Captation audiovisuelle du spectacle vivant


 

La captation audiovisuelle du spectacle vivant permet de voir, revoir ou transmettre l’expérience d’un spectacle de manière asynchrone et/ou dans un autre espace que celui de la représentation. Longtemps utilisée à des fins professionnelles et artistiques, la captation s’est progressivement transformée et elle est devenue un contenu culturel à part entière dont la visée n’est plus seulement documentaire, elle est aussi une pratique culturelle. La notion de captation renvoie aujourd’hui à l’enregistrement d’une œuvre de spectacle vivant grâce à un dispositif multi-caméra, au montage des images, au travail de post-production et à une diffusion audiovisuelle en direct et/ou en différé. Exploitée à des fins commerciales, promotionnelles mais aussi archivistiques, elle a vocation à être retransmise sur des chaînes de télévision ayant un positionnement éditorial en faveur de la culture (Arte, France Télévisions), sur des plateformes consacrées au spectacle vivant (Arte Concert, Culturebox) ou spécialisées (Théâtre-Contemporain, Numéridanse, Medici.tv), de VOD (vidéo à la demande permettant de bénéficier provisoirement d’un contenu audiovisuel en contrepartie d’un paiement), projetée au cinéma ou éditée en DVD. Lorsqu’elles sont diffusées en ligne, ces captations sont accessibles sur une période limitée, allant de quelques semaines à plusieurs mois, et sont le plus souvent diffusées en lien avec une actualité culturelle (fin de la tournée d’un spectacle, début d’un festival ayant programmé une œuvre ou un artiste, etc.).

Interface Arte Concert sur YouTube. Source : capture d’écran du 8 mars 2023, Arte Concert, YouTube.

Interface Arte Concert sur YouTube. Source : capture d’écran du 8 mars 2023, Arte Concert, YouTube.

La captation audiovisuelle est partie prenante de l’expérience spectatorielle contemporaine. Son développement repose notamment sur la présence et sur l’activité accrue des institutions culturelles en ligne. Les plateformes consacrées au spectacle vivant voient leur catalogue s’étoffer, et leur programmation s’accorde désormais à l’agenda culturel de festivals très suivis en France (Festival d’Avignon, Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence, Vieilles Charrues, Hellfest, etc.). Si la captation concentre des enjeux en termes de trace et de mémoire d’un spectacle, elle n’exclut cependant pas l’expérience partagée de manière synchronisée. Le direct est une pratique de la captation qui ne remplace pas l’expérience in situ, mais qui contribue à pallier l’éloignement ou l’impossibilité d’assister au spectacle capté, concert, opéra, ballet ou pièce de théâtre. Ainsi l’usage de ces contenus par le grand public renouvelle-t-il le parcours des spectateurs et offre-t-il de surcroît la possibilité de développer l’expertise autour d’une œuvre, d’un artiste ou d’un genre. Enfin, la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19 (mars 2020-août 2022) a augmenté encore le potentiel des captations qui étaient déjà en pleine expansion.

Ici, l’objectif est d’aborder la captation audiovisuelle du spectacle vivant dans le champ des pratiques et des productions culturelles de trois points de vue : d’abord, situer historiquement et technologiquement la démarche d’enregistrement du spectacle vivant ; appréhender ensuite la captation en tant que dispositif médiatique et en tant que production culturelle, voire artistique. Enfin, la captation peut être interrogée du point de vue de son potentiel de médiation, si ce n’est de remédiation (Bolter, Grusin, 1999), de l’expérience spectatorielle auprès de différents publics et dans différentes temporalités.

 

Du son à l’image… De la télévision au web… Les grandes évolutions de la captation

La captation audiovisuelle du spectacle vivant telle qu’elle s’observe depuis le début des années 2010 (période de lancement de différentes plateformes en ligne) est le résultat d’une histoire à la fois culturelle et technologique. En effet, avant d’être audiovisuelle, la modalité d’enregistrement du spectacle vivant a  été sonore, comme en témoignent les fonds d’archives à la Bibliothèque nationale de France. De même, des chercheurs en études théâtrales, ou encore en Sound Studies, se sont intéressés à l’analyse de ces enregistrements et aux protocoles d’étude et d’écoute à mettre en place. On pense notamment à l’article de Marie-Madeleine Mervant-Roux (2013) « Peut-on entendre Sarah Bernhardt ? Le piège des archives audio et le besoin de protocoles » ou encore à la numérisation du vinyle du Cid mis en scène au Théâtre national populaire avec les voix de Gérard Philippe (1922-1959) et Jean Vilar (1912-1971).

