Mobilisation (militaire)


 

Il convient sans doute de distinguer les mesures de mobilisation officielle des soldats en vue d’une guerre et la mobilisation au sens moral des combattants. Le substantif de « mobilisation », désignant la mesure officielle, apparaît en français seulement en 1808, construit à partir du verbe « mobiliser ». À partir de 1836, l’opération qui consiste à passer de l’état de paix à l’état de guerre est attestée en tant que telle.

 

Mobilisations de masse

Dès lors, la mobilisation s’inscrit dans l’espace public de manière spectaculaire. Elle est intimement liée au déploiement d’armées de masse, en lien avec le développement du sentiment national. Sous la monarchie française d’avant 1792, aucune mobilisation n’a lieu d’être. Les nombreuses guerres engagées par les monarques successifs se font à l’aide d’effectifs militaires engagés volontaires pour une longue période, ordinairement une quinzaine d’années. Vraiment en cas de besoin, la monarchie peut avoir recours à des milices urbaines, surtout pour mettre en défense les villes du plat pays. La Révolution française change les choses. Après la chute de la monarchie en septembre 1792, dans un premier temps, l’appel aux volontaires ne fonctionne pas bien. Au vrai, la défense de la République n’intéresse pas de nombreux Français. La loi du 24 février 1793 vient, pour la première fois de l’histoire militaire de la France, contraindre les citoyens masculins de 18 à 40 ans à défendre la République. Pourtant, il s’agit là d’une vraie révolution copernicienne. Le soldat professionnel cède sa place au citoyen en armes. Chaque commune est mise en demeure de fournir des « volontaires-requis » (sic), engendrant des refus massifs de porter les armes dans de nombreuses régions qui ne se sentent pas concernés par la défense du régime républicain (vallée du Rhône, Cévennes, Vendée, Toulonnais).

Au-delà de la période révolutionnaire et impériale, la mobilisation s’impose dans le cadre des grandes guerres nationales assumées par la France et ses forces armées. La première véritable mobilisation française est signée par l’Empereur le 14 juillet 1870, validée par le Corps législatif le lendemain. Elle permet de rassembler les troupes d’active et de prévoir aussi la mise en œuvre de la « garde mobile », au nom de la loi Niel de 1868. Plusieurs erreurs sont à mettre au compte du ministère de la Guerre et de l’Empereur : les commandements régimentaires ne sont attribués qu’au moment de la mobilisation, ce qui signifie que beaucoup de colonels ne connaissent pas les hommes des régiments dont ils prennent la tête. Alors qu’un plan de 1867 prévoyait de réunir trois armées autour de Metz, Strasbourg et Châlons-sur-Marne, le 11 juillet 1870, quelques jours avant la déclaration de guerre, Napoléon III décide de mettre sur pied une seule armée, divisée en huit corps d’armée. La mobilisation tourne à la catastrophe et montre combien l’entrée en guerre a été improvisée. Les compagnies ferroviaires privées ne sont pas coordonnées par une instance militaire. Les régiments sont débarqués à un endroit de la ligne, leurs matériels à un autre et leurs colonels… souvent en un troisième lieu. La pagaille est générale, accentuée par le travers bien français de la paperasserie. En gros, l’administration militaire ne sait pas faire, n’ayant jamais eu à gérer une telle masse d’hommes en si peu de temps. Les expériences antérieures de la guerre de Crimée, d’Italie ou du Mexique n’ayant pas été intériorisées.

La deuxième grande mobilisation des Français est celle du 2 août 1914. À bien des égards, elle est l’antithèse absolue de celle de 1870. Les mesures de mobilisation ont été bien rodées par Joseph Joffre, issu de l’arme du Génie et grand spécialiste des transports ferroviaires. La mobilisation s’étale sur quelques jours en fonction de l’âge des recrues et se solde par un remarquable succès logistique. En 1914, le principe conscriptif est, cette fois, bien intégré, ce qui n’était pas le cas en 1870. Depuis les lois de 1889, 1905 et 1913, la plupart des jeunes Français a appris à connaître le monde des casernes et du service militaire. C’est sans doute lors de cette mobilisation que l’espace public est le plus investi. Des affiches sont apposées sur les murs des édifices publics. Dans les campagnes, qui rassemblent encore une majorité de la population française, le garde champêtre lit la déclaration officielle du ministère de la Guerre après le traditionnel roulement de tambour. Toutes les familles de France sont alors concernées. Les mobilisés, en fonction de leur âge, savent ce qu’ils doivent faire en cas de mobilisation, toutes les procédures à suivre étant inscrites sur leur livret militaire personnel. Au jour de leur départ, ils rejoignent des dépôts militaires où ils reçoivent leur uniforme et leur équipement, avant de rejoindre leur régiment.

