Harcèlement de rue


 

Depuis quelques années, et en très peu de temps, le sujet du « harcèlement de rue » a fait l’objet d’une rapide montée en puissance dans les discours publics. L’expression « harcèlement de rue », qui signifie généralement harcèlement sexiste ou sexuel dans l’espace public, a circulé sous la plume des journalistes, s’est répandue jusqu’à être utilisée par des ministres, s’est imposée dans le langage courant en étant inscrite dans plusieurs dictionnaires (par exemple : Le Grand Larousse, 2023 ; Le Petit Robert, 2017). Le harcèlement de rue fait même son entrée – en changeant de terminologie (« outrage sexiste ») – dans la loi française. Mais qu’est-ce que ce « harcèlement de rue » ? Et comment cette expression s’est-elle diffusée si rapidement ? Il importe alors de déconstruire cette forme d’évidence partagée et de revenir sur la trajectoire quelque peu surprenante et incertaine de cette nouvelle catégorie.

Si le vocable est récent, le phénomène, lui, n’est pas nouveau. Aux États-Unis, dès le XIXe siècle et surtout au début du XXe siècle, des formes de harcèlement dans la rue sont documentées dans les travaux d’Estelle Freedman (2013) et Kerry Segrave (2014), au sujet de ceux qui étaient alors appelés des mashers. De même, en France, Juliette Rennes (2022 : 308) souligne, dans un livre consacré aux métiers de rue, combien « [dans les rues parisiennes des années 1900] suivre des femmes et les aborder pour leur susurrer des mots grivois sont des pratiques masculines ordinaires ».

Que se passe-t-il donc de particulier, dans la période récente, pour expliquer l’imposition d’un nouveau problème public (Neveu, 2021) ? Comment le « harcèlement de rue » a-t-il émergé au cours des années 2010 comme un sujet et une catégorie pour penser ? Dans un fil mêlant logiques chronologiques et analytiques, on reviendra sur les différents espaces qui ont contribué à son invention et diffusion en France : les médias d’abord, suivis du militantisme féministe, puis la recherche scientifique et, enfin, les politiques publiques.

 

Une montée en puissance médiatique, autour d’« événements »

C’est d’abord dans la presse qu’apparaît le sujet dit du harcèlement de rue, à un moment où n’existent, en France, ni politiques publiques, ni mobilisations militantes substantielles à ce propos – et l’on se situe plusieurs années avant le futur « moment #MeToo » de l’automne 2017 (Pavard, Rochefort, Zancarini-Fournel, 2020 ; voir aussi Ruffio, 2020). Les médias jouent ici un rôle de précurseurs en n’étant pas seulement des « haut-parleurs », mais aussi, en eux-mêmes, les « promoteurs » (Neveu, 2015 : 88) d’une nouvelle cause. Si quelques articles avaient déjà pu traiter du sujet, c’est surtout en 2012 que le « problème » apparaît sous la plume des journalistes français à l’occasion de la diffusion et médiatisation d’une vidéo réalisée par une étudiante belge, Sofie Peeters. Intitulée « Femme de la rue », celle-ci la mettait en scène en train de marcher et de se filmer en caméra cachée dans les rues d’un quartier de Bruxelles pour dénoncer le harcèlement. Largement relayée en France sur l’internet puis dans la presse, cette vidéo marque le premier « événement médiatique » (Champagne, 2011) lié au sujet, et correspond à l’apparition de l’expression « harcèlement de rue » dans la presse française.

« Harcèlement de rue : les 10 ans du documentaire “Femmes de la rue” – RTBF Info ». Source : RTBF Info sur YouTube.

 

Après 2012, la publicisation du problème se poursuit et connaît une accélération en 2017 et 2018. À partir d’un recensement dans la presse française, on note que si entre 2012 et 2017 le nombre d’articles traitant du sujet reste en deçà de 100 articles mensuels, il faut attendre 2017-2018 pour que le seuil des 500 articles mensuels soit dépassé, avec notamment trois « événements » médiatiques. Ces trois « événements » se rapportent à une pétition concernant le quartier parisien de La Chapelle annonçant que les femmes y seraient « en voie de disparition », une « affaire » policière et judiciaire, pour des insultes et violences dans une rue parisienne, l’affaire Marie Laguerre, qui aboutira sur une condamnation pour « violences », et enfin le projet de pénalisation du harcèlement de rue largement publicisé par le gouvernement et objet de nombreuses controverses, notamment de la part de chercheur·euses et militant·es féministes.

