Journalisme sportif


 

Le journaliste de sport est un journaliste spécialisé dans la couverture médiatique des sujets et des événements sportifs. En fonction de son rôle au sein d’un média et selon le support, il peut analyser ceux-ci, en réalisant par exemple des reportages, ou bien commenter une rencontre sportive en jouant le rôle de spectateur actif d’un live, tout en apportant un regard critique. En effet, l’activité de journaliste de sport contient plusieurs métiers, qui ont cependant un dénominateur commun. Tout journaliste de sport, du jeune chroniqueur au grand reporter chevronné, traite un sujet pas comme les autres – le sport – où information rime avec passion. Le public aime que le journaliste de sport lui raconte les exploits de ses héros, sur et en dehors du terrain, et le professionnel de l’information a la difficile tâche de nourrir la passion du public sans que cela soit fait au détriment de principes clés du journalisme tels l’impartialité et la distance, en lui fournissant une information complète et équilibrée.

 

L’aube de la relation entre le sport et les médias

Analyser le traitement journalistique du sport signifie parler à la fois de journalisme et de sport. Cela nécessite une connaissance préalable de leurs histoires et de leurs enjeux socioculturels respectifs (Derèze, Diana, Standaert, 2015 : 10-11). Lorsqu’on aborde la thématique de la médiatisation du sport et de la convergence d’intérêts entre les mondes sportif et médiatiques, on a tendance à penser immédiatement au sport à la télévision, notamment aux sommes considérables payées par les chaînes pour acheter les droits de retransmission des événements sportifs. Mais le lien entre sport et médias est né bien avant la télévision (Rowe, 1999 : 31).

Historiquement, le sport de masse et l’information sportive se sont développés presque en parallèle. Pendant la seconde partie du XIXe siècle, la révolution industrielle transforme l’économie et la société en Europe et en Amérique du Nord, d’une société agraire et artisanale vers une société urbaine et industrielle. Le travail se déplace de la campagne à l’usine. À cette époque, le sport demeure un privilège réservé aux plus fortunés. Mais la condition ouvrière s’améliore progressivement, surtout pendant la première moitié du XXe siècle, lorsque les luttes sociales et le syndicalisme s’amplifient et se structurent. La durée quotidienne de travail diminue. La création de temps libre pour la classe ouvrière lui permettra de se mettre, elle aussi, au sport.

Si les sociétés et les conditions de travail évoluent, favorisant la popularisation du sport, un autre facteur contribue à l’essor du sport au tournant du XIXe et du XXe siècle : la couverture croissante du sport dans la presse. En 1892, Pierre Giffard (1853-1922) fonde Le Vélo, premier quotidien sportif français. En à peine un an, les ventes atteignent 82 000 exemplaires par jour (Derèze, Diana, Standaert, 2015 : 12). À l’issue du premier Congrès olympique de l’histoire, qui se déroule à Paris dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne du 16 au 23 juin 1894, le baron Pierre de Coubertin (1863-1937) fonde le Comité international olympique (CIO). Athènes est désignée ville hôte des premiers Jeux olympiques modernes de 1896, dans l’objectif de faire revivre les Jeux de la Grèce antique après une absence de plus de 1 500 ans. En Italie, le 3 avril 1896, trois jours avant le début des Jeux olympiques d’Athènes, un nouveau journal sportif apparaît, La Gazzetta dello Sport, initialement bihebdomadaire. Au sortir de la Première Guerre mondiale, la Gazzetta passera à une périodicité quotidienne. En Espagne, en 1906, naît Mundo Deportivo, d’abord hebdomadaire, puis quotidien à partir de 1929. La Gazzetta dello Sport et Mundo Deportivo sont aujourd’hui les plus anciens journaux sportifs encore publiés en Europe, ce qui témoigne de la pérennité du public de cette presse dans le temps.

Le sport et l’information sportive se structurent et de se développent mutuellement, d’autant plus que la presse sportive est à l’origine d’événements sportifs majeurs. Le 16 octobre 1900, paraît le premier numéro d’un nouveau journal français, L’Auto-Vélo, concurrent du Vélo et ancêtre de L’Équipe. Le nouveau quotidien est imprimé sur papier jaune et la direction est confiée à Henri Desgrange (1865-1940). En 1902, Géo Lefèvre (1877-1961), chef de la rubrique cycliste de L’Auto (le journal a entre-temps changé de nom), propose la création du Tour de France. L’Auto du 19 janvier 1903 annonce la nouvelle compétition, décrite comme « la plus grande épreuve cycliste du monde entier ». En Italie, La Gazzetta dello Sport du 24 août 1908 annonce à son tour la création de sa propre compétition cycliste, le Giro d’Italia. Selon l’historien Paul Dietschy (2013 : 214), au tournant du XIXe et du XXe siècle, la presse sportive « ne se contente pas de narrer la légende du sport, elle l’invente de toutes pièces à l’image du Tour de France ». Le public donnera raison à cette évolution. Sans un public de masse, ces compétitions n’auraient pas pu marquer l’histoire du sport.

