Nietzsche (Friedrich) (2)


Le rapt du public-auditeur

 

Cette notice ne constitue pas une évaluation générale de la philosophie de Friedrich Wilhelm Nietzsche (1844-1900) et de ses moments particuliers. Elle se concentre sur un des propos du philosophe, sans doute marginal pour certains commentateurs, mais sur lequel il semble nécessaire de jeter un peu de lumière, parce qu’il concerne la question du public de la musique, qui entre pleinement dans le périmètre du Publictionnaire. Encore ne cherchons-nous même pas à esquisser une étude exhaustive des différentes conceptions du public des arts que F. Nietzsche a élaborées. Dans ce dessein, il faudrait analyser aussi ce qu’il retient du public de la tragédie dans la Grèce antique (La Naissance de la tragédie, 1870a ; Le Drame musical grec, 1870b) ou du public renaissant, et le comparer à ce qu’il saisit du public moderne (Richard Wagner à Bayreuth, 1876 ; Le Cas Wagner, 1888). Pas plus que nous n’examinons les différentes facettes des rapports personnels de F. Nietzsche et de R. Wagner (1813-1883) qui font l’objet de larges discussions dans la littérature scientifique germanique (Georg, Reschke, 2016), plus que dans la littérature francophone (voir cependant Broc-Lapeyre, 2015).

Portrait de Friedrich Nietzsche de profil, 1882, photographie de Gustav Adolf Schultze

Portrait de Friedrich Nietzsche, 1882, photographie de Gustav Adolf Schultze (https://de.wikipedia.org/wiki/Friedrich_Nietzsche#/media/Datei:Nietzsche1882.jpg)

Nous choisissons donc de nous centrer sur un ensemble d’énoncés concernant le rapport de F. Nietzsche à sa place d’amateur de musique dans le public des auditeurs de la musique de Richard Wagner (1813-1883). Dans sa façon de se penser et de s’évaluer au sein de cette place (d’autant que dans Le Cas Wagner, il se présente comme « psychologue »), se dégagent deux moments susceptibles d’enseignement à propos du processus permettant de devenir un auditeur et de participer d’un public. L’un est consacré à la louange de l’effet bénéfique de cette musique sur lui-même ; l’autre à l’aversion rageuse et rancunière à l’égard de cette même musique. Cette façon de se penser en deux séquences de son existence, séparées par un renversement d’audition, tient d’abord à la corrélation œuvre-public constitutive de l’esthétique moderne, seule manière de faire sa place à un auditeur. Elle met ensuite en avant, à juste titre, une sorte d’éthique du public (spectateur ou auditeur) résumée par les sous-titres qui rythment cette notice, lesquels sont plus ou moins empruntés à F. Nietzsche, qui scande successivement son Richard Wagner à Bayreuth par trois questions : comment ai-je supporté cela ? Qu’est-ce que cela signifie pour moi ? Dans quel but suis-je là ? (Nietzsche, 1876 : 673 et 687).

Ce parti pris a pour avantage de prêter son concours à une saisie du « devenir auditeur » et donc du « devenir public » – des différentes générations, du « peuple » (ibid. : 720) – par le déploiement des œuvres musicales. Il permet de relever les traits constitutifs de ce spectateur-auditeur. Enfin, il aide à saisir au plus près les modalités d’un renversement de perspective dans une appréciation d’auditeur. Pour situer d’un mot ces aspects dans le droit fil de la vie musicale de F. Nietzsche, il suffit de rappeler que le philosophe passe vis-à-vis de la musique de R. Wagner de l’éblouissement de l’auditeur célébrant l’iconoclasme dionysiaque d’une musique « neuve » à un exercice de déprise de cette musique devenue nihiliste à son oreille parce qu’elle rapte l’auditeur.

 

Comment devient-on auditeur ?

Dès le premier des ouvrages mentionnés ici – Richard Wagner à Bayreuth, qui est destiné à saluer publiquement l’ouverture du premier festival de Bayreuth –, F. Nietzsche (1876 : 675 et 720) dessine les dynamiques structurant l’auditeur de musique. Elles ne reposent pas sur une soi-disant éducation par la musique, puisque cela soumettrait celle-ci à un principe qui n’est pas le sien. En revanche, elles reposent sur un triple « effort » à accomplir à partir des sollicitations de l’œuvre entendue ou vue (ibid. : 672 et 693).

