Participation électorale


 

Qu’il s’agisse de mobilisation ou de désaffection, la participation électorale (Reynié, 2001) correspond à un large public, voire potentiellement à la capacité d’expression de la population adulte lorsque le suffrage universel est en vigueur. Au carrefour de l’histoire, de la sociologie politique, de la géographie, et des sciences de l’information et de la communication, voire de la psychologie (Muxel, 2008) et de l’anthropologie politiques, dont le « corps électoral » est l’un des objets, plusieurs approches peuvent être proposées ou combinées. Il est ainsi possible d’éclairer un phénomène qui relève surtout, apparemment, de l’immédiateté de l’acte de vote (Ihl, 1996 ; Déloye, Ihl, 2008), mais s’inscrit en fait dans une série de pratiques, si ce n’est de rituels, qui ne sont pas tous électoraux et donnent lieu à de multiples commentaires médiatiques ou savants. On se propose ici, principalement à l’échelle de la France – même si des comparaisons sont possibles (Subileau, Toinet, 1993) –, de mettre en perspective le(s) droit(s) de vote, en tant que condition nécessaire à la participation électorale, de rendre compte des pratiques auxquelles il donne lieu, puis de ce qui est dit des électeurs, votants ou non.

 

Le droit de participer aux élections

Ici, il sera surtout question de suffrage universel (Offerlé, 1993), quand ce ne sera pas du « sacre du citoyen » (Rosanvallon, 1992). Les repères ne sont pas partout les mêmes, et l’on peut remonter à l’Antiquité et aux siècles qui ont précédé les premiers pas du suffrage universel (Christin, 2014).

L’habitude, en particulier en France, est de songer principalement aux formes contemporaines du suffrage, à partir de la Révolution. Après la distinction entre citoyens actifs et passifs, vient la première expérience du suffrage universel masculin en 1792. Le mouvement, pour autant, n’est pas linéaire, puisqu’après des décennies de suffrage restreint (ou d’un corps électoral en grande partie virtuel sous le Consulat et l’Empire), ce n’est qu’en 1848 que le suffrage universel – toujours masculin (Bouglé-Moalic, 2012) – est réintroduit durablement (Huard, 1991), non sans des vicissitudes sous le Second Empire, durant lequel la candidature officielle borne pour une large part l’expression du suffrage. Les lieux du vote ont pu varier (dans la commune ou le chef-lieu de canton) et l’introduction – en France – de l’isoloir et du vote secret est prévue par la loi à compter de 1913.

Se pose également la question des modes de scrutin : toujours en France, c’est le scrutin d’arrondissement qui prévaut, le scrutin de liste ne l’emportant que sous la Deuxième République, en 1871, 1885, 1919 et 1924, puis sous la Quatrième République. C’est à compter de cette dernière, ou plus précisément des scrutins de 1945, que les femmes obtiennent – bien plus tard que dans nombre de pays démocratiques – le droit de participer aux élections et d’être éligibles, ce qui, comme l’on sait, est fort loin d’impliquer une parité de représentation, pendant plusieurs décennies, et même jusqu’à nos jours, malgré de nombreux changements depuis 2000. Ces quelques repères étant rappelés, il convient d’aborder la question, non plus seulement des droits, mais des pratiques.

 

Les pratiques

Si l’on continue à suivre un schéma chronologique, force est de constater que la participation peut fluctuer dans le temps et dans l’espace. D’abord, parce que, sauf là où le vote est obligatoire (Amjahad, De Waele, Hastings, 2011) son exercice repose non seulement sur le consentement, mais sur la mobilisation des électeurs. Or celle-ci a initialement été faible en 1792 (Edelstein, 2014), forte sous la Deuxième République, puis marquée par un niveau non négligeable d’abstentions sous le Second Empire, et par les particularités des différents scrutins à compter de 1871. Sous la Cinquième République, la tendance générale peut sembler, de façon certes très schématique, caractérisée par une montée en puissance de l’abstention jusqu’à nos jours, les élections présidentielles faisant le plus souvent exception, ainsi que, dans une certaine mesure, les scrutins municipaux. Les élections départementales, régionales et européennes (Greffet, 2005) suscitent une mobilisation plus limitée.