La captation a non seulement connu des évolutions en termes de production – en passant du média sonore à l’audiovisuel –, mais aussi en termes d’usages. Initialement, on enregistrait les spectacles afin de constituer un fonds d’archives qui facilite le travail des artistes. Les captations étaient de simples appuis à la création et relevaient des arts de la scène (Bouchez, 2015 ; Pavis, 2018). L’enregistrement du spectacle était souvent réalisé en plan fixe (ou éventuellement avec deux caméras), et le plus souvent ne nécessitait aucune préparation. Ce n’est plus le cas avec les captations contemporaines qui préparent ou orchestrent l’enregistrement, et qui sont désormais destinées à une plus large audience.

C’est dans les années 1990 que la programmation télévisuelle a multiplié les retransmissions de pièces de théâtre, atteignant un public plus nombreux. Figurant désormais dans une grille de programmes de télévision, la captation de spectacles devient ipso facto à part entière une production culturelle qui s’inscrit dans le champ des industries culturelles, et donc dans leur économie. Chaque production mobilise un ensemble d’acteurs de cette industrie, à commencer par les producteurs et les programmateurs de chaînes qui initient les projets. Si cette forme se répand progressivement dans l’espace audiovisuel, il faut cependant reconnaître que tous les spectacles n’ont pas des chances égales d’être filmés, ou que la diffusion des captations connaît des variations non négligeables.

Le début des années 2000 a connu sur l’internet la naissance des plateformes spécialisées. C’est ainsi que Medici.tv, Culturebox et Arte Live Web (aujourd’hui Arte Concert) voient le jour entre 2008 et 2009. De même, la retransmission de spectacles au cinéma se multiplie par l’intermédiaire d’institutions renommées comme les ballets, opéras, théâtres et orchestres nationaux. Un théâtre comme la Comédie-Française a non seulement ses collections de DVD et ses coffrets de collections, mais diffuse aussi certaines de ses pièces au cinéma. Il faut rappeler par ailleurs que le mythique festival de Woodstock qui s’est tenu en août 1969 – ou, ultérieurement, Live Aid en 1985 – a marqué l’origine des captations musicales de concerts en plein air. Depuis, une plateforme comme YouTube témoigne de l’importance des captations en musique et de l’intérêt que les publics leur porte, notamment pour les musiques amplifiées.

La captation audiovisuelle du spectacle vivant contemporaine renvoie à plusieurs dynamiques info-communicationnelles. Elle consiste en un dispositif médiatique qui réunit des acteurs du spectacle et de l’audiovisuel autour de l’enregistrement et de la diffusion d’une œuvre durant une représentation publique. La captation est aussi une production culturelle d’un réalisateur donnant à voir une œuvre mise en scène par un metteur en scène, un chorégraphe ou des musiciens, faisant l’objet d’une diffusion sur un ou plusieurs médias. Enfin, elle peut être appréhendée comme un dispositif de (re)médiation de l’expérience spectatorielle, et dans ces conditions elle induit une fonction mémorielle.

 

Un dispositif technique et médiatique

Comme toute production audiovisuelle, la captation audiovisuelle du spectacle est confiée à un réalisateur, et tout enregistrement de ce type nécessite la mise en place d’un dispositif technique qui lui est propre. La captation est le résultat de la rencontre entre la création d’un artiste (metteur en scène, chorégraphe, compositeur, ensemble ou collectif) et une production audiovisuelle où un réalisateur porte un regard sur ce spectacle. De la même manière qu’un spectateur assis dans la salle décide de regarder un acteur plutôt qu’un autre, un élément de décor plutôt qu’un autre, une restitution audiovisuelle exhaustive, voire objective, n’est pas possible. Pour le dire autrement, l’expérience d’un spectacle, comme sa captation, revient à

« accepter d’ajuster son propre champ visuel aux bords d’un écran rectangulaire [ce qui] ne signifie pas emprisonner totalement son regard. Nous restons libres, devant l’écran, de jeter des coups d’œil où bon nous semble […]. La seule partie non négociable du dispositif optique, c’est le regard construit par la caméra elle-même. L’endroit d’où elle observe la scène et les autres réglages de son œil unique résultent d’un choix appartenant tout entier au réalisateur et à l’équipe responsable de la prise de vue » (Jullier, 2012 : 210).

