Ministère de l’Information


 

Le ministère de l’Information apparaît pour la première fois en France en 1938 dans le second cabinet Léon Blum (mars-avril 1938) sous le nom de ministère de la Propagande. Le titulaire de cette fonction est Ludovic-Oscar Frossard, ancien secrétaire général de la Section française de l’internationale communiste (SFIC, 1921-1923). L’intéressé est reconduit dans ses fonctions avec le rang de ministre de l’Information en mars-juin 1940, dans la mesure où en avril 1940, le commissariat général à l’Information (juillet 1939) s’était transformé en ministère (Georgakakis, 2004 : 156).

Pendant la Seconde Guerre mondiale, on assiste à une bataille de la propagande qui se traduit notamment par une « guerre des ondes » (Eck, 1985) entre le régime de Vichy et la France Libre. À l’instar d’autres régimes autoritaires, Vichy entend exercer un contrôle strict de l’information en ayant un recours massif aux moyens de propagande (Peschanski, 1990 : 65), d’où la création le 28 octobre 1940 d’un secrétariat général à l’Information. Toutefois, il faut attendre février 1941 avec la nomination de Paul Marion – ancien responsable de la propagande du Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot en 1936 – pour que le régime de Vichy tente d’encadrer l’information destinée au public dans sa totalité. Le retour au pouvoir de Pierre Laval en avril 1942 marque la fin de cette tentative même s’il ne marque pas, bien au contraire, la fin du contrôle de l’information. La dérive fasciste du régime se traduit en matière d’encadrement de l’opinion publique par la nomination de Philippe Henriot au poste de secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande en janvier 1944. Doté d’un talent oratoire indéniable, celui que les dignitaires allemands surnomment le « Goebbels français » est le plus célèbre des propagandistes de Vichy (Delporte, 2018). Philippe Henriot prononce ses éditoriaux biquotidiens sur Radio-Paris et n’a de cesse de vitupérer contre les Anglais et la Résistance. Du côté de Londres et de la France Libre, le général de Gaulle confie la mission sensible de l’information et de la contre-propagande à Jacques Soustelle, nommé commissaire général à l’Information en juillet 1942. Quant au porte-parole de la France Libre, c’est à Maurice Schumann que revient la mission de s’exprimer chaque soir dans l’émission « Honneur et Patrie » diffusée par la BBC. Cette émission radiophonique peut être considérée comme la voix de la Résistance extérieure et s’oppose à la désinformation propagée sur les ondes de Radio-Paris, d’où la célèbre ritournelle popularisée par la voix de Pierre Dac sur l’air de la Cucaracha : « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand ».

À la Libération, les ordonnances du 23 octobre 1944 et du 19 octobre 1945 instituent le ministère de l’Information du gouvernement provisoire de la République française (GPRF), un ministère très centralisé qui est maintenu sous la IVe République. Comme a pu l’écrire Caroline Ollivier-Yaniv (2000 : 55), « l’étendue de ses activités, conjuguée avec les moyens qui sont mis à leur disposition en font une énorme machine qui se consacre essentiellement au contrôle de la presse et de la radio-diffusion », à la différence du Central Office of Information créé en Grande-Bretagne en 1946 qui n’assure pas la tutelle des moyens d’information. En effet, entre 1946 et 1958, force est de constater que l’État encadre l’information. À titre d’exemple, l’Agence France-Presse (AFP) et la Radio-Télévision française (RTF) sont sous la tutelle de la Présidence du Conseil, donc de Matignon. Ainsi le général de Gaulle, considéré comme un opposant à la IVe République, est-il interdit de prise de parole sur les antennes, à l’exception de la campagne pour les élections législatives de juin 1951. Par ailleurs, dans le contexte de la guerre froide, le ministère de l’Information renforce les contrôles sur la prise de parole dans les émissions radiophoniques afin d’éviter que ne soit accordée une place trop grande aux sympathisants ou aux militants communistes. Les journalistes pratiquent une forme d’autocensure dans la présentation des informations puisqu’ils « s’appliquent à relayer la politique gouvernementale » (Almeida, Delporte, 2003 : 174).

 

