Publicité


 

La publicité peut être définie par la mise en valeur d’un produit dans l’espace public afin d’influencer attitudes et comportements du public en faveur de ce produit. La publicité commerciale en est l’expression la plus courante, mais le produit peut être promu indépendamment de toute finalité commerciale : institutions, organisations, événements, personnes et partis politiques (marketing politique), idées, valeurs, conduites (par exemple, prévention).

 

Le contrat de communication publicitaire

Le contrat publicitaire s’inscrit dans le cadre plus général du contrat de communication médiatique, lequel se définit par la double finalité du « faire savoir » (visée d’information) et du « faire ressentir » (visée de captation) (Charaudeau, 1997 : 73 sq.). Dans le cas de la publicité, cette seconde visée, impliquant notamment des « effets de séduction », prime sur la première. Le lexique technique décrivant les partenaires de la communication publicitaire peut être précisé à partir de cette référence théorique :

  • la cible, qui réfère à l’ensemble des personnes visées par le message, est le destinataire du propos. C’est l’émetteur qui la construit en mettant en scène, dans le message, un modèle supposé utiliser le produit et présentant les caractéristiques sociodémographiques du public visé ;
  • l’émetteur est l’entité physique d’où émane le message. L’émetteur publicitaire est composite : annonceur (émetteur de la demande et fournisseur du produit), agence (productrice du message) et support (média véhiculant le message : chaîne de télévision, de radio, organe de presse, afficheur, etc.) ;
  • le récepteur est la personne physique qui est exposée au message ;
  • la source est l’impression que le récepteur se fait de l’émetteur. Elle comprend les caractéristiques identitaires et les qualités que le récepteur attribue à l’entité autrice du message.

Le contrôle de ces représentations que sont la cible et la source est au cœur des stratégies publicitaires. En effet, leur efficacité dépend de l’identification du récepteur à la cible, d’une part, de l’attractivité et de la crédibilité qu’il attribuera à la source, d’autre part. Le rôle déterminant de la crédibilité a été mis en évidence dès les années 1950 par les psychologues sociaux de l’école de l’université Yale. La signature du message est ici particulièrement importante. Elle est constituée de la marque, de son logo (mot apocope de logotype : graphisme représentant la marque et destiné à son identification immédiate), de son slogan et éventuellement de la signature de l’agence. Par exemple, la marque Nike a pour logo une virgule (le swoosh) et pour slogan Just do it.

Quant au message lui-même, il est aussi pour partie contractuellement prédéterminé, dans la forme d’abord : présence d’une accroche (texte, image, ou son, destiné à attirer l’attention), d’un argumentaire (texte qui se présente comme informatif sur le produit promu) et d’un visuel. En revanche, les contraintes contractuelles régissant le contenu sont limitées. Certes, la législation française encadre le dicible, en particulier depuis la loi de 1973 proscrivant la publicité mensongère, qui sera suivie d’autres textes encadrant la publicité pour certains produits (alcool), voire l’interdisant strictement (pour le tabac, loi Évin, 1991 ; voir Baynast, Lendrevie, 2004 : 392 sq.). Mais, à l’intérieur de ce cadre légal, l’objectif contractuel du faire valoir et la visée de séduction peuvent être déclinées à l’infini, ce d’autant plus que les attentes d’un récepteur habitué précocement à la publicité sont bien circonscrites : face à une publicité, quel que soit le message, la question du « Que veut-on dire ? » ne se pose pas, car il suffit d’identifier le caractère publicitaire du message pour inférer qu’un produit est mis en valeur. Cette certitude signifiante (Camus, 2009) autorise finalement l’insertion de n’importe quel contenu manifeste, même si ce contenu se présente a priori comme non conforme au regard de la finalité commerciale (message énigmatique, incongru ou encore paradoxal). En effet, l’étrangeté satisfait aux contraintes contractuelles de la captation.