 

2 août 1914, mobilisation, la foule lisant les affiches (photographie de presse, Agence Rol, BnF).

 

On retrouve une mobilisation massive lors de la Seconde Guerre mondiale. La mobilisation générale du 2 septembre 1939 est précédée de plusieurs mobilisations partielles. Une première mobilisation a eu lieu le 7 avril 1936, lors de la remilitarisation de la Rhénanie par Hitler. Certains ouvrages de la ligne Maginot sont pourvus de leurs équipages, alors même que certains ne sont pas terminés (Cochet, 2004). Plusieurs fractions de l’armée d’active sont mises en alerte le 12 mars 1938, puis le 20 octobre de la même année, après l’Anschluss et la crise des Sudètes. La deuxième mobilisation de 1938 est un fiasco complet, qui fait l’objet de rapports très critiques de la part de parlementaires. Le 15 mars 1939, les réservistes de la classe 1935 – qui ont donc fait leur service militaire quatre ans plus tôt – sont à nouveau rappelés. Dès le 21 août 1939, la mobilisation générale est précédée de mesures de mobilisations partielles. Au rebours de ce qui s’est passé en 1938, la mobilisation de septembre 1939 est plutôt une réussite, bien que certaines unités de réserve reçoivent des matériels – notamment automobiles – de réquisition de piètre valeur. Autant dire que contrairement à la déclaration du président de la République, Raymond Poincaré, le 1er août 1914 qui avançait que « la mobilisation n’est pas la guerre », dans tous les cas où il y a eu mobilisation en France, il y a une guerre dans les jours qui ont suivi.

 

« Le départ des soldats français en 1914 », Guillemain H., Abbé Le Ster, Histoire de France. Cours préparatoire (Classes de 11e et 10e), Paris, Les Éd. de l’École, 1931, p. 126 (coll. J. Walter).

 

D’autres processus publics

Pour autant, les processus de mobilisation ne reflètent pas totalement les phénomènes d’entrée en guerre. Les guerres de conquête coloniales du XIXe siècle, ne font pas appel à la moindre mobilisation, mais uniquement au volontariat et à des soldats engagés. Il en va de même pour la guerre d’Indochine ou les OPEX (« Opérations Extérieures ») actuelles. Même si le premier gouvernement de Vichy avait fait secrètement étudier, à l’automne 1940, une possible mobilisation pour rentrer à nouveau en guerre contre l’Allemagne, tous les grands combats de la Seconde Guerre mondiale ou presque se font avec des engagés volontaires, chez les Français libres comme chez les fidèles du gouvernement de Vichy. La mobilisation des populations d’Afrique du Nord et surtout d’Algérie est cependant notable en 1943-1944 afin de constituer l’armée de la Libération. Contrairement à une image fausse largement diffusée par les médias, ce ne sont pas les populations musulmanes qui sont le plus fortement sollicitées, mais les Français d’Algérie.

La guerre d’Algérie constitue un autre cas de figure. Juridiquement, il ne peut s’agir officiellement d’une guerre, puisque l’Algérie est constituée de départements français. Il ne saurait donc n’y avoir pas davantage de mobilisation que de déclaration de guerre. À partir du 21 mai 1955, les gouvernements successifs ont recours à un procédé prévu par les lois de conscription. Les jeunes Français ayant effectué leur service militaire quelque temps auparavant peuvent être rappelés au service actif ou voir leur service militaire prolongé. Fin mai 1955, le contingent 1953-2 (qui été entré au service militaire en février 1953 et l’avait achevé en 1954) est rappelé. Viennent ensuite d’autres mesures qui concernent plusieurs classes d’âge. Par ailleurs, le service militaire est prolongé à 24, 27 ou jusqu’à 30 mois, au lieu des 18 mois normaux.

