École de Francfort


De la destruction autoritaire de l’espace public à ses reconstructions démocratiques critiques

 

Le terme « École de Francfort » sert à décrire un ensemble d’auteurs, d’études et d’écrits issus d’un groupe rassemblé autour d’un institut de recherche indépendant, l’Institut für Sozialforschung (IfS), fondé en 1923 dans la ville de Francfort en Allemagne et rattaché à l’Université Goethe. Au sein – et autour – de cet institut, à partir des travaux de ses différents chercheurs, a pris forme, dès la fin des années 1920, un programme épistémologique original, situé à l’entrecroisement de la philosophie et des sciences sociales, qui a pris le nom de « théorie critique », laquelle s’est progressivement développée à l’échelle internationale pour devenir un courant intellectuel majeur du XXe siècle.

L’Institut de recherche sociale (Institut für Sozialforschung, IfS) de l’Université Goethe à Francfort. Source : Frank C. Müller, wikimedia (CC BY-SA 4.0).

 

C’est pour distinguer trois tendances majeures des sciences sociales en Allemagne dans l’après-guerre que fut adopté le terme d’« école » associé à une ville (Demirovic, 1999). On parlait ainsi d’une « École de Cologne » (« Kölner Schule ») pour désigner un ensemble de travaux d’obédience empirique, dont la figure marquante était René König (1906-1992). De même, il était question d’une « École de Leipzig », équipée de son « anthropologie philosophique », dont les travaux se sont déployés dès les années 1920. Ses principaux représentants étaient Arnold Gehlen (1904-1976), Helmuth Plessner (1892-1985) et Helmuth Schelzky (1912-1984). À cela s’ajoutait ainsi l’« École de Francfort », dont l’appellation fut donc adoptée dans l’après-guerre pour qualifier ce courant de pensée en sociologie et en philosophie, distinct des deux autres écoles ancrées dans ces deux autres villes allemandes. L’École de Francfort fut littéralement propulsée sur la scène publique à partir du milieu des années 1960, sous l’impulsion des mouvements sociaux et politiques portés par une nouvelle génération étudiante née dans l’après-guerre.

C’est ainsi que le terme d’école fut associé à ce courant de pensée, et à une ville, Francfort. Ce qui ne va pas de soi, car ce courant eu très vite à fuir le pays : c’est pour bonne part une « pensée de l’exil » (Abensour, 1933) dont l’élaboration s’est faite hors d’Allemagne. C’est pourtant bien à Francfort que ce courant naît, grâce à la mise sur pied de l’IfS, financé par un mécène, Félix Weil (1898-1975), ayant fait des études de philosophie et côtoyé les figures clés de ce courant de pensée. L’Institut commence ses travaux, sous la direction de l’historien marxiste autrichien Carl Grünberg (1861-1940), consacrés principalement aux transformations du monde du travail et au mouvement ouvrier.

Assurée à partir de 1928 pour des raisons de santé par l’économiste marxiste Friedrich Pollock (1894-1970), sa succession se fera dès 1930 par le philosophe et sociologue Max Horkheimer (1895-1973). Ce dernier prolonge les préoccupations initiales de recherche de l’Institut tout en élargissant à d’autres thématiques et en reformulant en profondeur leur cadre épistémologique. Le marxisme initial de l’IfS s’ouvre alors à la psychanalyse et à l’étude de la culture. Le projet intellectuel de M. Horkheimer consiste à développer un style de philosophie sociale ancré dans la recherche sociale, à l’articulation de la science et de la philosophie, dans le prolongement de l’hégélianisme, du marxisme et de la psychanalyse. Ce courant se définit sous sa plume, dès le milieu des années 1930, sous le terme de « théorie critique » (Horkheimer, 1937). Elle se définit comme une épistémologie dialectique et matérialiste aspirant à conjuguer les savoirs des principales disciplines des sciences humaines, dans le but de développer une théorie de la société apte à saisir la « totalité sociale ».

Que l’on recoure au terme d’École de Francfort, d’IfS ou de théorie critique, on a affaire, non pas à un auteur ou à une discipline, mais à une série d’auteurs et à une pluralité de disciplines, rassemblées autour d’une pratique de recherche commune à portée interdisciplinaire (Jay, 1933 ; Wiggershaus, 1986). Ces auteurs sont concernés, d’une certaine manière, à partir de leurs ancrages disciplinaires distincts. La colonne vertébrale de ce projet est une réarticulation de la recherche sociale et de la philosophie en conjuguant une série de disciplines telles que la sociologie, la psychologie sociale, la psychanalyse, la critique de la culture et la théorie esthétique, la sociologie de la littérature, de la musique, du cinéma, la théorie politique (État), l’économie politique et le droit.

Quant aux auteurs ayant participé à ce projet, on peut citer notamment Theodor W. Adorno (1903-1969), Walter Benjamin (1892-1940), Erich Fromm (1900-1980), Jürgen Habermas, M. Horkheimer, Siegfried Kracauer (1889-1966), Leo Löwenthal (1900-1993), Herbert Marcuse (1898-1979), Franz L. Neumann (1900-1954), Oskar Negt (1934-2024), Friedrich Pollock (1894-1970). À ces auteurs de la « première génération » s’ajoutent ceux et celles nés dans l’après-guerre tels qu’Axel Honneth (1949), auquel s’ajoute tout le courant de la théorie féministe américaine, allant d’Angela Davis (1944) à Nancy Fraser (1947), en passant par Susan Buck-Morss (1942), Iris Marion Young (1949-2006) ou encore Seyla Benhabib (1950). Entre ces auteurs, la collaboration a été parfois intensive et prolongée sur toute une vie, comme celle entre M. Horkheimer et T. W. Adorno, parfois de courte durée comme celle entre E. Fromm et M. Horkheimer, avec, dans d’autres cas, des oscillations en fonction de phases ou de périodes.

Outre les collaborations, plusieurs « disputes » théoriques, ouvertes ou latentes, entre ses membres ou avec d’autres courants de pensée, ont animé les échanges. Certaines sont restées célèbres tant elles ont marqué l’histoire intellectuelle au XXe siècle – comme, par exemple, la « querelle allemande des sciences sociales » opposant T. W. Adorno à Karl Popper (1902-1994). L’image la plus adéquate pour décrire cet ensemble de chercheurs serait peut-être celle d’une « constellation », dont les combinaisons se déplacent selon les situations, tout en gardant des liens en relation les uns avec les autres, au sein d’une galaxie étoilée de mille autres pensées. Vu sous cet angle, le terme d’école est assez malvenu pour décrire cette constellation d’auteurs et de pensées.

M. Horkheimer et T. W. Adorno à Heidelberg en avril 1964. Source : Jeremy J. Shapiro, wikimedia (CC BY-SA 3.0).

 

Quant à la question du public – ou des publics – à proprement parler, il faut en réalité attendre l’après-guerre, avec la théorie de l’espace public de J. Habermas (1962), pour trouver dans ce courant de pensée une élaboration théorique qui s’y réfère de manière systématique. Cependant, s’ils n’évoquent pas méthodiquement le terme de public ou d’espace public, les travaux initiaux de ce courant intellectuel consacrés aux mutations de la culture et des médias, à la technologie et la démocratie, mais aussi à la famille et à l’individu, renvoient, d’une manière ou d’une autre, à l’idée de mutation du public et des publics – voire à une vraie théorie du public, comme la présente notice s’efforce de le démontrer. Cette « théorie » ne se livre cependant pas d’emblée, il convient de la reconstruire avec soin. Pour ce faire, toute l’« écologie intellectuelle » du programme de recherche de la théorie critique et un grand nombre de recherches menées au sein de ce courant de pensée doivent être envisagées en s’efforçant de les articuler de manière cohérente. Car la question des publics et de l’espace public se trouve au cœur de toutes ces mutations. En outre, chaque auteur de ce courant apporte un éclairage spécifique sur ces transformations, à partir de son domaine d’étude et sa discipline au sein de ce programme interdisciplinaire.

À ces difficultés liées à la reconstruction d’une théorie des publics dans l’École de Francfort s’en ajoute une autre, portant sur le caractère mouvementé des écrits et des constructions théoriques de ce courant. Ce sont les bouleversements sociaux et politiques propres à la situation historique, au cœur de la séquence la plus tragique du XXe siècle, des années 1920 aux années 1970, que ses penseurs ont eu à affronter, souvent dans leur chair, et qu’ils se sont efforcés de penser. Sans doute plus que tout autre courant intellectuel au XXe siècle, ces auteurs se sont appliqués à penser ces bouleversements et d’en produire une théorie capable d’être le mode d’autoréflexion critique de la société de son temps. C’est donc en lien direct avec ces mutations de l’époque, avec leurs fractures et leurs convulsions, que leurs efforts de théorisation de la théorie critique se sont déployés.