Le réalisateur va ainsi opérer un ensemble de choix pour restituer et donner à voir le spectacle en question. Patrice Pavis (2018 : 63) rappelle que la captation

« est réalisée pendant une présentation publique avec les moyens techniques de la télévision. Mais le dispositif de la captation a été soigneusement élaboré, il est le fruit d’une réflexion et d’un découpage entre le metteur en scène de la pièce et le réalisateur ».

Toute captation nécessite la coopération de plusieurs corps de métiers, appartenant à la sphère du spectacle et à la sphère audiovisuelle (dans les champs artistiques, techniques et/ou administratifs).

Un dispositif de captation consiste ainsi à installer plusieurs caméras (généralement entre cinq et huit) dans un lieu accueillant une représentation (qu’il soit dédié à cette pratique comme un théâtre, ou qu’il soit un lieu ayant un autre usage comme un monument historique, un champ, etc.) et à réaliser deux enregistrements au cours de deux représentations en public. La répartition des caméras est élaborée de manière à enregistrer plusieurs types de plans, cadrages et images qui seront à la disposition du réalisateur pour le montage. Les caméras sont disposées en fonction des spécificités du lieu, du déroulement du spectacle ainsi que du découpage tel qu’il a été préalablement défini entre le réalisateur du programme et le créateur du spectacle. Un découpage nécessite de surcroît une préparation auprès de collaborateurs artistiques. Le théâtre, la danse, la musique classique, l’opéra ou les musiques actuelles (musiques amplifiées, jazz, musique contemporaine) spécifient chacun les modalités de leur captation. La captation de la musique classique est par exemple préparée à partir des partitions, en faisant des plans plus ou moins longs et rapprochés sur des instruments ou des musiciens. Deux versions d’une captation existent : l’une est montée depuis le car régie si la captation est diffusée en direct ; l’autre est remontée à l’issue des deux représentations avec les rushs des deux tournages.

Le dispositif mis en œuvre pour réaliser une captation de spectacle rend manifeste la collaboration de plusieurs acteurs qui peuvent eux-mêmes être associés à quatre sphères : celle de la production, de la diffusion, la sphère artistique et la sphère technique (Guillou, 2022). L’organisation à l’œuvre dans un dispositif de captation trouve une résonance dans les propos de Philippe Bouquillion, Bernard Miège et Pierre Moeglin (2013 : 16) sur les industries culturelles et créatives. Pour les auteurs de L’Industrialisation des biens symboliques : les industries créatives en regard des industries culturelles,

« les industries culturelles sont des industries, certes, mais […] aussi et surtout des industries spécifiques et […] doivent justement leur spécificité à la coprésence qui est ménagée en permanence entre exigence créatrice et contrainte reproductrice ».

Ensemble, ces quatre sphères forment in fine une organisation pouvant être appréhendée en tant que chaîne de coopération, telle qu’Howard S. Becker (1982) la conceptualise dans Les Mondes de l’art.

 

Une réalisation au confluent d’une production culturelle et d’une œuvre audiovisuelle

Dans son Dictionnaire de la performance et du théâtre contemporain, P. Pavis (2018 : 63) rappelle que la captation était « autrefois limitée à un document d’archivage, utile aux artistes (lors d’une reprise d’un spectacle par exemple) ou aux chercheurs (travaillant sur l’œuvre d’un metteur en scène), la captation avait une ambition modeste et rarement esthétique ». En effet, une « seule caméra témoin enregistrait en continu la représentation théâtrale ; avec deux ou trois caméras, un montage ultérieur alternait le plus souvent plans rapprochés et plans d’ensemble » (ibid.). Depuis la diffusion du spectacle dans les programmes télévisuels, puis sur les plateformes spécialisées en ligne, la restitution de la représentation est appréhendée différemment grâce aux procédés de l’écriture audiovisuelle : « Avec les techniques numériques, l’enregistrement bénéficie d’une plus grande souplesse et précision, ce qui le rapproche d’un tournage pour le cinéma ou pour la télévision » (ibid.). Toutefois, nous noterons que l’utilisation de certains codes du cinéma, par exemple la profondeur de champ, reste récente pare qu’elle est liée à une amélioration des technologies utilisées (Guillou, 2022). De même, le rythme donné à la captation par le montage dépend de l’intention du réalisateur et ne reflète pas nécessairement le rythme de la pièce tel qu’il est vécu dans la salle de spectacle.

