Arnheim (Rudolf)


 

De la théorie du cinéma à la psychologie de l’art en passant par l’étude du public et l’analyse fonctionnelle

La vie et l’œuvre de Rudolf Arnheim (1904-2007) couvrent l’ensemble du XXe siècle et ont été fortement marquées par son déroulement, tant sur le plan biographique, par les circonstances historiques que sur le plan scientifique par les objets, les théories et les méthodes de ses recherches. Né à Berlin en 1904 (Cinémathèque française, s. d.), il y a étudié la philosophie et la psychologie, se consacrant à la Gestaltpsychologie (psychologie de la forme) expérimentale de Max Wertheimer (1880-1943) et Wolfgang Köhler (1887-1967). L’histoire de l’art et l’histoire de la musique étaient ses matières secondaires. En 1928, il a terminé ses études par un doctorat (Experimentell-psychologische Untersuchungen zum Ausdrucksproblem). À cette époque, il avait déjà commencé à écrire des articles pour des quotidiens et des magazines, notamment pour Das Stachelschwein et pour la Weltbühne. Ce dernier est un journal de gauche fondé par Siegfried Jacobsohn (1881-1926), dans lequel R. Arnheim était rédacteur responsable de la partie culturelle depuis 1928, aux côtés de Carl von Ossietzky (1889-1938) – honoré par le prix Nobel de la paix de 1936.

Rudolf Arnheim dans les années 1950. Photographie par John Gay. Source : © National Portrait Gallery (Academic Licence).

Rudolf Arnheim dans les années 1950. Photographie par John Gay. Source : © National Portrait Gallery (Academic Licence).

 

Fasciné par ce média encore jeune qu’est le cinéma, R. Arnheim a commencé dès 1925 à écrire des critiques de films, qui ont ensuite été rassemblées (Arnheim, 1977). Cette fascination a débouché sur le livre Film als Kunst, qu’il a pu publier en 1932, avant d’être contraint de quitter l’Allemagne en tant que juif après la « prise du pouvoir » par les nazis. R. Arnheim réussit à trouver un emploi à l’Institut international du cinéma éducatif (IECI, Educational Cinematographic Institute), créé à Rome en 1928 à l’initiative de la Société des Nations (Wilke, 1991a ; 1991b ; Taillibert, 1999 ; Druick, 2007 ; Arnheim, 2009 ; d’Aloia, 2011). Il y poursuit son travail sur le cinéma, notamment en tant que rédacteur de la revue Intercine. Il a encore pu publier des articles dans la revue Cinéma qui a suivi et, occasionnellement, dans la Neue Zürcher Zeitung. L’IECI a organisé plusieurs enquêtes statistiques sur l’utilisation du cinéma à des fins d’enseignement et de formation. Un projet ambitieux consistait à préparer la première grande encyclopédie internationale du cinéma. R. Arnheim y apporta aussi ses propres contributions, qu’il ne put toutefois publier que plus tard. En effet, les circonstances historiques de l’époque ont finalement empêché la réalisation de l’encyclopédie, car l’Italie s’est retirée de la Société des Nations en décembre 1937 et, sur la base des lois raciales de 1938, les fascistes italiens ont également expulsé les Juifs dits étrangers du pays.

R. Arnheim a réussi à s’installer à Londres, où il a travaillé comme traducteur pour le service allemand de la BBC. En 1940, un visa lui permit d’entrer aux États-Unis, où d’autres scientifiques allemands et autrichiens s’étaient déjà exilés. Grâce à une bourse de la Fondation Rockefeller, il a rejoint l’Office of Radio Research de l’Université Columbia, fondé par Paul F. Lazarsfeld (1901-1976), pour lequel il a effectué des recherches. Il bénéficie ensuite d’une bourse de la Fondation Guggenheim. En 1943, il obtient un poste permanent au Sarah Lawrence College de Bronxville, New York. Il y enseigne pendant plus de deux décennies, la psychologie de l’art (Arnheim, 1973), un domaine qui constitua dès lors l’essentiel de son travail scientifique. Cela s’est traduit par plusieurs ouvrages majeurs et un grand nombre d’articles (Diederichs, s. d.). Ensuite, de 1968 jusqu’à ce qu’il atteigne la limite d’âge, R. Arnheim enseigne la psychologie de l’art à l’université de Harvard, puis il retourne à l’université d’Ann Arbor, Michigan où il continue à donner des cours jusqu’à un âge avancé. R. Arnheim y est mort en 2007.

