Société civile (lexique)


Cette notice est cosignée par Camille Noûs, Laboratoire Cogitamus.

 

Depuis plusieurs années – et particulièrement en la France, depuis les élections présidentielle et législative de 2017 –, l’expression société civile s’est imposée dans les discours publics commentant le contexte social et politique contemporain. Quand l’expression est employée dans le domaine politique, elle sert le plus souvent à désigner, de manière peu définie, un groupe humain, dont l’identité s’interprète en creux : elle est ce que n’est pas la classe politique (voir Lecolle, s.d.). Cette identité, qui se constitue par une opposition aux hommes et femmes politiques de carrière (ou considérés comme tels) doit à cette notion d’être présentée positivement. C’est cette valorisation qu’on observe dans l’exemple suivant, où société civile, employé (avec militante) comme épithète, apparait en quelque sorte comme un label d’authenticité :

« [Raphaël Glucksmann] L’intellectuel cofonde Place publique, un mouvement politique 100 % société civile et militante, pour peser à gauche et encourager le rassemblement aux européennes ». (Le Parisien, « Européennes : Place publique, le pari citoyen de Raphaël Glucksmann », 29 oct. 2018)

Et plus encore dans cet extrait du Monde, à propos de l’élection législative de 2017, créant pour l’occasion le néologisme adjectival société-civilisé :

« L’Hémicycle, s’est rajeuni, féminisé et “société-civilisé” ». (Le Monde,‎ « Comment les nouveaux députés ont bousculé l’Assemblée nationale », 4 août 2017)

Comme dénomination d’un ensemble d’êtres humains de la scène politique et sociale, société civile peut être comparée par exemple à peuple, mot et notion néanmoins beaucoup plus « chargés » et porteurs de valeurs fortes, politiquement et historiquement (voir Wieviorka (dir.), 2012 ; pour la polysémie de peuple, voir Tamba, 2012) ; elle peut aussi être rapprochée de masse ou encore, inversement en termes de prestige, d’élite(s) (voir Dudouet, 2018). L’expression peut aussi parfois apparaitre comme substitut d’opinion publique, comme dans l’extrait suivant de l’entretien d’un chercheur, dans lequel opinion publique, dans la question, est repris par société civile dans la réponse :

« Comment l’opinion publique iranienne a-t-elle reçu cet accord ?
L’accueil a été très positif. Il faut se rappeler qu’Hassan Rohani a été élu sur sa promesse d’obtenir la levée des sanctions internationales par la négociation. La société civile est donc très satisfaite du résultat ». (entretien de Thierry Coville, à propos des accords sur le nucléaire iranien, Politis, 9 avr. 2015)

Dans ce dernier cas, la société civile correspond à un type de public – un ensemble de destinataires d’un message, qu’on veut gagner, séduire. Mais l’expression dénomme plus généralement un groupe agissant, envisagé dans son identité – identité qu’on est pourtant bien en peine de définir. Ainsi (à la différence du premier exemple), le contexte de l’extrait suivant, issu d’un appel à communication, donne-il à penser que la société civile renvoie au monde associatif :

« […] le “numérique” est omniprésent dans un grand nombre de discours et de pratiques. Mais à quoi ce terme fait-il au juste référence ? Quels types de discours y sont associés ? Quels sont les acteurs sociaux, institutions publiques, entreprises privées et composantes de la société civile qui le reprennent à leur compte en l’incorporant dans leurs activités au quotidien ? ». (Appel à communication – « Numérisation généralisée de la société : acteurs, discours, pratiques et enjeux », Montréal, Université du Québec à Montréal, 4 janvier 2018).

De même que dans cet exemple, où le rôle de la société civile comme acteur politique apparait également :

« Un appel inédit de la société civile pour le climat (en titre).
Pour la première fois, une large coordination internationale de mouvements sociaux, d’ONG écologistes, d’associations d’aide au développement, de syndicats et de groupes religieux s’associent dans un texte commun sur le climat. Objectif : mettre la pression sur les gouvernements à la veille de la COP 21 ». (Médiapart, « Un appel inédit de la société civile pour le climat », 26 juin 2015)

De fait, dans la terminologie des Nations-Unies, société civile renvoie à un ensemble de groupes constitués, par opposition aux décideurs et à l’État – ce qu’on nomme aussi les « corps intermédiaires » : syndicats, associations, organisations non gouvernementales (voir Guay, s.d.).

En définitive, en tant que groupe ou ensemble de groupes avec lesquels la société et le pouvoir politique doivent compter, et quelles que soient son identité, sa délimitation, sa composition, la société civile est un public – mais de manière paradoxale : public différent selon les contextes, il n’en est pas moins valorisé parce que reconnu comme un acteur.

