La théorie du codage/décodage
Figure centrale dans la formation des cultural studies, Stuart Hall (1932-2014) a profondément marqué de son empreinte l’étude de la culture et de la communication, autant que les théories de l’idéologie, de l’identité ou des rapports sociaux (voir Cervulle 2017 et 2019). Né à Kingston, il grandit au sein d’une famille de la classe moyenne jamaïcaine bien peu sensible au mouvement pour l’indépendance qui prend pourtant de l’ampleur dans le pays. Marqué par la dureté des tensions coloniales, et affecté par le « colorisme » qui prend place jusque dans sa famille, il développe durant ses jeunes années une sensibilité anticoloniale qui constituera son principal prisme de lecture des théories marxistes qu’il découvre à l’université (Hall, 2017 ; Hall, Chen, 1996). Ayant obtenu une bourse pour étudier à l’université d’Oxford, il s’installe en Angleterre puis démarre une thèse de doctorat en lettres portant sur les modes d’énonciation dans l’œuvre d’Henry James (1843-1916) et leur rôle dans la construction littéraire d’une dichotomie morale et culturelle entre l’Europe et l’Amérique. Il abandonnera cependant en 1956, sans jamais soutenir, considérant que les enjeux politiques qui l’animaient alors ne pouvaient plus être posés en des termes « purement littéraires » (Procter, 2004 : 5).
Engagé dans divers mouvements politiques, S. Hall participe surtout de la refondation intellectuelle de la gauche britannique au tournant des années 1960. En effet, il compte parmi les têtes de pont de la New Left, courant de pensée marqué à la fois par l’anti-impérialisme et l’anti-stalinisme, qui se déploie dans les pages d’une revue éponyme (la New Left Review). Très critique vis-à-vis du Parti travailliste, alors perçu comme incapable de réinventer l’imaginaire socialiste, la revue plaide en faveur d’une prise en compte du culturel dans l’analyse de la société britannique et des rapports de force idéologiques en son sein. Cette question, qui deviendra un marqueur de l’œuvre de S. Hall, conduit cette « nouvelle gauche » à percevoir les mutations culturelles en cours (montée de la société du loisir, industrialisation de la culture, émergence de subcultures et de nouveaux régimes d’affiliations et sensibilités culturelles) non seulement comme un terrain d’exploration indispensable à la compréhension de la société, mais comme ayant en elles-mêmes un caractère éminemment politique (Hall, 1990 [2020]). C’est durant cette période, entre 1961 et 1964, qu’il dispense ses premiers enseignements universitaires, au Chelsea College of Arts. Ses cours portent sur un domaine encore émergent, l’étude du cinéma et des médias, et forgent une expérience dont il tirera profit en rédigeant l’un des tout premiers manuels pédagogiques sur l’enseignement de ce qu’il appelle, avec son coauteur Paddy Whannel (1922-1980), les « arts populaires » (Hall, Whannel, 1964 [2018]).
En 1964, le professeur de littérature Richard Hoggart (1918-2014) lui propose de l’assister dans la création d’un centre de recherches dont il vient d’assurer le financement suite à son recrutement à l’Université de Birmingham. C’est dans ce contexte que naît le Centre for Contemporary Cultural Studies (CCCS), dont S. Hall sera d’abord directeur adjoint (1964-1968), puis directeur par intérim (1968-1971) avant de prendre pleinement la direction (1971-1978), suite à la nomination de R Hoggart à l’UNESCO. Le CCCS est à la fois le berceau institutionnel des cultural studies, un espace d’expérimentation intellectuelle et politique, et l’un des principaux lieux d’émergence du paradigme critique en sciences de la communication. Cette tradition est ainsi régulièrement qualifiée d’« école critique » – au même titre par exemple que l’école de Francfort – sous la dénomination d’école de Birmingham (voir par exemple Kellner, 2002 ; Rojek, 2007 ; Barker, 2007).