Un ministère qui contrôle et oriente l’information

Avec le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 et l’avènement de la Ve République, le ministère de l’Information devient un rouage central et essentiel de la communication d’État dont la mission consiste à mettre en relation le gouvernement, les chaînes de radio-télévision et le public. Toutefois, le locataire de l’avenue de Friedland peut être considéré comme un ministre « sous tutelle » (Brizzi, 2010 : 106), dans la mesure où « la tâche principale du ministre était plutôt celle d’être un intermédiaire entre le pouvoir exécutif et les dirigeants de la radio-télévision, en s’assurant que l’information aille dans le sens de la volonté du Général. […] Dans la forme comme dans le contenu, le contrôle et l’orientation politique de l’information en France étaient gérés principalement par Matignon et l’Élysée » (ibid. : 109). Qu’il s’agisse du ministre de l’Information ou du secrétaire d’État à l’Information, le titulaire de cette fonction a la responsabilité d’une triple mission : assurer les relations publiques de l’État en étant en quelque sorte le porte-parole du gouvernement – poste qui n’apparaît officiellement qu’en juin 1969 – diriger les grands organismes publics de communication (RTF – puis ORTF à partir de 1964 – Sofirad, SNEP, AFP, agence Havas), être le garant des libertés de la presse, notamment par le versement aux journaux d’une grande partie du budget du ministère (Vassallo, 2005 : 65-68). Comme l’affirma le député gaulliste Roland Nungesser, rapporteur du budget de l’Information, devant ses collègues parlementaires, le ministère de l’Information « doit être conçu comme le service de relations publiques de l’État » (ibid. : 65).

Par conséquent, toute idée qui consisterait à livrer une information objective au public semble pour le moins éloignée des préoccupations déontologiques de ce ministère, dans la mesure où avant 1969, le ministre de l’Information est en même temps et avant tout le porte-parole du gouvernement. Cette situation est liée aux relations pour le moins difficiles qu’entretient le général de Gaulle avec la sphère médiatique, comme en témoigne ce propos qu’il tient à Alain Peyrefitte (1994 : 500), ministre de l’Information, en décembre 1962 :

« Vous savez, vos journalistes de la presse écrite, vous pouvez toujours essayer de leur expliquer les choses, vous n’y arriverez pas. Ce sont des adversaires et ils sont bien décidés à le rester. Alors, servez-vous au moins de l’instrument que vous avez entre les mains, la télévision. N’essayez pas de persuader les responsables, donnez-leur des instructions. La presse est contre moi, la télévision est à moi ».

D’ailleurs, Alain Peyrefitte (1976 : 69-70) raconta qu’à son arrivée au ministère, il avait trouvé sur son bureau une batterie de boutons qui lui permettaient de sonner les responsables de la radio et de la télévision afin qu’ils puissent lui rendre des comptes.

 

Le lent chemin contrarié de l’ouverture de l’information

Les événements de mai 1968 ont un impact notable sur la question de l’information du public. Les étudiants et les ouvriers prennent entre autres pour cible la radio et la télévision qu’ils estiment être le symbole du pouvoir gaulliste auquel ils s’opposent. L’un des slogans des manifestants est d’ailleurs « Libérez l’ORTF ! », ce qui pose la question de l’indépendance de l’information vis-à-vis du gouvernement sur le service public. Des journalistes de l’ORTF se mettent en grève et dénoncent le contrôle étatique de l’information. Il faut attendre la démission du général de Gaulle en avril 1969 et l’élection de Georges Pompidou pour qu’une page se tourne et que le chemin d’une « libéralisation » partielle de l’information se profile à l’horizon.

Le nouveau premier ministre Jacques Chaban-Delmas souhaite accorder une plus grande autonomie à l’ORTF afin de libéraliser l’information. D’abord, il supprime la fonction de ministre de l’Information, d’où la création d’un poste de porte-parole du gouvernement confié à Léo Hamon, un professeur agrégé de droit, gaulliste de gauche, qui a été élu député de l’Essonne en 1968. Ensuite, il nomme Pierre Desgraupes – journaliste connu pour son indépendance vis-à-vis du pouvoir – à la direction de la régie de la première chaîne de télévision (Jeanneney, 1996 : 313). Pourtant, la politique libérale en matière d’information du locataire de Matignon ne fait pas l’unanimité au sein de la majorité, ni à l’Élysée. Même si le public souhaite plus d’indépendance de l’information, près de 70 % des sondés admettent en avril 1970 que la liberté des journalistes est limitée (Almeida, Delporte, 2003 : 245). Sur ce point, Georges Pompidou rappelle au cours d’une conférence de presse que « l’ORTF, qu’on le veuille ou non, c’est la voix de la France. C’est considéré comme tel à l’étranger et c’est considéré comme tel par le public » (2 juillet 1970).

Dans l’histoire du ministère de l’Information, les années où Alain Peyrefitte est à sa tête (avril 1962-janvier 1966) sont cruciales pour sa transformation. Elles sont marquées par le passage de la RTF à l’ORTF (27 juin 1964), dont la création symbolise le monopole de l’État sur l’information, le lancement de la deuxième chaîne de télévision (8 avril 1964) – dont la direction est confiée à Jacqueline Baudrier, rédactrice en chef des journaux parlés de l’ORTF (1962-1968) – et la création au sein de ce ministère du Service de liaisons interministérielles pour l’information (SLII, 31 juillet 1963), ancêtre du Service d’information du gouvernement (SIG, 1996). La création du SLII correspond à la volonté de contrôle du gouvernement sur l’information, notamment en filtrant les besoins d’antenne réclamés par les ministres et les parlementaires (Vassallo, 2005 : 86) et en organisant des réunions quotidiennes entre les membres du gouvernement et les responsables de la télévision. Le SLII reçoit également pour mission d’« organiser des campagnes d’information sur l’activité gouvernementale, quand ses divers aspects sont mal connus du public ou risquent de donner lieu à des malentendus » (sic., note interne au ministère de l’Information, 5 décembre 1963, citée dans Ollivier-Yaniv, 2000 : 101).

