À la mi-mars 2019, les médias français ont évoqué à deux reprises le Parti populaire européen (PPE). D’abord le 11 mars, lorsque le porte-parole du gouvernement français, Benjamin Griveaux, a accusé le PPE et sa composante française, les Républicains (LR), de souhaiter la suppression du siège strasbourgeois du Parlement européen et de refuser un salaire minimum en Europe, allusion à la réponse de la présidente de la CDU (Christlich Demokratische Union Deutschlands, membre du PPE) aux réformes européennes envisagées par le président Emmanuel Macron. Ensuite le 14 mars, lorsque le Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui avait dénigré le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker (membre du PPE), a présenté ses excuses aux membres du PPE pour éviter que ces derniers ne l’excluent, lui et son parti populiste, le Fidesz. Ces deux épisodes ont permis de rappeler auprès du grand public le rôle et la place des « europartis » (appelés officiellement « partis politiques au niveau européen »). En effet, si les Français sont plus ou moins familiarisés avec les institutions politiques européennes (Parlement, Conseil, Commission, Cour de Justice, Banque centrale, etc.), ils connaissent moins ces structures militantes qui participent pourtant à l’animation de la vie politique à l’échelle européenne.
Un europarti regroupe plusieurs partis nationaux issus de différents pays de l’Union européenne (UE) et réunis par affinité politique (nationalistes, souverainistes, libéraux, démocrates-chrétiens, conservateurs, socialistes, écologistes, gauche radicale, etc.). Cette organisation, dotée d’une structure permanente, de statuts et de logos, tient des congrès, prend des positions, élit des dirigeants et propose des manifestes en vue des élections au Parlement européen. Composé d’élus et de responsables politiques issus de pays différents mais unis par des mêmes valeurs et objectifs, l’europarti constitue un objet politique original dont l’histoire est associée à celle de la construction européenne.
Cette approche historienne des europartis revient sur les conditions d’apparition de ces formations militantes et leur institutionnalisation progressive, présente leur fonctionnement et interroge surtout leurs limites en termes d’animation effective du débat politique au sein de l’UE. Les europartis, des partis sans publics ? Faute d’adhérents directs, faute de militance de terrain, faute de résonnance médiatique profonde, faute au fond d’intérêt réel pour ces coquilles politiques souvent vides car assez artificielles, les europartis semblent illustrer par leurs lacunes le désintérêt croissant de l’opinion pour les questions européennes. S’ils sont le reflet de ce désintérêt, ils en sont aussi l’une des raisons car ces structures partisanes, qui auraient dû se faire le relai auprès du grand public de l’idéal européen, paraissent avoir échoué à incarner et animer ce même idéal. Quel électeur européen est capable de citer ne serait-ce qu’un seul nom de leader d’europarti ? À l’exception de quelques passionnés de la chose politique, qui peut mentionner les sigles d’un ou de deux europartis ? Même les deux plus importants, le PPE et le PSE (Parti socialiste européen), restent confidentiels, leurs noms n’émergent dans les médias qu’au moment des campagnes européennes et encore… Ce déficit de notoriété doit être interrogé. Est-il le résultat de problèmes structurels (la difficulté de rassembler, pour travailler en commun, des individus issus de pays différents, parlant des langues différentes, porteurs, au-delà d’une sensibilité politique commune, d’ambitions parfois divergentes) ou de difficultés plus conjoncturelles (un élargissement européen qui aurait accru ces disparités culturelles, un contexte de crise qui aurait accentué les égoïsmes nationaux) ?
Europartis et eurogroupes : des confusions dans le public
Au printemps 2019, il existait une douzaine de partis politiques européens et fédérations européennes de partis.
