Producteur


 

Le terme de producteur est étroitement lié à l’organisation des industries culturelles. En premier lieu, il fait écho à l’univers cinématographique dont il est l’un des métiers les plus importants. Apparu dès la création du cinéma, il est un des rouages indispensables à la fabrication des films dont il assure le financement et (ou) la mise en œuvre. D’un point de vue juridique, selon l’article L132.23 du code de la propriété intellectuelle, le « producteur de l’œuvre audiovisuelle est la personne physique ou morale qui prend l’initiative et la responsabilité de la réalisation de l’œuvre ».

 

Le producteur, figure dominante du cinéma hollywoodien

La représentation du producteur est quasiment indissociable du cinéma américain. Le producteur symbolise la puissance économique et incarne le pouvoir à l’âge d’or des studios hollywoodiens jusque dans les années 1950. Sa figure s’oppose alors à celle du réalisateur, censé se plier aux normes du « système » dont le producteur est le garant. Le producteur, en règle générale, dispose du « final cut », choisit la version définitive du montage du film, ce qui matérialise sa domination sur le réalisateur – privilège à l’origine de mésententes légendaires et de films réputés maudits pour leurs réalisateurs). C’est aussi le producteur qui reçoit l’Oscar du meilleur film, récompense la plus importante à Hollywood, ce qui atteste de son rôle prépondérant dans le succès d’un film. Dans une industrie soumise aux aléas comme toute industrie culturelle, tenant aussi bien aux conditions de fabrication (la qualité d’un scénario, la personnalité du réalisateur, celles des acteurs, l’entente des protagonistes durant le tournage…) qu’à celles de la réception (les conditions de distribution, l’accueil du public…), la mission du producteur est de tenter de réduire cette marge d’incertitude qui menace de transformer chaque projet de film en un échec commercial. Si le réalisateur ou les acteurs peuvent être fantasques et avoir des exigences démesurées (ce qui alimente la presse people et façonne aussi les légendes), le producteur stabilise et rassure le système. C’est sans doute David O. Selznick, le producteur d’Autant en emporte le vent (réalisé par Victor Fleming en 1939 et l’un des plus gros succès de l’industrie hollywoodienne), célèbre pour les mémos qu’il envoyait sans cesse à ses collaborateurs, qui représente le mieux cette profession. Il fonde en effet sa propre compagnie, la Selznick International, et prend tous les risques financiers pour produire ses films (Selznick, 1972). Faut-il y voir une ironie, une capacité d’auto-réflexion, ou le signe que les producteurs sont eux-mêmes des figures mythologiques au même titre que les héros de l’Histoire qui ont souvent été incarnés à l’écran ? Ceux-ci sont les personnages centraux de certains films dont les existences romanesques renvoient à une forme de despotisme et de propension au malheur (notamment dans Les ensorcelés, réalisé par Minelli en 1953). Aujourd’hui, la figure du producteur cinéphile, autoritaire et audacieux, est en recul face à celles d’actionnaires anonymes et mondialisés dont l’investissement dans le secteur cinématographique n’est qu’une activité parmi tant d’autres.

 

L’exemple de la France : le réalisateur-roi

En France, pays où le cinéma est considéré comme une exception culturelle et où les films ne sont pas perçus comme une marchandise comme les autres, la figure du producteur s’impose moins dans l’imaginaire que celle du réalisateur, malgré l’engagement personnel de nombreuses personnalités (Anatole Dauman, Georges de Beauregard, Pierre Braunberger, Claude Berri…), et les études sur cette profession sont beaucoup moins nombreuses que celles qui portent sur les réalisateurs ou les acteurs (De Verdalle, 2002). Certaines figures se détachent cependant, dont la vie fascine autant que celle des stars de cinéma (citons comme exemple celle de Jean-Pierre Rassam, qui inspire le romancier Christopher Donner dans Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, Grasset, 2014).