À la direction du CCCS, S. Hall s’attache à favoriser l’autonomie des doctorant·es afin de permettre l’émergence de perspectives de recherche inédites. Cette dimension expérimentale s’incarne dans les « sub-groups », des groupes de recherche se recomposant chaque année au gré de l’évolution des modes de problématisation (Cervulle, 2021). C’est dans le contexte de ces « sub-groups » que seront formalisées certaines des approches en cultural studies les plus marquantes : le Media Studies Group amorce un tournant vers la réception et l’ethnographie des publics, tout en considérant la consistance idéologique de formes médiatiques jusque-là rarement étudiées, telles que les feuilletons et jeux télévisés ; le Subcultures Group s’attèle quant à lui à l’analyse des pratiques de resignification au travers desquelles les subcultures juvéniles (punks, mods, rastas, etc.) mènent une véritable « guérilla sémiotique » (Hebdige, 1979 [2008]).
Durant cette période, S. Hall développe un paradigme critique d’étude des médias, fortement constructiviste et orienté vers l’analyse de leur portée idéologique. C’est dans ce contexte qu’il rédige en 1973 un article majeur, « Codage/décodage », désormais considéré comme un classique des théories de la communication. Sa contribution aux sciences humaines et sociales est cependant loin de se résumer à ses travaux sur les publics et la réception. Son apport comprend aussi, notamment, la formalisation de l’analyse des conjonctures politiques (qu’il développera à travers la saisie du thatchérisme comme « populisme autoritaire », voir Hall, 1988 [2021]), l’élaboration d’une théorie matérialiste du racisme (Hall, 1980d [2019]), ou encore le développement du concept de « régime de représentation » (Cervulle, 2022). L’article « Codage/décodage », dans lequel il souligne le rôle actif que jouent les publics dans la construction du sens des programmes télévisuels, représente cependant un moment clé de son parcours. Comme le soulignent Colin Sparks ou David Morley, cet article décisif constitue « peut-être le texte le plus influent qu’il ait écrit » (Morley, 2007 : 261) voire « l’un de [ses] plus grands apports intellectuels » (Sparks, 1996 [2016] : 77).
Présenté initialement en 1973 lors d’un colloque à Leicester, publié dans une première version longue dans les « polycopiés » du CCCS la même année, « Codage/décodage » se diffusera surtout dans une version raccourcie, à partir des années 1980, suite à sa parution dans une anthologie des cultural studies (Hall et al., 1980). Comment ce texte ramassé, parfois elliptique, ouvrant plus de boîtes conceptuelles qu’il n’a d’énergie pour en renfermer, est-il parvenu à s’imposer comme une contribution si conséquente ? Sans doute le fait que la circulation du texte ait eu lieu en parallèle de la publication de l’étude de D. Morley The Nationwide Audience (1980), qui inaugurera la tradition des recherches en « ethnographie des publics » en opérationnalisant la théorie du codage/décodage, y est-elle pour beaucoup.
Aujourd’hui considéré comme l’un des textes fondateurs des recherches sur la réception des publics médiatiques, « Codage/décodage » a fait l’objet à l’échelle internationale d’un conséquent volume de commentaires, de révisions ou d’applications empiriques. Le caractère désormais classique de ce texte a toutefois eu tendance à favoriser des lectures essentiellement utilitaires ou rétrospectives – ces dernières ne considérant son intérêt qu’au prisme des recherches subséquentes qu’il a inspiré. C’est sans doute le lot des œuvres qui au fil du temps sont apparues comme majeures que de n’être plus perçue qu’à travers la patine de l’histoire canonique dont elles seraient supposément dépositaires (Gurevitch et Scannell, 2003). Une approche rétrospective et strictement focalisée sur les apports « canonisés » échoue cependant à pleinement rendre compte de la portée du geste de Stuart Hall dans le paysage de la recherche en communication des années 1970. Pour prendre la mesure de la rupture qu’a représenté « Codage/décodage » dans la conceptualisation du processus de communication, il faut donc avant tout restituer le contexte historique qui a rendu nécessaire pour S. Hall l’écriture de ce texte, expliciter les difficultés conceptuelles particulières auxquels il tentait alors de répondre, et mettre au jour les obstacles théoriques qu’il n’est pas véritablement parvenu à surmonter.