Europartis au printemps 2019 (par ordre alphabétique)
Nom | Sigle | Orientation politique | Fondation |
Alliance pour la démocratie directe en Europe | ADDE | souverainistes | 2014 |
Alliance européenne des mouvements nationaux | AEMN | extrême droite | 2012 |
Alliance des conservateurs et des réformateurs européens | ACRE | conservateurs | 2009 |
Alliance de la gauche verte nordique | NGLA | écologistes extrême gauche | 2004 |
Mouvement pour une Europe des nations et des libertés | MENL | extrême droite | 2015 |
Mouvement politique chrétien européen | MPCE | conservateurs | 2002 |
Parti de l’alliance pour une Europe des démocraties | EUD | eurosceptiques de droite et de gauche | 2006 |
Parti de l’alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe | ALDE | libéraux et centristes | 2012 |
Parti démocrate européen | PDE | centristes | 2004 |
Parti démocratique des peuples d’Europe-Alliance libre européenne | PDPE-ALE | autonomistes et indépendantistes | 2004 |
Parti de la gauche européenne | PGE | communistes et post-communistes | 2004 |
Parti populaire européen | PPE | démocrates-chrétiens, libéraux, conservateurs | 1976 |
Parti socialiste européen | PSE | socialistes | 1992 |
Parti vert européen | PVE | écologistes | 1993 |
Depuis l’apparition des europartis, les deux principaux en nombre d’élus au Parlement européen et logiquement en influence politique sont le PPE et le PSE. Avant les élections du printemps 2019, le PPE abritait 211 députés européens (28 % des élus de l’hémicycle) et fédérait plus d’une cinquantaine de partis conservateurs, libéraux et démocrates-chrétiens issus de vingt-sept pays de l’UE (auxquels s’ajoutent des partis associés issus de pays non membres de l’UE comme l’Arménie, la Biélorussie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, le Kosovo, la Moldavie, la Norvège, Saint-Marin et l’Ukraine). Ses membres siègent également dans les assemblées parlementaires de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et de l’Otan. De son côté, le PSE, dirigé par le Bulgare Sergueï Stanichev, rassemblait à la même date 191 députés européens et fédérait une trentaine de partis socialistes, travaillistes et sociaux-démocrates issus de vingt-sept pays de l’UE.
L’europarti est souvent confondu par le grand public avec une autre structure politique qui lui ressemble par certains aspects, mais en diffère par d’autres : « l’eurogroupe ». L’eurogroupe rassemble au Parlement européen des députés issus des différents pays de l’UE, réunis par des valeurs communes et la volonté de défendre à Bruxelles un même programme politique. Il y a parfois similitude entre un europarti et un eurogroupe. C’est ainsi que l’europarti PSE dispose d’un eurogroupe socialiste au Parlement européen rassemblant tous les élus socialistes. C’était le cas également de 2002 à 2009 de l’europarti Alliance pour l’Europe des nations (AEN) qui était relayée par un eurogroupe du même nom, composé d’élus souverainistes. Mais cette configuration rationnelle d’un recoupement exact entre périmètre partidaire et cadre parlementaire ne s’observe pas toujours. Parfois, et c’est souvent le cas pour les petites formations disposant de peu d’élus, il est nécessaire de rassembler dans un même eurogroupe plusieurs parlementaires issus d’europartis différents mais suffisamment voisins idéologiquement pour travailler ensemble et disposer des avantages financiers et des droits politiques conférés aux eurogroupes. C’était le cas par exemple avant 2014 des écologistes et des régionalistes qui travaillaient pour la plupart ensemble au Parlement européen alors qu’ils dépendaient de deux europartis différents : le Parti vert européen (PVE) et le Parti démocratique des peuples d’Europe-Alliance libre européenne (PDPE-ALE).
Des organisations lentes à apparaître, une institutionnalisation tardive, une visibilité faible
Si les europartis, dont la liste est établie et validée par le bureau du Parlement européen, sont mal identifiés par le grand public, c’est qu’ils ne se manifestent véritablement qu’au moment des élections européennes, cette campagne étant alors, a priori du moins, animée par les europartis. Sans constituer des « structures dormantes » le reste du temps, il faut bien reconnaître que les europartis forment entre chaque scrutin européen des organisations assez peu actives et donc peu connues du grand public. Fondamentalement, cette situation témoigne sans doute d’une difficulté à mener de manière efficace une action politique commune à l’échelle européenne et qui ne soit pas entravée par la prise en compte d’intérêts nationaux parfois divergents, mais elle découle aussi d’un manque persistant de moyens. Jusqu’en 2003, les europartis ne bénéficiaient pas d’une reconnaissance officielle, avec statut légal et moyens financiers afférents. Ils dépendaient de leur groupe parlementaire à Bruxelles (du moins, quand il y avait correspondance entre parti et groupe) dont ils apparaissaient alors paradoxalement comme des excroissances militantes.
