Citoyen


 

Devenir citoyen, est-ce accéder à des droits ou faire preuve de civisme ? Le Trésor de la langue française distingue ainsi deux acceptions, selon que l’accent est mis sur les droits ou les devoirs. Cependant, la question renvoie moins à une alternative qu’à une tension constitutive de l’usage du terme, qui désigne certes un statut juridique variable selon le lieu et la période, mais suppose aussi – peu ou prou – un rôle social dont les contours sont diversement appréciés.

 

Membre de la cité

Dans son sens le plus courant, citoyen signifie « membre de la cité », plus précisément membre d’un groupe qui, au sein d’une organisation politique donnée, a le droit de participer aux affaires publiques. À cet égard, il s’oppose au « sujet », exclu de la décision qui s’applique à lui. En effet, l’existence d’un corps de citoyens implique un partage de la souveraineté, même s’il peut être restreint. Par exemple, la démocratie athénienne en réserve l’accès aux hommes, libres, majeurs et d’ascendance athénienne, écartant les femmes, les esclaves, les enfants et les métèques (Mossé, 1993).

Les critères d’accès à la citoyenneté constituent ainsi un enjeu majeur, qui renvoie à des conceptions politiques divergentes. En témoigne l’histoire politique française : au moment de la Révolution, la citoyenneté est le plus souvent considérée comme une fonction qui incombe aux pères de famille (Verjus, 1997) dont la richesse foncière garantit l’intelligence de l’intérêt général. Sous la monarchie de Juillet, elle est largement comprise comme une compétence ou « capacité » dont seuls les plus éduqués sont dotés, avant de s’imposer, à partir de 1848, comme un droit ouvert à tous les Français adultes et, tardivement (1944), à toutes les Françaises adultes (Rosanvallon, 1992 ; Manin, 1995). La mise à l’agenda, depuis quelques années – sans succès –, du vote des étrangers, montre d’ailleurs que la question se renouvelle sans cesse (Oriol, Vianna, 2007).

Par ailleurs, la citoyenneté revêt d’autres aspects que la seule dimension politique. Sous la Révolution, on a pu distinguer les citoyens passifs (dotés de droits civils) des citoyens actifs (dotés de droits civils et politiques), tandis que l’émergence de l’État social à la fin du XIXe siècle concrétise l’existence de droits sociaux, qui donnent une épaisseur supplémentaire au statut de citoyen. Il serait pourtant réducteur d’imaginer que la citoyenneté s’est enrichie progressivement des droits civils aux droits sociaux en passant par les droits politiques (Marshall, 1950). En effet, les bénéficiaires de ces différents droits ne sont pas forcément les mêmes ; ce qui peut conduire à des citoyennetés à deux voire trois vitesses, notamment lorsque les droits sociaux sont découplés des droits politiques (Castel, 2008 ; Rosental, 2011).

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1793. Source : Paris Musées/Musée Carnavalet – Histoire de Paris (CC0 1.0).

 

Parangon de civisme

Bénéficiaire de droits, le citoyen est aussi défini par un certain nombre de devoirs. Certains sont légaux : ne pas les respecter est passible de sanctions, qui peuvent aller jusqu’à la déchéance des droits qui leur sont associés. D’autres se situent en deçà ou au-delà de la légalité : ils dépendent de normes sociales plus ou moins dominantes, qui conduisent à décrire tel ou tel individu pourtant titulaire de ses droits civiques comme un « bon » ou un « mauvais » citoyen, si ce n’est comme un citoyen « indigne de l’être ». Dans cette dernière acception, être citoyen implique de remplir ses obligations civiques, même lorsqu’elles ne sont pas imposées par la loi, comme la participation aux différentes élections en France. Plus généralement, c’est aussi adopter un comportement qui tient compte du bien commun, parfois au détriment de ses propres intérêts.

Dans cette perspective, la délimitation des qualités citoyennes est encore plus fluctuante que celle qui préside à la détermination des critères juridiques d’accès à la citoyenneté. En France, elle doit beaucoup au volontarisme des élites républicaines, qui, dès le XIXe siècle, ont mis l’accent sur l’éducation à la citoyenneté, à travers la tenue de conférences populaires, la publication de catéchismes républicains ou la mise en place à l’école primaire de l’instruction civique et morale (Agulhon, 1970 ; Garrigou, 1992). Les contours du « bon citoyen » ont ainsi peu à peu émergé, entre le souci du collectif (la famille, le village, l’association, la patrie) et l’émancipation individuelle, symbolisée par l’isoloir. Ils portent en germe leur lot de tensions, comme le montrent aujourd’hui encore les ambivalences de l’enseignement moral et civique, qui met l’accent sur l’importance du devoir électoral, mais contribue en même temps à dépolitiser les questions de société (Bozec, 2010).