Codage/décodage : une sémiotique critique du processus de communication
À partir du cas du discours télévisuel, « Codage/décodage » propose une révision des principales modélisations de la communication. Celles-ci ont alors en commun leur linéarité (transmission du message d’un producteur vers un récepteur), la focalisation sur le moment de l’échange, et surtout une difficulté récurrente à penser les échecs de communication autrement que comme des cas-limite. S. Hall propose une modélisation alternative, dans laquelle la production (ou codage) et la réception (ou décodage) bénéficient d’une « autonomie relative ». Il souligne ainsi la non-identité du procès de production et du procès de réception, soit le fait que chacun de ces moments du processus de communication possède « sa modalité spécifique, ses propres formes et ses conditions d’existence spécifique » (Hall, 1980c [2017] : 51). Bien que ces moments soient distincts, ils sont articulés, sous la forme d’une « structure complexe à dominante ». Cette expression, empruntée à Louis Althusser (1918-1990), désigne d’abord qu’on ne peut réduire un niveau de pratique à un autre, autrement dit que les pratiques de codage du message médiatique par les professionnel·les du secteur télévisuel différent a priori des pratiques de construction du sens propres au décodage par des publics. Elle renvoie ensuite au fait que l’un de ces moments dispose néanmoins d’un ascendant : même si le codage ne peut « à lui seul garantir pleinement le moment suivant avec lequel il s’articule » (Hall, 1980c [2017] : 252), il bénéficie néanmoins d’un avantage structurel lié à l’asymétrie entre diffuseurs et publics.
Le geste théorique ici accompli par S. Hall est double, et s’inscrit plus largement dans le mouvement qu’il imprime aux cultural studies : d’une part, il tente de changer la conceptualisation de la communication grâce à ce qu’il appelle le « paradigme sémiotique » (Hall, 1980c [2017] : 257), d’autre part il lui donne une résonnance distinctement critique, par le recours aux théories marxiste de l’idéologie. Si S. Hall se tourne vers la sémiotique et le marxisme, c’est principalement afin d’éliminer l’emprise de la tradition de l’empirisme américain, ce « comportementalisme ambiant » et « bon marché » qui entraverait selon lui la recherche sur les médias (Hall, 1980c [2017] : 257). Il vise alors le positivisme de ces recherches qui se sont focalisées sur les « effets » des médias. Le texte constitue une charge contre les travaux qui se sont développés dans ce creuset, qu’il s’agisse de la théorie des effets limités (notamment portée par Paul Lazarsfeld [1901-1976] et Elihu Katz [1926-2021]) ou de la théorie encore émergente, et qui s’est développée dans son sillage, des « usages et gratifications » (alors représentée par Katz, Gurevitch, Haas, 1973). À la première, qui rend compte des conditions d’influence des médias et soutient qu’elle serait tempérée par le réseau de relations interpersonnelles, ainsi que par des propriétés sociocognitives (la « perception sélective », la mémoire, le niveau d’attention), S. Hall reproche une focalisation sur l’échelle individuelle et une occultation de l’inscription plus large des publics dans des rapports sociaux et une conjoncture sociohistorique. Il conteste aussi le postulat fonctionnaliste de la théorie des effets limités : l’idée que les médias auraient une fonction intégratrice, en ce qu’ils permettraient de renforcer le consensus relatif aux normes de la société. Collant aux visées des diffuseurs, les enquêtes sur les effets des médias se positionneraient en facilitatrices, les résultats visant à renforcer la « transparence » de la communication. La communication serait ainsi réduite à sa dimension technique, prétendument neutre. Selon S. Hall (1973 : 19), une telle approche s’aveugle pourtant sur la dimension profondément idéologique de la communication médiatique : « dans des sociétés comme les nôtres, la communication entre les élites de la production audiovisuelle et leurs publics est nécessairement une ‘‘communication systématiquement déformée’’ ». La croyance en la « neutralité » de la communication médiatique implique aussi une conception réductionniste du message lui-même, qui ne peut dès lors être vu que comme un simple instrument, « une sorte de construction linguistique vide […], le moyen par lequel les intentions des communicateurs influenç[eraient] effectivement le comportement des individus récepteurs » (Hall, 1982 [2017] : 207). « Codage/décodage » ne réfère pas aux travaux de P. Lazarsfeld et E. Katz, et ne mentionne qu’implicitement la théorie des effets limités. C’est pourtant bien comme une réponse à cette perspective qu’il faut lire le passage suivant :
« Évidemment, il y aura toujours des lectures variantes individuelles, privées. Mais la “perception ” n’est presque jamais aussi sélective, aléatoire ou personnalisée que ce concept le suggère. Les modèles présentent, au-delà des variantes individuelles, des groupements significatifs. Toute nouvelle approche des études de public devra donc commencer par une critique de la théorie de la “perception sélective” ». (Hall, 1980c [2017] : 264)
S. Hall fait les mêmes objections à la théorie naissante des « usages et gratifications », qui suggère que les publics sélectionneraient activement et volontairement certains contenus ou certains modes de consommation médiatique en raison des diverses rétributions (cognitive, psychologique, affective, intégrative) que cela leur procure. La théorie reproduirait le fonctionnalisme et la réduction au niveau individuel de celle des « effets limités ». Là encore, la complexité du message médiatique comme discours structuré serait totalement oblitérée au profit d’un postulat quasi béhavioriste, indirectement fondé sur le modèle stimulus-réaction.