 

La pub dans la cité

La « pub » est omniprésente dans l’espace public. Et, en dépit de l’infinitude sémantique dont peut disposer le publicitaire, il arrive que l’acceptabilité sociale d’une campagne soit remise en cause. Ce fut le cas des campagnes d’Olivero Toscani pour la marque Benetton (entre 1982 et 2000) : elles étaient construites autour de thématiques politiquement et culturellement chargées : racisme, séropositivité, sexualité, peine de mort… La présence de la marque sur les affiches constituait l’unique référence au produit promu (prêt-à-porter). Or, selon Patrick Charaudeau (1994 : 41 sq.), ces campagnes constituent une « transgression du contrat publicitaire lui-même, pour la construction d’une image identitaire » – transgression car pénétration dans l’espace public, tandis que l’espace contractuel de la publicité, c’est, pour l’auteur, la vie privée, le « bien-être individuel ». En réalité, Olivero Toscani interpelle un citoyen pour cibler un consommateur. Certes, on pourrait voir quelque contradiction à accepter l’exposition publique du privé, tout en prétendant confiner cette exposition hors du champ politique. Mais il ne s’agit en somme que de l’expression ordinaire de l’individualisme libéral. En effet, le modèle normatif de l’individualisme libéral (Beauvois, 2011) prescrit de s’affirmer soi-même en montrant sa différence, de mettre en avant sa personnalité, sa « nature » propre et proscrit de « faire comme tout le monde ». Or, « sortir du troupeau », se « démarquer » serait paradoxalement rendu possible grâce aux marques. En effet, pour un individu, le besoin d’affirmer sa différence est fréquemment exploité par la publicité dans la mise en scène d’un pseudo-anticonformisme aux connotations contestataires (par exemple, avec la connotation positive des références à la « révolution »). Le conformisme y est alors associé à des symboles stéréotypés qui, par contraste, confèrent à la contestation une valeur positive, ce qui conforte implicitement l’ordre dominant ; car, relevant in fine de la vie privée,  ces symboles sont vidés de tout sens politique. Par exemple, porter un jean de telle marque serait supposé signe d’une personnalité rebelle. En somme, la publicité opère une privatisation des positionnements politiques : contester, s’engager, militer y sont valorisés en tant que modalités de l’affirmation identitaire, et non comme formes de participation à une action collective visant un changement effectif de l’ordre social. Certaines publicités qui se présentent comme militantes contiennent certes des références politiques sollicitant a priori un engagement collectif – par exemple, pour une entreprise, la référence à l’écologie –, mais c’est de fait pour construire l’image d’une entreprise responsable, « éthique », qui « lutte » contre un ordre dominant assimilé à l’interventionnisme étatique (Bénilde, 2008). Et, dans tous les cas, la réduction de l’action politique au choix de consommation (sphère privée) reste constante. C’est donc le sens même du politique que ces publicités détournent.

Cette réduction s’observe également à un autre niveau : celui des attitudes à l’égard de la publicité, qui furent longtemps présentées comme des postures purement affectives, et non comme des attitudes politiques. Ainsi les termes publiphilie (amour de la publicité) et publiphobie (peur ou rejet de la publicité) sont-ils apparus à peu près en même temps que l’apocope pub. Le développement d’émissions télévisuelles consacrées exclusivement à la publicité (notamment Culture Pub, La Nuit des Publivores diffusées sur la chaîne M6, de 1987 à 2005) rend effectivement compte d’un culte de la pub. Quant à la « publiphobie », elle a fait l’objet d’une vaste campagne de l’Institut pour la promotion économique par l’action commerciale (institut qui n’a pas laissé de traces) en 1972, la présentant comme une maladie, avec en accroche la question : « Êtes-vous un “publiphobe” qui s’ignore » ?