Les professionnels de la captation reconnaissent que, pour un réalisateur, la captation d’un spectacle demeure une pratique singulière qui réclame – paradoxalement – à la fois de l’engagement et un effacement du point de vue. La notion de fidélité vis-à-vis de l’œuvre à filmer est un enjeu caractéristique de cette production culturelle, dont on peut dire qu’elle est seconde. La captation doit être une production culturelle (ou un programme pour un média), au service d’une création artistique. Cependant, la captation du spectacle vivant ne se limite pas à cette caractérisation. On peut faire l’hypothèse que la captation peut être aussi appréhendée en tant qu’œuvre audiovisuelle. Les choix de cadrage et de composition de l’image ne sont pas que des choix techniques, mais avant tout des choix artistiques qui soulignent une intention de mise en scène, un élément de scénographie ou une émotion. De même, le travail de montage du réalisateur apporte un certain rythme qui peut le cas échéant contredire ou au moins s’écarter de la temporalité de l’œuvre originale. C’est dans ce sens qu’une captation ne peut pas être considérée comme une restitution neutre ou objective de l’œuvre source. Elle est aussi la vision d’un réalisateur qui fait œuvre audiovisuelle.

La captation se situe ainsi au confluent du programme culturel et de l’œuvre audiovisuelle. Elle concentre des enjeux de fidélité pour la restitution du spectacle, mais aussi d’interprétation pour l’adapter au cadre et aux contraintes de l’image audiovisuelle. Plus généralement, la captation convoque des interrogations quant aux « potentialité de transposition d’une présence théâtrale dans une absence-présence audiovisuelle » (Bouchez, 2007 : 21) à travers la « traduction de l’événement en document » (Robert, 2010 : 36 ; Guillou, 2022). En effet, la captation audiovisuelle du spectacle vivant est adressée à des publics qui sont réunis dans des salles de dimensions variables, ou des zones de plein air ou bien qui se tiennent dans l’espace privé de leur domicile. L’expérience des œuvres va par conséquent varier d’un contexte à un autre (par exemple, regarder une captation chez soi n’est pas la même chose que de la regarder au cinéma où l’individu se retrouve partie prenante d’un public).

 

Exemple de retransmission, en direct ou en rediffusion, d’opéra proposé dans des salles de cinéma grâce au programme « Viva l’opéra ! ». Source : capture d’écran du 8 mars 2023, site du cinéma UGC.

Exemple de retransmission, en direct ou en rediffusion, d’opéra proposé dans des salles de cinéma grâce au programme « Viva l’opéra ! ». Source : capture d’écran du 8 mars 2023, UGC.

 

Une (re)médiation de l’expérience spectatorielle et une mémoire de la performance scénique

Une troisième caractéristique de la captation audiovisuelle relève de sa fonction mémorielle. Elle peut elle-même être appréhendée dans une double dynamique : celle de (re)médiation de l’expérience spectatorielle d’une part, ainsi que celle de la production d’archives de la performance artistique, et de la forme culturelle que constitue une représentation, d’autre part.