 

Théorie et esthétique du cinéma

Au XXe siècle, R. Arnheim est l’un des premiers à élaborer une théorie du cinéma scientifiquement fondée et à fournir une compréhension analytique du récent média de masse qu’est le film, apparu en 1895. La base en est la psychologie de la perception (Arnheim, 1976). Dans son livre Film als Kunst (Arnheim, 1932), il déduit les lois d’action du nouveau média de ses propriétés matérielles techniques, argumentant ainsi de manière similaire au célèbre spécialiste canadien de la communication Marshall McLuhan (1911-1980). R. Arnheim faisait une distinction fondamentale entre l’image tridimensionnelle (spatiale) du monde et l’image bidimensionnelle (plane) du film. De la différence entre les deux résulte la possibilité de former et de façonner des images de la réalité dans le film. L’outil essentiel pour cela est la caméra. Ses propriétés offrent des possibilités d’exploitation artistique, comme par exemple la projection de corps sur la surface, la réduction de la profondeur spatiale, la suppression de la continuité spatio-temporelle. La caméra en mouvement, l’accélération du temps, le ralenti, le fondu en ouverture, le fondu en fermeture et le fondu enchaîné ainsi que le montage constituent d’autres moyens de création. Dans un chapitre à part, R. Arnheim s’est aussi penché sur le choix de la matière et les contenus du film, en soulignant notamment la représentation de processus psychiques et en même temps le besoin de schématisation. Dans ce contexte, le public est également entré dans son champ de vision : « Le public s’impose les films qu’il veut. L’industriel travaille sous la dictée des masses : il voit dans les décomptes quels films ont fait un “tabac” et lesquels n’ont pas marché, et il oriente sa production en conséquence. » (Arnheim, 1974 : 193).

Couverture de Film als Kunst par R. Arnheim. Première édition allemande de 1932.

Couverture de Film als Kunst par R. Arnheim. Première édition allemande de 1932.

 

R. Arnheim avait acquis ses connaissances à partir de films muets en noir et blanc. Il manquait donc encore la couleur au film. Il connaissait bien sûr le film parlant apparu en 1926, mais il le rejetait. Certes, le film sonore répondait au goût du public, mais il renonçait aux moyens gestuels spécifiques qu’offrait le film sans parole. C’est donc pour des raisons esthétiques que R. Arnheim a plaidé contre le film parlant, sans pour autant pouvoir arrêter sa marche triomphale. Politiquement plutôt à gauche, il était assez réaliste pour voir les contraintes économiques de la production cinématographique et les limites que cela imposait à l’art dans une société de classes. Mais, des décennies plus tard, il a relativisé sa défense de la pureté des médias. Rétrospectivement, il a été surpris :

« When I look back at the situation in the twenties, I am astonished by my blindfolded way of overlooking the primary rule of gestalt psychology, which calls for the interaction of all components in a hierarchy

[Lorsque je repense à la situation des années 1920, je m’étonne d’avoir ignoré la première règle de la Gestaltpsychologie préconisant l’interaction de toutes les composantes d’une hiérarchie] ». (Arnheim, 1999 : 560 ; traduction du Crem)

