Grands hôtels


 

Même s’il n’existe pas de norme spécifique à leur sujet – tout au plus des distinctions figurant dans des guides ou à travers des étoiles de tourisme – les grands hôtels sont principalement apparus à partir des premières décennies du XIXe siècle en Europe et aux États-Unis, puis dans de très nombreux pays (Ascher, Cohen, Hauvuy, 1987 ; Denby, 1998 ; Donzel, 2010 ; El Gammal J., 2024). Depuis lors et de nos jours, ils sont associés à un public susceptible, en fonction de ses moyens souvent considérables et de son mode de vie, de les fréquenter, occasionnellement ou régulièrement. Les séjours relèvent simultanément ou successivement de la recherche du prestige, des affaires ou des loisirs. Si l’on peut – y compris sous forme d’expositions (Sabbah, Namias, 2019) – présenter la géographie et retracer l’histoire des grands hôtels, de leurs caractéristiques architecturales et des représentations qui leurs sont attachées sans difficulté majeure, il n’en va pas exactement de même pour leur fréquentation. En effet, l’une des caractéristiques des grands hôtels, et singulièrement de ceux que l’on appelle les palaces, est leur discrétion, à la fois proposée par eux et requise par leur clientèle. Certes, dans les chroniques mondaines, il peut être question de noms célèbres, mais si des sources policières mentionnent des personnalités et s’il existe certaines évocations intéressantes dues à des hôteliers (Litschgy, 1997 : 55-80), les listes relatives à l’ensemble de la clientèle sont d’accès difficile, voire impossible (Tessier, 2012 : 149-151, pour le début du XXe siècle). Il reste que nombre de caractéristiques peuvent être retracées, en relation avec les décors, les cadres et le service proposés. Entrent aussi en compte l’intérêt que ces établissements suscitent, parfois y compris auprès de ceux qui ne les fréquentent pas, et les rapports complexes, au fil des décennies, entre permanences et évolutions, à l’échelle du public comme des grands hôtels, parfois objets d’une réinvention ou d’une reconfiguration dans le champ du secteur du luxe.

Le Grand Hôtel de Paris. Carte postale (recto), éditée par Malcuit, XXe siècle. Source : Paris Musées/Musée Carnavalet - Histoire de Paris (CC0, domaine public).

Le Grand Hôtel de Paris. Carte postale (recto), éditée par Malcuit, XXe siècle. Source : Paris Musées/Musée Carnavalet – Histoire de Paris (CC0, domaine public).

 

 

Influences aristocratiques et adaptations hôtelières

La première question qu’il convient d’aborder, semble-t-il, tient aux causes du succès des grands hôtels auprès d’un public relevant des élites sociales, surtout mais non exclusivement traditionnelles. C’est le développement des séjours touristiques, pour lesquels il existe des références précoces, comme le « Grand Tour » au XVIIIe siècle, qui vient le plus aisément à l’esprit (Boyer, 1996 : 28-32). Dans l’ensemble, la tradition des loisirs élitaires était et demeure parfois surtout associée à la fréquentation des résidences de villégiature, châteaux ou manoirs, à l’occasion des saisons chères à la « bonne » ou « haute » société – celle que répertorie, en France, le Bottin Mondain (Grange, 1996). Avec le développement du tourisme – le mot, d’origine anglaise, commence à être utilisé durant la première moitié du XIXe siècle (Venayre, 2012 : 411-414) –, les grands hôtels, dans la mesure où les auberges étaient jugées trop modestes, ont attiré, sur le modèle des résidences précitées, voire de palais, des personnalités ou des familles recherchant l’entre-soi, sans d’ailleurs, pour nombre d’entre elles, qu’elles renoncent à des vacances dans les lieux dont elles étaient propriétaires, locataires ou invitées (Bravard, 2022).