Premier numero de la Gazzetta dello Sport, 3 avr. 1896. Source : wikimedia (domaine public).

Premier numéro de la Gazzetta dello Sport, 3 avr. 1896. Source : wikimedia (domaine public).

 

Aux États-Unis, le tournant du XIXe et du XXe siècle est aussi un moment clé dans l’histoire de la relation entre les mondes du sport et des médias. Vers la fin du XIXe siècle, la société américaine s’urbanise et connaît l’arrivée de vagues massives d’immigrants européens. Les innovations technologiques réduisent le coût de l’impression des informations, créant les conditions pour une circulation croissante des journaux. La couverture du sport dans les quotidiens augmente de façon considérable. En 1883, le New York World est le premier à se doter de son propre département des sports, juste après son rachat par Joseph Pulitzer (1847-1911). En 1895, le New York Journal, propriété du magnat William R. Hearst (1863-1951), est le premier journal à introduire une section spécifiquement consacrée au sport. Au milieu des années 1920, presque tous les journaux des États-Unis incluent désormais une section consacrée au sport (Moritz, 2014 : 13-14).

 

La légitimité culturelle d’un journalisme populaire

Un journaliste de sport est d’abord un journaliste. Pourtant, la catégorie n’est pas à l’abri de critiques qui peuvent aller jusqu’à en remettre en cause la légitimité. Selon Fabien Wille (2013 : 2), la spécificité professionnelle du journalisme de sport serait liée à l’objet traité : « un objet qui semble […] jeter un double soupçon sur les pratiques journalistiques : celui de leur légitimité professionnelle et celui de l’éthique journalistique confrontée aux valeurs présupposées du sport ». Jean-François Diana (2013 : 34) évoque la « difficulté d’être journaliste de sport », un journalisme qu’il considère « habité par une passion exacerbée qui s’entend, qui se voit et parfois, qui se lit » (ibid. : 42). Toutefois il ajoute que « la qualité principale d’un journaliste de sport est sa capacité à mettre l’événement en relation durable et profonde avec le public » (ibid. : 40), une qualité qui pourrait en effet naître de la passion qu’il partage avec son public.

Plus que les généralistes, les journalistes spécialisés sont souvent pointés du doigt au sein de la profession en raison de leur proximité avec leurs sources et de leur vision de la réalité présumée étroite (Marchetti, 2002a). Et les épithètes tels « toy department » (« département des jouets ») des médias d’information ou « fans with typewriters » (« supporters avec des machines à écrire »), utilisé pour souligner que les journalistes de sport seraient d’abord des supporters, sont bien connus. Une hiérarchie implicite persiste également parmi les chercheurs, « plus zélés à étudier le journalisme politique et la presse parisienne que la PQR [presse quotidienne régionale] ou les journalistes sportifs » (Neveu, 2009 : 40). Jacques Marchand (1921-2017 ; 1989 ; 2004), figure du journalisme de sport français, a longtemps œuvré pour que le journalisme de sport soit hissé au même rang que le journalisme des autres spécialités. Le prestige des diverses spécialités journalistiques est aussi lié à la tradition médiatique propre aux différents pays. Spécialiste britannique des médias, Raymond Boyle (2017) rappelle que, par exemple, jusqu’aux années 2000 environ, les journalistes de sport aux États-Unis occupaient une place plus haute que celle de leurs homologues au Royaume-Uni.

En plus des compétences journalistiques fondamentales et de connaissances spécifiques au sport, le journaliste qui s’occupe de sport se doit de maîtriser les fondamentaux de l’économie, un élément devenu primordial compte tenu des sommes aujourd’hui en jeu. En effet, le sport est un sujet transversal qui s’enchevêtre avec, outre l’économie, la politique, l’éducation, la santé et bien d’autres domaines. Parmi ses autres spécificités, le journalisme sportif est un journalisme au calendrier établi, rythmé par les championnats et les événements sportifs récurrents. Enfin, le journaliste de sport du XXIe siècle maîtrise une, voire plusieurs langues étrangères, dont impérativement l’anglais, car le sport, les réseaux de journalistes et le public du sport ont aujourd’hui une dimension internationale.

 

Un public dynamique pour un journalisme novateur

Pour accéder à l’information et au spectacle sportif, le public dispose d’une multitude de médias et de supports. Dans le domaine de la presse écrite, le sport est couvert par les quotidiens généralistes, nationaux et régionaux, ainsi que par la presse quotidienne spécialisée, représentée par les quotidiens sportifs. À noter que, en France il n’existe qu’un seul quotidien sportif national : L’Équipe. Par ailleurs, dans la majorité des pays, la notion même de « presse quotidienne sportive » est absente et l’information sportive est intégrée dans la presse quotidienne généraliste, parfois dans des suppléments sport spécifiques qui ne sont pourtant pas vendus séparément. Un journaliste de sport peut aussi travailler pour des magazines, ou bien dans le secteur de l’information professionnelle. Dans l’audiovisuel, le sport est proposé au public par les chaînes généralistes, qui disposent majoritairement d’un service des sports, et par un nombre croissant de chaînes thématiques sportives.