La captation de spectacle s’inscrit dans un processus de programmation et donc d’éditorialisation (Treleani, 2014). Lors de sa mise en ligne sur une plateforme, la captation est accompagnée d’un ensemble d’informations sur le spectacle (nom de l’artiste à la mise en scène, chorégraphie ou création, nom de l’auteur, distribution, résumé du spectacle, etc.) qui restent cependant inégales d’un média à l’autre. Une description et une mise en contexte sont apportées au public afin qu’il dispose d’informations, comme un spectateur dans la salle pourrait l’avoir grâce à la feuille de salle ou au programme. De plus, toutes les captations commencent par un générique avec les informations générales relatives au spectacle (celles citées ci-dessus, y compris celles relatives au financement, à la date et au lieu de captation). Le plus souvent, notamment quand elles sont en direct à la télévision, les retransmissions de spectacles s’ouvrent sur une présentation d’un journaliste, et quelquefois par une courte interview du metteur en scène. Ces programmes montrent aussi le public en train de s’installer et le lieu de représentation. Ces éléments participent d’un ancrage et d’une recherche d’immersion pour le spectateur audiovisuel afin qu’il soit dans des conditions se rapprochant, symboliquement, de celles d’un spectateur assis dans la salle. Lors de diffusions en direct, ces modalités d’ancrage permettent également de donner un sentiment de synchronisation avec les spectateurs in situ. Elles sont particulièrement utilisées dans le cas de captations réalisées en festivals, dans l’optique de renforcer la dimension événementielle. Il en va de même des applaudissements qui accompagnent le générique de fin.

S’agissant de la notion de remédiation (empruntée à Jay David Bolter et Richard Grusin dans Remediation. Understarding new media, 1999), celle-ci trouve une certaine résonnance dans la démarche de captation audiovisuelle. En effet, la captation de spectacle relève in fine de la « traduction de l’événement en document » (Robert, 2010 : 36), le cas échéant un document audiovisuel. La captation se présente de fait comme un « médium à travers un autre médium » (Treleani, 2014 : 36) : la performance théâtrale, musicale ou chorégraphique y devient une production filmique. Outre le passage d’un médium à un autre, il y a une forme d’effacement du réalisateur au profit de l’intention du metteur en scène. Cet effacement rappelle notamment l’idée de transparence et de recherche d’immédiateté visant à faire oublier au spectateur la présence du médium, une stratégie caractéristique de la remédiation (Bolter, Grusin, 1999 ; Guillou, 2022). En ce sens, on retrouve aussi une résonnance entre la captation et le concept de remédiation à travers l’importance de l’immersion.

La captation audiovisuelle du spectacle vivant relève d’une démarche « intentionnelle de constituer et préserver une mémoire » (Bachimont, 2000 : 9). Les professionnels de la captation soulignent que l’objectif de ces productions est non seulement de proposer un contenu culturel, mais aussi un programme patrimonial. En ce sens, elles peuvent de surcroît être appréhendées du point de vue de l’archive. Le rôle de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) est ici capital. Ces enregistrements constituent des ressources fondamentales pour la transmission du patrimoine. La captation des spectacles, désormais accessible, est utilisée dans des contextes variés, personnels, professionnels et pédagogiques. Dans ces conditions, la captation a non seulement vocation à rendre accessibles la découverte et l’expérience de spectacles, par exemple dans des projets d’Éducation artistique et culturelle (EAC), mais aussi à entretenir ce qui relève de la mémoire individuelle et collective des artistes et des publics. Les captations ne sont pas seulement un espace de découverte, mais aussi de redécouverte, de partage et de transmission culturelle grâce aux outils et réseaux numériques (Malinas, 2014). Elles peuvent par exemple être relayées sur les réseaux sociaux, faire l’objet de rediffusion à la télévision, en ligne et d’édition en DVD.

En définitive, rappelons que la captation permet en premier lieu aux équipes artistiques de disposer d’archives lors d’une reprise de spectacle ou d’un travail sur le répertoire (Bouchez, 2015). En second lieu, la captation peut être utilisée dans une démarche de formation professionnelle étant donné la médiation qu’elle opère entre les époques et les générations. Au sein de la communauté artistique, la captation joue son rôle de trace mémorielle. Mais cette fonction d’archive de la captation est décisive également pour les historiens qui s’appuient sur des contenus artistiques captés pour mener leur recherche, que celle-ci soit esthétique ou non. La captation symbolise cette fonction de trace, d’archive « rendant compte du mieux possible point par point de la sémiose théâtrale sous ses diverses modalités : jeux d’acteurs, scénographie, dramaturgie » (ibid. : 135). Tous ces usages de la captation montrent ainsi les potentialités mémorielles et patrimoniales qu’elle réunit.