Eu égard à ces tendances d’ensemble, et bien évidemment aux résultats des élections et à la formation des majorités, on constate que les aspects concrets de la participation retiennent inégalement l’attention, qu’il s’agisse de l’« ordinaire du politique » (Buton et al., 2016), de facteurs ou de comportements (Mayer, Perrineau, 1992 ; Garrigou, 2002 ; Bréchon, 2006). Certains sont pourtant non négligeables, voire déterminants, comme l’inscription sur les listes électorales, l’intérêt pour la campagne, la participation plus ou moins militante, le soutien financier, la propagande électorale en vue du vote (tracts, affiches, meetings) ou encore les normes de présentation des candidatures.

L’immédiat après-vote, et plus particulièrement le dépouillement, est en général peu commenté, tandis que les images de spectateurs-militants attendant les résultats et exprimant leur satisfaction ou leur déception sont vues comme un fond de décor, éléments parmi d’autres de la soirée électorale. Certes, il y a aussi les sondages, avant et après, dont la place apparaît croissante depuis la seconde moitié du XXe siècle, mais ils doivent être mis en perspective (Blondiaux, 1998) et relèvent aussi, à travers les commentaires qui en sont faits, d’une autre dimension, celle des interprétations.

 

Ce que voter ou ne pas voter veut (ou voudrait) dire

Ce qui est dit de la participation électorale est médiatisé, qu’il s’agisse des interviews des électeurs (mais le vote lui-même est censé être secret), des sondages « sortie des urnes » ou des réflexions sur les résultats du scrutin. À ce sujet, on peut d’ailleurs distinguer entre les commentaires des soirées électorales, les articles de presse ou les études ultérieures de spécialistes, parfois réunies en volume, publiés notamment par les Presses de Sciences Po (Perrineau, 2017). Les réflexions sur la participation électorale constituent traditionnellement un élément mineur du commentaire, celui-ci privilégiant les courants politiques. Néanmoins, les observations sur la participation sont plus étoffées lorsqu’elle a été particulièrement importante (autour du thème de la mobilisation) ou exceptionnellement basse (avec le topos du « record d’abstention »).

En outre, les considérations sur la participation sont souvent liées à des paramètres de géographie électorale, faisant parfois intervenir des considérations sur les « traditions civiques », ou encore de sociologie (avec des observations sur les différents aspects de l’inclusion et de l’exclusion), voire de psychologie sociale, abordant les différentes manifestations – en creux, le plus souvent – du découragement, du désabusement ou du mépris à l’égard de la politique, qui n’est d’ailleurs pas seulement le fait des « exclus ».

On peut également évaluer le rôle de la participation électorale en regard d’attitudes qui, globalement, sont loin d’être marginales, sous le signe de la protestation. Il s’agit tout d’abord du refus de vote. Dans ce cas, l’élection est parfois vue comme « piège à cons », dans le sillage de Mai 68, mais plus généralement en fonction d’une longue tradition libertaire (Précis…, 2007). La participation à un scrutin peut être qualifiée de protestataire, non seulement dans le cas d’un vote blanc ou nul, mais à travers certains votes exprimés, sous des formes et dans des contextes variés. Dans ce dernier cas de figure, il est vrai qu’il n’est pas toujours aisé de faire en toute rigueur une différence, en commentant le point de vue de l’électrice ou de l’électeur, entre protestations – par exemple dites populistes de nos jours – et opposition « classique ».

D’ailleurs, il existe toute une série d’études sur les motivations du choix électoral (Cautrès, Muxel, 2009) qui conduisent à relativiser celui-ci, dès lors qu’il est tenu pour surdéterminé par des appartenances ou des affiliations non seulement politiques, mais sociales et culturelles – encore que la logique du déterminisme soit en quelque sorte concurrencée par les conséquences de l’individualisme, voire de l’impulsion, ou différentes formes de consumérisme politique. On mentionnera aussi l’importance parfois accordée à un vote extra-institutionnel. Néanmoins, les préférences exprimées dans le cadre d’un parti, par exemple à l’approche ou lors d’un congrès, relèvent à certains égards d’une approche institutionnelle, lato sensu. Enfin, le thème de la démocratie participative, à l’échelle du quartier, ou plus largement, peut être associé à un cadre électoral (Sintomer, 2007 ; Blondiaux, 2008). La question du choix peut être remise en cause, à travers des formules renouvelées de l’Antiquité tel le tirage au sort.