En conséquence, on ne s’étonnera guère que de profondes transformations conceptuelles et théoriques s’opèrent en l’espace de quelques années – avant et après 1933, avant et après 1939, avant et après 1945 – au sein de ce corpus théorique riche et complexe, ancré dans son temps. Sous cet angle, la théorie critique apparaît d’abord comme la théorie de son époque. Et ces bouleversements affectent la question du public et des publics, tant elle est liée à celles de la société dans son ensemble, de la démocratie, à l’évolution des médias et de la technologie, aux mutations de l’individuation et de la socialisation. Autant de questions bousculées durant la période couverte par les écrits des chercheurs francfortois.

 

Épistémologie

Le courant de pensée de la théorie critique se développe, d’abord, autour du constat selon lequel la crise sociale, politique et économique de la période s’accompagne d’une crise intellectuelle, dont l’expression est l’absence de théorie apte à comprendre adéquatement les enjeux de l’époque. Cette période est décrite par S. Kracauer comme celle d’une société peuplée d’individus « sans abri idéologique », sans orientation, ayant perdu les idéaux susceptibles de les animer. La classe moyenne – et parmi elle le groupe des employés – incarne à merveille cette perte de sens et cette désorientation (Kracauer, 1930).

La philosophie et les sciences sociales sont traversées par cette crise, selon M. Horkheimer, qui voit s’affirmer d’un côté des disciplines empiriques rivées à l’observation méticuleuse du réel et à la récolte de données et de l’autre, une philosophie coupée du réel et hostile à la démarche scientifique. Soit elle aspire à élaborer sa propre méthode en marge de toute démarche scientifique, à l’instar de la phénoménologie, représentée par Edmund Husserl (1859-1938) et Martin Heidegger (1889-1976), soit elle se contente d’observer le travail des sciences empiriques en cherchant à en être leur conscience réflexive à travers une philosophie des sciences sociales comme le fait l’École de Marburg, incarnée par Hermann Cohen (1842-1918). À l’extrême inverse, tout un courant de la philosophie entend aligner cette dernière sur la science en se contentant de lui appliquer la démarche scientifique, comme cadre de pensée en lutte contre la « métaphysique » (cf. le positivisme logique du cercle de Vienne ou la sociologie empirique autrichienne). Quant au marxisme, seul courant à parvenir à articuler dialectiquement empirie et théorie et à prendre en compte la structure matérielle des rapports sociaux, il se perd dans des schémas de pensée éloignés d’une compréhension de la réalité sociale et incapables de rendre compte des individus et de la culture. Il rencontre ainsi bien des difficultés à saisir les enjeux de la formation du caractère – ou de la psyché – et du devenir de l’individu, au-delà de ses considérations sur les formations sociales et les rapports de classes (Horkheimer, 1932a).

D’autant plus que le matérialisme historique hérite, quoi qu’il en dise, de la conception de l’histoire issue des Lumières, dans la lignée d’Immanuel Kant (1724-1804) puis de Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831). L’histoire renvoie à la sortie de l’obscurantisme, au progrès, à la connaissance, la liberté et finalement le déploiement de la « raison dans l’histoire » (Hegel, 1822) et plus généralement de l’émancipation humaine. Ces présupposés conceptuels et ces idéaux se heurtent cependant à la violence de la réalité à laquelle chaque jour ajoute son surplus de pire en ce début des années 1930. Loin de voir se réaliser effectivement la raison dans les pratiques sociales et politiques de l’époque, en supplantant les traditions et les obscurantismes, c’est à la montée de l’irrationalisme et de la violence que l’on assiste. Selon la conception matérialiste de l’histoire, les contradictions objectives des sociétés capitalistes sont censées éclater en conflictualité sociale dont le déploiement politique est vu comme porteur d’une forme supérieure de coopération sociale, en vertu de l’action historique d’un sujet conscient du processus libérateur. Mais c’est surtout à l’inhibition de la conflictualité et à l’acceptation du monde « tel qu’il est » que l’on assiste avant tout (Horkheimer, 1932a). Le projet socialiste appelé à prolonger sur le plan matériel les idéaux émancipateurs des Lumières visant à l’établissement d’une société « gouvernée par la raison » (Horkheimer, 1937) semble se fracasser sur une réalité sociale et politique obstruée par des forces hostiles à ces principes et recourant à toutes formes de violence pour en empêcher la réalisation.

Comment comprendre cet effritement de la raison et ce déclin du projet émancipateur de la modernité ? Comment envisager un cadre de compréhension critique de ces évolutions, au plus près des réalités sociales sans renoncer à une théorie d’ensemble pouvant saisir les tendances de la société et de l’histoire à l’œuvre dans le présent ? Ce sont là quelques-unes des interrogations clés à partir desquelles se développent les réflexions et les recherches qui marquent les premiers développements de la théorie critique francfortoise. Ces interrogations partent du constat d’une déconnexion de la philosophie face aux enjeux du temps présent et d’un enfermement des sciences empiriques dans une observation bornée aux faits particuliers. Il en résulte une absence dramatique de théorisation de la société présente. M. Horkheimer développe l’idée d’un besoin de théorie sociale capable de comprendre la société contemporaine et ses principaux défis. Cette recherche oriente finalement les activités de l’IfS dans un effort de convergence entre les différentes forces et activités :

« Les recherches doivent être entreprises dans les domaines les plus divers et aux niveaux d’abstraction les plus variés, avec l’intention commune de faire progresser la théorie de la société actuelle dans son ensemble. Ce principe unificateur selon lequel les études particulières sont menées avec la plus stricte rigueur empirique en vue d’un problème théorique central, distingue la recherche sociale que l’IfS entend développer de la simple description des faits, comme de la construction théorique étrangère à tout empirisme. Elle aspire à une connaissance du développement de la société dans son ensemble, en présupposant qu’une structure de forces agissantes accessible au concept peut être reconnue sous la surface chaotique des événements » (Horkheimer, 1932b : 1).

Les grandes lignes de ce programme sont explicitées dans le discours d’investiture de M. Horkheimer à la direction de l’IfS en janvier 1931, consacré à l’actualité de la philosophie sociale et aux tâches d’un institut de recherche sociale (Horkheimer, 1931 : 65-102).

Une partie de la réponse au problème épistémologique identifié à son époque réside, selon M. Horkheimer, dans la reprise d’une question, posée au siècle précédent par G. W. F. Hegel, à propos de l’articulation entre science et philosophie, entre histoire empirique et philosophie de l’histoire, entre étude des faits et étude des idées. Le fossé qui s’est installé entre la science et la philosophie durant la seconde partie du XIXe siècle a conduit la philosophie à se couper du réel et à se perdre dans la « contemplation du ciel étoilé » sans questionner le « mortier » sur lequel repose la société au sein duquel cette connaissance se développe et qui fait « tenir le tout » (Horkheimer, 1934 : 81). Ce type de philosophie a des effets dévastateurs sur la pratique scientifique qui s’obstine à étudier les faits pour eux-mêmes sans se soucier de leur articulation entre eux et de leurs rapports aux idées et aux principes contrefactuels.

Pour M. Horkheimer, la solution réside non pas dans le maintien de l’opposition rigide entre sciences et philosophie – pratiquée par le positivisme, l’idéalisme et la phénoménologie –, mais par l’articulation des deux et la constitution d’une science de la société à visée théorique, mais soumise à l’étude minutieuse des faits. Au constat d’une incapacité de la philosophie de l’époque à répondre à ces questions de manière adéquate et d’un enfermement empirique de la sociologie, M. Horkheimer oppose une dialectique de la recherche empirique et de la philosophie sociale. Le programme de recherche matérialiste et empirique qu’il envisage avec ses collègues suppose un rapport étroit entre la philosophie sociale et la recherche sociale. M. Horkheimer insistait ainsi sur l’idée d’un développement dialectique continu de la théorie philosophique et de la pratique scientifique individuelle. À ses yeux, il s’agissait bien de trouver un moyen de « poursuivre au moyen des méthodes scientifiques les plus fines, les grandes questions philosophiques […] [et] de transformer les questions en fonction de l’objet tout au cours du travail, de trouver de nouvelles méthodes sans pour autant perdre de vue le tout. De cette façon, on ne répond pas par oui ou par non aux questions philosophiques, mais elles sont elles-mêmes intégrées dialectiquement au processus de la science empirique, ce qui veut dire que leur réponse réside dans le progrès de la connaissance objective, qui influence leur forme même » (Horkheimer, 1978 : 75-76).