Évoqué d’entrée de jeu, l’aspect de cet effort constitutif de l’auditeur est négatif. Il consiste à renoncer à l’avidité des divertissements et à apprendre à juger sans céder aux perturbations que sèment les porteurs d’un jugement esthétique dominant, les pédants et les milieux de l’art qui entretiennent une atmosphère nocive autour des œuvres. La vraie difficulté sur ce plan est d’apprendre que l’on peut se passer de tout cela. Nul n’a à épouser son temps, selon le vieil adage allemand déjà repris et ajusté à leur propos par Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831 ; il faut être son temps au mieux, en le dépassant) et Friedrich von Schiller (1759-1805 ; nul ne doit se fondre dans son temps, mais plutôt amorcer le futur). Le deuxième aspect de cet effort est positif. Il invite à se préparer à recevoir l’œuvre, à quitter le quotidien et le présent auxquels le postulant à l’audition est préalablement lié, à s’initier au dépassement de son « moi » par le truchement de l’œuvre ; enfin, à se laisser régénérer ou anoblir par la musique. En somme, sous le double aspect négatif et positif, F. Nietzsche se place parfaitement en continuité avec les traits de la formation du spectateur-auditeur, déjà commentés par nombre de philosophes classiques durant la phase d’élaboration des grandes esthétiques : accueil, distance et aura de l’œuvre. En revanche, le troisième aspect spécifie ces traits au regard de l’œuvre de R. Wagner et de l’auditeur wagnérien : il doit se livrer à la « forme » (ibid. : 680) de cette musique, la faire sienne, puisque cette « forme » est un puissant « événement » susceptible de redresser l’auditeur, le public et toute l’époque par une « gymnastique » propre qui doit les entraîner sur un chemin de culture.

Cet effort pour devenir auditeur se déploie à partir de l’apprentissage d’une distinction essentielle : certaines musiques sont déshonorantes parce qu’elles replient l’auditeur sur lui-même et d’autres le délivrent en l’aspirant vers l’art véritable. Les premières abrutissent, tandis que les autres permettent à l’auditeur de retrouver « l’innocence » de l’art. Au rapport avec cet apprentissage de l’audition, F. Nietzsche parle moins de la « réception », que de l’accueil de l’œuvre par le futur auditeur ; et il parle d’ailleurs moins d’auditeur que de « preneur d’un don », comme le veut la traduction du texte, insistant sur le jeu réciproque de l’adresse de l’œuvre et de l’ouverture de l’oreille.

Quelle est donc la réponse à la question de savoir comment on devient auditeur ? On le devient dès lors qu’on accepte de s’exercer à l’écoute de l’œuvre, de construire en soi une « résonance fructueuse », un « sentiment approprié », capables de favoriser le recueillement (au sens de « laisser advenir ») par lequel on devient autre dans la corrélation œuvre-audition. Devenir auditeur c’est devenir fécond de soi, devenir « inactuel », non soumis à l’époque en un mot. C’est accéder à la « foi » (au sens d’accepter la sollicitation de la musique et d’y répondre).

 

Quel auditeur devient-on ?

Ces propos, négatifs et positifs, tournent autour de la grandeur qui anime ceux qui rencontrent un type d’œuvre musicale. C’est là que tout se joue, en matière esthétique, beaucoup plus que dans les essais de qualification de l’œuvre d’art ou dans une histoire de l’art – qui de toute manière est conduite par ceux qui jouent un rôle dans la manière de la définir (ibid. : 659) –, voire dans un jugement esthétique isolé. Alors quel auditeur est-il ainsi fabriqué ? Un être soumis, un admirateur, un être fécond ? Mieux vaudrait, précise F. Nietzsche, un auditeur capable de saisir la puissance de l’œuvre par rapport à soi, à la cité et à l’époque.

En cela, s’il admire R. Wagner (ou plutôt Wagner à Bayreuth, car ici c’est tout un pour l’auditeur-croyant qui gravit la colline sacrée), l’auditeur-Nietzsche devient capable de saisir un événement musical, le déclencheur d’une époque de lutte contre le passé et d’espoir en un avenir. Espoir d’être délivré des marchands (en général et dans le domaine musical), de la puissance dominante de l’âme moderne (la banque), ainsi que du journal qui façonne l’opinion en la soumettant au seul présent, à une vitesse sans cesse grandissante de changement des orientations de la doxa. Délivrance notamment de leur incidence sur la culture prise « actuellement » dans les « grands mécanismes de la puissance et du lucre » (ibid. : 685) ; du poids de la diffusion de l’art le plus courant qui n’a pas d’autre tâche que l’abrutissement ou l’ivresse du public. C’est cela que la musique de R. Wagner ébranle. Elle transfigure le temps présent (ibid. : 686).

