Salle


 

Une salle de spectacle est un espace construit, architecturé, organisé traditionnellement en deux espaces qui se font face, opposant d’un côté les regardants, le public, et de l’autre, les regardés. Elle est le plus souvent sédentaire et urbaine même si elle peut également être éphémère et itinérante comme les chapiteaux de cirque ou les baraques de foire.

Dans une salle, le public est, dans une certaine mesure, immobile et captif, enchaîné même, si l’on se réfère aux spectateurs de la caverne de Platon, premier public d’un spectacle de projection. Elle est aussi un lieu collectif : la salle rassemble, bien que depuis le XXe siècle les représentations de spectacles n’aient plus forcément besoin de la salle. Que l’on évoque un spectacle vivant où les artistes sont sur la scène comme pour le théâtre, l’opéra et la musique ou bien les spectacles de projections avec reproduction sur écran comme pour le cinéma, les salles de spectacle n’ont cessé de changer, suivant les modes esthétiques et les évolutions techniques de leur époque, s’adaptant aux contraintes économiques et aux différentes pratiques des spectateurs.

 

Les salles de théâtre

Les évolutions des salles de spectacles ont concerné en premier lieu le théâtre. Trois grands moments et solutions ont particulièrement marqué son histoire et son esthétique : l’Antiquité, le théâtre élisabéthain et la scène italienne.

Dans l’Antiquité, le théâtron signifie le « lieu d’où l’on regarde », la place du spectateur, c’est-à-dire les gradins disposés de manière circulaire à 240° autour d’une scène centrale où se produisent les acteurs. Le théâtre antique est un spectacle de plein air et la scène est nue. Au Moyen Âge, le théâtre de tréteaux est aussi un spectacle d’extérieur prenant souvent place dans des lieux populaires comme la place du marché. Cette proximité avec les spectateurs apporte une nouveauté : si un espace est bien dévolu au public, de l’autre côté de la place, celui-ci peut aussi se déplacer au milieu des comédiens, brisant ainsi la séparation entre le public et la scène. La construction des premiers théâtres va permettre aux troupes de comédiens professionnels de se constituer et de commencer à utiliser des décors charpentés et une machinerie à laquelle il n’était pas possible d’avoir recours dans le théâtre d’extérieur.

Dans l’Angleterre de la reine Elisabeth, le théâtre se joue dans des salles construites à ciel ouvert, le fameux O de bois où seront représentées les pièces de Shakespeare, à la lumière du jour, propice à l’interaction entre comédiens et spectateurs : les comédiens s’adressent souvent directement au public, celui-ci réagit par ses rires et ses invectives.

Dans l’Europe moderne, le modèle qui triomphe est toutefois celui de la salle à l’italienne, avec son espace fermé d’un toit et sa structure en fer à cheval qui délimite le champ social de haut en bas : les balcons et les loges sont destinés aux spectateurs les plus riches, personnages « en vue » et littéralement offerts à la vision du public, tel un deuxième spectacle, tandis que le peuple se masse, tout en haut de la salle, au paradis. Cette organisation respecte les codes de la société d’Ancien Régime mais elle est critiquée au XIXe siècle, en particulier par Wagner, du fait de sa mauvaise visibilité. Dans le théâtre à l’italienne – l’opéra Garnier à Paris en est un bon exemple –, près d’un tiers des spectateurs voit mal. C’est donc la disposition frontale où le public est assis en face et non plus tout autour de l’espace scénique qui se propage rapidement au XXe siècle. Ce modèle lui-même sera néanmoins remis en question par des auteurs comme Bertolt Brecht voulant briser la distance entre la salle et la scène et redonner au spectateur une part active à la représentation : les salles ont en fait toujours oscillé entre deux conceptions différentes du spectacle et de la place du spectateur dans la salle.

 

Les salles de cinéma

Le cinéma, spectacle nouveau de la fin du XIXe siècle, s’apparente à un divertissement bien connu de l’époque : les spectacles de projections lumineuses et de lanternes magiques. C’est donc naturellement dans les mêmes relais que le Cinématographe va d’abord se diffuser : les forains l’exhibent dans les villes et villages où il devient une nouvelle attraction à succès. Comme le théâtre, le cinéma à ses débuts est itinérant. Quand il est projeté dans une salle fixe, il s’agit d’une salle existante destinée à d’autres spectacles. C’est le cas pour la première projection payante et publique le 28 décembre 1895 dans le Salon indien du Grand Café à Paris où l’on avait sommairement dressé une toile blanche. Le cinéma s’installe pour des séances plus ou moins régulières dans les théâtres, cafés-concerts, salles de music-hall, salles des fêtes, église avant de se sédentariser à partir de la fin des années 1900, conduisant à la naissance d’une profession : l’exploitant de cinéma. Appelées « théâtres cinématographiques », les premières salles fixes de cinéma reprennent l’architecture cloisonnée des théâtres à l’italienne avec ses balcons même si, différence majeure, les sièges sont installés en face de l’écran. Rapidement Paris compte 200 salles de cinéma et se dote du gigantesque Gaumont-Palace pouvant accueillir quelque 5500 spectateurs.