Telle qu’elle est envisagée par la théorie critique, la recherche sociale doit se faire de manière dialectique avec la philosophie. Cette dernière encadre la recherche sociale dans la définition de ses problèmes ainsi que dans la construction du cadre synthétique de ses résultats (Horkheimer, 1932). La réflexion philosophique envisagée de cette manière prend ainsi pour socle l’enquête sociale et, à l’inverse, l’enquête sociale est pensée en relation étroite avec la philosophie sociale, dans ses démarches et dans l’interprétation de ses résultats. Grâce à cette collaboration entre démarche scientifique et réflexion philosophique, les procédures de connaissance et les ancrages pratiques à partir desquels cette approche opère sont explicités. La théorie critique a donc pour but de mener une forme d’autoréflexion de la démarche scientifique et d’auto-explicitation des éléments normatifs impliqués dans sa démarche – en raison de l’ancrage social et pratique de toute connaissance. Aussi doit-elle « dire à quoi elle doit servir » et vers quelles fins elle doit tendre – à la différence de la « théorie traditionnelle » (positivisme) dont les intérêts pratiques à l’aune desquels elle travaille sont masqués. Les intérêts pratiques d’une connaissance qui s’assume comme la partie consciente de l’activité sociale ne peuvent servir les intérêts d’un système de domination et de contrôle de la nature et des humains : elle ne saurait servir autre chose que les intérêts à la « suppression de l’injustice » et à l’élaboration d’une société « gouvernée par la raison » (Horkheimer, 1937).

Ce principe critique d’autoréflexion motive un autre principe clé de la théorie critique francfortoise, à savoir l’élaboration d’un cadre synthétique articulant les phénomènes sociaux et des réalités factuelles entre elles dans une « perspective de la totalité ». Car ce qui prédomine dans le mode de pensée au sein de la société capitaliste et bourgeoise, c’est la séparation des réalités, la fragmentation des processus sociaux et la balkanisation des savoirs à leur propos. Lorsqu’ils sont coupés des médiations signifiantes et des tissus de relation dans lesquels ils sont pris, les faits et phénomènes sociaux apparaissent comme des « choses inertes », des faits réifiés, des entités pétrifiées sans signification (Voirol, 2011). Le concept de réification résume ce processus à la fois social, matériel et épistémique (Lukács, 1923). C’est en réinscrivant les faits de la réalité sociale dans un tissu de médiations, et en retissant leurs liens à partir de la « totalité sociale » que le sens des phénomènes réapparaît dans leur dimension sociale et historique (Lukács, 1923 ; Voirol, 2008). Seule une approche qui dé-réifie les phénomènes pour les réinscrire au sein des processus sociaux – oblitérés – qui les configurent, en pensant les faits au-delà des faits – et en adoptant la perspective médiatrice de la totalité sociale – peut mener à bien ce projet épistémologique.

Une des difficultés liées à ce projet de déréification des faits sociaux réside dans le processus de fragmentation produit par une spécialisation disciplinaire sans cesse accrue : chaque discipline scientifique examine le monde social par domaines de savoir, sans faire l’effort de relier ces connaissances entre elles. Ceci engendre une perte d’intelligibilité du tout de la société, voire une dissolution de la société, et une perte de sens de son devenir. Selon M. Horkheimer, une perspective théorique sur la société dans son ensemble peut être adoptée en s’efforçant d’associer les disciplines scientifiques entre elles dans un cadre interdisciplinaire – aspirant à produire une théorie de la société dans son ensemble. Loin de remettre en cause la raison d’être des disciplines scientifiques dans leur spécialisation et leur autonomie, il s’agit selon M. Horkheimer de trouver un moyen d’articuler entre eux leurs différents travaux de recherche :

« Aujourd’hui, il s’agit […] d’organiser sur la base du questionnement philosophique actuel des investigations auxquelles se joignent des philosophes, des sociologues, des économistes, des historiens, des psychologues dans une durable communauté de travail, afin de faire ensemble ce qu’en d’autres domaines on peut faire seul en laboratoire, de faire ce que tous les chercheurs authentiques ont déjà fait, plus précisément de poursuivre au moyen des méthodes scientifiques les plus récentes les grandes questions philosophiques qui sont leurs, de préciser et de transformer les questions en fonction de l’objet tout au cours du travail, de trouver de nouvelles méthodes sans pour autant perdre de vue le tout » (Horkheimer, 1978 : 75)

Eu égard aux enjeux du moment, les domaines de savoir devant être articulés les uns aux autres sont l’étude de l’économie (économie politique), l’étude des phénomènes culturels et des productions de l’esprit (sociologie de la littérature et de la musique) et l’analyse du sujet individuel attentive à ses processus psychiques de constitution individuelle (psychologie sociale et psychanalyse). Les disciplines scientifiques amenées à contribuer à ce projet dans le cadre du programme de recherche interdisciplinaire de l’IfS sont, en conséquence, l’économie politique, la critique de la culture et la psychologie sociale (Gangl, 1986 ; Bonss, Schindler, 1982 ; Voirol, 2011).

La finalité de ce « matérialisme interdisciplinaire » envisagé par M. Horkheimer et ses collègues est de saisir les réalités sociales des sociétés à travers les mécanismes qui les travaillent en vue de dresser un tableau d’ensemble de ces dernières, sous forme de diagnostic critique de leur devenir (Voirol, 2012, 2014). Un tel « diagnostic » du présent doit parvenir à dégager ce qui, dans une situation sociale et historique, participe au déploiement de la raison, de l’émancipation ou ce qui, au contraire, renforce la domination, l’aliénation, l’irraison, la misère et l’injustice. Une telle analyse ne peut se passer des savoirs positifs et des méthodes de recherche des sciences de l’époque, en particulier des sciences sociales et de la psychologie. La recherche sociologique et socio-psychologique devient ainsi un élément clé de la construction d’un cadre d’interprétation de la réalité présente, en articulant différents savoirs à des fins de compréhension de la société dans sa « totalité ».

Il va sans dire qu’une telle entreprise n’a pas qu’une visée descriptive et compréhensive et qu’elle est éminemment critique. Elle vise un type de critique dont le projet n’est pas tant de dévoiler les structures oblitérantes du présent et de défaire les aliénations cognitives, que d’actualiser et de renforcer des potentialités inhérentes à des pratiques émancipatrices effectives grâce à des connaissances permettant d’en examiner les obstacles et d’en pointer les insuffisances. Ainsi, la praxis créatrice incarnée dans l’agir des hommes et des femmes, se traduisant notamment dans leurs capacités collectives de production et d’organisation, nécessite bien souvent une explicitation par l’exercice de la réflexion théorique pour gagner en effectivité dans le réel. Les visées de la théorie consistent à contribuer sur le plan épistémique au processus pratique de lutte contre l’injustice et la misère du présent, en se faisant l’expression intellectuelle de cette dynamique en vue de l’établissement d’une société gouvernée par la raison (Horkheimer, 1937).

Couverture de Traditionelle und kritische Theorie. Fünf Aufsätze par Max Horkheimer,  1970.

 

On le voit, bien qu’elle ne soit pas construite explicitement sous la forme méthodique d’une théorie de l’espace public, la première théorie critique francfortoise aborde la question du public sous de multiples aspects dès la fin des années 1920 (Kracauer, 1930 ; Benjamin, 1938 ; Horkheimer, 1934). Ainsi, elle s’avère indissociable d’une préoccupation portant sur les prises sociales et politiques sur les processus socioéconomiques et sur les formes sociales d’organisation de ces derniers, mais aussi sur leur décomposition face à la montée de l’autoritarisme (Pollock, 1929, 1932, 1933 ; Marcuse, 1934).

Dans le domaine de la culture, la question du public est indissociable de la manière dont les membres du public sont constitués en tant que sujets individués aptes à percevoir et à agir ensemble (Fromm, 1932). Elle dépend de la possibilité que se constituent des processus publics relativement autonomes des pressions économiques et de la domination marchande omniprésente dans les sociétés capitalistes. Et elle dépend de la manière dont les publics se voient confrontés à la possibilité de se constituer sans être soumis d’emblée aux pressions du pouvoir d’État et de ses instruments d’influence politique. Aussi la question des publics dans la théorie critique est-elle indissociable des transformations de la culture, de la communication, des médias, de l’art, de la subjectivité, de la famille, du capitalisme et de l’État dans les sociétés modernes capitalistes et elle ne saurait être comprise adéquatement sans être réinscrite à l’entrecroisement de cet ensemble de questions.