En France, la Nouvelle vague, mouvement artistique de la fin des années 1950 et du début des années 1960, bien que vénérant le cinéma hollywoodien, milite pour une « politique des auteurs » qui minimise la contribution des multiples professions qui participent à la création d’un film, dont celle de producteur, en consacrant le réalisateur comme seul responsable artistique de la réussite d’un film. Cette primauté du réalisateur, si elle permet à celui-ci d’apparaître comme un artiste à part entière, entraîne des injustices et empêchera une plus grande reconnaissance de certains producteurs défendant pourtant un cinéma exigeant en termes artistiques (Humbert Balsan, qui se suicide en 2005, et qui inspire la figure du producteur du film Le père de mes enfants, Hansen-Love, 2009). Mais quel que soit le lieu de production d’un film, la relation entre le réalisateur et le producteur demeure fragile, évolutive, et les moindres décisions peuvent modifier les conditions de productions d’un film (Assayas, 2014).

Les années 1980 sont marquées par la peur de voir le cinéma disparaître au profit de la télévision – années symbolisées par les difficultés de l’entreprise Gaumont et le départ du producteur emblématique Daniel Toscan du Plantier (Creton, Dehée, Layerle, Moine, 2011). Il s’agit alors pour les producteurs de s’associer à d’autres producteurs ou de multiplier les sources de financement pour minimiser les effets d’un échec commercial, lesquelles peuvent émaner du Centre national du cinéma et de l’image animé, des SOFICA, des chaînes de télévision, des collectivités territoriales, des fonds européens…). Le producteur doit aussi composer avec une autre profession dont dépend le succès d’un film : le distributeur, chargé de la sortie d’un film en salles.

 

Le producteur, figure déclinante

Dans une économie mondialisée, le producteur a aujourd’hui quelque peu perdu de sa superbe. Il n’est plus cet individu solitaire omnipotent, et apparaît avant tout comme celui qui connaît les conditions de financement de l’industrie cinématographique (système français) et promet aux actionnaires que les investissements seront fructueux (système nord-américain). Mais le propre d’une industrie culturelle est de conserver cette part d’aléa qui est la sienne, et la corporation demeure ouverte : chacun peut s’improviser producteur et rencontrer son public (cinéma d’art et essai en France, cinéma indépendant aux États-Unis). Le lien entre le producteur et le public a lui aussi évolué. Si le succès d’un film se mesurait exclusivement en comptabilisant le nombre d’entrées en salles, la nature des recettes est aujourd’hui beaucoup plus fragmentée : audiences télévisées (en augmentation constante en raison de la multiplication du nombre de chaînes qui rediffusent les films), éditions DVD, téléchargement… Le succès d’un film peut en outre varier d’un pays à l’autre, en fonction des goûts culturels des publics.

Le producteur se retrouve aussi dans d’autres univers médiatiques, comme celui de la télévision (Brigaud-Robert, 2011). Au sein de la production des séries, mouvement télévisuel majeur du début du XXIe siècle, on ne compte plus le nombre de producteurs associés à la production des épisodes d’une saison et dont le nom figure d’ailleurs au générique. La figure dominante est toutefois celle du showrunner, créateur de la série, qui veille à l’unité des différents épisodes, et qui surplombe celles du producteur, du réalisateur, et du scénariste (bien que le showrunner puisse lui aussi être producteur).

 

Quand le public s’immisce dans le processus créatif

Dans le secteur des industries culturelles, certains producteurs tentent de se prémunir d’un éventuel échec en prenant en compte les réactions des spectateurs avant la sortie d’un film. Une projection-test peut être organisée pour analyser les réactions du public et, le cas échéant, effectuer des changements dans le montage du film. Dans ces cas de figure, il ne s’agit plus uniquement d’un duel entre un producteur et un réalisateur : le public est invité à jouer le rôle d’arbitre dans la conception de la version définitive du film. Après les projections-tests, le film peut ainsi être coupé (citons Il était une fois en Amérique de Léone en 1984 ou encore Abysse de Cameron en 1989), ou des scènes peuvent être retournées – l’un des exemples les plus célèbres étant celui de la fin du film Liaison fatale, réalisé par Lyne en 1987, dont l’héroïne est tuée dans la version postérieure à la projection-test, alors qu’elle se suicidait dans la version initiale, sort trop enviable au vu de ses agissements selon le public sondé (sur tous ces exemples, voir Marie, Thomas, 2008). En France, Médiamétrie, société anonyme spécialisée dans la mesure d’audience, organise ce type de projections-tests, pour évaluer le « potentiel » du film, son « cœur de cible », ses « forces » et ses « faiblesses », et déterminer si le « montage actuel du film » est « optimal » (Médiamétrie, 2015). Une telle terminologie a de quoi étonner dans un pays où le cinéma est davantage perçu comme un art à part entière. Par ailleurs, certaines projections-tests auprès du public sont réalisées afin de mettre en place la campagne publicitaire d’un film.