On voit donc bien que la notion de mobilisation a surtout correspondu à deux phénomènes guerriers identifiables et circonscrits dans les guerres mondiales du XXe siècle : la montée en puissance des armées nationales et les processus de déclaration officielle de guerre. Dans les conflits contemporains, la déclaration de guerre n’existe plus, souvent parce que ce ne sont pas des entités officiellement reconnues qui entrent en guerre. La mobilisation est, pour sa part, remplacée par le recours à des combattants engagés volontaires.

 

Discours publics sur les mobilisations

Dans les mobilisations de masse de la Première Guerre mondiale ou de la Seconde, le discours officiel à destination des mobilisés comme de l’opinion publique est à l’expression de la force tranquille. Elle n’est pourtant pas exempte de stéréotypes. Déjà lors de la mobilisation de 1870, le maréchal Le Bœuf, ministre de la Guerre avait déclaré, un peu hâtivement : « Même si la guerre devait durer un an, nous ne manquerions pas d’un bouton de guêtre ». En 1914, la presse fait de la mobilisation un départ « fleur au fusil ». Aujourd’hui, l’historien sait qu’il n’en a rien été. Si des scènes d’enthousiasme existent autour de quelques casernes et sur les boulevards menant à la gare de l’Est, souvent du fait de surconsommation alcoolique, elles ne sont pas la norme pour autant et les soldats sont surtout partis dans un esprit de ferme résolution, décidés à se battre bien afin de rentrer le plus rapidement possible chez eux, dans la conviction largement partagée, que la guerre ne pourrait qu’être courte. En septembre 1939, un autre stéréotype fleuri, construit a posteriori après la défaite de juin 1940 et par la propagande de Vichy, pour affirmer que les jeunes Français seraient partis, « à reculons » à la guerre contrairement à leurs aînés de 1914. Or, il n’en est rien et, du moins en septembre 1939, l’état d’esprit est très proche de ce qu’il était en août 1914 (Cochet, 2004), même s’il se dégrade rapidement à partir de la défaite polonaise en octobre.

En termes d’usages publics, la propagande n’est jamais absente des mesures de mobilisation. Au fameux discours du président de la République, Raymond Poincaré qui invente, le 4 août 1914, la fameuse formule de synthèse de « l’Union Sacrée » – performance pour une république anti-cléricale –, répond celle de Paul Reynaud, répétée à satiété en 1939-1940 : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts » (Cochet, 2017).

De nos jours, les discours publics légitimants se sont quelque peu déplacés. Les mesures de mobilisation n’existent plus. Chaque année environ 28 000 volontaires s’engagent dans les Armées françaises et chaque année, presque autant d’engagés volontaires en fin de contrat quittent ces Armées. Autant dire que le turn over est considérable. Les engagés viennent surtout chercher une première expérience professionnelle, leur permettant de fortifier leur CV. Cela signifie que la communication quotidienne a remplacé les discours légitimant la procédure exceptionnelle qu’était la mobilisation. Campagnes d’affichage dans le métro ou dans les gares, spots publicitaires sur les chaînes de télévision, reprenant d’ailleurs les mêmes codes visuels – notamment ceux des « diversités visibles », qui constituent une part non négligeable des engagés volontaires annuels – forment les équivalents des mesures de mobilisation lorsque les procédures de déclaration de guerre avaient encore cours.


Bibliographie

Cochet F., 2004, Les Soldats de la « Drôle de Guerre », Paris, Hachette.

Cochet F., 2017, Français en guerre, de 1870 à nos jours, Paris, Perrin.

Auteur·e·s

Cochet François

Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire Université de Lorraine Président du conseil d’orientation scientifique du mémorial de Verdun

Citer la notice

Cochet François, « Mobilisation (militaire) » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 25 janvier 2018. Dernière modification le 01 février 2022. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/mobilisation-militaire.

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