Mais, depuis une vingtaine d’années, on assiste au développement d’une mouvance anti-publicitaire résolument politique, dont les actions publiques, souvent illégales (barbouillage d’affiches, déboulonnage de panneaux…) visent la réappropriation d’un espace public jugé confisqué par la publicité. Du point de vue des associations qui portent cette lutte, lutter contre la publicité, c’est se positionner à la fois contre le capitalisme et pour l’écologie (on trouve par exemple de nombreuses références à la surconsommation). En effet, d’un point de vue économique, la publicité pèse suffisamment lourd pour être considérée comme un rouage essentiel du capitalisme. Ainsi le volume global des recettes publicitaires annuelles a-t-il atteint 13,3 milliards d’euros en 2016. Il faut également relever la forte concentration du capital qui se reflète tant au niveau des annonceurs (pour les premiers du classement : grande distribution et industrie automobile) que des agences. On peut également souligner la dépendance des supports médiatiques – sur lesquels la publicité s’expose, médias d’information en premier lieu – vis-à-vis des annonceurs.

D’un point de vue politique, conformément aux principes du libéralisme économique, l’encadrement de l’activité de ce secteur empêche autant que possible les intrusions étatiques. À cette fin, dès 1935, a été constituée une association d’autorégulation de la profession regroupant annonceurs, agences et supports : le Bureau de vérification de la publicité (BVP), rebaptisé Association de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) en 2008. L’objectif affiché est d’encourager l’« autodiscipline » en faveur d’une publicité « responsable » (« loyale, véridique et saine »). Ses actions consistent en l’émission de recommandations (avis consultatifs). Pour l’heure, l’ARPP veille particulièrement à la conformité des messages environnementaux, témoignant ainsi de son souci d’une publicité irréprochable au regard de ce qui préoccupe le public, comme c’est le cas actuellement des questions écologiques.

 

Modèles de la persuasion

La publicité se développe au début du XXe siècle sous la forme initiale de la réclame, en même temps que les sciences humaines et sociales. Dès l’origine, les stratégies publicitaires s’alimentent des connaissances produites dans ces disciplines, dans la mesure où celles-ci permettent de contrôler comportement, attitudes et cognitions. En la matière, le pionnier est Edward Bernays (1928), l’un des fondateurs des « relations publiques » dont l’objet est le façonnage de l’opinion publique à des fins indifféremment commerciales ou politiques. Neveu de Sigmund Freud, l’inventeur de la psychanalyse, Edward Bernays retiendra de son oncle l’idée selon laquelle les conduites humaines sont largement déterminées par des facteurs inconscients. Ainsi foules et masses seraient-elles mues par des pulsions inconscientes qu’il suffirait de canaliser. Par la suite, les emprunts à la psychanalyse seront intégrés dans un autre modèle : le behaviorisme, fondé par John B. Watson (psychologue qui deviendra publicitaire). Cette conjugaison est certes conceptuellement incongrue puisque, selon ce dernier, l’intériorité psychique n’a aucun impact sur le comportement ; celui-ci est entièrement déterminé par les stimulus de l’environnement auxquels la personne répond automatiquement après conditionnement. Le conditionnement repose sur l’association entre deux stimulus dont le rapport a été arbitrairement construit – par exemple produit-marque. Après exposition répétée au couple de stimulus à associer (le « matraquage »), l’association est automatique – par exemple [yaourt = …] – et détermine évaluations et comportements attendus. C’est ce processus qui permet de faire d’un nom de marque un mot chargé en significations (plaisir, puissance, liberté, etc.) – ou d’un produit comme la cigarette, l’emblème de l’émancipation des femmes (voir la parade new-yorkaise des « Flambeaux de la liberté », en 1929, orchestrée par Edward Bernays pour la marque de cigarettes Lucky Strike en vue d’en élargir le marché au public féminin).