Son concept « Composites of Media » semble proche de la notion de « convergence des médias » (Bourdaa, 2018), très répandue aujourd’hui. Publié en 1932, le livre Film als Kunst, œuvre d’un auteur juif, n’a pas pu avoir d’impact en Allemagne. Une nouvelle édition n’y a été publiée qu’en 1974. Dès 1933, une traduction anglaise avait été publiée à Londres (Arnheim, 1933 ; 1937), suivie d’autres en 1957 aux États-Unis et (en partie) en 1969 au Royaume-Uni. Bien que R. Arnheim ait émigré en Italie en 1933 et qu’il ait continué à travailler sur le cinéma à Rome, la traduction italienne (Film come arte) n’a été publiée qu’en 1959. S’en suivirent des traductions en portugais et en russe en 1960, en polonais en 1961 et en espagnol en 1971. L’édition française (Le Cinéma est un art) n’a été publiée qu’en 1989. À noter qu’une traduction japonaise avait déjà été réalisée en 1933. La diffusion internationale de Le Cinéma est un art s’est donc étalée sur plusieurs décennies et a fait de cette œuvre un ouvrage de référence en matière d’analyse cinématographique dans le monde entier.

 

Radio et télévision

Tourné vers le cinéma, R. Arnheim (1928 ; 1944) s’intéressa aussi à la radio, apparue dans les années 1920. Un tapuscrit allemand pour le livre Der Rundfunk sucht seine Form (La Radio cherche sa forme) était déjà disponible en 1933, l’auteur avait même publié certains chapitres en prépublication. Une version en anglais a été publiée à Londres en 1936 ; et une édition italienne (La Radio Cerca la Sua Forma) a été publiée un an plus tard (1937), puis à nouveau en 1960. L’édition allemande s’est faite attendre jusqu’en 1979, et l’édition française (Radio) jusqu’en 2005.

Page de titre de Radio par R. Arnheim, édition anglaise de 1936 et couverture de Radio par R. Arnheim, édition française de 2005.

 

Comme pour le film, R. Arnheim a déduit les lois d’action du média radio de ses propriétés matérielles techniques et de la psychologie de la perception de l’oreille et de l’écoute. L’extension des sons dans le temps et dans le volume est caractéristique. Les éléments primaires de l’effet sont le tempo, le rythme, l’intensité, la dynamique, l’harmonie et le contrepoint. La position de la source sonore dans l’espace, la succession et la juxtaposition des sons sont d’autres moyens de création de la radio. La disparition de la corporalité pourrait apparaître comme un défaut du média, mais c’est ce qui fait sa véritable force de création. R. Arnheim parle dans ce contexte d’un « éloge de la cécité ». Il illustre son argumentation de préférence par la forme de la pièce radiophonique, mais il a aussi intégré d’autres formes d’émission. Dans l’exploitation de tous les moyens créatifs, il envisageait le film sonore. Outre les lois psychologiques de la perception de la radio, R. Arnheim s’est penché sur les conséquences sociologiques du média, qui résultaient de la possibilité de parler à tous les hommes et de s’adresser à d’autres peuples au-delà des frontières nationales. Toujours dans l’esprit de l’optimisme médiatique de ses débuts, R. Arnheim voyait dans la radio la chance d’une ouverture sur le monde, d’une communion et d’une transparence, mais il voyait déjà en 1936 les dangers qui menaçaient cette vision par des États collectivistes et autoritaires.

Il serait surprenant que R. Arnheim n’ait pas déjà remarqué l’essor de la télévision en tant que futur média de masse. Dans les années 1930, celle-ci n’en était toutefois qu’à ses débuts. En 1935, il a tout de même écrit un article sur la télévision dans la livraison de la revue Intercine de l’IECI qui lui était consacré (Arnheim, 1935). D’une part, il considérait encore le nouveau média comme un simple moyen de transport (au même titre que la voiture et l’avion !).

« It is a pure means of transmission and does not contain, like the cinema and the “blind” radio, the elements of an original artistic elaboration of reality.

[C’est un moyen de pur transmission qui ne contient pas, comme le cinéma et la radio « aveugle », les éléments d’une élaboration artistique originale provenant de la réalité.] » (Arnheim, 1935 : 77 ; traduction du Crem).