 

Un nouvel objet des mouvements féministes français

Au début de la médiatisation du sujet, le harcèlement de rue n’est encore pas ou peu saisi par des collectifs militants en France. C’est un peu après, en 2014, qu’est créé un collectif (devenu association) se donnant pour objet la lutte contre le harcèlement de rue : « Stop harcèlement De Rue ».

Dans un second temps, la mobilisation de ces militant·es accompagne la publicisation du sujet. En effet, « Stop Harcèlement De Rue » développe principalement trois types d’actions militantes, dont deux visent à rendre visible le sujet : des actions dans l’espace public (collages d’affiches, distributions de tracts, actions fondées sur la théâtralité, la surprise…), des actions d’éducation et de formation, notamment dans des collèges et lycées (sur ce point, voir Dekker, 2019), et enfin, des actions de communication (communiqués de presse, réponses aux interviews des journalistes…).

En revanche, bien que le collectif se lance à la suite de l’utilisation conséquente d’un hashtag (#harcèlementderue) sur le réseau social Twitter, et en réponse à celui-ci (#stopharcèlementderue), son militantisme se fait essentiellement « hors ligne ». Il dispose de comptes sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter, mais ceux-ci sont utilisés, pour reprendre les mots d’une militante lors d’une réunion de l’association (2018), comme « un outil de comm’ comme un autre », davantage que comme un mode d’action spécifique. Pour cette raison peut-être, ainsi que pour des motifs liés aux profils de ses membres, quelques années plus tard, alors que le hashtag #MeToo est mobilisé douze millions de fois dans ses premières vingt-quatre heures (Fileborn, Loney-Howes, 2019 : 3), qu’il conquiert une existence hors ligne et devient un « outil de communication militant » (Despontin Lefèvre, 2018 : 79), Stop Harcèlement De Rue ne se l’approprie pas, en dépit d’un intérêt des militant·es à son égard.

Campagne de sensibilisation nationale, massive et inclusive coréalisée avec Héro·ïnes 95 et le ministère chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances. Affiches réalisées par Aurélien Raffanel. Source : Stopharcelementderue.org.

Campagne de sensibilisation nationale, massive et inclusive coréalisée avec Héro·ïnes 95 et le ministère chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances. Affiches réalisées par Aurélien Raffanel. Source : Stopharcelementderue.org.

 

Au sein des mouvements féministes français, le « harcèlement de rue » est un nouvel objet. Si des féministes ont pu dénoncer, plus tôt dans l’Histoire, de tels comportements, et plus généralement les effets de la domination masculine dans la rue, c’est en revanche une nouveauté que ce sujet soit directement pris pour cible, de façon centrale, et visé par une catégorie militante spécifique qui lui donne une cohérence. Au cours de la « deuxième vague » féministe des années 1960 et 1970 (Despontin Lefèvre, 2023), qui avait mis au centre de ses préoccupations le viol, et plus largement les violences (Pavard, Rochefort, Zancarini-Fournel, 2020 : 306 et s. ; Picq, 1993 : 234 sq. ; Zancarini-Fournel, 2004), la question peut parfois ressortir mais reste rarement abordée en tant que telle. Dans les archives de revues militantes, lorsque le sujet est traité, avec d’autres termes, c’est plutôt en le problématisant comme une menace de viol, ou comme base rendant possible le viol, que comme un problème autonome, en soi (Archat, 2022).