Sans épuiser la notion, mouvante, de société civile ni son histoire, on cherchera ici à donner quelques explications linguistiques de son indétermination fondamentale. Celle-ci tient à plusieurs facteurs qui se conjuguent : l’histoire et l’évolution de l’expression ; sa polysémie, associée à des chevauchements de sens entre lesquels n’apparait pas toujours de différence nette ; le flou intrinsèque de son référent (le groupe désigné).

 

Qu’est-ce que la société civile ?

Sur le plan linguistique, la question se décline selon plusieurs points de vue qu’il convient dans un premier temps de distinguer, pour pouvoir ensuite les associer :

  1. Que veut dire l’expression société civile? Quelle est, ou quelles sont ses significations ?
  2. À quoi correspond, dans un contexte donné, un groupe qu’on pourrait dénommer société civile ?
  3. Qui compose la société civile ? Quels sont les éléments de ce groupe ?

Pour répondre à la première question, il faut s’intéresser aux mots dont l’expression est constituée, et au sens global de celle-ci. Les deux autres questions renvoient au fait que, dans sa valeur la plus usuelle, société civile est un nom collectif – un « nom composé collectif » –, ce qui signifie que l’expression désigne une pluralité – ici d’humains – et qu’elle a deux niveaux de dénotation : celui de l’entité globale qu’est le groupe lui-même et celui de ses éléments (voir Lecolle, 2019).

 

Significations de société civile

Société civile a plusieurs significations, susceptibles de s’additionner et de se mêler. Elles dépendent du sens de société, de celui de civil, et du fait que le nom composé a – ou non – un sens compositionnel, c’est-à-dire résultant – ou non – directement de l’addition du sens de ses composants. Ces questions nécessitent de remonter dans l’histoire des différents mots et de leur association. La première attestation que donne la base de données Frantext (Atilf, 1998) remonte à Michel de Montaigne (1533-1592), en 1592, mais on trouve auparavant la locution latine societas civilis dans un texte du XVe siècle, avec le sens d’instance politique générale.

 

Emploi spécialisé de société civile

Mentionnons tout d’abord un emploi spécifique du nom composé, en droit : à l’entrée « association » du Grand Larousse (dictionnaire encyclopédique, XIXe siècle ; Larousse, 1974), une société civile et une société commerciale sont opposées sur le même terrain, comme entités ayant un statut juridique (issu du code Napoléon, 1804). Dans ce cadre, le nom société est envisagé comme se rapportant à un groupement d’intérêts, et il est à peu près synonyme de compagnie. C’est ainsi qu’en droit rural, dans un dictionnaire du XXe siècle cette fois (le Trésor de la langue Française [TFLi]), on parle de société civile pour un « Groupement agricole d’exploitation en commun » et que, par exemple, gérant (de société) se trouve défini, comme « Personne chargée d’administrer une société civile, en nom collectif, […] ». Dans cet emploi, le nom composé société civile fonctionne en bloc et désigne en définitive un mode de gestion des biens et non pas un ensemble de personnes, comme dans ses autres acceptions.

 

Société civile : mode d’organisation des hommes et lien social

D’autres valeurs de l’expression montrent, cette fois, une alternance sémantique classique entre deux significations liées entre elles (et parfois indissociables) : « mode d’organisation »/« ensemble des personnes relevant de ce mode d’organisation ». Voici un exemple correspondant au « mode d’organisation », tiré du Journal de la Société de 1789, 1790 (sans mention d’auteur – les extraits historiques cités sont tirés de la base de données Frantext) :

« Les principes justes et inestimables qui doivent être profondément gravés dans tous les cœurs, que l’homme naît libre ; que le peuple est la source du pouvoir ; que la société civile est un moyen inventé pour protéger la liberté, la propriété, et la personne de tous les membres de la communauté : que les pouvoirs qui existent ne sont émanés de Dieu qu’autant qu’ils servent au bien public ; que toute atteinte à la liberté naturelle, qui n’est pas nécessairement liée aux fins de la société civile, est une injustice et une oppression ». (pp. 32-33)

La signification « ensemble des personnes » est plus fréquente, et apparait dans l’essentiel des exemples rapportés ici, mais on trouve un mixte des deux acceptions dans cet extrait, chez Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau (1749-1791), figure de la Révolution française, dans les Lettres originales écrites du donjon de Vincennes pendant les années 1777, 78, 79 et 80.