Au cours des décennies suivantes, les travaux sur la communication de masse conforteront l’idée selon laquelle les procédés rhétoriques centrés sur le logos, c’est-à-dire sur la rationalité et la qualité des arguments, sont peu efficaces pour persuader. Le sociologue Paul Lazarsfeld montre les « effets limités » de la persuasion : il ne suffit pas de soumettre un individu à un message persuasif pour qu’il soit persuadé ; car il doit être motivé à changer, condition pour qu’il prête attention au message. Par la suite, Paul Lazarsfeld développe la thèse du two steps flow of communication (1948) avec laquelle il montre que la persuasion nécessite une étape intermédiaire, un relais pris en charge par un leader d’opinion, entre l’émetteur médiatique et le récepteur. La publicité s’emparera de ce savoir pour mettre en scène dans les messages une source seconde : l’ami, l’expert, la star…

En même temps, un autre phénomène est découvert : la résistance à la persuasion (pour une revue de questions, voir Chabrol, Radu, 2008 : 87 sq.). Celle-ci a deux composantes :

  • une composante affective : dans nos sociétés, la tentative de persuasion, en tant qu’elle vise à faire changer, est vécue par le récepteur comme une atteinte à sa liberté. Elle provoque donc un effet boomerang appelé « réactance » (Brehm, 1966) : la personne éprouve une motivation forte à réaffirmer sa liberté, ce qui se traduit par un refus de ce dont on veut la persuader, et même un renforcement de sa position initiale ;
  • une composante cognitive : une personne prévenue que l’on va tenter de la persuader élabore spontanément une contre-argumentation (McGuire, Papageorgis, 1962).

Ainsi suffit-il d’identifier la nature publicitaire d’un message (« On veut me faire acheter… ») pour que réactance et contre-argumentation soient activées. C’est pourquoi l’une des stratégies usuelles de la publicité contemporaine est de retarder l’identification du produit (« C’est une pub pour quoi ? »). Cette stratégie sert la captation (intrigue) et, de plus, inhibe la contre-argumentation, puisque le récepteur ne sait pas de quoi on veut le persuader. La psychologie sociale a d’ailleurs montré que la distraction du récepteur, de quelque nature qu’elle soit (effectuer une tâche rudimentaire pendant l’exposition, ou bien être exposé en même temps à un autre stimulus sans rapport avec le message), facilite la persuasion lorsque le message est simple – en même temps qu’elle diminue mémorisation et compréhension. De fait, les stratégies publicitaires d’inhibition de l’élaboration cognitive du message – élaboration qui suppose un traitement cognitif central, systématique et contrôlé – sont souvent efficaces. D’autant que la publicité ne vise pas la conviction, mais la séduction, qui permet de persuader sans argument. Elle opère alors en suscitant un traitement périphérique : non contrôlé, non conscient, automatique et reposant sur des heuristiques (inférences automatiques, par exemple, le mot expert dans une accroche fait inférer que le produit est fiable). Ces deux modalités de traitement des messages persuasifs, centrale-systématique ou périphérique-heuristique (Chaiken, 1980 ; Petty, Cacioppo, 1986), constituent aujourd’hui le point nodal des recherches en communication persuasive.

Avec l’essor du marketing ainsi que des sondages à fins commerciales ou politiques, se révèle l’importance du ciblage, c’est-à-dire de l’adaptation du message aux caractéristiques catégorielles de la cible visée. Ainsi, à partir des années 1980, la « sociologie » des styles de vie (ou sociostyles, Cathelat, 1985) devient-elle le credo de la publicité. La notion de « style de vie » met en relation diverses caractéristiques sociologiques et psychologiques (appartenances catégorielles, caractéristiques culturelles, démographiques, économiques et pratiques, valeurs, croyances associées à ces appartenances, ainsi que façons de parler – lexicostyles). Ces styles ont fait l’objet d’étiquetages personnologiques, c’est-à-dire sous forme de traits de personnalité (les « décalés », les « matérialistes », les « activistes »…). Ils rendent compte de « façons d’être » sociologiquement déterminées et associées à des modes de consommation. C’est la publicité ciblée, dans laquelle la mise en scène du message constitue un reflet minutieux du sociostyle spécifique à la cible visée. Bien que la référence aux sociostyles soit devenue marginale, le ciblage a perduré car, grâce au ciblage comportemental par l’internet, il n’est plus nécessaire aujourd’hui de s’appuyer sur les sociostyles pour réaliser un ciblage efficace et peu coûteux.