Néanmoins, ce média

« Modifie nos relations avec la réalité elle-même. Il nous a appris à mieux la connaître et nous permet de ressentir la multiplicité de tout ce qui se passe simultanément, enlevant (pour la première fois dans l’histoire de notre conception du monde) aux événements simultanés le caractère de former une succession qui leur appartenait en raison de la lenteur de nos corps et de la brièveté de nos yeux ». (ibid.)

Selon R. Arnheim, avec l’avènement de la télévision (« With the becoming of television »), « les possibilités documentaires de la radio sont devenues gigantesques » et cela signifie qu’« une nouvelle immense victoire de nos sens sur l’espace et le temps » (ibid.).

Page de titre de la Revue Interciné livraison 7 (2) paru en 1935. Le dossier thématique est « Télévision ».

Page de titre de la Revue Intercine, livraison 7 (2) paru en 1935. Le dossier thématique est « Télévision ».

 

Recherche sur les publics et analyse fonctionnelle

Ce sont les circonstances politiques qui ont chassé R. Arnheim d’Allemagne en 1933, puis d’Italie en 1938. Lorsqu’il fut autorisé à entrer aux États-Unis en 1940, il devint collaborateur de l’Office of Radio Research à New York, fondé par P. F. Lazarsfeld, émigré d’Autriche. Il fit ainsi partie du courant de la recherche empirique en communication initiée par ce dernier et d’autres exilés. Au cours de ses années d’appartenance à l’Office, R. Arnheim a mené deux études, dont l’une en co-écriture, qui sont devenues des classiques de cette science encore jeune à l’époque.

La première a été consacrée à la question de la réception des programmes radio en langue étrangère aux États-Unis (Arnheim et Bayne, 1942). Cette question était intéressante en raison du grand nombre de programmes de ce type et de la forte proportion de citoyens immigrés dans le pays, et ce d’autant plus à une époque de grands conflits internationaux où la cohésion sociale intérieure américaine était importante. Après des études préliminaires approfondies dans tout le pays, 800 heures de programmes ont été sélectionnées en février 1941 dans six langues, à savoir l’allemand, l’italien, le polonais, l’espagnol, le yiddish et le lituanien, et soumises à une vaste analyse de contenu, également quantitative. Outre la proportion d’émissions dans chaque langue, il s’agissait de déterminer le type de programmes (notamment les « participating programs »). On a constaté que le temps d’antenne était principalement consacré à la musique, dont la plupart des morceaux provenaient encore du pays d’origine. C’était aussi le cas pour les informations, les drames radiophoniques, les émissions de discussion, même pour la publicité radio, ainsi que pour les appels nationaux disséminés. Dans l’ensemble, les chercheurs ont constaté que :

« Looking at foreign language broadcasting in this country as a whole, a tendency to maintain the status quo of the listerner’s stage of assimilation or even to drive him back to a setting of life which he left beyond the ocean many years ago appears to be the outstanding feature of most of the foreign language programs examined in this survey. At a time when the solidarity of the people of this country must be considered a matter of vital interest, it seems opportune to examine the question of what should be done about radio programs which, by the present policy, may hamper the further amalgamation of large groups of immigrants.

[Si l’on considère la radiodiffusion en langue étrangère dans ce pays dans son ensemble, la tendance à maintenir le statu quo du stade d’assimilation de l’auditeur ou même à le ramener à un cadre de vie qu’il a quitté au-delà de l’océan il y a de nombreuses années semble être la caractéristique principale de la plupart des programmes en langue étrangère examinés dans le cadre de cette enquête. À une époque où la solidarité entre les peuples de ce pays doit être considérée comme une question d’intérêt vital, il semble opportun d’examiner la question de savoir ce qu’il convient de faire au sujet des programmes radiophoniques qui, en raison de la politique actuelle, risquent d’entraver l’intégration de groupes importants d’immigrants.] » (Arnheim, Bayne, 1941 : 58)

Les constatations faites à l’époque sont encore importantes de nos jours compte tenu de la migration à l’échelon mondial et de l’intégration souhaitable des migrants.

Page de titre de Radio Research 1941 par P. F. Lazarsfeld et F. N. Stanton.