C’est un auditeur qui peut alors frayer avec les personnages des opéras :

« Je trouve dans l’Anneau du Nibelung la musique la plus morale que je connaisse, dans la scène par exemple où Brunhilde est éveillée par Siegfried ; Wagner accède là à une hauteur et à une sainteté dans l’émotion (die Stimmung) qui évoque le flamboiement des glaciers et des sommets enneigés des Alpes » (ibid. : 663).

D’œuvre en œuvre, il rencontre une thématique transversale : la fidélité, puisqu’il « y a dans ses œuvres une série presque complète de toutes les formes possibles de la fidélité », la fidélité entre frère et sœur, entre amis, entre serviteur et maître, etc. C’est à partir de cette thématique que l’auditeur devient lui aussi inactuel. Il est jeté dans « les temps modernes », mais il contredit une « atmosphère étouffante », il s’oppose aux « procédés modernes pour acquérir le plaisir et la considération », au « bien-être égoïste » de l’époque (ibid. : 665). Il refuse la légèreté de l’époque, il est gagné par le dégoût. Il se fait Tzigane (c’est-à-dire exclu de la culture officielle).

C’est un auditeur fécondé. Il comprend qu’une nouvelle musique peut déprécier la précédente, par conséquent que l’histoire de la musique n’est pas linéaire et cumulative. Il aborde la notion de mort culturelle, car « pour bien des choses a sonné l’heure de mourir ». Il découvre moins une nouvelle manière de faire de la musique qu’une terra incognita « qui n’est autre que l’art lui-même », lequel se fait restaurateur « de l’unité et de la totalité du pouvoir artistique » (selon la notion de Gesamtkunstwerk, d’œuvre d’art totale, provenant de Wagner même, ibid. : 673). Il devient apte à mettre en question les relations artificielles entre les humains, ne serait-ce qu’à partir de la langue allemande, qui n’est pas faite pour la musique si aisément, mais qui se prête pourtant à l’œuvre wagnérienne. Enfin, l’auditeur devient fortement critique. Il comprend qu’il convient de bouleverser la structure présente des institutions. Il voit « à quel point nos théâtres sont une honte pour ceux qui les construisent et ceux qui les fréquentent » (ibid. : 672).

Généralisant son cas, F. Nietzsche insiste encore sur la nécessité de « faire » le public, comme l’auditeur « se fait ». À musique nouvelle, public nouveau : « À Bayreuth, le spectateur est lui aussi digne d’attention, cela ne fait aucun doute ». Une musique « inactuelle » impose de nouveaux auditeurs, des auditeurs inactuels : « Il m’est apparu de plus en plus nettement que l’homme “cultivé’, dans la mesure où il est pleinement et entièrement le fruit du temps présent, ne peut aborder tout ce que Wagner fait et pense que de façon parodique… » (ibid. : 658). Ce qui signifie que l’art, la musique, aident le spectateur à se forger, mais aussi le critique, la cité et l’humanité.

À Bayreuth, « vous trouvez là des spectateurs préparés et initiés, en proie à l’émotion d’hommes au sommet de leur bonheur et qui sentent en lui tout leur être se ramasser afin de se laisser fortifier pour un vouloir plus ample et plus haut » (ibid. : 673). Des êtres « en eux-mêmes métamorphosés et régénérés afin de pouvoir à leur tour apporter dans d’autres domaines de la vie la métamorphose et la régénération ». Le spectateur-auditeur wagnérien « devient en quelque sorte puissant par lui envers et contre lui [Wagner] » (ibid. : 688). L’art de R. Wagner « nous fait vivre tout ce qu’une âme apprend au cours de ses pérégrinations, s’associant à d’autres âmes et en partageant le sort, apprenant à regarder le monde avec nombre d’autres yeux » (ibid. : 688). Au risque cependant de les enlever à eux-mêmes par une trop forte séduction.

 

Comment se déprendre d’un rapt ?