La personnologisation du ciblage (c’est-à-dire la construction d’une cible individualisée, en particulier via la référence à la personnalité) se parachèvera avec le branding, lequel valorise la marque plutôt que le produit, se focalise sur la relation avec le récepteur et en efface l’enjeu commercial pour promouvoir une identité plutôt qu’un bien de consommation (Appel, Lacôte-Gabrisiak, Le Nozach, 2014). En la matière, la réussite la plus remarquable est probablement celle de la marque Apple et de l’identité d’« anticonformisme créatif » qu’elle a su construire avec la campagne lancée en 1997 : Think different. Cela étant, c’est peut-être avec la connivence humoristique que s’illustrent le mieux la relation de séduction, et la valorisation mutuelle sur laquelle repose cette séduction. Car, avec l’humour, chacun des partenaires « démontre sa compétence à décoder une manipulation langagière, se montre par là-même intelligent, reconnaît du même coup l’intelligence de l’autre » (Charaudeau, 1994 : 41).

Ce faisant, la marque devient une nébuleuse sémantique, en même temps qu’accroches et slogans se vident de leur sens et se chargent en significations. L’usage de l’anglais pour cibler un public non anglophone apparaît alors dans sa dimension stratégique. Par exemple, qui s’interroge sur le rapport entre un énoncé tel Just do it et le produit (vêtements de sport) qu’il labellise ? Or, il suffit d’associer ce slogan à d’autres produits (voiture, boisson, produits financiers, ordinateur, téléphonie) pour constater que sa relation fusionnelle à la marque est sémantiquement arbitraire ; c’est la répétition de l’association qui le fait paraître évident, non questionnable. En effet, les marques sont des signes très particuliers (Sfez, 1993) : signes qui ne réfèrent qu’à eux-mêmes (tautologiques), mais qui autorisent l’énonciation de tautologies immédiatement signifiantes. Concrètement : « X c’est X », « Il n’y a que X qui soit X »… ne veulent rien dire. Mais si l’on remplace X par Coca-Cola, Levis, Nike… s’impose le sentiment d’une signification évidente.

Actuellement, le premier support publicitaire est devenu l’internet et le premier enjeu de la publicité le big data et le ciblage comportemental : chaque clic informe des centres d’intérêt et des choix de l’usager, suivi à la trace. Et les agences de publicité sont parfois sollicitées par les gouvernements les plus démocratiques pour réaliser des « veilles d’opinion » (par exemple, voir l’appel d’offres du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 15 octobre 2008, Cahier des clauses particulières, 57).

 

L’impact publicitaire

Le comportement du consommateur n’est pas toujours, voire pas souvent, rationnel, et ses choix sont déterminés par de multiples facteurs en interaction. C’est pourquoi l’impact commercial immédiat d’une campagne publicitaire n’est pas mesurable. D’ailleurs, la publicité n’est pas faite pour provoquer l’achat immédiat – c’est le rôle de la promotion des ventes. En revanche, sur le long terme, cet impact est manifeste, en particulier lorsqu’il s’agit de faire adopter massivement un nouveau produit, un nouvel usage : cigarette (voir supra), voiture (années 1950), déodorant pour les femmes (années 1960) puis pour les hommes, ainsi que cosmétiques masculins (années 1990), etc. Ou encore lorsqu’il s’agit de construire l’image de la marque jusqu’à atteindre le top of mind (premier nom qui vient à l’esprit lorsque l’on désigne un produit donné). L’impact de la marque a été observé au niveau de l’activité cérébrale, avec les techniques d’imagerie utilisées par le neuromarketing (par exemple, voir Monneau, Lebaron, 2011). Ainsi, lorsque nous évaluons un produit dont la marque, universellement connue, est visible, les zones activées dans notre cerveau ne sont-elles pas les mêmes que lorsque nous évaluons le même produit sans la marque (McClure et al., 2004).