Il est vrai cependant que, dans la première théorie critique, l’attention aux possibilités d’existences de publics est presque illisible en tant que telle, tellement elle est entremêlée dans les différentes approches et disciplines animant le matérialisme interdisciplinaire. C’est pourquoi la présente notice s’attache à reconstruire la question du public dans la théorie critique, à l’entrecroisement des axes épistémologiques de ses recherches, en tentant de dégager les principes de cette posture critique originale et – à bien des égards – unique au XXe siècle.

À partir de ces principes épistémologiques de la théorie critique et de ce mode d’approche des publics, on peut tenter de découper l’histoire riche et complexe de ce courant de pensée en trois périodes distinctes, marquées tout d’abord par la décomposition du capitalisme libéral et la montée de l’autoritarisme, par l’effondrement de la société dans la barbarie et le totalitarisme nazi, ensuite, et enfin par les tentatives de penser la reconstruction de publics critiques articulés à un espace public démocratique non-assujetti au pouvoir de l’État et à l’emprise du capitalisme.

 

Le tournant autoritaire : dialectique du libéralisme

La première période de la théorie critique francfortoise au début des années 1930 est marquée par le constat d’un net recul démocratique au profit de la montée de l’autoritarisme qui casse les quelques avancées de la décennie précédente et rompt avec la logique des expériences politiques révolutionnaires. C’est surtout sur la bourgeoisie que M. Horkheimer dirige son attention, cette classe héritière des idéaux de l’Aufklärung. C’est au nom des idéaux de liberté, d’égalité, de justice, de culture et de raison qu’elle a combattu l’aristocratie et renversé les structures féodales du pouvoir, en revendiquant l’exercice du pouvoir politique grâce à la puissance phénoménale qu’elle avait acquis dans le domaine économique.

 

Les contradictions de l’émancipation bourgeoise

Ainsi, la bourgeoisie s’est-elle d’abord construite comme une classe révolutionnaire aspirant à renverser la structure de pouvoir de l’Ancien Régime et à installer dans la réalité un mode d’organisation sociale reposant sur une forme de vie et des valeurs ancrées dans l’activité industrielle et le développement des technologies et de la science (Horkheimer, 1930). Cependant, entre la sphère idéale des valeurs porteuse des principes de liberté, d’égalité et d’universalisme et les réalités matérielles d’un mode de vie découlant d’un rapport au monde fondé sur le travail et l’industrie, les contradictions sont légion.

M. Horkheimer les observe d’un regard affûté dans Dämmerung, ouvrage publié à Zurich en 1934 durant son exil en Suisse, qui offre un magnifique croquis de ces contradictions et des incohérences propres à la forme de vie dans la société bourgeoise. Il souligne, par exemple, que les bourgeois apparaissent comme des êtres très avisés et comme de grands intellectuels lorsqu’il est question de jeu de bridge, mais comme des êtres d’une cécité déconcertante lorsqu’il s’agit de penser aux questions sociales. Le profane, souligne-t-il, admire avec étonnement les « qualités de classe » qui s’expriment chez les grands bourgeois engagés dans une partie de bridge, le « sérieux, l’assurance, la liberté, la supériorité technique, la rapidité de la décision », mais aussi « ce mécanisme fonctionnant à merveille, par lequel les mêmes humains, intelligents, formés et sûrs, font preuve de la plus lamentable stupidité dès que la conversation aborde des questions socialement importantes » (Horkheimer, 1934 : 29).

On retrouve cette inconséquence dans le fossé entre les principes moraux et humanistes, sur lesquels la bourgeoisie s’est appuyée pour assurer son émancipation face à la noblesse, et sa promptitude à renoncer à ces principes dès qu’elle n’en a plus un intérêt immédiat. En témoigne, par exemple, le devenir du droit d’asile qui préoccupe fortement les Francfortois pour des raisons existentielles : « Tôt ou tard, le droit d’asile pour les réfugiés politiques sera pratiquement supprimé. Il ne s’adapte pas au présent. Lorsque l’idéologie bourgeoise prenait encore au sérieux la liberté et l’égalité, et que l’épanouissement sans entraves de tous les individus semblait encore le but de la politique, le réfugié politique pouvait aussi passer pour intouchable » (ibid. : 107).

À ses yeux, on retrouve ce type de contradictions matérielles également dans l’activité politique de la bourgeoisie. M. Horkheimer se penche ainsi sur l’histoire du mouvement bourgeois d’émancipation afin de comprendre quelles politiques ont été menées dans les situations révolutionnaires ayant vu la bourgeoisie prendre le pouvoir et l’exercer effectivement. Les grandes figures des insurrections bourgeoises dans une période qui va du XIIIe au XIXe siècle (Cola di Rienzo [c. 1313-1354], Jérôme Savonarole [1452-1498], Martin Luther [1483-1546], Jean Calvin [1509-1564], Maximilien Robespierre [1758-1794]), étaient liées à des mouvements portés par les idéaux de liberté et d’égalité de la bourgeoisie qui cherchaient à les rendre effectifs dans l’histoire. Les révolutionnaires bourgeois agissent dans tous ces cas au nom de la justice, de l’égalité et de l’émancipation universelle – au nom de toutes et tous. Ces figures de la bourgeoisie accèdent ainsi au pouvoir avec l’appui des masses et au nom de l’intérêt de ces dernières, hissant bien haut la promesse de réduire l’injustice et de répondre à la misère. Cependant, une fois au pouvoir, la politique menée par ces acteurs suit de près les intérêts étroits de l’élite bourgeoise en se souciant peu de satisfaire les aspirations des « masses » à la justice sociale. Ce fossé entre les déclarations politiques de la bourgeoisie révolutionnaire, à grand renfort de principes moraux et des progrès juridiques, d’une part, et la réalité effective, matérielle, d’une politique à courte vue arrimée aux seuls intérêts économiques de cette classe restreinte, d’autre part, fait éclater au grand jour les contradictions réelles sur lesquelles l’émancipation bourgeoise, nourrie d’« universel », reposent.

Ainsi, pour faire taire les insatisfactions croissantes des masses face à ces promesses proclamées, mais non tenues, les leaders bourgeois tendent-ils à recourir à des formes de manipulation reposant sur des stratégies rhétoriques et des procédés visant à obtenir de l’adhésion affective des « masses » en usant de mécanismes d’identification au pouvoir par la production d’« effets psycho-physiques » (Horkheimer, 1936a : 181-182). Les orateurs religieux et politiques de la bourgeoisie « choisissent leurs mots, non pas tant en raison de leur adéquation à l’objet, qu’en fonction de l’effet à produire. Il n’y a généralement pas d’évolution au cours du discours proprement dit ni d’échange rationnel (et non pas seulement instinctif) entre l’orateur et son public. Les discussions qui pourraient suivre éventuellement ont le même caractère : il leur manque l’élément dialectique » (ibid.). À la place du rapport réfléchi de représentation politique s’appuyant sur un lien assumé de délégation politique et sur la capacité de jugement et sur la raison s’établit un rapport autoritaire de soumission émotionnelle aux chefs. L’identification à ces derniers repose non pas sur la réalisation des aspirations populaires à la justice sociale, mais sur des « psychotechniques discursives » destinées à créer un attachement affectif aveugle au chef, sans assouvir ces attentes réelles de justice sociale. Porteuse des promesses de culture et de raison, la bourgeoisie se réclame en effet de l’intérêt général, public et universel, tout en se montrant cruellement incapable d’efforts réels visant à assurer à tous des conditions matérielles d’existence dignes. Face à cette inconséquence, seule une mise en œuvre pratique et matérielle des publics réels, portés par le prolétariat, est à même de remédier à cette contradiction. On trouve dans ces contradictions de la raison en politique, tous les ingrédients du retour de l’irraison – du mythe – et les fondements de l’autoritarisme. Ce sont ainsi les incohérences objectives de la bourgeoisie face à ses propres aspirations morales qui alimentent les conditions du fascisme (Horkheimer, 1936a).

 

Le tournant autoritaire

On assiste à un mouvement plus radical encore au sein des élites bourgeoises, consistant à renoncer au cadre moral, rationaliste et libéral qui avait initialement permis à la bourgeoisie de se constituer en tant que classe porteuse de changement et de progrès. Cette tendance s’exprime sur le plan intellectuel par une critique du libéralisme contestant ses principes fondamentaux, tels que la raison publique, la neutralité de l’État face à la société, l’idée de « publicité » fondée sur le principe de discussion comme opérateur de consensus entre différentes parties de la société. En lieu et place du principe de discussion rationnelle vient se greffer l’arbitraire de la décision qui s’impose face à une « situation exceptionnelle » (Schmitt, 1922). À la place de la figure du sujet réflexif et rationnel versé dans la critique vient se loger un « sujet héroïque », arrimé à la communauté et à la place de l’idée de société plurielle traversée par des groupes aux intérêts multiples, se love l’idée unifiée du « peuple » s’appuyant sur des critères ethnico-nationalistes naturalisés.