Ne sent-on pas déjà que quelque chose se fragilise dans ce dernier propos de Nietzsche : qu’est-ce qu’une vie qui correspondrait à la musique ou à l’art ? Ce serait une vie qui transformerait toute la cité, le sens du « commun » (ibid. : 720). La cité, par l’intermédiaire des « générations d’à présent » (ibid. : 725), deviendrait alors « religieuse », presque en un sens traditionnel. Le sens qui pousse Platon à assigner une place centrale à la musique dans la Polis, ou Aristote à inclure la musique dans l’éducation. Et pour devenir « religieuse », il faudrait que la musique accède à un mythe structurant susceptible de régénérer la cité. Ce mythe musical, plus exactement « ce poème » (ibid. : 725), impulsant la communauté civique, ne devrait pas être dégradé en « conte » relégué dans le domaine du jeu qui fait la joie « des enfants et des femmes d’un peuple étiolé » (idem). C’est la cité actuelle qui instrumentalise l’art, « comme si l’art avait valeur de remède ou de narcotique grâce auquel on pourrait se défaire de toutes les autres misères ». Or, « l’art n’est pas un maître ni une éducation pour l’action » et « l’artiste n’est jamais un éducateur ni un conseiller » (ibid. : 675). C’est pourtant sur ce point que se joue l’hostilité en laquelle se mue tout à coup l’admiration première de F. Nietzche pour R. Wagner. L’auditeur institué entre dans le doute de soi-même. Et c’est sur ce point que s’opère, dans un cri de colère et de rage, le renversement dont le deuil, dans Le Cas Wagner, devient le résultat.

On sait aussi que cet aspect des effets de la musique sur l’auditeur fait question à Charles Baudelaire (1821-1867) et Stéphane Mallarmé (1842-1898), à propos de la théorie du drame total (Gesamtkunstwerk) selon R. Wagner. Le premier est intrigué par les « correspondances » des sensations entre auditeurs et la part de réflexion de la musique (réactions communes, applaudissements spontanés, flux d’énergie dans la salle de concert) sur des auditeurs condensés en un public devenu homogène (Baudelaire, 1860) ; le second (Mallarmé, 1885) par l’accueil social de la musique, le refus des modes de fiction naïfs et grossiers, mais auxquels R. Wagner substitue des mythes qui ne sont que des subterfuges destinés à ne servir que le peuple allemand – « ce peuple qui saura déchiffrer sa propre histoire à partir des signes de l’art wagnérien » (Nietzsche, 1876 : 725) – et se détournent paradoxalement de l’universalité. Ceci malgré le crédit que F. Nietzsche mettait, en 1876, dans la vertu des opéras wagnériens à reposer sur une « adresse au-delà de ce qui est allemand » (ibid. : 721). Ce débat n’est d’ailleurs pas clos par eux. Il a rebondi autour de Theodor W. Adorno (1903-1969 ; 1952), puis, en 1991, de Philippe Lacoue-Labarthe (1940-2007) et il ne cesse d’être repris notamment par Alain Badiou (2010) et Jacques Rancière (2011).

La musique de R. Wagner rapte l’auditeur. Elle le soumet à ses rythmes et ses mythes. C’est sur ce constat que F. Nietzsche reprend la plume, et entame ses analyses sur l’auditeur au terme d’un attachement auquel il doit maintenant apprendre à résister (Nietzsche, 1888 : 69-70), analyses complétées par des propos sur le public de masse (ibid. : 63) fabriqué par certains musiciens et leur volonté de séduire des foules par des œuvres qui captivent et envoûtent. L’auditeur demeure bien au centre du débat. Mais, cette fois, il est placé devant la nécessité de se déprendre de son goût, de tourner le dos à ses amours musicales, d’en finir avec son « empêtrement », et de reprendre goût à la vie musicale autrement en se dépassant soi-même à nouveau.

Nietzche revient sur la discipline requise par l’audition. Elle a construit un goût, il faut aussi apprendre à le déconstruire lorsqu’on a été « corrompu » (ibid. : 23). Afin de renforcer ce nouveau cheminement, l’ouvrage est rédigé du point de vue du Zarathoustra, d’un œil extérieur à la situation locale. De telle sorte que cette distance permette d’autant de « se déprendre de », « se dépasser soi-même », dans son rapport à un R. Wagner et une modernité d’autant plus liés qu’ils sont à la fois indispensables (ils contiennent Jean-Sébastien Bach, 1685-1750 ; Ludwig van Beethoven, 1770-1827) et nuisibles (parce qu’ils produisent de la croyance). Et l’ouvrage vante les charmes de la musique de Georges Bizet (1838-1875) en contre-point de celle de R. Wagner, parce qu’elle ne cherche pas à produire du colossal et à agir sur les nerfs de l’auditeur.

Il est tout à fait possible de résumer les oppositions construites dans Le Cas Wagner en une sorte de tableau récapitulatif.

Ce que fait le musicien à l’auditeur Quel auditeur fabrique-t-il ?
Richard Wagner :

Il agit sur les affects par le colossal, le brutal, l’artificiel (c’est un Sirocco), le « naïf ». Il prend les auditeurs/spectateurs pour des « cons » [sic, dans la traduction française utilisée], il les enferme dans ses répétitions, etc. Il écrase.