Loin d’être un texte visant l’édification sereine d’une théorie parfaitement éprouvée et stabilisée, « Codage/décodage » est ainsi en réalité un manifeste fiévreux, écrit – comme le dira S. Hall près de vingt ans plus tard – avec « une charge polémique » (Hall et al., 1994 : 253). D’autant que S. Hall le rédige à l’occasion d’un colloque organisé par le Centre for Mass Communication Research (CMCR) de l’université de Leicester, l’un des fers de lance britannique des recherches positivistes sur les effets des médias, et concurrent des cultural studies. C’est d’ailleurs là que se trouve sans doute l’adversaire principal du texte de S. Hall. Plus que de viser la tradition de l’empirisme américain, alors le paradigme dominant des recherches en communication, c’est sa traduction britannique en plein essor qu’il tente principalement d’atteindre, même si les passages plus polémiques ont été quelque peu atténués, entre la version de 1973 et le texte définitif de 1980. « Ma cible était le Centre for Mass Communication Research de Leicester, écrit S. Hall, c’est eux que j’essayais de dynamiter » (Hall et al., 1994 : 255).
Face aux approches positivistes, le texte vise principalement à démontrer l’antériorité de la question sémiotique sur d’éventuels effets, usages ou gratifications. S. Hall soutient que la construction du sens par les publics, la « lecture » qu’ils opèrent du discours médiatique, ne peut que précéder analytiquement quelconques effets. Quelle que soit la supposée « influence » d’un message médiatique, elle est nécessairement dépendante de la manière dont il sera interprété par les publics. En étendant le paradigme sémiotique au-delà de la seule analyse du message et en le déployant « de part et d’autre de la chaîne de communication » (Hall, 1980c [2017] : 257), il s’agit donc de rendre compte : en amont, des conditions de mise en forme du message médiatique ; en aval des « conditions de perception » (Eco, 1970) par les téléspectateurs ; mais aussi, troisièmement, des conditions de leurs rapports.
Dans la modélisation du processus de communication proposée par S. Hall, deux structures de sens disjointes se font donc face : la structure de sens 1, qui correspond à la signification du message tel qu’encodé par les producteurs, et la structure de sens 2 que fait émerger un téléspectateur face au programme. Il n’y aurait donc pas nécessairement de coïncidence entre le message encodé et le message décodé. Cela s’explique, selon S. Hall, par la possibilité que pour faire sens du programme soient mobilisés en réception des codes ou cadres de connaissance différents. Pour autant, la construction du sens n’est pas un jeu libre dénué de contraintes, et la polysémie n’est pas totale, elle est structurée : l’encodage du message borne l’interprétation du texte. Et c’est à ce stade du raisonnement que S. Hall mobilise l’apport des théories critiques, en particulier la sémioclastie barthésienne, l’idée bakhtinienne d’une « lutte des classes dans le langage » (Bakhtine, 1977 [1929]) ou les approches structuralistes de l’idéologie (convoquées via le recours à L. Althusser).