Pourtant, comme le rappelle le spécialiste du sujet, le politiste Francisco Roa Bastos (2009 : 5), si les europartis n’apparaissent explicitement qu’en 1992 dans les traités communautaires (article 138A du traité de Maastricht dit « article des partis »), ils existaient de manière informelle depuis les débuts de la construction européenne. Dès septembre 1952, des groupes politiques apparurent de façon officieuse au sein de l’Assemblée commune de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), ils étaient composés de délégués désignés au sein des Parlement nationaux. Le 16 juin 1953, une résolution votée par cette même assemblée formalisa les choses en posant quelques règles : nécessité de déposer une liste d’intention signée de tous les élus concernés auprès du président de l’assemblée, impossibilité de siéger dans plusieurs groupes politiques, etc. Lorsque fut fondée la Communauté économique européenne (CEE) en 1957, des élus des pays constitutifs de la CEE et relevant des trois grandes familles politiques socialiste, démocrate-chrétienne et libérale, prirent l’habitude de se réunir régulièrement en dehors du cadre de l’Assemblée parlementaire européenne (bientôt Parlement européen). À partir de l’élection au suffrage universel direct des députés du Parlement européen, décision prise en 1976 et effective en 1979, le besoin d’une meilleure reconnaissance de ces formations politiques se fit sentir. Cela aboutit à l’article du traité de Maastricht évoqué plus haut, qui précise que ces europartis « sont importants en tant que facteur d’intégration au sein de l’Union, ils contribuent à la formation d’une conscience européenne et à l’expression de la volonté politique des citoyens de l’Union ».
Le traité de Nice de 2001, entré en vigueur en 2003, rappelle ce principe et fixe les statuts de ces partis européens. Pour être reconnu et bénéficier d’un financement, un europarti doit remplir quatre conditions.
Le non-respect d’un seul de ces critères peut inciter le Parlement européen à rejeter le statut de parti politique européen à une formation qui le demande ou qui en bénéficiait jusque-là. L’Alliance pour l’Europe des nations, créée en 2002, est ainsi sortie des listes en 2009-2010, faute de disposer d’élus en nombre suffisant après les européennes de juin 2009.
Décembre 2007 voit la dernière étape de cette institutionnalisation des europartis, avec l’adoption du règlement no 1524 qui permet aux europartis de créer des fondations politiques européennes sur le modèle allemand et de financer des campagnes politiques au niveau européen pour les élections au Parlement européen. L’Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes enregistre, contrôle et supervise l’accès et l’utilisation des fonds. Si l’europarti ne respecte pas les règles édictées par cette instance, il peut aussi être dissous à l’image du Mouvement pour l’Europe des libertés et de la démocratie (Meld), créé en 2011 et supprimé en 2015 par le Parlement européen pour usage abusif des fonds de l’UE. Ce fonctionnement, avec ses règles et ses sanctions, est peu connu du grand public qui reste concentré prioritairement sur la vie politique nationale avec ses enjeux spécifiques et son calendrier propre.
