Relations publiques


 

Relations publiques : la recherche d’une définition

L’expression « relations publiques » est la traduction française de l’expression étasunienne « public relations ». Cette traduction met en avant le fait d’opérer dans l’espace public, tandis qu’une deuxième traduction – « relations publics » – récemment proposée par l’association Syntec Conseil en Relations Publics souligne plutôt la construction de relations avec des « publics » (Libaert, Catellani, 2014). La difficulté de définition de ce domaine professionnel est augmentée par la confusion avec des expressions proches comme communication stratégique, communication des organisations, communication institutionnelle, communication tout court, etc. En France, une version étroite de la définition des relations publiques (dorénavant RP), diffusée suite à l’affirmation de la « communication intégrée » et des « dircoms » durant les années 1980 (Walter, 1995), limite ce domaine aux « relations avec la presse, les visites et les portes ouvertes, les séminaires et les congrès » (Adary et al., 2015 : 49). Cette vision est différente de celle d’origine anglo-saxonne, plus stratégique, résumée par la définition dérivée d’un vote en ligne organisé en 2011/2012 par la Public Relations Society of America : « Un processus de communication stratégique qui construit des relations mutuellement bénéfiques entre les organisations et leurs publics ». Dans ce sens, les RP sont un ensemble de pratiques professionnelles qui visent à influencer d’autres acteurs sociaux pour le compte d’un individu, groupe ou organisation. Elles utilisent des techniques fondées sur l’échange de signes avec les « publics » – comme l’organisation d’événements et les relations avec les journalistes – en excluant les techniques recourant à la diffusion payée de messages (la publicité, les paid media). Ces techniques sont souvent liées au mécanisme du two-step flow (communication à deux temps) et à la tentative de susciter l’appui des « influenceurs », relais d’opinion crédibles pour les « publics ». L’histoire de la réflexion sur les RP est partagée entre une vision critique d’un côté, qui les considère comme des techniques de manipulation et de propagande déguisée (voir, entre autres auteurs, la position de Jürgen Habermas, 1989), et, de l’autre côté, une vision plus positive qui les considère comme potentiellement ouvertes à des formes de création de relations mutuellement bénéfiques. Danielle Maisonneuve (2010) parle par exemple d’« interinfluence » ; James Grunig proposait en 1992 le modèle de la communication « two-way symetric » comme meilleur modèle de RP.

 

Les publics des RP, entre propagande et dialogue

La notion de « public » est centrale dans le domaine des RP, mais difficile à définir de façon univoque. L’histoire des RP a connu différentes étapes, en suivant l’affirmation des médias de masse et de la perception grandissante de l’importance de l’opinion publique pour les pouvoirs économiques et politiques (voir notamment Walter, 1995 ; Catellani, Sauvajol-Rialland, 2015). Dans sa célèbre « declaration of principles », Ivy Lee proposait en 1906 (avant la diffusion de l’expression RP) le principe du respect de l’intérêt du public (au singulier, l’ensemble des citoyens américains) à une information de qualité affichant son origine, en opposition aux pratiques d’influence cachée. Un des pères fondateurs du domaine, Edward L. Bernays, proposait dans ses ouvrages (comme Propaganda, 1928b) une vision des RP comme manipulation scientifique nécessaire dans le contexte d’une société de masse. Dans « Manipulating Public Opinion » (1928a : 971), il écrit : « This is an age of mass production […]. In this age, too, there must be a technique for the mass distribution of ideas ». Cette vision a été évidemment critiquée, même si l’oscillation entre considération du public comme « cible » – massifiée ou « segmentée » – d’une part, et sa prise en compte comme interlocuteur et même partenaire stratégique d’autre part, reste, nous semble-t-il, toujours actuelle. Le « grand récit » d’un passage inévitable de la propagande de masse et de la « gestion » de l’opinion publique (« engineering of consent ») au dialogue avec les publics, favorisé d’ailleurs par l’avènement du Web dit « social », est en partie à relativiser, même si certaines avancées sont réelles (Edwards, in : Tench, Yeomans, 2014).

 

Les origines de la notion de public des RP

Selon Dean Kruckeberg et Marina Vujnovic (2010), les professionnels et les chercheurs dans le domaine des RP ont en particulier tiré la définition de public de l’ouvrage The Public and Its Problems, du philosophe John Dewey. Un public est défini comme « a group of individuals tied together by some common bond of interest – and sharing a sense of togetherness » (Cutlip, Center, 1971 : 128). Un public émerge quand une action ou idée affecte un groupe de personnes : « Each issue or problem creates its own public » (ibid.). Cette notion, présente aussi en sociologie depuis longtemps, a évolué et a été retravaillée dans le cadre de la réflexion stratégique : l’analyse du public devient segmentation des publics pour mieux les cibler, dans un mouvement parallèle à celui du marketing, de la publicité et de la communication politique. La notion de public comme groupe de personnes connectées par un lien d’intérêt ou de préoccupation et qui peuvent donc influencer l’organisation, est souvent distinguée de celle d’audience, ensemble passif vu en tant que simple récepteur d’un signe ou message (Kruckeberg, Vujnovic, 2010 : 118).

