimes du terrorisme honorées par des hommages nationaux, on peut citer le colonel Arnaud Beltrame (1973-2018) en 2018 (Breteau, 2018), ainsi que nombre de soldats, sous-officiers et officiers morts en Afrique. Les trois victimes assassinées dans la basilique Notre-Dame, à Nice, ont été honorées dans la ville même où elles ont trouvé la mort, le 6 novembre 2020, dans une cérémonie présidée par le Premier ministre Jean Castex.

 

Les significations

L’hommage national, de caractère laïque, même si des obsèques nationales peuvent de surcroît être célébrées dans des églises, relève principalement des choix du pouvoir exécutif. Il vise à ce titre à renforcer ou à conforter sa légitimité symbolique, tout en exaltant l’unité du pays, mais il tend aussi à encadrer ou à organiser l’expression des émotions. La population est en quelque sorte invitée à adhérer à un tel hommage ou à témoigner de sa solidarité à la suite d’événements tragiques. Elle est aussi encouragée, même à distance, à se rappeler des traditions héroïques et à prendre la mesure des enjeux de mémoire, comme ce fut le cas lors de l’hommage rendu à D. Cordier (Barotte, 2020 ; Chichizola, 2020).

Lorsqu’il s’agit d’une panthonéisation tardive ou différée, le registre peut être voisin. Il correspond à une forme de pédagogie, placée sous le signe de la reconnaissance patriotique. Il arrive souvent que des valeurs soient mises en avant, qu’il s’agisse du courage au combat ou dans l’épreuve, des souvenirs de la Résistance et de thèmes républicains. Néanmoins, la perspective d’une panthéonisation se heurte parfois à des réticences ou des refus, familiaux ou individuels, comme celui du dernier poilu de la Grande Guerre, Lazare Ponticelli (1897-2008). Parfois en termes de genre, elle peut à l’inverse susciter des appels ou des pétitions, avec des échos divers, par exemple, durant ces derniers mois, au sujet de la célèbre avocate Gisèle Halimi (1927-2020) ou de la proposition d’une double panthéonisation de Paul Verlaine (1844-1896) et Arthur Rimbaud (1854-1891 ; Le Baron, 2020).

Cela dit, la participation du « grand public » est souvent restreinte, même si certaines obsèques, souvent éloignées dans le temps, comme celles de Victor Hugo, ont été caractérisées par une participation populaire considérable. Différents filtres limitent cette participation. Ils sont liés aux circonstances (les cérémonies organisées en temps de confinement), au déclin des grandes manifestations commémoratives et, de manière plus structurelle, aux conditions dans lesquelles est rendu l’hommage national, le plus souvent dans la capitale et dans une configuration très officielle, en présence de personnalités civiles et militaires, ainsi que de quelques membres de la famille des disparus.

Il existe donc, au-delà de messages plus ou moins fermement formulés, un certain nombre d’incertitudes quant à l’ampleur et à l’efficacité de leur transmission et de leur réception – par exemple en fonction de l’audience des émissions spéciales consacrées aux hommages nationaux, commentés par des journalistes et des historiens. Le rôle des médiateurs culturels et politiques est du reste variable. Dans certains cas, des enseignants peuvent prendre part, de leur propre mouvement ou en fonction de consignes, à des hommages nationaux, et demander à leurs élèves de s’y associer, ce qui a pu susciter des incidents.

On peut d’ailleurs s’interroger sur la manière dont les mouvements sont perçus, non seulement dans la capitale, mais sur divers points des espaces nationaux, certains hommages ayant un écho particulier à l’échelle locale, parfois en relation avec des autorités municipales, qui ne sont évidemment pas seulement chargées d’organiser des cérémonies nationales ou d’y faire référence. En outre, la question des hommages commémoratifs, rendus en dehors des sites traditionnels de la mémoire d’État, peut ouvrir sur d’autres perspectives : il en va ainsi lorsque s’expriment, outre les représentants des autorités, les souvenirs de victimes ayant survécu ou des familles des disparus, comme cela est le cas, par exemple, lors des anniversaires des attentats du 13 novembre 2015. Il peut s’agir aussi, en dehors de tout cadre officiel, d’hommages locaux, à travers des « marches blanches », rendus le plus souvent à des victimes de crimes.

Hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015 en France au Consulat de France de Genève. Certaines couronnes déposées lors de la commémoration du 11-Novembre. Photographie par Erdrokan, Wikimédia (CC BY-SA 3.0)

 

En France, tout particulièrement, ces dernières années – notamment sous les présidences de François Hollande et Emmanuel Macron – ont vu la multiplication des hommages nationaux, en relation avec des anniversaires, des tensions et des événements rendant nécessaire, aux yeux du pouvoir politique, le recours à des manifestations solennelles. Ces hommages, même s’ils contribuent à rythmer le calendrier parfois surchargé des cérémonies publiques, ne se situent pas tous sur le même plan. Ils renvoient à des émotions, de nature individuelle ou inscrites dans un champ plus collectif. Ils permettent aussi de rendre compte de permanences et de variations relatives aux différentes formes de mémoire, entre hommages publics et publics des hommages.


Bibliographie

Barotte, N., 2020, « Pour les compagnons de la Libération, l’avenir d’une mémoire », Le Figaro, 26 nov., p. 16. Accès : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/pour-les-compagnons-de-la-liberation-l-avenir-d-une-memoire-20201125.

Ben Amos A., 1984, « Les funérailles de Victor Hugo. Apothéose de l’événement spectacle », pp. 473-522, in : Nora P., dir., Les Lieux de mémoire. I, La République, Paris, Gallimard.

Ben Amos A., 2013, Le Vif saisit le mort. Funérailles, politique et mémoire en France (1789-1996), Paris, Éd. de l’École des hautes études en sciences sociales.

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Chichizola, J., 2020, « Hommage à Daniel Cordier, soldat “amoureux d’une France sans chaînes” », Le Figaro, 27 nov., p. 14. Accès : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/hommage-a-daniel-cordier-soldat-amoureux-d-une-france-sans-chaines-20201126.

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Magnol-Malhache V., 1996, Léon Gambetta. Un saint pour la République ? Nanterre/Paris, Archives départementales des Hauts-de-Seine/Caisse nationale des monuments historiques et des sites Arcueil. Accès : http://excerpts.numilog.com/books/9782858221639.pdf.

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Perrignon J., 2015, Victor Hugo vient de mourir, Paris, Éd. L’Iconoclaste.

Richard B., 2011, Les Emblèmes de la République, Paris, CNRS Éd., 2012.

Auteur·e·s

El Gammal Jean

Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire Université de Lorraine

Citer la notice

El Gammal Jean, « Hommage public » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 10 décembre 2020. Dernière modification le 01 février 2022. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/hommage-public.

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