Page de titre de Radio Research 1941 par P. F. Lazarsfeld et F. N. Stanton.

 

Dans une seconde étude, R. Arnheim s’est penché sur les séries de fiction très populaires, également appelées « soap opera », qui étaient diffusées quotidiennement sur les radios américaines, entourées d’inserts publicitaires, et qui s’adressaient de préférence aux auditrices (Arnheim, 1942). La question de recherche était la suivante : quelles images de la vie privée et sociale sont présentées dans ces émissions et comment peut-on expliquer l’attachement des auditrices à ces programmes ? Une analyse de contenu de trois semaines de programmes de 43 séries au printemps 1941 a de nouveau été réalisée et codée selon différents aspects. Les séries se déroulaient principalement dans des villes moyennes et petites, les personnages principaux étaient des femmes au foyer, mais des membres de professions supérieures (juristes, médecins, etc.) apparaissaient également fréquemment. Les figures de proue (« leader ») jouaient un rôle important, soit en raison de leur position professionnelle, soit de leur mérite personnel. Les problèmes présentés étaient en premier lieu de nature privée, la plupart du temps causés par les acteurs eux-mêmes. Au total, trois types de personnages différents ont été identifiés : les « bons », les « mauvais » et les « faibles ». Ceux-ci apparaissaient dans des constellations récurrentes. Alors que les « faibles » et les « bons » se créaient principalement des problèmes à eux-mêmes, les « méchants » en causaient principalement à d’autres personnes. Les « méchants » comptaient deux fois plus d’hommes que de femmes. Il est évident que les séries sont conçues pour créer des possibilités d’identification pour les auditeurs et pour répondre au besoin de conseils dans la vie quotidienne. Herta Herzog (1910-2010 ; 1943) l’a confirmé dans une étude parallèle, dans laquelle elle a mené une enquête auprès des auditrices de séries radiophoniques. Grâce à son étude, R. Arnheim est devenu l’un des promoteurs de l’analyse fonctionnelle et de la « uses an gratifications approach » (voir Blumler, 1974) dans la recherche en communication. Cette approche explique l’utilisation des médias à partir des besoins des récepteurs et a été opposée à l’approche par les effets, qui était axée sur les conséquences de l’utilisation des médias.

 

Se tourner vers la psychologie de l’art

Avec sa nomination au Sarah Lawrence College en 1944, l’œuvre scientifique de R. Arnheim s’est orientée vers la psychologie de l’art pour les décennies suivantes de sa vie. Il revint ainsi en quelque sorte aux prémices de la « Gestaltpsychologie » qu’il avait développée à Berlin. Dans son opus magnum, Art and Visual Perception (Arnheim, 1954), il a analysé de manière systématique et unique les principes fondamentaux de la perception cognitive et visuelle, dans des chapitres individuels sur l’équilibre, la « Gestalt » (figure), la forme, la croissance, l’espace, la lumière, la couleur, le mouvement jusqu’à la dynamique et l’expression. L’ouvrage est paru dans une première version en 1954, mais n’avait manifestement pas satisfait l’auteur au fil des années, si bien qu’il a présenté une version entièrement nouvelle en 1974. Il avait déjà publié en 1969 un autre ouvrage majeur, Visual Thinking, dans lequel il étudiait la perception sensorielle et visuelle comme une forme de pensée. R. Arnheim voulait prouver que non seulement le langage, mais aussi la perception visuelle était une forme de pensée. Il a ainsi systématisé les bases de la communication humaine. Cela s’est fait de préférence en référence à l’art, mais les modes de fonctionnement et les règles identifiées sont valables pour tous les domaines de la connaissance et donc, en principe, également pour les médias de la communication de masse. Cependant, R. Arnheim s’intéressait surtout aux processus cognitifs et psychologiques individuels et non aux processus sociologiques, socio-psychologiques et politiques.

Couverture de Art and Visual Perception. The New Version [Art et perception visuelle. Nouvelle version] par R. Arhneim. Édition anglaise de 1974.