Le théâtre, grand perdant de cette expansion du spectacle d’écran et du cinéma, va tenter de trouver des solutions à travers des dispositifs scéniques complexes : la scène sur ascenseur est expérimentée à New York en 1876, la scène tournante à Munich en 1896 et la scène coulissante en 1900. Rien ne pourra toutefois enrayer l’engouement pour ce nouveau spectacle, qui en sortant des champs de foires et en s’installant en ville dans des salles luxueuses, cherche aussi à gagner en respectabilité. Car le cinéma se déroule à partir des années 1900 dans une relative obscurité qui va encourager ses détracteurs à y voir un loisir amoral. Dans le noir de la salle tout peut arriver, le cinéma a toutefois besoin de l’ombre pour plonger les spectateurs dans sa lumière. Le théâtre qui avait vu ses débuts en plein air et en plein jour avait lui aussi progressivement opté pour une relative obscurité grâce aux chandelles, aux quinquets et au gaz de ville, mais c’est l’électrification progressive qui va permettre de jouer plus facilement sur l’éclairage des salles, la différence de lumière entre la salle et la scène permettant aussi aux spectateurs de mieux pénétrer dans la fiction qui se joue sous leurs yeux.

Devenu en quelques années un loisir de masse, le cinéma connaît tout au long de la première moitié du XXe siècle un succès sans faille, notamment du fait de son faible coût. Comme le théâtre toutefois, il va trouver à partir des années 1950 un concurrent de taille : la télévision. Le cinéma ne se pratique alors plus exclusivement en salle mais aussi dans la sphère privée de son foyer, devant sa télévision. Pour attirer un public qui se raréfie, le cinéma va essayer de proposer un spectacle plus attractif : films à gros budgets, technicolor, cinémascope. Rien n’y fait : une baisse progressive mais importante des entrées s’enregistre des années 1960 jusqu’au début des années 1990. De nombreux établissements sont contraints de fermer, tandis que d’autres voient le jour à partir des années 1980 : les multiplexes, parcs de salles hautement équipées, proposant des prestations techniques de qualité, avec écrans géants, son numérique haute définition, implantés dans des zones commerciales de passage. Ce nouveau concept de salles qui prend rapidement une place importante dans l’exploitation cinématographique ne peut être le fait que de groupes financiers puissants. Pour faire face à cette concurrence, les autres salles se mobilisent et proposent une offre différente : art et essai, cinéma de recherche, plus ou moins tributaires des subventions d’État. Le développement des multiplexes a contribué à faire remonter la fréquentation des salles en attirant notamment un nouveau public. Bien que le cinéma en salle continue d’avoir une belle vitalité, la télévision et, depuis les années 1990-2000, l’internet ainsi que les dispositifs de « cinéma chez soi » (home cinéma, vidéoprojecteur) favorisent de plus en plus les pratiques dans les sphères privées qui ne sont au demeurant pas forcément moins communautaires : les réseaux virtuel et personnel proposent aujourd’hui de nouvelles manières d’être ensemble, en dehors de la salle.

Au XXIe siècle, le spectacle en salle – cinéma, théâtre, opéra ou musique – est un loisir culturel destiné à une frange minime de la société, même si le cinéma – art populaire – reste démocratique : dans une salle de cinéma en France, où toutes les places sont au même prix, les stratifications sociales qui avaient fait les beaux jours du spectacle en salle n’ont plus cours.


Bibliographie

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Creton L., 1994, Economie du cinéma : perspectives stratégiques, A. Colin, 2014.

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Davray-Piekolek R., dir, 1994, Paris grand-écran : splendeur des salles obscures 1895-1945, Paris, Paris musées.

Forest C., 1995, Les Dernières séances : cent ans d’exploitation des salles de cinéma, Paris, CNRS éd.

Hubert M.-C., 1992, Histoire de la scène occidentale de l’Antiquité à nos jours, Paris, A. Colin, 2011.

Leroy D., 1990, Histoire des arts du spectacle en France, Paris, Éd. L’Harmattan.

Auteur·e·s

Renaut Aurore

Centre de recherche sur les médiations Université de Lorraine

Citer la notice

Renaut Aurore, « Salle » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 octobre 2016. Dernière modification le 19 janvier 2023. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/salle.

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