L’un des objectifs principaux de S. Hall est d’explorer le point où l’idéologie et le discours télévisuel se rencontrent. Contrairement à ce que l’on pourrait donc penser de prime abord, sa conception du code n’est ni « culturelle » (par exemple la question de l’incompréhension que pourrait susciter un programme dont on ne maîtriserait pas les postulats de représentation) ni « sociolinguistique » (la question des différents niveaux de langue et des méprises que leur maîtrise inégale occasionne), ni même cognitive (la capacité d’attention, de concentration ou de mémorisation des contenus). Sa conception du code est strictement idéologique. L’idéologie selon S. Hall, qui s’inspire sur ce point de L. Althusser, doit être comprise comme un système de signification à travers lequel nous concevons et faisons l’expérience du monde. Elle se déploie à partir de « pratiques spécifiques : les pratiques impliquées dans la production du sens » (Hall, 1985 [2012] : 147). Cette idée, qu’il résumera en parlant de « politique de la signification », fait de la construction du sens un champ de bataille idéologique, dont l’enjeu est la fixation de connotations particulières aux signifiants au travers desquels le monde est appréhendé. La visée idéologique finale étant la naturalisation de ces connotations, au point où elles en viendraient à apparaître comme des dénotations (c’est-à-dire prétendument littérales et descriptives). Il s’agit donc essentiellement pour S. Hall de rendre compte de cette conflictualité idéologique prenant la signification comme terrain d’affrontement, en mesurant l’écart entre l’idéologie encodée dans le message télévisuel et celles au travers desquelles les publics le décodent. Il figure pour cela trois idéaux-types du rapport idéologique qu’entretient la réception avec le message encodé. Le premier correspond à une lecture « dominante-hégémonique » (ou lecture préférentielle) : lorsque le code de référence employé pour encoder le message est le même qui sert à son décodage, impliquant non seulement une « communication transparente », mais une intégration sans réserve par le téléspectateur du sens connoté. Le second renvoie à une lecture « négociée » : elle est caractérisée par une interprétation située du message manifestant une contradiction entre l’adhésion aux principes idéologiques généraux du code de référence mais une opposition à l’application de ces principes à l’échelle locale du téléspectateur. S. Hall donne ici l’exemple du désajustement entre l’adhésion d’un travailleur au discours économique relatif à « l’intérêt national » visant à justifier une loi sur la limitation du droit de grève et son souhait néanmoins de défendre ses conditions de travail, y compris par le recours à la grève. Enfin, le troisième type est celui d’une lecture oppositionnelle : lorsque le message est lu selon un code radicalement différent de celui mobilisé en production, exprimant un rejet de l’idéologie structurant le message, et mobilisant d’autres registres de connotation.
Ces trois postures de réception, décrites schématiquement par S. Hall, ne correspondent pas au sens strict à de quelconques catégories sociologiques, bien qu’elles semblent être distinctement en prise, dans le texte de S. Hall, avec la position des récepteurs dans les rapports de classe. Elles ne sont d’ailleurs pas plus immédiatement opérationnelles. Il aura fallu les travaux de David Morley et Charlotte Brunsdon (1999 ; 1978) sur l’idéologie du magazine télévisuel britannique Nationwide et ses modes de réception (Morley, 1980), non seulement pour donner une consistance empirique à ces idéaux-types, mais également pour entamer une conversion méthodologique du modèle. Au travers d’entretiens collectifs (focus group) avec des groupes de publics réunis en fonction de caractéristiques sociodémographiques communes (en termes de genre, de catégorie socioprofessionnelle, mais aussi d’expérience du racisme), D. Morley (1980) parviendra à démontrer le caractère opératoire des idéaux-types de S. Hall, soulignant notamment le caractère ordinaire du décodage négocié, la tendance au décodage oppositionnel des groupes sociaux exclus de l’adresse télévisuelle, et surtout le caractère hautement contextuel de ces opérations de décodage.
La renommée et la pérennité du modèle codage/décodage étant fortement liée à la recherche de D. Morley, ce dernier s’est trouvé systématiquement associé aux théories de la réception, et non aux recherches sur les conditions de production des messages médiatiques. De façon intéressante, le projet initial de C. Brunsdon et D. Morley était pourtant d’éprouver empiriquement l’ensemble des « moments » du processus de communication décrits par S. Hall. L’impossibilité de faire du terrain au sein de la société de production de l’émission ou de la chaîne a cependant empêché C. Brunsdon et D. Morley d’étudier « le processus de production, les pratiques internes, la culture professionnelle du secteur audiovisuel et le ‘‘moment de l’encodage’’ » (Gurevitch et Scannell, 2003 : 240). Aussi la question de l’encodage professionnel et de sa portée est-elle restée faiblement opérationnalisée, et finalement assez peu commentée dans les discussions du texte de S. Hall. Cela s’explique cependant peut-être aussi par les limites de la conceptualisation même que propose S. Hall de cette dimension.