Dans les pays pionniers, tels la Grande-Bretagne, la Suisse, la France, l’Italie et les États-Unis, et ceux qui ont suivi, y compris lorsqu’il s’agissait de colonies (Zytnicki, 2016) ou de protectorats (pour l’hôtel Semiramis du Caire, voir Boyer, 1996 : 76), les principaux lieux d’implantation des grands hôtels sont des capitales et leurs axes prestigieux comme les Champs-Élysées (Bantigny, 2020) ou la rue de Rivoli à Paris. Commencent à s’affirmer aussi des régions, telle la Côte d’Azur, ainsi dénommée à partir de la fin du XIXe siècle (Callais, 2019 ; Miles, 2023 ; Gay, s. d.a) et qui est l’une des formes de la « Riviera » que l’on trouve aussi sur les rivages d’autres pays . Des localités disposent de nombreux atouts pour les voyageurs, qu’il s’agisse des stations thermales de fondation parfois ancienne ou, plus tard, des stations de sports d’hiver. Des guides répertorient les principaux hôtels, c’est le cas des Baedeker depuis 1832 (El Gammal B., 2024), Murray ou Joanne (Morlier, s. d.) et, à compter de 1900, du Guide Michelin (2004), qui, jusqu’au début des années 1930, sélectionne prioritairement des hôtels.

Pour satisfaire le public numériquement restreint et fortuné fréquentant les adresses les plus prestigieuses, tout en assurant une rentabilité suffisante, il a fallu édifier des établissements se signalant souvent par leur grande taille, avec plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de chambres et suites. Ils sont dotés d’atouts en partie dérivés du modèle du palais – le mot palace se diffuse au tournant des XIXe et XXe siècles (Boyer, 1996 : 93-94) – ou de la demeure noble, tels l’apparat, l’ampleur des salons, le luxe des décors et de l’ameublement, un grand jardin ou parc quand c’est possible. S’y ajoutent parfois des boutiques de luxe, plus ouvertes, en quelque sorte, ainsi que des bars et certaines terrasses. Bien évidemment, les critères du confort, qui concernent beaucoup moins les chambres de service, ont pu évoluer : même si l’électricité et les ascenseurs ont fait leur apparition dans des établissements de prestige comme le Savoy de Londres (Gay, s. d.b), rares sont les grands hôtels dont la plupart des chambres sont pourvues de salles de bains avant 1914. En tout cas, la Suisse s’est fait précocement connaître par le confort de ses hôtels de luxe (Humair, Tissot, 2011). Les équipements ou aménagements sportifs ou de loisirs sont souvent en relation avec la localisation de ces établissements, comme les plages privées ou les golfs qui contribuent à la réputation des grands hôtels. En 1908, le Guide Michelin, alors distribué gratuitement, a pour la première fois, présenté une classification, sous la forme d’un pictogramme comportant des pignons – cinq pour les palaces et établissements de grand luxe, rangés dans la première catégorie (Lottman, 1998 : 107).

Salon d'hôtel du 19/20ème siècle richement décoré avec des tableau, moulures, fresque au plafond.

Photographie du Grand Salon de l’hôtel du Baron La Caze à Paris (photographe anonyme), XIX-XXe sicèle. Source : Paris Musées/Musée Carnavalet – Histoire de Paris (CC0 domaine public).

 

Clientèles, intermédiaires et spectateurs

La fréquentation des grands hôtels peut être fonction des saisons, au sens propre ou figuré, notamment dans les stations thermales, balnéaires ou de sports d’hiver. Cette dernière saison est d’ailleurs longtemps privilégiée aussi sur certaines côtes au climat agréable avant que la saison d’été ne suscite de l’engouement – à partir des années 1920 –, sur un mode moins guindé. C’est le cas sur la Côte d’Azur, notamment à Antibes (Campbell, 2020) et à Juan-les-Pins, la riche clientèle américaine contribuant à lancer ces nouveaux usages, exaltés non sans quelques transpositions littéraires par Francis Scott Fitzgerald (1896-1940). Sur d’autres continents aussi, par exemple en Floride ou en Californie, la fréquentation estivale des grands hôtels fait florès (El Gammal J., 2024 : 84-92).

Devanture de l'hôtel. Il est blanc avec des fenêtres partout. Très épuré. l'architecture du bâtiment ets plutôt en arc de cercle.

Fontainebleau Hotel à Miami Beach (Floride). Source : Ebyabe, Wikimedia (CC BY-SA 3.0).

 

Traditionnelle ou élargie, la fréquentation se définit en partie par la provenance des clients, qui correspond souvent à un certain cosmopolitisme de ces établissements, notamment dans les grandes villes ou les stations prestigieuses. La clientèle relevait au moins initialement de ce que Thorstein B. Veblen (1857-19 29 ; Guth, 2016) appelait la « classe de loisir », à l’intérieur de laquelle on a longtemps compté de riches rentiers, séjournant parfois des mois durant. On peut aussi identifier des catégories telles que les « têtes couronnées », des personnalités politiques, des diplomates, des hommes ou femmes d’affaires, des artistes et « vedettes », écrivains, journalistes célèbres ou figures en vue. Parmi bien d’autres, citons, entre deux siècles, Henry James (1843-1916 ; James, 1907) ou Marthe Bibesco (1886-1973 ; Terray, 2023). Les grands hôtels sont parfois fréquentés aussi par des intermédiaires ou des agents de renseignements, notamment, mais pas seulement, lors de périodes troublées (King, 2014 ; Mazzeo, 2015).