La publicité a aussi un impact sur la santé et, à cet égard, l’encadrement légal ne vise que les produits potentiellement nocifs, non la mise en scène. Or, l’omniprésence de modèles féminins au physique excessivement mince et aux proportions irréalistes est mis en cause (et des mesures réglementaires sont en passe d’être prises) comme facteur de l’augmentation constante des troubles des conduites alimentaires (TCA) chez les jeunes filles (anorexie en particulier). On a notamment établi le fait que l’exposition à ces modèles provoque diminution de l’estime de soi et augmentation de l’insatisfaction corporelle (Shankland, 2013).

C’est que l’impact publicitaire est normatif tout autant que commercial. Les publicitaires considèrent généralement que la publicité ne fait que capter l’air du temps. Mais, à y regarder de près, si elle s’érige en référence normative, ce n’est pas tant parce qu’elle sait inscrire son message dans les normes et valeurs dominantes que parce qu’elle est devenue, du moins dans les sociétés individualistes, la première source de repères normatifs (Camus, Patinel, 2011). Tandis que, dans les sociétés collectivistes, ces repères sont construits par la comparaison sociale à l’intérieur de la communauté d’appartenance.

Cela étant, l’impact normatif et, in fine, idéologique de la publicité, ne justifie pas son assimilation avec la propagande. Car la publicité constitue une forme communicationnelle bien particulière, plutôt antagonique de la propagande, mais qui procède de la manipulation. Il y a manipulation lorsque « la raison qui est donnée pour adhérer au message n’a rien à voir avec le contenu du message lui-même » (Breton, 1997 : 80). Ainsi la séduction, dès lors qu’elle est utilisée comme procédé au service d’autres fins, relève-t-elle d’un procédé manipulatoire. Lorsque l’on manipule, on impose une parole tout en faisant croire à l’interlocuteur qu’il est libre. Le message, « conçu pour tromper, induire en erreur, faire croire ce qui n’est pas », est construit « en fonction uniquement de sa capacité à emporter coûte que coûte l’adhésion de l’auditoire » (ibid. : 24 sq.)

La propagande quant à elle, en tant que forme de communication, a été définie par Serge Moscovici (1961 : 442) comme « modalité d’expression d’un groupe en situation conflictuelle et d’élaboration instrumentale, en vue de l’action, de la représentation qu’il se fait de l’objet du conflit ». Cette définition permet de distinguer sans ambiguïté publicité et propagande. Car si la représentation conflictuelle du champ social est au cœur de la rhétorique propagandiste, le message publicitaire prend appui sur des valeurs consensuelles, voire contribue à la fabrique du consensus sociétal. De plus, la propagande a, entre autres fonctions, celle d’affirmation d’une identité groupale, assise sur la catégorisation « nous/les autres ». Inversement, la cible publicitaire est une masse consensuelle à l’intérieur de laquelle chacun se sent différent des autres. Enfin, la propagande vise l’action collective, tandis que la publicité, on l’a vu, se donne comme référant contractuellement à la sphère privée de la consommation.

En somme, en convoquant de façon récurrente registre éthique et valeurs collectives, la publicité n’est pas politiquement inerte. En effet, insérées dans le contexte privé de la consommation, les valeurs collectives tendent à se vider de tout sens politique. C’est donc une privatisation de l’espace public qu’opère la publicité, en réduisant tout bien commun à une affaire de choix individuel de consommation.


Bibliographie

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Auteur·e·s

Camus Odile

Centre de recherche sur les fonctionnements et dysfonctionnements psychologiques Université de Rouen Normandie

Citer la notice

Camus Odile, « Publicité » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 septembre 2015. Dernière modification le 21 octobre 2022. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/publicite.

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