Une famille politique a joué un rôle essentiel dans l’affirmation historique des europartis : les démocrates-chrétiens dont on connaît le rôle important dans « l’évangélisation de la cause européenne » auprès des différentes opinions nationales depuis l’après-guerre. Pendant longtemps, les courants politiques s’étaient contentés au niveau européen de simples structures de coordination militante, à l’image des socialistes et de leur « bureau de liaison ». Or, vers le milieu des années 1970, les socialistes et les libéraux décidèrent de renforcer ces appareils en mettant en place des formations plus pérennes et actives, comme en 1974 l’Union des partis socialistes et des partis sociaux-démocrates de la Communauté européenne et en 1976 la Fédération libérale démocratique européenne. Les démocrates-chrétiens, en retard par rapport à cette institutionnalisation avec leur vieux « Comité politique des partis démocrates-chrétiens des États membres de la Communauté européenne », opérèrent une rupture morphologique et sémantique en lançant en 1976 le premier vrai europarti assumant le terme « parti » : le PPE. Le démocrate-chrétien mosellan Jean Seitlinger (1924-2018 ; un proche de Robert Schuman – 1886-1963) et le Premier ministre belge Léo Tindemans (1922-2014) étaient aux commandes. Wilfried Martens (1936-2013), qui présidait en 1976 le parti démocrate-chrétien flamand avant de devenir Premier ministre de Belgique en 1979 (il restera en place quasiment jusqu’en 1992) fut le puissant et influent président du PPE de mai 1990 à octobre 2013. Il contribua beaucoup à la reconnaissance institutionnelle des europartis à partir des années 1990 en étant notamment à l’origine de « l’article des partis » dans le traité de Maastricht (il avait incité les trois présidents du Parlement, de la Commission et du Conseil à demander cette reconnaissance).
Toutefois, les autres courants politiques tardèrent à suivre l’exemple démocrate-chrétien. Il fallut attendre l’entrée des europartis dans le droit communautaire avec le traité de Maastricht pour que les socialistes s’y décident à leur tour avec la création du PSE en novembre 1992 ; ils furent suivis en décembre de la même année par les libéraux avec leur Parti européen des libéraux, des démocrates et des réformateurs (PELDR) et enfin des régionalistes avec le PDPE-ALE en 1995. Dans la perspective des élections européennes de 2004, deux autres courants se constituèrent en europartis : les écologistes du PVE et les gauches radicales (avec le Parti de la gauche européenne – PGE). Ce dernier cas montre bien que la formation d’un europarti ne signifie pas forcément adhésion au projet fédéraliste européen, puisque l’on connaît en la matière les réticences des communistes. Ici, il s’agit bien surtout de regrouper ses forces pour peser politiquement à Bruxelles et bénéficier des avantages juridiques et financiers accordés à ce type de formation. Bien souvent, l’opération semble relever surtout de considérations logistiques et financières, la logique politique restant secondaire. Raison sans doute pour laquelle le grand public s’intéresse peu à ces montages partidaires qui lui paraissent de nature technocratique et politicienne.
Des acteurs du débat politique européen ? Les difficultés de penser et d’agir ensemble à l’échelle communautaire
Si des europartis existent bien officiellement en droit, fonctionnent-ils réellement et participent-ils activement à la vie politique de l’UE ? Cette « mission » qui leur avait été assignée et qui avait conduit à leur mise en place puis à leur institutionnalisation à partir de la deuxième moitié des années 1970, a-t-elle été remplie ?
L’existence des europartis pourrait être (et a été pensée comme) une réponse au discours contempteur sur la « technostructure » bruxelloise, cette élite des hauts fonctionnaires européens qui confisquerait l’aventure communautaire au profit de règlements abscons et de logiques bureaucratiques. Il en résulterait un déficit démocratique qu’il s’agirait de réduire en repolitisant le système communautaire. Les europartis, en étant les acteurs d’un débat sur les grandes questions européennes, en favorisant l’engagement militant sur ces dossiers, en impliquant les citoyens dans les grands enjeux communautaires, devraient permettre de démocratiser l’UE et de lutter ainsi contre la montée des populismes.
Dans la réalité toutefois, les europartis ne semblent pas satisfaire tous les espoirs initiaux placés en eux. Comme le note Francisco Roa Bastos (2009 : 15) en reprenant les critères du politiste allemand Oskar Niedermayer en matière de niveaux et de modalités d’interaction entre les différents partis nationaux formant les europartis, le stade de « l’intégration » est rarement atteint, au profit d’une simple « coopération », voire de banals contacts. La communication transnationale reste souvent faible et irrégulière entre les différents partis nationaux membres de l’europarti, il y a rarement d’adhésion directe et spécifique à l’instance fédérale, les structures de régulation des conflits se révèlent inexistantes ou dysfonctionnantes, les symboles et programmes communs sont réduits au minimum (peu d’euromanifestes notamment). Si certaines formations (comme le PPE et le PSE) disposent de ces attributs partidaires typiques que sont des organisations sectorielles (le PPE est relayé par un mouvement de jeunesse, une formation féminine, une fédération syndicale, une association de personnes âgées et club d’entrepreneurs…) et des think tanks (comme le Centre for European Studies du PPE), la plupart des europartis n’en possèdent pas. Dès lors, ils ne disposent pas de relais catégoriels leur permettant de toucher le grand public, de pénétrer la société civile en profondeur et de diffuser leurs idées.