Quelles que soient les particularités, voire les « caprices » des clients, le personnel est tributaire de leurs attentes et de leurs demandes. Hiérarchisé, qu’il s’agisse des hôtels de luxe en tant que tels ou des brigades de leurs restaurants – organisées selon le modèle d’Auguste Escoffier (1846-1935), un des fondateurs de la cuisine de palace, notamment au temps de sa coopération avec César Ritz (1850-1918 ; James, 2002 ; Barr, 2018) – , ce personnel doit faire preuve de diplomatie ou de capacité d’adaptation vis-à-vis de ses échelons supérieurs (directeurs d’établissement ou de restaurants, voire maîtres d’hôtel et chefs de rang) et lorsqu’il faut répondre à des demandes particulières (concierges). Une certaine solennité est de mise dans les salons et les salles à manger. Les parties communes et les chambres sont parcourues et/ou entretenues par un personnel de service dont la situation est subordonnée (femmes de chambre, serveurs, grooms, garçons d’étages, liftiers, détectives). Occasionnellement victimes de « rats d’hôtel » (Lajoye, 2024), les clients exigent, outre la sécurité pour leurs personnes et leurs biens, une confidentialité relative aux espaces qu’ils occupent et s’attendent à ce que leurs souhaits soient pris en compte, eu égard au prix payé et à l’atmosphère recherchée.

En termes de médiation et de communication, la publicité n’est pas absente dans la manière dont les établissements prestigieux se font connaître, ou à travers des échos mondains, qu’il s’agisse de saison estivale ou hivernale. Il n’existe guère de « critique hôtelière » comparable à la critique gastronomique, mais une partie de la presse, avec des articles volontiers flatteurs, ou l’annonce de l’ouverture de nouveaux établissements, joue un certain rôle. De plus, de manière parfois critique, la littérature et le cinéma peuvent mêler réalité et fiction (Tadié, 2021), adopter des titres évocateurs (Baum, 1929 ; Kerr, 2009 ; Pfeijffer, 2018), contenir des scènes (la nouvelle La Mort à Venise de Thomas Mann [1875-1955], 1912 et le film de Luchino Visconti [1906-1976] qui en est inspiré, 1971), décrire des coulisses (Orwell, 1933) ou inclure des représentations de grands hôtels. Dans certains films, des séquences y ont été tournées ou des personnages divers, tels Hercule Poirot ou James Bond, s’y rendent régulièrement (El Gammal, J.,2024). Bien plus rarement, sont soulignés des contrastes avec des milieux modestes (Ruffin et Perret, 2024).

« James Bond 007 | CHECKS IN ». Collection des scènes où James Bond s’installe à l’hôtel dans les différents films de la franchises. Source : Every James Bond sur YouTube.

 

Les journalistes ou les photographes sont attentifs aux déplacements des clients illustres, principalement à l’extérieur des hôtels, parfois aussi dans leur périmètre, tel Jacques Henri Lartigue (1894-1986) au Cap d’Antibes ou au Normandy de Deauville (El Gammal J., 2024 : 92). Il existe aussi des spectateurs occasionnels, qui, par exemple à l’occasion de festivals, tel celui de Cannes, peuvent être présents, sinon à la sortie, du moins à proximité des grands hôtels. Ceci dit, il ne faut pas s’en tenir aux images les plus clinquantes. Nombre d’établissements connaissent, tout comme une grande partie de leurs clients, un certain anonymat, d’autant que l’appellation « grand hôtel » n’est pas réglementée : dans la première moitié du XXe siècle, par exemple, il existait en France nombre de petits « grands hôtels », y compris dans des villages (El Gammal, 2023 ; 2024).

Deux photographie. L'extérieur de l'hôtel à un aspect typiquement normand avec un bâtiment à pan de bois long. L'intérieur est richement décoré avec des meubles anciens dans des motifs fleuri vert et rouge.

Hôtel Normandy (extérieur et intérieur) à Dauville. Source : Arnaud 25, Wikimedia (CC BY-SA 4.0).