Les limites du modèle
La fragilité du modèle de S. Hall se comprend facilement au regard du caractère d’urgence donné à l’écriture de « Codage/décodage », dans le contexte de la montée en puissance des recherches positivistes dans le paysage britannique des recherches sur les médias. L’enjeu était moins de fournir un modèle per se que de rendre compte de l’intérêt d’un tournant sémiotique et critique. « En écrivant ce texte, dit rétrospectivement Stuart Hall, je ne pensais pas générer un modèle de recherche qui durerait pour 25 ans. Je ne crois d’ailleurs pas que ce texte ait une rigueur théorique, une cohérence interne et une consistance conceptuelle suffisantes pour cela ». (Hall et al., 1994 : 255).
Le texte fut écrit avec un autre adversaire intime en ligne de mire, moins connu dans la recherche francophone, bien qu’il ait été très influent dans le monde anglophone durant les années 1970 (McCabe, 1985), et un adversaire théorique majeur des cultural studies (voir Coward, 1977 ; Chambers et al., 1977) : la Screen Theory. Nommée ainsi en référence à la revue britannique Screen (1952-), cette théorie d’inspiration psychanalytique et althussérienne conçoit le cinéma comme une structure de subjectivation des publics. Pour ses principaux auteurs (Colin McCabe, Stephen Heath et Laura Mulvey), l’inscription implicite du public dans les structures formelles du texte (« les modes d’adresse textuels ») participerait de l’assujettissement idéologique inconscient des spectateurs et spectatrices. La Screen theory prétend ainsi déduire de l’analyse filmique des effets idéologiques sur les publics. À l’évidence, une telle théorie pose d’importants problèmes, comme le relève quelques années plus tard le Media Studies Group du CCCS : d’abord, elle « réduit le ‘‘lecteur’’ à une simple fonction du texte » (CCCS Media Group, 1978a), ensuite « les déterminations extratextuelles, le champ des formations idéologiques au sein duquel textes et spectateurs entrent en contact, l’intertextualité des autres discours » sont totalement occultés (CCCS Media Group, 1978b ; voir aussi Hall, 1980a, 1980b [2005]). Non seulement le formalisme de la Screen theory écrase les publics concrets et les rapports complexes et ambivalents qu’ils peuvent nourrir vis-à-vis des films, mais selon S. Hall elle ignore aussi les conditions de production, les préalables sémiotiques et idéologiques à la mise en forme du « texte » filmique (Hall et al., 1994 : 260). La toute-puissance accordée par Screen au texte filmique empêche la prise en compte de la conjoncture sociohistorique au sein de laquelle il s’inscrit.
L’opposition à Screen explique l’insistance de S. Hall sur la variété des positionnements idéologiques des publics, qu’il considère comme non déterminés par avance par le texte médiatique, bien que celui-ci soit travaillé de l’intérieur par l’idéologie dominante. C’est pourtant sur ce dernier point que le texte de S. Hall touche à l’une de ces principales limites, qui semble d’ailleurs paradoxalement répliquer celle de la Screen Theory. L’idée que les professionnel·les de la télévision encodent les messages médiatiques selon l’idéologie dominante constitue un postulat non interrogé, tout comme l’idée que les films seraient porteurs de l’idéologie dominante est un allant-de soi de la Screen Theory. « Qu’il suffise de dire, écrit Hall, que les professionnels sont liés aux élites qui formulent les définitions, non seulement du fait de la position institutionnelle de la télévision en tant qu’‘‘appareil idéologique’’, mais aussi de par la structure d’accès (c’est-à-dire l’accès systématiquement ‘‘excessif’’ à la télévision d’un personnel de l’élite sélective et de sa ‘‘définition de la situation’’) » (Hall, 1980c [2017] : 266-267). Si l’on en croit S. Hall, les pratiques professionnelles d’encodage des messages médiatiques opèreraient nécessairement dans le cadre de l’idéologie dominante. Ainsi, bien qu’il prétende poser la question de la « relative autonomie » des pratiques professionnelles d’encodage, il tend cependant à leur accorder une place seconde face à un foyer idéologique bien plus puissant (les « élites »). On retrouve ici, trait pour trait, la théorie des définisseurs primaires que S. Hall développera dans un ouvrage de 1978, Policing the crisis, rédigé avec Chas Critcher, Tony Jefferson, John Clarke et Brian Roberts. Selon celle-ci les sources institutionnelles joueraient, dans la fabrique médiatique de l’information, le rôle de définisseurs primaires, tandis que les médias se verraient attribuer une place secondaire de reproduction du cadrage dominant des évènements. Dans « Codage/décodage » comme dans cet ouvrage, on se trouve confronté ainsi à deux difficultés (auxquelles répondra notamment la sociologie du journalisme) : d’une part, l’impossibilité à qualifier précisément et simultanément les contraintes spécifiques à l’activité journalistique et ses marges d’autonomie ; d’autre part, la non prise en compte du rôle actif des sources et la dynamique de contestation dont sont porteuses des sources alternatives aux institutions. Ainsi, dans la lecture critique qu’il propose du concept de « définisseur primaire », Philip Schlesinger (1990 [1992]) reproche sa dimension « structuraliste », qui ne prendrait en considération qu’une structure de pouvoir déjà fixée d’avance, où les sources « officielles » auraient nécessairement la haute main sur la définition des faits. De la même façon, dans « Codage/décodage », la place centrale accordée au rôle de l’idéologie dominante dans la production des messages médiatique tend à réduire la portée du paradigme sémiotique que S. Hall prétend pourtant étendre. Si le décodage apparaît bien sous sa plume comme un champ de bataille, côté production, l’encodage semble être une partie déjà jouée d’avance.