On le voit, le rôle assigné au citoyen dans la société n’est pas complètement superposable à sa définition juridique. Il tend en général à la déborder en exigeant des citoyens des comportements qui ne font pas partie des critères retenus par la loi. Dans certains cas, il peut aussi entrer en contradiction avec elle, lorsque des individus que la loi ne reconnaît pas comme citoyens se montrent particulièrement dignes de l’être. Quoi qu’il en soit, le terme est aujourd’hui survalorisé. D’un côté, il sert à exprimer la reprise en main de leur destin par les populations, par opposition à un gouvernement représentatif confisqué par ses élites. Les initiatives qui se réclament plus ou moins explicitement de la démocratie participative l’apprécient tout particulièrement pour désigner leurs organisations (Mouvement des citoyens, Nous Citoyens, Parlement & citoyens, etc.) ou les instances qu’elles mettent en place (conseils citoyens, forums citoyens, etc.). Dans ces derniers exemples, citoyen est utilisé comme adjectif relationnel – c’est-à-dire qu’il équivaut au complément de nom « des citoyens » –, et souligne la qualité démocratique des réalités qu’il caractérise : celles-ci sont pour ainsi dire rendues au peuple qui les anime. De l’autre, il est exploité au point de perdre sa substance, tantôt instrumentalisé par les acteurs politiques enclins à valoriser comme « citoyennes » la plupart de leurs activités (Sintomer, 2007), tantôt repris comme un label par des entreprises qui, elles aussi, aspirent à devenir « citoyennes », sans qu’on sache toujours très bien ce que recouvre cet adjectif – ici qualificatif et non plus relationnel – emprunté au monde civique lorsqu’il est ainsi accolé à une réalité du monde marchand (Boltanski, Thévenot, 1991).


Bibliographie

Agulhon M., 1970, La République au village. Les populations du Var, de la Révolution à la Seconde République, Paris, Plon.

Boltanski L., Thévenot L., 1991, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard.

Bozec G., 2010, Les Héritiers de la République. Éduquer à la citoyenneté à l’école dans la France d’aujourd’hui, thèse en science politique, Paris, Institut d’études politiques de Paris.

Castel R., 2008, « La citoyenneté sociale menacée », Cités. Photographie, politique, histoire, 35, pp. 133-141. Accès : https://doi.org/10.3917/cite.035.0133.

CNRTL, s. d., « Citoyen », Trésor de la langue française. Accès : http://www.cnrtl.fr/definition/citoyen.

Garrigou A., 1992, Le Vote et la Vertu. Comment les Français sont devenus électeurs, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

Manin B., 1995, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy/Fondation Saint-Simon.

Marshall T. H., 1950, « Citizenship and social class », pp. 1-52, in : Marshall T. H., Bottomore T., Citizenship and social class, Londres, Pluto Press, 1992.

Mossé C., 1993, Le Citoyen dans la Grèce antique, Paris, Nathan.

Oriol P., Vianna P., dirs, 2007, « Le droit de vote des étrangers », Migrations Société, 114.

Rosanvallon P., 1992, Le Sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard.

Rosental P.-A., 2011, « Migrations, souveraineté, droits sociaux. Protéger et expulser les étrangers en Europe du XIXe siècle à nos jours », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 66 (2), pp. 335-373. Accès : https://shs.cairn.info/revue-annales-2011-2-page-335?lang=fr.

Sintomer Y., 2007, Le Pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative, Paris, Éd. La Découverte.

Verjus A., 1997, Les Femmes, épouses et mères de citoyens. Ou de la famille comme catégorie politique dans la construction de la citoyenneté (1789-1848), thèse en sciences politiques, Paris, École des hautes études en sciences sociales. Accès : https://theses.hal.science/halshs-00003786v2.

Auteur·e·s

Gaboriaux Chloé

Triangle Sciences Po Lyon

Citer la notice

Gaboriaux Chloé, « Citoyen » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 septembre 2015. Dernière modification le 22 janvier 2025. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/citoyen.

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