« [À propos des dévots intolérans]. Il est absurde, disent-ils, d’opposer l’intérêt frivole et temporel de la société civile, à celui du salut et de la vie éternelle ». (p. 170)

Ces acceptions, à sens très général, traversent les époques : elles apparaissent dans de nombreux textes, et sont enregistrées dans plusieurs dictionnaires (à partir du début du XVIIe siècle, selon le Dictionnaire Historique de la langue française ; Rey, 1992). Ainsi trouve-t-on dans des textes du XVIIe siècle (en 1627 chez Jean-Louis Guez de Balzac [1597-1654], en 1639 chez Georges de Scudéry [1601-1667]), ou encore dans le Grand Larousse (sous État, sous souveraineté) ou, avec des attestations plus récentes, dans le TLFi, société civile présenté en termes de mode d’organisation des humains entre eux : « Qui concerne l’ensemble des relations habituelles entre citoyens. Société civile, vie civile ». Dans ces cas, société civile équivaut à peu près à société, et civile renvoie (de manière plus ou moins appuyée selon les époques et les contextes) à ce qu’il faut de civilité pour la vie en société – que ce soit envisagé positivement ou non. Le TLFi donne pour exemple cet extrait de Rapports du physique et du moral de l’homme de Pierre Cabanis (1757-1808), philosophe proche des Lumières :

« […], le système des affections dépend presque tout entier des rapports sociaux ; et toute société civile quelconque a toujours pour base, et nécessairement aussi pour régulateur, la société primitive de la famille ». (p. 299)

Enfin, société ou société civile désigne aussi anciennement « les gens (de bonne société) », « la bonne bourgeoisie », comme ici, d’abord chez Louis Guez de Balzac :

« Il ne faut jamais, que la passion emporte le jugement ; il faut que le jugement conduise tousjours la passion. Autrement si laissant celle cy sur sa foy, on la laisse faire à discretion ; quels desordres, quels ravages ne fera-t-elle point dans la société civile, contre les devoirs communs, et contre les bonnes moeurs, contre l’honnesteté, et contre la bien seance ? ». (p. 647)

Puis en 1736 chez Charles-François-Nicolas Le Maître De Claville (1670-1740) :

« L’avare est un riche honteux, qui ne s’occupe qu’à faire sentinelle nuit et jour auprès de sa cassette. Il se cache, et cache son argent, comme le pauvre honteux cache sa misere ; il vit seul ; c’est un homme détaché de la société civile, c’est un criminel isolé : au contraire, le prodigue fait parade de son déreglement, il est entouré de faux amis et de fourbes qui feignent de l’adorer en le méprisant ». (p. 350)

L’expression désigne aussi, inversement, « les citoyens », le peuple (par opposition aux gouvernants), comme encore à notre époque. Cette acception apparait nettement dans l’exemple de presse suivant, qui donne la parole à un membre du Comité Adama (du nom de Adama Traoré, mort lors d’une interpellation par des gendarmes en 2016), qui revendique l’appartenance de ce comité à la société et au peuple, en opposition au pouvoir politique :

« Le comité Adama représente la société civile et ouvre un front face au système ». (Politis, 17 juin 2020)

 

Signification de civil

Parallèlement, civil manifeste différentes valeurs : équivalent à poli, urbain, « civilisé » (voir le dérivé civilité), comme déjà signalé, ou délimitant une catégorie qui l’oppose à rural (comme dans l’opposition droit civil/droit rural mentionnée), à militaire, à religieux et à naturel. Ainsi, chez Thomas Hobbes (1588-1679) au XVIIe siècle, puis chez Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), dans Du contrat social (1762) ; Les Rêveries du promeneur solitaire (1778) ; Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), la « société civile » s’oppose-t-elle à la « société de nature » et à l’« état de nature ». C’est, dans les débats de philosophie politique, l’opposition société civile, société naturelle, société religieuse. Enfin (dans le sens contemporain), civil s’oppose à politique.

Finalement, il apparait que civil dans société civile sert pour l’essentiel à manifester une distinction entre un groupe social et d’autres groupes, plus spécifiques – le monde de la religion, les militaires, la classe politique :

  • Civil vs religieux, dans le TLFi (à concordat, puis laïcité) :
    « Ces deux sociétés, la société religieuse et la société civile, ont en effet les mêmes sujets ».
    « Principe de séparation dans l’État de la société civile et de la société religieuse »
  • Civil vs militaire, dans le TLFi :
    « Loi martiale. Loi autorisant le recours à la force armée dans la société civile en vue de maintenir l’ordre ».
  • Civil vs politique dans le Petit Robert (Rey, Rey-Debove, 1967) notamment, valeur donnée comme « moderne ».