 

Entre représentations et mondialisation

À travers les décennies, là où les constructions se sont multipliées, notamment lors de la « Belle Époque » et des « Années folles », bien des images ont été fixées, notamment par la publicité, la photographie et les cartes postales. Des images nostalgiques ont circulé, des signes de vieillissement ont été relevés, aussi bien au sujet des hôtels que de leur clientèle, notamment durant l’après-guerre. Parfois, les évocations concernent la seconde moitié des années 1940 ou la décennie suivante, lorsque certains grands hôtels accueillent, avec des membres de vieilles familles, des écrivains compromis pendant les années noires (Fogel, 1980 ; Modiano, 1999). En outre, des hôtels ont fermé leurs portes et ont été transformés en appartements, par exemple sur la Côte d’Azur.

Il reste que des traditions se sont prolongées. Certains grands hôtels, devenus des lieux de mémoire – l’un d’entre eux est le Grand Hôtel de Cabourg, sur la Côte normande (Aublet et al., 2022), rendu célèbre par Marcel Proust (Henriet, 2020) –, continuent à s’en prévaloir et à s’ancrer dans des quartiers opulents, notamment dans des grandes villes (à Paris, le Ritz, l’un des plus souvent évoqués jusqu’à nos jours, le Meurice, le Crillon, le George V et le Plaza Athénée ; à Londres, le Savoy ou le Dorchester ; à Rio de Janeiro, le Copacabana Palace ; à Singapour, le Raffles) ou les stations côtières (Le Negresco à Nice, le Carlton ou le Majestic à Cannes, l’Hôtel de Paris ou l’Hermitage à Monte-Carlo).

Facade de l'hotel. Il est blanc/beige, l'architecture du bâtiment est plutôt carrée.

Copacabana Palace. Source : Pavel Špindler, Panoramio/Wikimedia (CC BY 3.0).

 

 

Néanmoins, les attentes de la clientèle, qui peuvent évoluer avec le temps, supposent une modernisation permanente du confort. Les propriétaires et les directions, qui subissent la concurrence des plus luxueux des hôtels de chaîne dont certains Hilton, cherchent aussi à rajeunir en partie l’atmosphère, tout en redoutant, même si elles assurent une certaine publicité, des extravagances de membres de la « jet set » ou de groupes de rock au comportement tapageur (El Gammal J., 2024). L’apparat des dîners dans les palaces, d’autre part, subsiste en partie. Si elle apparaît quelque peu figée pendant plusieurs décennies, on assiste même à un regain de la cuisine gastronomique à partir de la fin du XXe siècle, à l’Hôtel Nikko à Paris avec Joël Robuchon et dans les établissements les plus prestigieux, avec, par exemple, les trois étoiles de l’Hôtel de Paris de Monte-Carlo et un temps du Plaza-Athénée sous la direction d’Alain Ducasse. Depuis 2024, l’hôtel George V propose trois restaurants, couronnés respectivement d’une, deux et trois étoiles. D’autres établissements célèbres proposent à leur clientèle un restaurant étoilé et une brasserie : c’est le cas du Crillon à l’heure actuelle, avec L’Écrin et Nonos, ce dernier lieu étant supervisé par le célèbre chef Paul Pairet. Quel que soit le choix effectué par les clients, les codes vestimentaires sont moins stricts, dans la plupart des circonstances. Au sein des établissements, les comportements sont plus divers, encore que des comparaisons précises ne soient pas aisées à pratiquer, la notion quelque peu approximative de « nouveaux riches » pouvant relever de diverses époques et perceptions.

« L’Orangerie / Le Cinq at Four Seasons George V Paris ». Les restaurants de l’hôtel George V à Paris. Source : Mia Reviews sur YouTube.

 

En tout cas, le modèle de l’« hôtel-palais » est loin d’être le seul, et la hiérarchie, même si le label « Palace » a été officialisé en France la fin de la première décennie du présent siècle, est moins rigide. En témoigne l’évolution récente du Guide Michelin (2024), qui ne recense d’ailleurs plus les hôtels dans nombre de pays. Il a adopté récemment sur son site un système de « clés » à l’échelle mondiale (El Gammal J., 2024 : 190), ce que faisaient déjà des palmarès américains, tels ceux de Forbes ou de Condé Nast. La recherche du luxe ou de l’exclusivité, si elle est l’apanage de marques prestigieuses, telles Mandarin Oriental, Peninsula ou Cheval Blanc (LVMH dans ce cas), passe du reste par de nouvelles formes d’hôtellerie, avec une partie des « boutiques-hôtels » ou le goût des resorts, lodges et camps de luxe en partie lié au développement des voyages et à la recherche de nouvelles destinations. Elle tient aussi à diversification des marques et des marchés, et à la volonté d’échapper à une certaine standardisation des hôtels de chaîne, parfois, il est vrai, appréciés pour leur caractère fonctionnel.