En plus des problèmes linguistiques (au cœur de ce déficit en termes d’image et de communication) auxquels se heurtent ces organisations (qui doivent s’entendre sur des langues de travail et des procédures de traduction qui induisent des coûts spécifiques), celles-ci sont aussi fragilisées par la difficulté à imposer le consensus à des partis nationaux dont le poids politique est plus ou moins important. Au sein de l’europarti, certaines formations nationales, fortes d’un nombre important d’élus ou de l’influence particulière de leurs leaders, peuvent être tentées de faire prévaloir leurs vues. Les égoïsmes nationaux sont souvent à l’œuvre… Au sein du PPE, le poids de la CDU et l’influence de sa leader Angela Merkel sont connus, au point d’amener certains à penser que le patron en titre du PPE, le républicain français Joseph Daul, n’exerce qu’une présidence théorique derrière la puissante chancelière allemande. En matière de désignation de délégués au congrès, d’élection aux instances dirigeantes et de modalités de vote au sein des instances exécutives, il faut donc trouver des solutions à la fois fonctionnelles et démocratiques (des solutions suffisamment inclusives pour associer activement à l’europarti le plus grand nombre d’adhérents, faire vivre la structure au-delà de sa bulle technocratique d’élus et la faire rencontrer le grand public). Conformément à leur culture politique, certains eurogroupes optent pour une ligne égalitaire (PGE), tandis que d’autres (PPE, PSE, ELDR, etc.) préfèrent une logique de représentation à la proportionnelle (en fonction du nombre d’élus à Bruxelles, du nombre d’adhérents, de l’importance démographique du pays dont relève le parti, du nombre de délégués du pays au Conseil de l’UE, etc.). Dans tous les cas, les formules retenues ne garantissent pas la prise en compte parfaite des spécificités et intérêts propres, ce qui alimente régulièrement des tensions (à l’image des conservateurs britanniques eurosceptiques qui finirent par quitter le PPE).
La stratégie politique l’emporte aussi parfois sur les fidélités idéologiques. Sous l’influence de Wilfried Martens, mais également de la CDU allemande (sa principale composante), le PPE a ainsi tempéré son engagement fédéraliste issu de ses origines démocrates-chrétiennes, pour mieux accueillir en son sein dans les années 1990 des partis de droite qui ne partageaient pas forcément ces orientations : Parti populaire (PP) espagnol en 1991, partis conservateurs suédois, danois et finlandais en 1995, Parti social-démocrate (PSD) portugais en 1996, Forza Italia en 1998, Rassemblement pour la République (RPR) français en 2001 (Boissieu, 2009). Au prix d’un certain reniement de ses convictions premières (promouvoir le processus d’unification et d’intégration fédérale en Europe), le PPE, devenu une sorte de catch-all party au programme volontairement vague, a élargi ses rangs pour devenir la formation dominante du Parlement européen et se donner la possibilité de choisir parmi ses membres le candidat au poste de président de la Commission (le Portugais José Manuel Barroso de 2004 à 2014, puis le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker). Début 2019, le PPE contrôlait les trois principales institutions européennes : la Commission européenne (son président Jean-Claude Juncker et treize commissaires sur vingt-huit), le Conseil européen (son président le Polonais Donald Tusk et neuf chefs d’État sur vingt-huit) et le Parlement européen (son président l’Italien Antonio Tajani). Si son élargissement politique a permis au PPE de renforcer son influence, il lui fait courir aussi le risque de voir entrer dans la formation des leaders parfois éloignés de ses valeurs comme le nationaliste hongrois Viktor Orban et son parti Fidesz (le PPE se déchire sur le fait de savoir s’il faut écarter le leader hongrois et son parti). Du reste, c’était déjà pour lutter contre la droitisation du PPE que certains élus centristes avaient fondé en 2004 le PDE (même si les deux promoteurs de cet europarti, le Français François Bayrou et l’Italien Francesco Rutelli, suivaient également ici une stratégie de différenciation politique aux enjeux surtout nationaux).