La participation électorale est donc à la fois quantifiable et sujette à des évaluations diverses, sinon divergentes. Elle apparaît sous des angles variés, selon que l’approche se situe dans la longue durée de l’histoire et de la géographie électorales d’un pays, ou en fonction de la coloration de chaque scrutin, voire de chaque type de participation. Il existe des répertoires de la participation électorale renvoyant à un éventail de pratiques, ainsi que des injonctions exprimées par des pouvoirs ou des majorités (« bien voter » ou « voter de toute façon ») ou à l’inverse de forces d’opposition (« voter contre », « boycotter »). Il reste que prendre ou ne pas prendre part au(x) vote(s) correspond à des options ou à des déterminations comportant de multiples variantes, au-delà même de la diversité des scrutins.


Bibliographie

Amjahad A., De Waele J.-M., Hastings M., dirs, 2011, Le Vote obligatoire. Débats, enjeux et défis, Paris, Économica.

Blondiaux L., 1998, La Fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des sondages, Paris, Éd. Le Seuil.

Blondiaux L., 2008, Le Nouvel Esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Éd. Le Seuil.

Bouglé-Moalic A.-S., 2012, Le Vote des Françaises. Cent ans de débats 1848-1944, Rennes, Presses universitaires de Rennes.

Bréchon P., 2006, Comportements et attitudes politiques, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.

Buton F. et al., dirs, 2016, L’Ordinaire du politique. Enquêtes sur les rapports profanes au politique, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.

Cautrès B., Muxel A., dirs, 2009, Comment les électeurs font-ils leur choix ? Le Panel électoral français 2007, Paris, Presses de Sciences Po.

Christin O., 2014, Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel, Paris, Éd. Le Seuil.

Déloye Y., Ihl O., 2008, L’Acte de vote, Paris, Presses de Sciences Po.

Edelstein M., 2014, La Révolution française et la naissance de la démocratie électorale, Rennes, Presses universitaires de Rennes.

Garrigou A., 2002, Histoire sociale du suffrage universel en France, 1848-2000, Paris, Éd. Le Seuil.

Greffet F., 2005, « Abstention », pp. 1-6, in : Déloye Y., dir., Dictionnaire des élections européennes, Paris, Économica.

Huard R., 1991, Le Suffrage universel en France, 1848-1946, Paris, Aubier.

Ihl O., 1996, Le Vote, Paris, Montchrestien, 2000.

Mayer N., Perrineau P., 1992, Les Comportements politiques, Paris, A. Colin.

Muxel A., 2008, Toi, moi et la politique. Amour et convictions, Paris, Éd. Le Seuil.

Offerlé M., 1993, Un homme, une voix ? Histoire du suffrage universel, Paris, Gallimard.

Perrineau P., dir., 2017, Le Vote disruptif. Les élections présidentielles et législatives de 2017, Paris, Presses de Science Po.

Précis d’anti-électoralisme élémentaire. 120 motifs de ne pas aller voter. Choix de textes, 2007, Paris, Éd. Les Nuits rouges.

Reynié D., 2001, « Participation électorale », pp. 724-726, in : Perrineau P., Reynié D., dirs, Dictionnaire du vote, Paris, Presses universitaires de France.

Rosanvallon P., 1992, Le Sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard.

Sintomer Y., 2007, Le Pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative, Paris, Éd. La Découverte.

Subileau F., Toinet M.-F., 1993, Les Chemins de l’abstention. Une comparaison franco-américaine, Paris, Éd. La Découverte.

Auteur·e·s

El Gammal Jean

Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire Université de Lorraine

Citer la notice

El Gammal Jean, « Participation électorale » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 04 avril 2018. Dernière modification le 09 janvier 2020. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/participation-electorale.

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