Il arrive que le public lui-même continue à formuler des exigences spécifiques (Romain, Chopin, 2017) et entretienne une surenchère dans « l’hyperluxe » ou la personnalisation (Gourdon, 2023 ; Viguié-Desplaces, 2024). La concurrence s’exerce et le rôle de la conjoncture, comme on l’a vu lors de la récente crise sanitaire, s’avère important. En outre, la modernité ne met pas toujours en valeur les établissements du passé. Certains peuvent être aussi l’objet de la concurrence d’autres formes d’hébergement (tels les Airbnb de luxe), tandis que la construction de grands hôtels parfois immenses, certes présents depuis plus longtemps à Las Vegas, correspond parfois à des localisations récentes ou à des changements spectaculaires (pays du Golfe, Extrême-Orient). En Europe, du reste, la clientèle venue de ces régions du monde ou sous-continents peut avoir d’autres perspectives et des interprétations diverses de la modernité, tout en se retrouvant dans un certain goût du luxe mondialisé. Celui-ci apparaît parfois sous une forme exacerbée pour des Européens qui y séjournent ou s’y installent, comme à Dubaï (Cousin, Réau, 2016 : 50-52 et 90-92).

Enfin, la question du recrutement du personnel se pose, en raison des contraintes liées au travail dans les grands hôtels – et plus généralement l’hôtellerie et la restauration – même si l’excellence et le prestige exercent un certain attrait, pour le recrutement de directeurs d’établissements, de chefs renommés ou de responsables de la restauration (Gonzales, 2015) ou de la conciergerie. Il peut exister aussi des tensions sociales, même si elles sont souvent moins visibles dans les grands hôtels (Sherman, 2007 ; Beaumont, 2019).

Il reste que les ouvertures ou réouvertures prévues en 2025 s’efforcent de susciter la curiosité. Une récente sélection attire l’attention sur des établissements relevant des différentes facettes du luxe hôtelier, entre tradition, initiatives de marques prestigieuses et recherche de localisations optimales dans le monde : ainsi, avec le Brenners Park entièrement rénové de Baden-Baden, la Maison Heler de Philippe Starck à Metz, le premier hôtel Orient Express à Rome, le Four Seasons Hotel and Residences à Carthagène, en Colombie, le Bulgari Ranfushi dans les Maldives, l’Amai Nai Lert de Bangkok ou l’Inter-Continental Halong Bay Resort (Bernard-Guilbaud et al., 2025).

Les grandes lignes, accompagnées de nombreuses anecdotes, de l’histoire des grands hôtels peuvent être retracées et l’ont été, sous forme d’articles, de monographies, d’approches locales, régionales ou nationales, ou encore de synthèses, pour des périodes fastes, des phases de transition ou des années sombres. De la brochure au « beau livre », de la photographie au cinéma, de la nouvelle au roman, les illustrations et représentations, auxquelles s’ajoutent celles de sites internet délibérément flatteurs, sont nombreuses. La question du public est plus complexe qu’il n’y paraît, malgré le caractère très restreint de la fréquentation des grands hôtels au sens usuel, alors que le nombre des voyageurs a considérablement augmenté. La question des modèles se pose, entre imitation et différenciation, inaccessibilité et fascination – ou rejet, lorsque peut s’exercer, à moyens équivalents, un choix en rupture avec les usages en vigueur dans les grands établissements. Ceux-ci continuent à bénéficier d’une attention particulière de la part des grands groupes de l’industrie hôtelière, et, lorsque la conjoncture le permet, des investisseurs. Les hôtels de luxe sont aussi l’un des miroirs et des reflets des inégalités, alors même que certains d’entre eux se sont ancrés dans l’espace et dans la durée.


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Auteur·e·s

El Gammal Jean

Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire Université de Lorraine

Citer la notice

El Gammal Jean, « Grands hôtels » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 23 janvier 2025. Dernière modification le 27 janvier 2025. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/grands-hotels.

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