 

Les référents potentiels de société civile

On peut esquisser l’histoire de la notion de société civile, et des référents qui correspondent à l’expression en observant les systèmes de notions politiques ou économiques dans lesquels elle s’insère, et ce à quoi elle s’oppose, selon les époques et les auteurs (philosophes, sociologues, historiens, théoriciens de la politique) : opposition à la nature et à la religion, à l’organisation politique, articulation ou opposition entre société et gouvernement, entre société et État (en particulier dans des périodes et lieux de régimes totalitaires contre lesquels la société civile se dresse) – voir, par exemple, les travaux du politiste Dominique Colas (1992), de l’historien Pierre Rosanvallon (2004) et du sociologue Gautier Pirotte (2007).

Parallèlement, les emplois non théorisés circulant dans les discours publics présentent un panorama plus vague et indéterminé : l’opposition que construit civil et donc société civile confère à cette désignation une souplesse remarquable, et en fait un signe au référent d’emblée flou et général, ou au contraire plus spécifique, adapté au contexte – comme lorsque société civile fait référence, pour les organismes internationaux, aux organisations non gouvernementales. Dans des emplois contemporains encore, lorsque le contexte ne présente pas de précision particulière, la société civile peut renvoyer au même référent que la société et désigner, comme on l’a vu, les gens quels qu’ils soient, les citoyens. On le voit dans cet extrait du discours du président de la République, prononcé devant le Congrès le 3 juillet 2017 – où l’emploi incantatoire du mot n’est d’ailleurs pas dépourvu d’emphase :

« L’État ne travaille pas, ne réforme pas, sans consulter. Et c’est bien normal. Mais les instances de consultation se sont multipliées. Nous ne savons même plus les dénombrer. Elles ont toutes leur justification de représenter une part vibrante de la société civile. Mais c’était le rôle initial du Conseil Économique, Social et Environnemental. En le réformant, nous en ferons l’instance unique de consultation prévue par tous nos textes.

Cela sera un élément d’une plus grande représentativité de notre société civile. Dans le même temps, un élément de simplification de nos procédures, de simplification de la fabrique de la loi ». (Élysée, 2017)

Inversement, la société civile s’oppose, comme entité collective libre et non organisée, aux partis et parfois aux syndicats – ainsi chez le philosophe et sociologue Gilles Lipovetsky (1987) :

« L’individualisme achevé renverse la relation de soumission des individus aux doctrines et aux partis de masse au bénéfice d’actions sociales libres, largement imprévisibles et spontanées, se déclenchant davantage à l’initiative de la « base » ou de la société civile que des partis et des syndicats ». (p. 329)

Elle s’oppose à l’État, au monde militaire, au monde de la religion, et même à l’univers du roman, comme dans cet extrait du Vent Paraclet de Michel Tournier (1924-2016) :

« […] il y a beau temps que le roman a mis en scène des personnages d’homosexuels, et si l’homosexuel n’a pas encore droit de cité dans la société civile, dans la société romanesque c’est chose faite ». (p. 264)

 

Société civile en politique

Le nom composé est très présent dans le contexte politique, mais son emploi ne va pas de soi, et il est parfois mis à distance, par l’ironie ou la modalisation (« la supposée société civile » ; « la société civile, comme on dit »). On le voit déjà en 1996 chez Régis Debray (Loués soient nos seigneurs : une éducation politique, récit d’une désillusion politique) :

« [l’idéal boy-scout à l’aide publique au développement] ; sous les invocations à la « société civile », une pléiade d’autorités administratives indépendantes, de comités de sages, d’organismes spécialisés, de lobbies de toutes sortes, en lieu et place du citoyen ». (p. 591)

et, plus récemment, dans une tribune de membres de l’association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac), critique à l’égard du président français :

« Emmanuel Macron maquille son hostilité aux régulations sociales et politiques et aux institutions intermédiaires par un appel à la société dite civile. C’est une supercherie, car la société civile macronienne est réduite à une caste formée à l’Assemblée nationale par des représentants quasi-exclusifs des classes supérieures et, dans les cabinets ministériels, par les représentants de l’oligarchie financière ». (Politis, tribune Jean-Marie Harribey, Pierre Khalfa et Aurélie Trouvé, 3 mai 2018)

Cette prise de distance a plusieurs raisons. Une raison très générale, tout d’abord : dans le cadre politique où l’expression est employée, toute désignation est, de toute façon, potentiellement polémique ; qui plus est, le fait même qu’elle soit en vogue la rend digne d’intérêt… ou suspecte, comme les deux exemples le montrent.