Les socialistes européens connaissent les mêmes problèmes de cohérence politique et idéologique. Après l’âge d’or des années 1980-1990 où le PSE dominait le Parlement européen, les années 2000 virent les tensions s’accentuer entre deux tendances rivales. Un courant social-démocrate, incarné par le Premier ministre britannique Tony Blair (1997-1997) et le chancelier allemand Gerhard Schröder (1998-2004), souhaitait l’évolution de l’europarti vers une « troisième voie » et un « nouveau centre » qui assumerait le virage libéral en matière économique. Un courant socialiste plus traditionnel, représenté par le Premier ministre français Lionel Jospin (1997-2002), défendait un modèle étatiste plus respectueux des services publics. Le congrès du PSE de Bruxelles en 2004 vit l’opposition entre deux candidats, deux programmes et deux espaces politiques (le modèle socialiste étant dominant en France, Belgique, Italie, Espagne et Grèce, alors que le modèle social-libéral avait les préférences du Royaume-Uni, de l’Allemagne et des anciens pays de l’Est). Depuis les années 2000, le PSE doit également composer avec la montée d’un puissant euroscepticisme dans les opinions nationales et dans les rangs des socialistes européens (comme l’ont montré les divisions au sein du Parti socialiste (PS) français lors du référendum sur la Constitution européenne en mai 2005).
À l’arrivée, les spécialistes comme les médias soulignent souvent les ratés des europartis (Brossard, Hofnung, Robert, 2013). Décrits comme de simples « coquilles vides », réduits au rôle de « forum de discussion », ils échoueraient dans leur mission de socialisation politique et de mobilisation militante, ils ne contribueraient pas assez à une démocratie représentative et participative à l’échelle européenne (Hanley, 2008). Ces structures, qui sont politiques mais non militantes, qui ne jouent pas la carte médiatique et ne développent pas de réelles stratégies de communication (pas de liens établis et réguliers avec des groupes de médias et des instituts de sondage), manquent de notoriété, de visibilité et de crédibilité auprès du grand public. Leurs lacunes et dysfonctionnements seraient même de nature à conforter les stéréotypes autour d’une Europe technocratique, loin des masses et de ses préoccupations concrètes. Un paradoxe pour des partis qui avaient été pensés comme les acteurs d’un débat ouvert, actif et démocratique sur l’Europe…
Certes, les europartis constituent encore des organisations relativement jeunes qui manquent d’expérience, mais leurs limites semblent surtout structurelles. Le constat posé il y a dix ans par Jean-Louis Quermonne (2008) selon lequel les europartis ne constituent que « de faibles confédérations de partis nationaux » ne semble pas démenti début 2019.
Boissieu L. de, 2009, « L’intégration des partis politiques français dans le système partisan européen », Revue internationale de politique comparée, 4 (16), pp. 721-735. Accès : https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2009-4-page-721.htm.
Brossard C.-A., Hofnung F., Robert C., 2013, « Les partis politiques européens », in Fondapol. Fondation pour l’innovation politique, mars. Accès : http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2013/03/Coup-doeil-sur-les-partis-europ%C3%A9ens-Fondation-pour-linnovation-politique.pdf.
Hanley D., 2008, Beyond the Nation State. Parties in the Era of European Integration, Basingstoke, Palgrave MacMillan.
Quermonne J.-L., 2008, L’Union européenne dans le temps long, Paris, Presses de Sciences Po.
Roa Bastos F., 2009, « Des “partis politiques au niveau européen” ? État des lieux à la veille des élections européennes de juin 2009 », Études et recherches, 71. Accès : http://institutdelors.eu/wp-content/uploads/2018/01/partispolitiqueseuropeensroabastosnemai09.pdf.
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