L’idée de société et de démocratie plurielle est ainsi remplacée par une communauté homogène et unifiée, construite sur le principe exclusif et excluant de l’opposition ami/ennemi (Marcuse, 1934). Carl Schmitt (1888-1985) considère, par exemple, que la politique commence par la définition d’un ennemi et donc par la construction d’un dedans et d’un dehors, d’un inclus et d’un exclu (Schmitt, 1932). À cette conception du politique s’adosse une conception autoritaire du pouvoir par laquelle les sujets sont amenés à s’en remettre à un guide, seul porteur de la bonne décision face à un état d’exception. Cette conception des sujets soumis à leur rapport au pouvoir a pour conséquence la destruction du public et la liquidation de l’espace public au profit d’un « peuple » acclamatif et idéalisé, construit sur le dos des « autres » assignés désormais à des figures de rejet et de ressentiment (Schmitt, 1923a, 1923b ; Marcuse, 1934).

Si la conception libérale – kantienne – de l’autorité s’articulait doublement, d’une part, selon un principe de légitimation par la raison et, d’autre part, par un principe de soumission au pouvoir, le second prend le dessus au détriment du premier (Marcuse, 1969). Aussi la bascule de la bourgeoisie dans l’autoritarisme et l’abandon de ses idéaux humanistes et rationnels hérités du XVIIIe siècle marque-t-elle un virage majeur sur le plan moral et politique. Ces mutations ont cependant une base matérielle aux yeux des Francfortois puisqu’elles s’accompagnent d’une profonde transformation des structures du capitalisme. Celle-ci s’opère à travers le développement de structures centralisées dotées d’une force de contrainte accrue au regard des entités économiques plus restreintes dans lesquelles un exercice plus localisé du pouvoir économique était possible. Le devenir monopolistique du capitalisme au sein des sociétés industrielles, doublé de la réponse étatique à la crise économique de 1929, sont des facteurs majeurs dans cette bascule autoritaire (Pollock, 1933).

Le phénomène a donc une base matérielle, mais il s’inscrit dans un tissu de relations à la fois politiques, économiques, culturelles, intellectuelles et sociales que les Francfortois s’efforcent de penser et d’investiguer. Une compréhension économique du phénomène de l’autorité leur semble être de première importance dans la mesure où les structures de pouvoir qui se développent dans les rapports économiques sont fondamentalement liées au capitalisme – et à son mode d’exploitation et d’accumulation profondément inégalitaire et injuste qui s’opère au détriment de la grande partie des êtres humains, mais aussi des non-humains et de la nature. La société moderne capitaliste est à l’image d’un gratte-ciel « dont la cave est un abattoir et le toit une cathédrale » et où « au-dessous des espaces où les coolies de la terre crèvent par millions, […] [se trouvent] l’indescriptible, l’inimaginable souffrance des animaux, l’enfer animal de la société humaine, la sueur, le sang, le désespoir des animaux » (Horkheimer, 1934 : 81).

 

Une psyché autoritaire

L’enjeu du matérialisme interdisciplinaire développé par l’IfS est d’examiner le phénomène de l’autorité également sous ses aspects culturels et psychiques, car un des éléments clés de ce dernier est la manière dont se constituent les individus et dont ils se rapportent à l’autorité. Un des fondements des sociétés modernes depuis le XVIIIe siècle, est une conception de l’individu comme être capable de résonner, de juger et d’accéder à la « maturité » par l’exercice partagé du raisonnement. I. Kant dit ainsi dans « Qu’est-ce que les Lumières ? » que l’individu moderne est appelé à « sortir de son état de minorité » et se déprendre des sources traditionnelles d’autorité tout en pensant par lui-même. Ce faisant, I. Kant formule de manière philosophique les éléments d’une mutation qui voit l’émergence de l’individu comme un être autonome appelé à exercer sa liberté de raisonner et de juger – conception sur laquelle reposent les sociétés modernes permettant de penser l’idée de public et l’existence d’un espace public politique garant d’un contre-pouvoir public face au pouvoir d’État (Kant, 1784 ; Koselleck, 1954).

Or cette figure de l’individu est mise en péril par la mutation autoritaire de cette première partie de XXe siècle et se nourrit elle-même d’une transformation des processus d’individuation, soit des manières de « devenir individu ». Dans ses premières recherches sur le monde des ouvriers et des petits employés, E. Fromm montre par exemple que cet individu éclairé dont I. Kant faisait le moteur du processus de « sortie des tutelles » à partir de la bourgeoisie, a pour équivalent, dans le monde ouvrier, l’ouvrier politisé aspirant à une société égalitaire, juste, démocratique « par en bas » – sur le mode des conseils ouvriers (Fromm, 1980). Cette figure de l’ouvrier « éclairé » correspond au « socialiste authentique » aspirant à l’émancipation politique et économique pour tous et toutes, à changer les structures matérielles des sociétés modernes. Le recul de cette figure « éclairée » chez les ouvriers et les petits employés fait place à un type d’individu soumis tendant davantage à se reposer sur des figures d’autorité. En étant moins versés dans un engagement politique effectif que dans une attitude délégatrice à l’égard des pouvoirs, ces individus sont aussi moins enclins à comprendre les problèmes des sociétés capitalistes comme ayant trait aux structures objectives de l’injustice. Ils pointent alors l’existence et la responsabilité de groupes ou d’individus spécifiques – les bourgeois, les financiers, etc. – pointés comme responsables de la situation et devenant objets de ressentiment (ibid.). Une telle personnalisation et « culturalisation » des problèmes structurels du capitalisme figure parmi les ressorts élémentaires de l’antisémitisme.

Si le phénomène autoritaire mis en évidence par E. Fromm ne concerne certes pas l’ensemble de la classe ouvrière allemande, mais près d’un tiers de cette dernière, il est suffisamment important pour comprendre qu’il est désormais difficile d’attendre de cette dernière qu’elle se constitue en public politique organisé et actif luttant pour la démocratie sociale sur la base d’une organisation politique autonome. À cela s’ajoute le fait que la crise économique de 1929 a des effets dévastateurs sur les espaces de travail et de vie et qu’elle déstructure fortement les univers de socialisation et d’individuation du monde du travail. Ce sont là à grands traits les conclusions de l’étude menée par Marie Jahoda (1907-2001), Paul F. Lazarsfeld (1901-1976) et Hans Zeisel (1906-1992) à Marienthal, petite cité industrielle de la banlieue de Vienne frappée de plein fouet par le chômage, et publiée sous le titre Les Chômeurs de Marienthal (Die Arbeitslosen von Marienthal ; 1933). Les travaux de ces chercheurs s’inscrivent dans ceux de l’IfS jusqu’à la fin des années 1930 ; ils montrent combien le chômage produit du désengagement social et qu’il alimente une forme d’apathie politique. Associés à la montée du « caractère autoritaire » examiné par E. Fromm, ces processus sociaux et économiques tendent à dissoudre et à empêcher la formation de publics politiques organisés et à empêcher des pratiques d’auto-organisation démocratique et sociale, tout en encourageant un rapport de soumission autoritaire aux structures du pouvoir politique et économique.

Aux yeux de E. Fromm et de ses collègues, ce qui était encore une tendance à la fin des années 1920 chez les ouvriers et les petits employés (un tiers de leur échantillon correspond au type « socialiste authentique », un tiers au type autoritaire et un tiers à une ambivalence poreuse à l’autoritarisme) deviendra, quelques années plus tard, le phénomène majeur de toute l’époque. Tout comme le « caractère autoritaire » deviendra le type même de la psyché dominante de la décennie 1930. La psyché « sadomasochiste » est le « caractère social » le plus répandu à l’époque et pas seulement dans la classe moyenne (Fromm, 1936). Ses principaux traits sont la soumission à l’autorité, la difficulté de construire un moi fort (de l’individuation), la tendance à étouffer les émotions, à réprimer les besoins et les pulsions corporelles, le refus du plaisir, tout cela associé à une forme de rébellion juvénile contre l’autorité mâtinée d’un mépris des règles sociales, mais paradoxalement très attaché aux règles, d’une révolte apaisée par l’attachement affectif aux autorités, par l’admiration des chefs et l’identification au pouvoir. Ces tendances des individus à la soumission à l’autorité et à l’identification aux pouvoirs impliquent une perte du moi – et va de pair, selon E. Fromm, à une « fuite hors de la liberté » (Fromm, 1941). Elle est compensée par des formes de gratification et de jouissance offertes par le sentiment d’appartenance à une communauté nationale-ethnique renforcée par la haine et l’exclusion de tous les « autres », en général faibles et vulnérables, sur le dos desquels les inclus affûtent la fierté de leur sens d’eux-mêmes : Juifs, chômeurs, migrants, personnes et groupes sans-droits, etc.