Ensuite son mode de référenciation : comme élite, peuple, masse, opinion publique cités plus haut, et, bien sûr, public, il s’agit d’un nom collectif et, de même encore qu’avec mouvement ou nébuleuse, aux contours flous, ce mode de désignation fait, en soi, barrière pour l’accès aux membres. De surcroit, on l’a vu, le nom désigne un groupe, mais dont l’identité apparait en creux, par opposition à d’autres groupes. Ces deux faits additionnés expliquent que la composition de ce groupe, en termes quantitatifs et surtout qualitatifs, ne soit pas donnée avec la désignation : qui, en effet, est membre de la société civile ? Simplement – pour l’époque et donc l’acception actuelle – ceux qui ne sont pas des politiques de carrière. Mais qui sont-ils ? Fondée sur la négation, la définition ouvre un champ large, qui peut être rempli par des individus divers, par une catégorie de population ou une autre. De la sorte, société civile correspond, selon les contextes, à des groupes différents, sans que les caractéristiques de ces groupes soient réellement définies ni même parfois définissables, ce qui a pour conséquence potentielle que chacun (ou presque) peut s’y reconnaitre.

Il en découle, pour l’énonciateur qui s’empare de l’expression dans l’espace public, une efficacité rhétorique spécifique, celle qu’il peut tirer de l’indétermination, du flou, du point de vue de ceux qu’il vise et qu’il dénomme et qui, ainsi, se trouvent catégorisés malgré tout, et, corollairement, du point de vue du public auquel il s’adresse. Et c’est bien ce flou qui, sur le terrain politique, rend le mot redoutable et à double tranchant : encensé par les uns comme marquant le renouveau voire la fraicheur, il peut être ressenti par d’autres comme un instrument de manipulation.

 

Une première version de ce texte a paru sur le site de la Selp.


Bibliographie

Colas D., 1992, Le Glaive et le fléau. Généalogie de la société civile et du fanatisme, Paris, B. Grasset.

Dudouet F.-X., 2018, L’Élite et le pouvoir. Contribution à une sociologie des concepts sociologiques, Dossier pour l’habilitation à diriger des recherches en sociologie, École normale supérieure de Paris-Saclay. Accès : https://3370c2e3-411b-48a7-a175-0f34da0144a2.filesusr.com/ugd/f37b8f_89aef1c399bc4dc2aba58ac0d2504320.pdf.

Guay J.-H., dir., s.d., « Société civile », Perspective monde. Accès : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1631. Consulté le 12 déc. 2018.

Lecolle M., 2019, Les Noms collectifs humains en français. Enjeux sémantiques, lexicaux et discursifs, Limoges, Lambert-Lucas.

Lecolle M., s.d., « Société civile », Société d’étude des langages du politique, https://selp.eu/societe-civile/. Consulté le 1er juin 2020.

Pirotte G., 2007, La Notion de société civile, Paris, Éd. La Découverte.

Rosanvallon P., 2004, Le Modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme, de 1789 à nos jours, Paris, Éd. Le Seuil.

Tamba I., 2012, « “Le peuple” : un nom collectif, une notion ambivalente », p. 17-26, in : Wieviorka M., dir., Le Peuple existe-t-il ? Les entretiens d’Auxerre, Auxerre, Sciences Humaines Éd.

Wieviorka M., dir., 2012, Le Peuple existe-t-il ? Les entretiens d’Auxerre, Auxerre, Sciences Humaines Éd.

 

Ressources et dictionnaires

Atilf, Académie Française, 1935, Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition Version informatisée. Accès : https://academie.atilf.fr/8/. Consulté le 22 oct. 2018.

Atilf, 1998, Frantext. Accès : http://www.frantext.fr/. Consulté le 8 avr. 2016.

Atilf, 1994, Le Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi). Accès : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm. Consulté le 8 avr. 2018.

Larousse P., 1974, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle. Gallica. Accès : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205356p.image.f948.langEN. Consulté le 22 oct. 2018.

Rey A., dir., 1992. Dictionnaire Historique de la langue française, 3 tomes, Paris, Dictionnaires le Robert, 2000.

Rey A., Rey-Debove J., dirs, 1967, Le Petit Robert, dictionnaire de la langue française, Paris, Dictionnaire le Robert, 1993.

Auteur·e·s

Lecolle Michelle

Centre de recherche sur les médiations Université de Lorraine

Citer la notice

Lecolle Michelle, « Société civile (lexique) » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 06 juillet 2020. Dernière modification le 21 octobre 2022. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/societe-civile-lexique.

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