Comme le journalisme au sens large, le journalisme de sport connaît une forte mutation à la suite de l’impact du numérique. Le public du sport se révèle très actif sur la toile, une caractéristique liée à un public souvent jeune, voire très jeune, et probablement au fait que le sport est synonyme de mouvement et de dynamisme, donc souvent en première ligne lorsqu’il s’agit de nouveautés. Selon la journaliste américaine Sara Morrison (2014), la rubrique sport a souvent servi de laboratoire de l’innovation pour tous les médias, et a notamment été à l’avant-garde en matière d’audience engagement et d’utilisation créative de la technologie. L’internet n’aurait fait qu’accélérer un rôle de novateur que les médias sportifs jouaient déjà depuis longtemps, nous dit l’auteure. Raymond Boyle (2017) affirme que le journalisme sportif a en effet été à la pointe de la transition numérique des années 1990, celle qui a radicalement modifié le paysage journalistique. Dominique Marchetti (2002b : 66) a défini l’information sportive comme « l’un des domaines de l’information les plus pertinents pour étudier les transformations contemporaines du champ journalistique ». Quant à F. Wille (2013 : 11), il décrit le sport médiatisé comme « un opérateur de changement dans la production médiatique, un laboratoire technique pour les médias, [et] un laboratoire médiatique, tourné vers des préoccupations sociétales contemporaines ».

Dans son ouvrage de référence sur le journalisme sportif, R. Boyle (2006 : 183) affirmait que le journalisme de sport, avec ses vices et ses vertus, incarne une grande partie de ce qu’est le journalisme moderne, ajoutant que, pour cette raison, le temps serait peut-être venu de considérer que l’analogie du toy department est dépassée. Le public montre apprécier, ou en tout cas suivre massivement le travail des journalistes de sport. Avec « ses vices et ses vertus », pour citer R. Boyle, le journalisme sportif occupe aujourd’hui une place centrale dans la hiérarchie professionnelle (Souanef, 2013).


Bibliographie

Boyle R., 2006, Sports Journalism. Context and Issues, Londres, Sage.

Boyle R., 2017, « Sports Journalism : Changing Journalism Practice and Digital Media », Digital Journalism, 5 (5), pp. 493-495. Accès : https://doi.org/10.1080/21670811.2017.1281603.

Derèze G., Diana J.-F., Standaert O., 2015, Journalisme sportif. Méthodes d’analyse des productions médiatiques, Louvain-la-Neuve, De Boeck.

Diana J.-F., 2013, « De la difficulté d’être journaliste de sport », Les Cahiers du journalisme, 25, pp. 34-47.

Dietschy P. 2013, « Raconter la guerre, faire renaître le sport : les dilemmes de la presse sportive pendant la Grande Guerre », pp. 213-226, in : Diana J.-F., dir., Spectacles sportifs, dispositifs d’écritures, PUN-Éditions universitaires de Lorraine.

Marchand J., 1989, La Presse sportive, Paris, Centre de formation et de perfectionnement des journalistes.

Marchand J., 2004, Journalistes du sport. Militants, institutions, réalisations, rapports avec le mouvement sportif, Biarritz, Éd. Atlantica.

Marchetti D., 2002a, « Les sous-champs spécialisés du journalisme », Réseaux. Communication, technologie, société, 111, pp. 22-55.

Marchetti D., 2002b, « Les transformations de la production de l’information sportive : le cas du sport-spectacle », Les Cahiers du journalisme, 11, pp. 66-81.

Moritz B. P., 2014, Rooting for the story : Institutional sports journalism in the digital age, thèse de doctorat en communication de masse, Université de Syracuse.

Morrison S., 2014, « The toy department shall lead us: Why sports media have always been newsroom innovators », Columbia Journalism Review. Accès : https://archives.cjr.org/reports/the_toy_department_shall_lead.php.

Neveu É., 2009, Sociologie du journalisme, Paris, Éd. La Découverte, 2013.

Rowe D., 1999, Sport, Culture and the Media, Maidenhead, Open University Press, 2003.

Souanef K., 2013, Le Journalisme sportif pris au jeu : Sociologie des principes de légitimité professionnelle, thèse de doctorat en science politique, Université Paris-Dauphine.

Wille F., 2013, « Introduction – Le journalisme de sport : en quête de légitimité », Les Cahiers du journalisme, 25, pp. 2-13.

Auteur·e·s

Cuccoli Rosarita

Arènes Université Rennes 1

Citer la notice

Cuccoli Rosarita, « Journalisme sportif » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 26 février 2019. Dernière modification le 25 mai 2023. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/journalisme-sportif.

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