 

Une culture autoritaire

Ce phénomène autoritaire dans la constitution de la psyché, dont les bases économiques et matérielles sont patentes dans le capitalisme monopolistique, se reflète également dans la culture. Les recherches menées par les membres de l’IfS dans ce domaine montrent combien le phénomène autoritaire, dont les manifestations politiques sont patentes dans les années 1930, s’inscrit non seulement dans la politique, mais aussi dans des productions artistiques. T. W. Adorno étudie ainsi le compositeur Richard Wagner (1813-1883) – dont l’œuvre fait l’objet d’une réception fascinée et est objet de culte par les nazis –, en développant une méthode sociologique d’étude des œuvres musicales attentive à leur caractère immanent. Une œuvre d’art est à la fois autonome et sociale, singulière et travaillée par les structures sociales et les mutations politiques de son époque (Adorno, 1952). R. Wagner était un artiste bourgeois, aspirant à l’égalité, la liberté, la démocratie et l’indépendance, fier de sa personne et de son « talent » créateur, cherchant à associer les différents arts de la scène en les intégrant dans une « œuvre totale ». En appliquant son analyse immanente des contenus musicaux, reliés à la société et à la politique, T. W. Adorno montre combien l’œuvre de R. Wagner est marquée en son cœur de ses aspirations démocratiques. Il en souligne également les ambivalences et les contradictions, comme en témoigne la place faite au public dans la scénographie musicale wagnérienne.

Avec ses aspirations égalitaires et démocratiques, R. Wagner confère, en effet, un rôle inédit au public qui est invité à « monter sur scène » et à faire partie de l’œuvre musicale. Aussi doit-il détrôner l’œuvre et le compositeur de leurs statuts en privilégiant un rapport égalitaire avec le public. En voulant « faire monter le public sur scène », R. Wagner est conduit à conférer au chef d’orchestre le rôle prédominant de grand ordonnanceur de la totalité de l’œuvre, le chef du rythme et d’une cadence millimétrée :

« Chez Wagner, les traits de son dilettantisme sont inséparables de ceux de son conformisme, de son accord résolu avec le public. […] non seulement il a embrassé la profession bourgeoise de chef d’orchestre mais composé la première musique de grand style pour chef d’orchestre. […] Sa musique est conçue selon l’art du geste battant la mesure et l’image de la mesure battue la domine. Dans cet art, les impulsions sociales de Wagner deviennent des impulsions techniques » (Adorno, 1952 : 33).

Le public doit alors s’en remettre au rythme de la partition et s’identifier au chef, tout en étant « dorloté » et « caressé dans le sens du poil ». C’est pourquoi, aux yeux de T. W. Adorno, R. Wagner a, en quelque sorte, inventé une forme d’art autoritaire aux aspirations démocratique tout à la fois, à laquelle correspond le principe de la marchandise culturelle, au sein même d’une grande musique apparemment éloignée des pressions à la commercialisation. Au point d’apparaître, selon T. W. Adorno, comme un des précurseurs de l’industrie culturelle qui se déploiera tout au long du XXe siècle. Alors qu’il entend donner au public un rôle novateur et inédit dans l’art, R. Wagner reconduit en fin de compte les structures de dépendance autoritaires dans l’expérience musicale, qui vire à l’identification au chef (d’orchestre) et à l’acceptation du pouvoir. Ceci est aux antipodes de ce que l’expérience esthétique est porteuse et de ce que toute réception de l’œuvre d’art devrait être, à savoir la libre exploration des sens et des raisons dans l’expérience de la musique (Adorno, 1949).

À cette première contradiction s’en ajoute une seconde, dont l’origine est la situation sociale de R. Wagner, en lien avec ses aspirations de bourgeois épris de liberté. Ces aspirations démocratiques et égalitaires de R. Wagner s’affirment dans un contexte où les structures matérielles de l’art sont encore marquées par des différences profondes de statut entre le public et les artistes et entre les artistes et leurs commanditaires. S’il existe certes un marché de l’art ouvert et « public » – à la différence du siècle passé où l’art était aux mains de la cour et des institutions monarchiques –, les liens de dépendance sont encore extrêmement forts. T. W. Adorno souligne que c’est dans le décalage entre ces aspirations bourgeoises à la liberté et la réalité objective de ces inégalités que se manifestent les ambivalences et les contradictions de R. Wagner. Depuis le tournant de la modernité bourgeoise et l’apparition d’un public émancipé des féodalités de cour, l’artiste se sent libre et au service d’un public qui le lui rend bien – tout en ayant désormais la liberté de jouir de ses propres qualités de jugement et d’appréciation des œuvres (Crow, 1985).

R. Wagner se pense à l’aune de cette liberté artistique qui repose cependant sur le type de rapports féodaux dans lesquels ses prédécesseurs artistes furent enserrés (Elias, 1991). Et pourtant, ses idéaux et ses aspirations morales se brisent sur la réalité des conditions matérielles d’un artiste bourgeois encore dépendant – jusqu’à l’humiliation, chez R. Wagner – de ses attaches économiques à ses commanditaires. R. Wagner vit mal cette dissonance, source chez lui d’une inconsolable frustration. La violence qu’il expérimente rappelle ainsi celle de la psyché décrite par E. Fromm, soumise aux fouets de l’autorité devant laquelle elle finit par abdiquer, tout en cherchant des gratifications perverses en reportant la violence qu’elle subit sur des cibles vulnérables. T. W. Adorno voit dans la musique de R. Wagner la même tendance à taper sur les faibles et à y prendre un malin plaisir autogratifiant, comme en témoignent les figures diminuées dans les opéras de R. Wagner – lesquels transpirent d’éléments antisémites.

On trouve chez R. Wagner cette même dialectique de l’autorité dont parle M. Horkheimer dans l’histoire de la bourgeoisie, laquelle entremêle raison et soumission. Mais le pire prend le dessus et finit par s’imposer. La soumission violente à l’autorité et la recherche de gratifications compensatoires dans une violence faite à soi-même sont reportées sur les autres avec d’autant plus de force qu’elle cherche une satisfaction (sadique) en s’en prenant aux faibles. Le public auquel s’adresse R. Wagner est un public bourgeois, libéré de ses attaches antérieures, aspirant à la liberté et à une forme d’égalité avec les artistes. Le tout dans une société capitaliste dont les structures matérielles sont encore fortement inégalitaires et qui n’ont pas été transformées en profondeur par les exigences d’égalité et de justice élevées par la modernité politique. Ce d’autant plus en Allemagne, dont les structures politiques n’ont pas suivi le développement rapide des structures économiques et technologiques impulsées par la révolution industrielle et dont l’avancement très inégal produit une dissonance avec ses structures politiques encore très féodales.

Le public épris d’égalité et de liberté de R. Wagner est tellement idéalisé que la discipline revient au galop sur le plan des rapports concrets et des structures matérielles. Ces contradictions patentes sont à l’origine du geste autoritaire, de la même manière que le chef bourgeois décrit par M. Horkheimer, qui se réclame de la raison, s’échine à maintenir son emprise sur les masses par des psychotechniques émotionnelles et une rhétorique manipulatoire, réinstallant l’irraison au cœur du politique. Ce sont bel et bien les contradictions matérielles du capitalisme moderne et les inconséquences de l’émancipation bourgeoise qui sont au principe de cette « culture affirmative » (Marcuse, 1937) et qui engendre un type de public dont la manifestation effective répond aux traits de l’autoritarisme – et qui préfigure esthétiquement les foules nazies abreuvées de slogans hitlériens. À ce titre, la figure de R. Wagner, et surtout sa musique, est, aux yeux de T. W. Adorno, un cas emblématique du tournant autoritaire de la bourgeoisie et une préfiguration de l’autoritarisme nazi.