Le producteur peut aussi être tenté de s’appuyer sur la sélection d’un film dans un festival pour multiplier ses chances de succès avant la sortie en salles. Dans ce cas, le film est présenté à un public ciblé (celui du festival, composé des professionnels du cinéma, de la presse spécialisée…) avant « d’affronter » le grand public. La sélection dans un festival s’avère à double-tranchant : elle peut constituer un tremplin pour le film, si celui-ci est bien « accueilli », ou un handicap si le film a été conspué.

 

Le producteur à la radio et à la télévision

Dans l’univers télévisuel ou radiophonique, l’utilisation de cette notion de producteur peut surprendre, car elle n’a plus forcément de lien avec une quelconque activité de financement, contrairement à la mythologie cinématographique : le producteur est celui qui a en charge la responsabilité d’un programme. Il en va ainsi du « producteur délégué de radio » à Radio France (Glevarec, 2001 ; Deleu, 2013). Celui qui est désigné ainsi assure la conception du programme (proposition de sujets, recherche de témoins, pratiques d’interviews, de montage, présence en direct). Il s’agit donc, selon la nature des émissions, d’une activité proche de celle de journaliste, de documentariste ou d’animateur. En aucune manière, le producteur délégué n’est celui qui assure le financement de cette émission. Cette terminologie étant de nature à entraîner des quiproquos avec les personnes extérieures à la radio (dont les interviewés), il n’est pas rare que les producteurs délégués choisissent d’autres termes pour se définir à l’extérieur de la radio. Cette ambiguïté se retrouve dans le secteur musical où le producteur est davantage un responsable artistique qu’un financier.


Bibliographie

Assayas O., Frodon J.-M., 2014, Assayas par Assayas. Des débuts aux destinées sentimentales, Paris, Stock.

Brigaud-Robert N., 2011, Les Producteurs de télévision, Paris, Presses universitaires de Vincennes.

Creton L., 2004, Histoire économique du cinéma français. Production et financement 1940-1959, Paris, CNRS Éd.

Creton L., Dehée Y., Layerle S., Moine C., dirs, 2011, Les Producteurs. Enjeux créatifs, enjeux financiers, Paris, Nouveau Monde Éd.

Deleu C., 2013, Le Documentaire radiophonique, Paris, Ina/Éd. L’Harmattan.

De Verdalle L., 2002, « Une analyse lexicale des mondes de la production cinématographique et audiovisuelle françaises », Sociologie, 3, 2, pp. 179-197.

Glevarec H., 2001, France Culture à l’œuvre. Dynamique des professions et mise en forme radiophonique, Paris, CNRS Éd.

Marie M., Thomas F., 2008, Le Mythe du director’s cut, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle.

Mediamétrie, http://www.mediametrie.fr/cinema/solutions/projection-test.php?id=41. Consulté le 14 juillet 2015.

Selznick D. O., 1972, Cinéma, trad. de l’américain par A. Villelaure, Paris, Ramsay, 1984.

Auteur·e·s

Deleu Christophe

Sociétés, acteurs, gouvernement en Europe Université de Strasbourg

Citer la notice

Deleu Christophe, « Producteur » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 septembre 2015. Dernière modification le 19 janvier 2023. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/producteur.

footer

Copyright © 2024 Publictionnaire - Tous droits réservés - ISSN 2609-6404