De 1938 à 1974, le ministère de l’Information voit se succéder plusieurs personnalités politiques à sa tête. Sous la IVe République, une vingtaine de ministres se succèdent, parmi lesquels on remarque la présence de François Mitterrand – avec à son cabinet Jean d’Arcy qui a été par la suite le grand directeur de la télévision des années 1950 (Pierre, 2012) –, André Malraux et Albert Gazier (député socialiste de la Seine, 1945-1958). Sous la Ve République, dix ministres occupent successivement cette fonction sous la présidence du général de Gaulle, notamment Louis Terrenoire (député gaulliste de l’Orne, 1958-1973), Christian de La Malène (député gaulliste de Paris, 1958-1978), Alain Peyrefitte (député gaulliste de Seine-et-Marne, 1958-1995), Georges Gorse (député gaulliste des Hauts-de-Seine, 1967-1997) et Joël Le Theule (député gaulliste de la Sarthe, 1958-1978), ce qui fait du locataire de l’avenue de Friedland l’un des ministres les moins stables des gouvernements de la République gaullienne (Brizzi, 2010 : 106), même s’il s’agit de fidèles serviteurs de la République gaullienne. La longévité relative d’Alain Peyrefitte à ce poste clé et le fait que l’intéressé ait marqué l’histoire de ce ministère (Delporte, 2007 : 114-120), interface entre le gouvernement et le public, a tendance à masquer une réalité plus complexe, où l’instabilité de cette fonction est liée à un contexte mouvementé, notamment celui de la guerre d’Algérie. Après la parenthèse libérale où Jacques Chaban-Delmas est à Matignon (1969-1972), qui se traduit par la suppression du ministère de l’Information, le nouveau premier ministre Pierre Messmer montre sa volonté de reprendre en main l’opinion publique avec la désignation d’un secrétaire d’État chargé de l’Information, élevé ensuite au rang de ministre, en la personne de Philippe Malaud (1972-1973 ; député républicain indépendant de Saône-et-Loire de 1968 à 1981), puis de Jean-Philippe Lecat (1973-1974 ; député gaulliste de la Côte-d’Or de 1968 à 1981).

Tout compte fait, il faut attendre l’élection présidentielle de 1974 et l’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing à l’Élysée pour que le ministère de l’Information disparaisse définitivement de l’exécutif. Par ailleurs, l’ORTF qui était le porte-voix de ce ministère depuis 1964 est démantelé au cours de l’été 1974. L’Office est remplacé par plusieurs sociétés et établissements distincts, même si celles-ci restent contrôlées par l’État (Bachmann, 1988 : 69). C’est avec l’élection de François Mitterrand en mai 1981 que l’on assiste à la libéralisation de l’information, avec entre autres la création de la Haute autorité de la communication audiovisuelle, par la loi Fillioud du 29 juillet 1982, soit 101 ans jour pour jour après la loi sur la liberté de la presse.

De nos jours, les relations entre le public et l’État ne passent plus par le filtre d’un ministère de l’Information. À l’échelle du gouvernement, le porte-parole veille à la diffusion des grandes lignes de la politique de l’exécutif et présente chaque semaine le compte rendu du conseil des ministres devant un aréopage de journalistes réunis dans la salle de presse. En outre, qu’il s’agisse de l’entourage du chef de l’État ou de celui des ministres, des conseillers en communication sont chargés des relations avec les médias, de rationaliser la parole de leur patron en distillant savamment les éléments de langage (Pozzi, 2018). Le temps où l’ORTF et la presse écrite étaient les seuls vecteurs de l’information du public semble donc bien loin, ce qui ne signifie pas pour autant que les médias soient totalement épargnés du risque d’instrumentalisation par les représentants du pouvoir exécutif. En matière d’information, les relations entre le public et le pouvoir exécutif ont connu ces dernières années un certain nombre de mutations. À la verticalité des années 1960 s’est substituée une certaine horizontalité de la communication liée à la diversification des vecteurs de l’information susceptible de placer le public dans une situation de « spectateur engagé » vis-à-vis du pouvoir politique.


Bibliographie

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Auteur·e·s

Pozzi Jérôme

Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire Université de Lorraine

Citer la notice

Pozzi Jérôme, « Ministère de l'Information » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 28 février 2018. Dernière modification le 20 mars 2024. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/ministere-de-linformation.

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