 

Les publics de la littérature

Les recherches sur les publics de la littérature menées par L. Löwenthal, un autre membre de l’IfS attaché à développer une sociologie de la littérature et une étude matérialiste de la culture, soulignent tout autant ce tournant autoritaire de la bourgeoisie, tel qu’il se donne à voir chez les écrivains qu’il étudie. La sociologie de la littérature de L. Löwenthal entend décrire de manière fine la manière dont les écrivains « créent des mondes », choisissent des récits et des figures sociales et proposent aux lecteurs un type d’expérience à travers la narration, tout en soulignant l’ancrage social de toute création littéraire (Löwenthal, 1981 : 7-13).

Le récit littéraire n’est pas considéré par L. Löwenthal comme une production isolée de la société, car il est en liens étroits avec des éléments matériels et psychiques du monde de l’écrivain. L’activité d’un écrivain renvoie ainsi à la fois à son rapport au monde et la vision qu’il a de ce dernier, à son rapport à la société et au politique, à sa constitution psychique et son projet créateur, qu’à la position objective et matérielle qu’il occupe au sein de la structure de classe des sociétés de la modernité capitaliste. La littérature est ainsi envisagée comme une des formes d’expression artistique et intellectuelle particulièrement complexes et subtiles des mutations structurelles et matérielles des sociétés capitalistes et de leurs rapports de classes. Sa sociologie envisage ces récits comme des énigmes cryptées qu’il convient de déchiffrer en explorant les couches discursives au sein desquelles les contradictions des structures matérielles se donnent à voir. L. Löwenthal (1932) est particulièrement sensible à la manière dont certains auteurs expriment dans leurs œuvres les conceptions du monde véhiculées par différentes classes sociales ou fractions de classe.

À partir d’une analyse des textes de l’écrivain norvégien Knut Hamsun (1859-1952), L. Löwenthal montre ainsi comment le tournant autoritaire de la bourgeoisie s’exprime et s’opère dans la littérature, en s’intéressant à la fois à l’œuvre de l’auteur et à sa réception par des publics. Les écrits de K. Hamsun vantent le rapport à la nature, l’abandon de l’être humain face à cette dernière, entité supérieure et toute puissante incitant à l’abandon de la raison. L. Löwenthal y décèle les traits d’une vision du monde autoritaire d’un auteur dont le positionnement « neutre » sur le plan politique révèlerait bientôt une sympathie au nazisme, rendue publique sur le tard. Sur la base d’une analyse littéraire immanente, L. Löwenthal révèle chez K. Hamsun une vision autoritaire du monde « bien avant qu’elle ne se déclare politiquement dans l’espace public » (Löwenthal, 1981 : 292).

Ces études consacrées à R. Wagner et à K. Hamsun – exemples auxquels on pourrait ajouter les recherches de W. Benjamin et de S. Kracauer – mettent en évidence une mutation autoritaire de la culture. Ce caractère autoritaire ne porte pas seulement sur les thèmes des œuvres littéraires ou musicales, mais aussi et surtout sur le type de relation engagée par les membres du public dans la culture – entendue comme une relation dynamique entre des producteurs, des objets culturels et des publics. Aux yeux des chercheurs de l’Institut, ce qui se joue alors à cette période est une profonde mutation de la culture dans ses contenus, ses modes de production et de consommation. À la place d’une relation dynamique entre des êtres qui se forment au contact vivant d’objets culturels et qui font des expériences partagées de ces derniers en les appréciant et en les soumettant à la critique, s’installe une relation figée dans laquelle ces êtres tendent à développer une relation adaptative à des objets de culture s’adressant à eux comme à des êtres inertes, se contentant d’adhérer à ces contenus, de s’y soumettre et de les consommer à l’instar des marchandises ordinaires.

À la place d’une invitation à la formation de soi et à la formation de publics dignes et capables de faire des expériences riches, d’apprécier les œuvres et d’exprimer leur vécu sensible au sein d’un espace partagé, on assiste à l’émergence d’une masse informe d’individus incités à se contenter de consommer et d’acclamer des produits dont la facture interne est d’ailleurs elle-même tellement appauvrie qu’il leur est bien difficile de se les approprier autrement que sous une forme adaptative. Ce constat est au cœur du diagnostic porté sur le devenir de la culture dans les sociétés industrielles, connue sous le terme d’« industrie culturelle » (Adorno, Horkheimer, 1947 ; Voirol, 2011, 2014). La relation autoritaire qui s’installe dans la culture redouble celle qui s’est installée dans les domaines de la socialisation et de l’individuation (psychique), dans l’économie et dans la politique, dans les familles patriarcales. Ce qui se joue dans le domaine culturel est une des multiples expressions d’un phénomène global que le projet matérialiste et interdisciplinaire de l’Institut identifie comme une bascule dans l’autoritarisme.

 

Les publics possibles

Le diagnostic posé par les membres de l’IfS au milieu des années 1930 n’est pas encore celui – plus connu – formulé dans La Dialectique de la raison, pour lequel toute ouverture sociale et politique vers la « réalisation de la raison » semble liquidée au sein d’une crise de civilisation touchant tous ses fondements (Adorno, Horkheimer, 1944). La théorie critique des années 1930 reste ainsi attachée à une « dialectique du politique » propre à toute la tradition d’émancipation dans la modernité – dans le sillage à la fois des Lumières, de l’idéalisme allemand et du matérialisme historique. Sur le plan de l’analyse de l’espace public et des publics, cela signifie que la décomposition allant de pair avec le déclin de la démocratie, la décomposition du libéralisme et la montée de l’autoritarisme n’écartent pas les considérations pour les modes effectifs d’existence de publics culturels et politiques à portée critique et émancipatrice. Le marxisme dialectique dans lequel s’inscrivent les chercheurs francfortois envisage, en effet, la possibilité que se constitue un public politique aspirant à organiser « par en bas », sur le mode d’une démocratie radicale, les structures du pouvoir politique et économique. C’est du côté des exigences démocratiques exprimées entres autres lieux, dans le mouvement des conseils ouvriers, dans la tradition d’une gauche radicale aspirant à l’auto-organisation démocratique de la société, que s’inscrit en partie le courant de la théorie critique – avec des degrés très variables d’adhésion à ce projet, en fonction des auteurs et des époques.

Ainsi, le juriste et sociologue Franz L. Neumann (1900-1954) fut attaché tout au long des années 1920 et jusqu’en 1933, à réaliser le contenu juridique progressiste de la Constitution de Weimar établie dans la ville de ce nom en 1919, dans laquelle l’existence des conseils ouvriers était reconnue et figurait comme un de ses articles les plus emblématiques – dont la réalisation fut objets de luttes et de conflits. L’article 166 stipulait la mise sur pied de conseils ouvriers dans les usines, de conseils d’habitants dans les quartiers, ainsi que la participation ouvrière à des conseils économiques dans lesquels siégeaient les entrepreneurs. Alors que les conservateurs et les milieux économiques s’échinaient à empêcher la concrétisation de ces contenus propre à la Constitution de 1919, la gauche politique et syndicale s’efforçait de les faire respecter par la bourgeoisie et de les concrétiser dans la réalité sociale (Neumann, 1932). Sous une forme institutionnelle et formelle, ces contenus juridiques et normatifs rappellent la possibilité qu’existent un espace public émanant de l’expérience sociale et du monde ouvrier portée dans le public par les associations de la société civile et toutes les « institutions du monde du travail ».

On trouve également des traces de ces « publics possibles » dans les recherches sur les usages du temps libre récemment gagné par le monde du travail sur le capital, dont l’emprise sur le temps de la vie était presque totale jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Le temps de vie gagné sur le capital ne devait pas servir à des fins de simple divertissement culturel au prix d’une industrie des loisirs naissante, mais à des fins de culture et d’éducation, de formation d’un monde du travail, dans un but d’émancipation. Ces « Lumières ouvrières » promettaient ainsi un usage du temps libre permettant la constitution de publics jouissant d’un temps ouvert à une pratique culturelle. Le monde ouvrier était ainsi appelé à faire libre usage de ce temps qualitatif, dans lequel les syndicats et autres organisations de l’activité ouvrière étaient appelés à jouer un rôle central (Sternheim, 1932). On sait qu’en lieu et place de ce public ouvrier s’autoéduquant dans un libre usage de son temps hors du travail et d’une culture ancrée dans son expérience, s’est imposée une industrie culturelle du divertissement parvenant à aspirer ce temps dans le cycle de la valorisation capitaliste. Et que, par ailleurs, les organisations fascistes se sont efforcées, avec un certain succès, de « politiser » ce temps libre en l’organisant de manière « totale » par le biais d’un asservissement méthodique de la culture syndicale au corporatisme fasciste (Sternheim, 1938). Si on est là aux antipodes de ces publics ouvriers éclairés envisagés par les membres l’Institut encore au début des années 1930, c’est à l’aune de cette décomposition qu’est formulée la critique de l’industrie culturelle.