La notion de public est aussi distinguée de (et articulée à) celle, très utilisée, de stakeholder (partie prenante), construite à l’origine dans les études en gestion. Selon James Grunig et Fred Repper (1992 : 125-126), on devient parties prenantes quand on est influencé ou influent par rapport au comportement et aux décisions d’une organisation. Les parties prenantes peuvent rester inconscientes de leur connexion à l’organisation (publics latents), prendre conscience qu’elles ont un problème en commun (publics conscients), ou s’activer par rapport à ce problème (publics actifs). Le professionnel des RP pourra ainsi concentrer son action sur les publics plus importants et plus actifs, en pratiquant, selon James Grunig, une forme de communication qui devrait être, quand c’est possible, à deux voies (interactive) et symétrique : l’organisation devrait donc être disponible à changer son comportement en réponse aux demandes du public concerné. Un modèle assez connu de « calcul » des publics importants pour une organisation est la typologie proposée par Ronald Mitchell et al. (1997) dans le domaine de la gestion et appliquée aussi en RP. Les publics sont analysés et classés selon trois axes : le pouvoir d’influencer, la légitimité par rapport aux valeurs et normes partagés, l’urgence de la revendication. Les publics doivent aussi être considérés comme des entités en évolution continuelle, dans le cadre mouvant de la sphère publique médiatisée.

Outre l’analyse des publics stratégiques, l’évaluation des effets des actions des RP est un autre sujet de discussion et de recherche depuis longtemps. Différents chercheurs, comme l’Américain Jim Macnamara (2005), ont cherché à perfectionner des outils de mesure, en distinguant des grandeurs comme le nombre de contacts et messages diffusés (outputs) des effets affectifs, cognitifs et pragmatiques (outcomes). Un autre point controversé est celui des influenceurs et des professionnels des médias qui, pour certains, sont à leur tour des publics, mais pour d’autres, plutôt des relais pour atteindre les publics (L’Etang, 2008 : 105).

 

Les débats récents autour de la notion

Les formes de « calcul » stratégique des publics des RP, toujours utilisées et enseignées, sont aujourd’hui aussi critiquées. La montée des discours sur la responsabilité sociétale des organisations (ou corporate social responsibility en anglais) et de la dimension éthique de la communication influence également la réflexion sur les RP. Timothy Coombs et Sherry Holladay (2013), avec d’autres chercheurs, proposent un modèle où l’organisation, en particulier l’entreprise marchande, n’est plus vue comme le centre du réseau des parties prenantes et des publics, mais comme un acteur parmi d’autres d’un système complexe d’interactions en mouvement. La chef de file de l’approche critique des RP, Jacquie L’Etang (2008 : 103-105), rappelle que le risque est de « créer » des publics qui n’existent pas en dehors de la construction discursive des professionnels des RP, qui n’ont pas conscience de former un groupe, avec un effet semblable à celui des sondages par rapport à l’opinion publique. Tout en n’étant pas la seule, elle rappelle aussi la différence entre un calcul des publics utiles, d’un côté, et une réelle ouverture et coopération avec les parties prenantes de l’autre. « Publics […] do not want merely to be identified, described, researched and communicated to […] ; instead they want to be part of strategic formulation… » (Stroh, in : L’Etang, 2008 : 24). Selon Marina Vujnovic (2004 : 49-50), le modèle de James Grunig semble prévoir une attention particulière seulement pour les publics plus conscients et actifs, donc plus utiles ou dangereux, en posant des questions éthiques par rapport à d’autres groupes moins conscients (des « non-publics ») mais impactés.

Dean Kruckeberg et Marina Vujnovic (2010) critiquent l’attention excessive portée sur la pluralité des publics et rappellent l’importance de garder la notion « du » public (« general public »), « partie prenante » par excellence du point de vue éthique, mais aussi « stratégique ». Dans un monde globalisé et connecté, où le temps et l’espace sont compressés et le privé et le public ont des frontières poreuses, les publics peuvent se former et se mobiliser très rapidement, et le travail pour distinguer les publics latents, conscients et actifs devient moins justifié : « With incendiary immediacy, previously unidentified publics can form globally and can act unpredictably and seemingly chaotically » (ibid. : 124). L’idée qu’une campagne de RP sera efficace si elle cible avec finesse les publics stratégiques semble pour ces auteurs dépassée : « In today’s global milieu, the only truly strategic public that can be identified with any certainty is the general public » (ibid.). Les publics deviennent « volatils » également selon Chiara Valentini et al. (2012). Si ces conclusions sont assez radicales, elles montrent quelques-unes des tensions auxquelles la notion de public des RP est soumise.

 

Cette notion garde donc sa nature complexe. Les discours sur les publics des RP restent en effet pris dans différentes oppositions : celle entre la pluralité et l’unicité de ces publics et celle entre la condition de cible plutôt passive de stratégies, d’un côté, et la condition d’interlocuteurs, de partenaires « coopérateurs » et co-énonciateurs de l’autre.


Bibliographie

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Bernays E. L., 1928b, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie, trad. de l’américain par O. Bonis, Paris, Éd. Zones, 2007.

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Grunig J. E., Repper F. C., 1992, « Strategic management, publics, and issues », pp. 117–157, in: Grunig J. E., dir., Excellence in public relations and communication management, Hillsdale, NJ, Lawrence Erlbaum Associates.

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Auteur·e·s

Catellani Andrea

Pôle de recherche en communication Laboratoire d’analyse des systèmes de communication des organisations Université catholique de Louvain (Belgique)

Citer la notice

Catellani Andrea, « Relations publiques » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 septembre 2015. Dernière modification le 21 octobre 2022. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/relations-publiques.

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