Couverture de Art and Visual Perception. The New Version [Art et perception visuelle. Nouvelle version] par R. Arhneim. Édition anglaise de 1974.

 

Bilan : à la recherche d’une nouvelle culture des médias visuelles  

Au XXe siècle, R. Arnheim incarnait encore le type universaliste du savant. Certes, il avait lui aussi ses racines dans une spécialisation scientifique, mais il l’appliquait à des objets très différents. Parmi ceux-ci, il y avait notamment les nouveaux médias de communication de masse apparus au XXe siècle, à savoir le cinéma, la radio et la télévision. Seule la presse écrite ne l’intéressait pas en tant que chercheur. Toutefois, ses débuts intellectuels ont été marqués par les magazines et les journaux des années 1920. En raison de leurs particularités, ces types de médias se prêtaient toutefois moins à l’application de la « Gestaltpsychologie » à laquelle il se consacrait en tant que scientifique.

R. Arnheim était également universaliste en ce sens qu’il ne se contentait pas de développer et d’appliquer des théories. Une approche empirique, voire quantitative, ne lui était pas non plus étrangère. Sa thèse de doctorat de 1928 comportait déjà des tests et des mesures de la perception. L’Institut du film d’enseignement de la Société des Nations a également mené des enquêtes quantitatives sur le cinéma dans les années 1930. Et avec ses premières études américaines au début des années 1940, il a suivi les traces de l’approche de recherche empirique et quantitative de P. F. Lazarsfeld. Mais c’est dans la recherche fondamentale que R. Arnheim a déployé ses véritables atouts. Toujours dans une perspective universaliste, il traitait tant des phénomènes de la haute culture que de ceux de la culture populaire. Il associait un sens esthétique aigu à une compréhension des phénomènes de goût de masse. Cela ne s’applique pas seulement à ses travaux théoriques sur les médias, mais aussi à ses études artistiques ultérieures, dans lesquelles il prenait comme exemples non seulement des œuvres d’art classiques, mais aussi, par exemple, des dessins d’enfants.

Outre plusieurs ouvrages de référence, R. Arnheim a publié de nombreux essais dont les titres se comptent par centaines (voir l’année 1993 dans Diederichs, s. d.). Ces ouvrages, d’abord rédigés en allemand, puis en anglais, ont été traduits dans plusieurs autres langues entre autres le français, parfois après des décennies, et publiés à plusieurs reprises dans de nouvelles éditions. Cela indique leur actualité permanente ou leur importance dans l’histoire des médias et des sciences. Dans ses essais, R. Arnheim a souvent répété et précisé ses idées. Malheureusement, il n’a pas pu réaliser tout ce qu’il avait prévu, du moins dans ses jeunes années. Ainsi l’Encyclopédie du cinéma (1935) prévue par l’Institut international du film d’enseignement est-elle malheureusement restée à l’état de squelette. Mais les articles qu’il a rédigés à cet effet ont été publiés plus tard dans des recueils. Heureusement, des interviews ont été conservées, dans lesquelles il a donné des informations sur sa vie et son parcours scientifique (Arnheim, Hermann, 1993 ; disponible sur Youtube).

« Zeugen des Jahrhunderts: Rudolf Arnheim (1987) » [Témoins du siècle : Rudolf Arnheim]. Source : matz kap 2 sur YouTube. Accès : https://www.youtube.com/watch?v=b8jXy7-Girg.

Cliquer sur la vidéo pour accéder à la vidéo. Source : « Zeugen des Jahrhunderts: Rudolf Arnheim (1987) » [Témoins du siècle : Rudolf Arnheim] par matz kap 2 sur YouTube. Accès : https://www.youtube.com/watch?v=b8jXy7-Girg.

Traduction de l’allemand : Jacques Walter


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Auteur·e·s

Wilke Jürgen

Institut für Publizistik Johannes Gutenberg-Universität, Mainz (Allemagne)

Citer la notice

Wilke Jürgen, « Arnheim (Rudolf) » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 08 novembre 2023. Dernière modification le 12 août 2024. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/arnheim-rudolf.

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