Ce sont des potentiels similaires qu’envisage W. Benjamin dans son fameux texte sur la reproductibilité technique des œuvres d’art et sur les mutations fondamentales à l’œuvre dans l’art depuis la fin du XIXe siècle (Benjamin, 1935). À ses yeux, les techniques de reproduction telles que la photographie et le film transforment en profondeur notre conception de l’art, jusqu’ici limitée au rapport rituel à un objet dont l’existence singulière configurait une expérience « auratique » de l’œuvre encore fortement caractérisée par une dimension sacrée de par son existence unique structurant un « ici et maintenant ». L’œuvre d’art reproduite en série implique une rupture de ce rapport unique et sacré de l’œuvre, au profit d’une expérience reposant non plus sur le rituel, mais sur la simple « valeur d’exposition » de l’œuvre. Dès lors qu’elle n’est plus individuelle et unique, l’existence de l’œuvre devient une expérience collective et délocalisée : une photographie existe en plusieurs exemplaires et suscite des expériences visuelles multiples et à différents endroits. L’œuvre d’art elle-même est ainsi d’emblée démultipliée. Aussi, la photographie autant que le film permettent, par l’effet de zoom ou par le montage, des modes de perceptions inédits, à la fois plus approfondis et démultipliés, rendant possibles des types d’expérience auparavant inimaginables.

Si ces transformations ouvrent à la fois à une technicisation de l’art et à de nouvelles formes de marchandisation des œuvres, de même qu’à l’apparition d’une nouvelle forme d’aliénation liée à la perte de contrôle sur sa propre image en raison du point de l’appareillage technique, W. Benjamin y voit la possibilité que se constituent des publics aux contours inédits sur la base de ces expériences collectives des œuvres d’art reproductibles. Il associe à ces publics des potentiels réflexifs et critiques et y voit même l’essor probable de publics critiques et politiques grâce à une forme de « politisation de l’art » (Benjamin, 1935). L’expérience cinématographique rencontre ainsi les réflexions menées à l’IfS sur l’émergence possible de publics éveillés au politique grâce aux médias de masse.

Quant à M. Horkheimer, il ne renonce pas à voir dans des mouvements politiques issus des masses et des milieux politiques organisés, la possibilité qu’émerge une véritable part de revendications dont les représentants ouvriers peuvent faire partie afin de réaliser efficacement les exigences d’égalité et de justice sociale – dont se réclament les chefs bourgeois, tout en se contentant de les déclamer sans les réaliser (Horkheimer, 1936b). Le chef bourgeois ou les leaders bourgeois restent pris dans l’idéal du « grand homme », de l’« homme providentiel », fortement personnalisé, alors qu’il ne cesse d’en appeler aux intérêts populaires en donnant l’impression de réaliser les aspirations des « masses » par son exercice égocentrique du pouvoir.

À l’inverse, les figures politiques issues de mouvements ouvrier ou politique sont aux antipodes de ces caractéristiques : car ce sont alors « les véritables intérêts » qui produisent le leadership dans lequel « la relation est inversée » (Horkheimer, 1936a : 182), parce que le rôle des leaders est avant tout d’être des porte-voix, d’aider à la formulation des revendications afin de les faire exister politiquement au sein d’un espace d’action et de revendications sociales, politiques et matérielles :

« L’orateur vise la prise de conscience de la situation par les masses ; l’action en est la conséquence logique. Il s’agit de provoquer la connaissance ; car les seuls intérêts en jeu sont ceux des gens auxquels on s’adresse, et la personne du chef peut s’effacer, parce qu’elle ne doit pas être un facteur immédiat d’influence. Et comme le chef, la masse a alors un caractère différent. Si l’assemblée de masse est adaptée à l’influence irrationnelle, de petits groupes d’individus aux intérêts communs correspondent mieux au travail collectif sur la théorie, à l’analyse d’une situation historique donnée et aux jugements qui en découlent sur la politique à entreprendre. C’est pourquoi les mouvements qui dépassent l’ordre bourgeois ne peuvent pas utiliser l’assemblée de masse aussi exclusivement ni avec autant de succès » (Horkheimer, 1937 : 181).

Le déroulement des assemblées de masse, dont le but est la prise de conscience, est « caractérisé par les débats et le progrès des idées ; l’analyse de la situation et des mots d’ordre concrets reste en liaison constante avec la conscience croissante des intérêts des participants » (ibid. : 182) :

« Les chefs du mouvement prolétarien moderne n’ont pas seulement préparé l’action dans de petits groupes, ils ont aussi exposé leurs vues et donné des consignes devant les masses. Mais même si ces assemblées avaient bien certains des traits caractéristiques mentionnés ci-dessus, comme celles du type bourgeois avaient parfois des aspects révolutionnaires, surtout lors de l’aggravation de la lutte entre le tiers état et les puissances féodales, il demeure néanmoins que les éléments irrationnels, autoritaires, rituels sont la marque distinctive du discours du chef bourgeois » (ibid. : 182-183).

 

La dialectique du possible

La première période de la théorie critique se caractérise à la fois par cette « dialectique du possible » et cet examen critique du déclin de la bourgeoisie libérale au profit de son flanc élitiste, autoritaire, réactionnaire, anti-rationalise et violent. La dialectique du « mouvement bourgeois d’émancipation » et de l’esprit libéral dont elle était porteuse pouvait pourtant se déployer dans un tout autre sens, en tentant de résoudre la contradiction fondamentale de l’émancipation bourgeoise par sa réalisation effective de ses idées de raison, d’égalité et de liberté dans les rapports sociaux des sociétés modernes. Pour n’être pas qu’affirmative et idéaliste, cette « dialectique du libéralisme » reviendrait tout bonnement à réaliser effectivement les aspirations morales et les espoirs cultivés par le flanc le plus progressiste de la bourgeoisie. L’enjeu était alors de concrétiser et d’approfondir le projet d’émancipation dont la bourgeoisie se réclamait dans ses idées, et sur lequel repose sa légitimité dans l’expérience du pouvoir économique et politique. La prise de conscience sociale était dès lors un geste dialectique permettant de tirer les conséquences matérielles des idées bourgeoises d’émancipation portées par le siècle des Lumières. Et, pour M. Horkheimer du début des années 1930, ce processus était possible : le socialisme reste un horizon possible, car il est inscrit dans le développement du capitalisme lui-même, car il existe dans le capitalisme des « tendances […] qui évoluent vers un retournement du système » et que les éléments de cette « forme de société, meilleure et plus fonctionnelle » qu’est le socialisme sont « présents, d’une certaine manière, dans le capitalisme » (ibid. : 41). Il y a aussi, cependant, dans le capitalisme tous les ingrédients pour empêcher l’éclosion de ce possible et de cette « forme de société » meilleure :

« Le système capitaliste dans sa phase actuelle, c’est l’exploitation organisée à l’échelle universelle. Son maintien détermine des souffrances incommensurables. Cette société possible en réalité les moyens humaines et techniques de supprimer la misère dans sa forme matérielle la plus grossière. Nous ne connaissons aucune époque où cette possibilité ait existé comme aujourd’hui, dans de telles proportions. Le seul obstacle à sa réalisation, c’est le système de la propriété, c’est-à-dire le fait que l’énorme appareil productif de l’humanité est obligé de fonctionner au service d’une petite couche d’exploiteurs » (ibid. : 32).

Si l’émancipation socialiste procédait à une critique du libéralisme, c’était principalement en raison de son incapacité à réaliser ses contenus normatifs, son caractère purement idéal et finalement idéologique. Le socialisme était au final une réalisation matérielle des aspirations morales et des idéaux du libéralisme. C’est non pas la légitimation par la raison mais la soumission à l’autorité, l’autre facette de cette dialectique, qui prend le dessus – et une bonne part des efforts des Francfortois durant la première période consistaient à tenter d’en comprendre le pourquoi. Ainsi, c’est la part violente et autoritaire de la bourgeoisie qui s’impose et qui donne naissance à l’autoritarisme moderne et au fascisme. La dialectique de la raison et de la soumission s’opère au profit de la seconde et finit par s’abîmer dans le fascisme (Marcuse, 1969 ; Horkheimer, 1978).

 

La suite dans « École de Francfort (2) », à venir…


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Auteur·e·s

Voirol Olivier

Institut des sciences sociales Institut für Sozialforschung Frankfurt a. M. Université de Lausanne (Suisse)

Citer la notice

Voirol Olivier, « École de Francfort » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 02 avril 2025. Dernière modification le 07 avril 2025. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/ecole-de-francfort-1.

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