Ce ne sont pas seulement les thèmes qui sont en question (encore que : le salut, la sainteté, l’amour romantique, « jeune fille être sauvée par chevalier », la rédemption par la femme…), mais aussi le morbide et le dominant qui veulent structurer le public et la cité.

Richard Wagner :

Ce qu’il fait à chacun (spectateur), et ce qu’il fait à tous (au public). Il pousse à devenir un mauvais auditeur : il fabrique des « malades », obéissants, étouffés, fascinés, corrompus, castrés… Il fait des adorateurs, il ruine la santé de l’auditeur, il rend malade, il séduit, afin de faire des auditeurs des disciples et des êtres moraux (dans les normes sociales : famille, mariage…). Il attire les faibles en produisant de la croyance.

Georges Bizet :

Il n’est pas question de lui comme tel, mais de l’atmosphère qu’il suscite : une atmosphère méridionale, méditerranéenne, africaine. Il est du côté de la vie et de l’amour.

Georges Bizet :

Sa musique pousse à devenir fécond, elle nous rend meilleur, intelligent, léger, poli. Elle libère.

 

Comment conclure un tel repérage, sinon par une dernière précision ? En fin de compte, l’auditeur est moins un personnage qu’un devenir permanent, un effort de prise (une concentration nécessaire pour entendre) et de déprise de soi (nécessaire pour ne pas rester figé ou fasciné) bien sûr en rapport avec des œuvres ? Toute audition répond à une reconstruction de soi, mais nulle reconstruction ne doit rester statique, d’autant que n’existe ni régime idéal, ni régime définitif d’une « humanité plus libre » (Nietzsche, 1876 : 720). Nul ne peut cesser de s’interroger face à une œuvre (ibid. : 725). Ce qui s’insère fort bien dans la philosophie globale de F. Nietzsche – ce travail de couture entre notre analyse spécifique et l’ensemble de l’œuvre restant à entreprendre. Enfin, au-delà du cas ainsi présenté, l’enjeu de la lecture des ouvrages commentés dans cette notice du Publictionnaire est aussi de donner des moyens de s’écarter des propos simplifiés sur les auditeurs de musique, si souvent assignés à avoir l’âme « comblée » durant l’audition, ou encore à demeurer « superficiels » du fait de la pression d’un « flot continu » de musique commerciale.


Bibliographie

Adorno T. W., 1952, Essai sur Wagner, trad. de l’allemand par H. Hildenbrand et A. Lindenberg, Paris, Gallimard, 1993.

Badiou A., 2010, Cinq leçons sur le « cas » Wagner, trad. de l’anglais par I. Vodoz, Caen, Éd. Nous.

Baudelaire C., 1860, « Richard Wagner et Tannhäuser à Paris », pp. 779-815, in : Le Dantec Y.-G, Pichois C., éds, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1961.

Broc-Lapeyre M., 2015, « Nietzsche et Wagner », Chemins de traverse de la philosophie. Accès : https://cheminstraverse-philo.fr/philosophes/nietzsche-et-wagner-2.

Georg J., Reschke R., Hg., 2016, Nietzsche und Wagner. Perspektiven ihrer Auseinandersetzung, Berlin, De Gruyter.

Lacoue-Labarthe P., 1991, Musica Ficta : Figures de Wagner, Paris, C. Bourgois.

Mallarmé S., 1885, « Richard Wagner, rêverie d’un poète français », pp. 541-546, in : Mondor H., Jean-Aubry G., éds, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1945.

Nietzsche F., 1870a, « La naissance de la tragédie », trad. de l’allemand par P. Lacou-Labarthe, pp. 2-134, in : de Launay M., éd., Œuvres I, Paris, Gallimard, 2000.

Nietzsche F., 1870b, « Le drame musical grec », trad. de l’allemand par J.-L.Backès, pp. 135-149, in : de Launay M., éd., Œuvres I, Paris, Gallimard, 2000.

Nietzsche F., 1876, « Richard Wagner à Bayreuth », trad. de l’allemand par P. David, pp. 657-725, in : de Launay M., éd., Œuvres I, Paris, Gallimard, 2000.

Nietzsche F., 1888, Le Cas Wagner, trad. de l’allemand par J.-C. Hémery, Paris, Gallimard, 1974.

Rancière J., 2011, Aisthesis. Scènes du régime esthétique de l’art, Paris, Éd. Galilée.

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Ruby Christian, « Nietzsche (Friedrich) (2) » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 02 septembre 2019. Dernière modification le 20 octobre 2022. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/nietzsche-friedrich-2.

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