 

Conclusion

La captation audiovisuelle du spectacle vivant n’a pas vocation à se substituer à l’expérience dans la salle. En revanche, cette production peut être appréhendée comme une pratique culturelle qui complète la pratique spectatorielle. Plus généralement, la notion de captation de spectacle renvoie à la fois au dispositif d’enregistrement et à la production audiovisuelle. Elle devient une « œuvre audiovisuelle » dès lors qu’est reconnu le rôle conféré au réalisateur. La captation d’un spectacle résulte de la rencontre entre la création d’un artiste (metteur en scène, chorégraphe, compositeur, ensemble ou collectif) et une production audiovisuelle où un réalisateur, dont le point de vue sur le spectacle l’engage et détermine un certain nombre de choix lors de la restitution de l’œuvre première à l’écran. Notons toutefois qu’à travers les caractéristiques propres au dispositif technique, il existe aussi une forme typique de « fabrication » de la captation du spectacle selon la forme artistique (de la même manière qu’il existe une manière de filmer propres aux événements sportifs retransmis à la télévision).

Par ailleurs, compte tenu de son coût et du besoin de subvention qu’elle nécessite, la captation audiovisuelle concerne une part encore trop faible de spectacles. La diversité des esthétiques scéniques contemporaines n’est pas nécessairement représentée et la captation gagnerait en ce sens à être soutenue et développée.

Enfin, du point de vue de l’expérience spectatorielle, un ensemble d’éléments sont mobilisés dans une perspective de médiation à travers l’éditorialisation (apport d’informations et de connaissances) et de remédiation dans une perspective d’immersion des publics. Les captations de spectacles concentrent aussi des fonctions mémorielles et archivistiques qui permettent aux publics de découvrir et transmettre l’expérience d’œuvres dans une autre temporalité, voire à une autre époque.


Bibliographie

Bachimont B., 2000, « L’archive numérique : entre authenticité et interprétabilité », Archives, 32 (1), pp. 3-15.

Becker H. S., 1982, Les Mondes de l’art, traduit de l’anglais (États-Unis) par J. Bouniort, Paris, Flammarion, 2010.

Bolter J.-D., Grusin R., 1999, Remediation. Understanding New Media, Cambridge, The MIT Press.

Bouchez P., 2007, Filmer l’éphémère : récrire le théâtre (et Mesguich) en images et en sons, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.

Bouchez P., 2015, « Traces audiovisuelles du théâtre et pertinence des dispositifs d’enregistrement », Les Cahiers du numérique, 11 (3), pp. 115-150. Accès : https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-du-numerique-2015-3-page-115.htm?contenu=article.

Bouquillion P., Miège B., Moeglin P., 2013, L’Industrialisation des biens symboliques : les industries créatives en regard des industries culturelles, Fontaine, Presses universitaires de Grenoble.

Guillou L., 2022, « Réinventer la captation du théâtre. Des transformations au service de la (re)médiation de l’expérience théâtrale ? », Interfaces numériques, 11 (1). Accès : https://doi.org/10.25965/interfaces-numeriques.4790.

Jullier L., 2012, Analyser un film. De l’émotion à l’interprétation, Paris, Flammarion.

Malinas D., dir., 2014, « Démocratisation culturelle et numérique », Culture et Musées, 24. Accès : https://doi.org/10.4000/culturemusees.584.

Mervant-Roux M., 2013, « Peut-on entendre Sarah Bernhardt ? Le piège des archives audio et le besoin de protocoles », Sociétés & Représentation, 35 (1), pp. 165-182. Accès : https://doi.org/10.3917/sr.035.0165.

Pavis P, 2018, Dictionnaire de la performance et du théâtre contemporain, Paris, A. Colin.

Treleani M., 2014, Mémoires audiovisuelles. Les archives en ligne ont-elles un sens ?, Montréal, Presses de l’université de Montréal.

Auteur·e·s

Guillou Lauriane

Dispositif d’information et de communication à l’ère numérique Institut national supérieur de l'éducation artistique et culturelle Conservatoire national des arts et métiers

Citer la notice

Guillou Lauriane, « Captation audiovisuelle du spectacle vivant » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 08 mars 2023. Dernière modification le 10 mars 2023. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/captation-audiovisuelle-du-spectacle-vivant.

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