Une seconde limite d’importance concerne la définition même de la « lecture préférentielle » (ou hégémonique), celle que prescrirait le texte en raison de son encodage et de l’avantage structurel dont bénéficierait ce dernier dans le processus de communication. Comment l’identifier ? Et depuis quelle position analytique ? Comme le demande D. Morley (1981 [1992] : 6) :
« La lecture préférentielle est-elle une propriété du texte en tant que tel ? Ou peut-elle être générée à partir du texte (par une lecture ‘‘experte’’) via certaines procédures spécifiques ? Ou est-elle celle dont le chercheur prédit qu’elle sera dominante parmi les membres du public ? Pour résumer, la lecture préférentielle est-elle une propriété du texte, du chercheur ou du public ? »
Cette question est cruciale, dans la mesure où le modèle de S. Hall invite à la mise en rapport de deux expressions idéologiques – celle du message encodé et celle du message décodé. La limite ici n’est toutefois pas tant méthodologique que proprement épistémologique. La question posée (Wren-Lewis, 1983) est d’une part celle de l’impossibilité d’établir un dehors analytique depuis lequel objectiver l’idéologie. La difficulté à laquelle se heurte S. Hall est de l’introuvable « coupure épistémologique » (entre science et idéologie) qu’avait revendiquée L. Althusser (1965) en son temps. D’autre part, la difficulté à localiser précisément l’idéologie du message médiatique provient du fait qu’au moment de l’écriture du texte, S. Hall oscille déjà entre le paradigme sémiotique et le paradigme déconstructiviste (qu’il adoptera plus franchement dans ses travaux plus tardifs). On pressent parfois dans « Codage/décodage », l’idée d’une indécidabilité et instabilité du sens du texte médiatique – une idée qui, comme Hall le reconnaîtra par la suite était déjà sous-jacente dans « Codage/décodage » et qui s’inspirait de la conceptualisation derridienne de la « différance » (Hall et al., 1994). Le postulat de S. Hall déborde donc quelque peu le strict paradigme sémiotique, considérant que la signification du message n’est pas fixe, et qu’aucune position de surplomb analytique ne permettrait donc ni d’en rendre pleinement compte ni de déterminer complètement sa charge idéologique. La chercheuse et le chercheur ne seraient-ils donc finalement que des décodeurs ordinaires ?
Quelles qu’aient pu être ses limites, « Codage/décodage » a néanmoins trouvé une forte résonnance en parvenant à frayer une voie nouvelle pour l’étude des publics et de la réception. L’objectif que s’était assigné S. Hall, de contester le modèle déterministe de la revue Screen sans renoncer pour autant à toute détermination, et de s’opposer aux théories positivistes réduisant les publics à des consommateurs souverains, a été très largement atteint au vu des multiples reprises qu’il a suscité et du champ de recherches qu’il a contribué à faire exister. En renvoyant dos-à-dos les approches misant sur la toute-puissance du texte ou sur l’idée d’une consommation individuelle libre, il a dégagé l’espace nécessaire à la constitution d’un problème scientifique et politique nouveau : l’inscription sociale de la construction du sens par les publics des médias.
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