Pour comprendre l’histoire de la problématisation du « harcèlement de rue » en France, il est nécessaire de la replacer au sein de circulations transnationales. En effet, il existe une histoire plus ancienne du concept et de cette cause aux États-Unis, d’une part, dans la littérature académique (on y reviendra) et, d’autre part, au sein des mouvements féministes. On peut citer par exemple « The street harassment project », qui existe depuis 2000, au moins, ou surtout Hollaback ! et Stop Street Harassment, respectivement créées en 2005 et 2012, qui visent à la structuration d’un mouvement transnational de lutte contre le harcèlement de rue. En France, ce sont tout particulièrement ces expériences étatsuniennes qui ont inspiré les militant·es de Stop Harcèlement De Rue (Dekker, 2021a ; Archat, 2022), à commencer par le nom du collectif. Un « mouvement global de lutte contre le harcèlement de rue » (Desborough, 2020) prend de fait forme, en étant centré autour des États-Unis, mais aussi d’autres « pôles » comme l’Égypte ou l’Inde (ibid.). En Inde, le mouvement se développe en particulier durant les années 2000 et 2010, notamment en réaction au harcèlement suivi du viol d’une femme dans un bus à Delhi, qui causera son décès (Kearl, 2015 ; Desborough, 2020). Les initiatives égyptiennes se forment et prennent de l’ampleur approximativement à la même période, et en particulier au moment du processus révolutionnaire de 2011. Dans ces deux pays, le militantisme émane d’associations, de collectifs ainsi que d’ONG, et repose sur des actions de sensibilisation et de communication, de cartographie collaborative, parfois de « lobbying » auprès des autorités. En Égypte sont aussi déployés des modes d’action plus directs : des formations à la self-défense des femmes et la mise en place de patrouilles bénévoles d’intervention en cas d’agression (Abdelmonem, 2015 ; Abdelmonem, Galán, 2017 ; Desborough, 2020 ; Lachenal, 2015 ; Kearl, 2015 ; Tadros, 2015).

En parallèle à Stop Harcèlement De Rue, d’autres collectifs ou associations viennent appuyer la politisation du sujet. Mais il s’agit surtout de mobilisations ponctuelles, comme lorsque l’association féministe « généraliste » « Osez le féminisme ! » réalise une campagne intitulée « take back the metro » [« reprenez le métro »], titre inspiré des marches de nuit intitulées « take back the night » qui se tiennent aux États-Unis à partir de 1977 (Delage, 2017 : 40 ; 2018) et « qui consistent à “reprendre la nuit” », en « dénon[çant] les menaces de viol pesant sur les femmes qui osent sortir seules dans l’espace public, faire de l’auto-stop ou porter des mini-jupes » (Pavard, Rochefort, Zancarini-Fournel, 2020 : 310). Organisée en 2014 à Paris, la campagne d’« Osez le féminisme ! » consiste en des actions, dans le métro, de distribution en tenue festive de tracts et autocollants reprenant et détournant les visuels présents dans les transports, ainsi qu’en une pétition à destination des entreprises et autorités organisatrices de transports en commun pour demander des actions de leur part. Plus généralement, des associations comme Womenability ou FéminiCités, qui défendent un regard genré sur l’urbanisme et les usages de la ville, apportent un contexte favorable à la politisation du harcèlement de rue.

« Kit de la militante » sur le site d’« Osez le Féminisme ». Source : https://osezlefeminisme.fr/kit-militant-e/.

« Kit de la militante » sur le site d’« Osez le Féminisme ». Source : https://osezlefeminisme.fr/kit-militant-e/.

 

La production de connaissances scientifiques sur le phénomène 

En plus des discours médiatiques et militants, les scientifiques vont aussi jouer un rôle dans la progressive problématisation du sujet. Aux États-Unis notamment, une littérature se développe dès la fin des années 1970 et, en particulier, au cours des années 1990, avec des travaux de sociologie, science politique, droit, psychologie, communication, « women’s studies », qui visent à caractériser, expliquer, parfois dénoncer ce phénomène. En France, cette littérature apparaît plus tardivement. De fait, plus que de « harcèlement de rue », les premiers travaux traitent plutôt des usages sexués ou genrés des espaces publics, surtout urbains (Coutras, 1996 ; Perrot, 1997 ; Camus, 2004 ; Denèfle, 2004 ; Dupont-Kerlan, Fontaine, 2004 ; Pennec, 2004). Certaines de ces recherches mentionnent brièvement des « agressions verbales » (Camus, 2004) ou des « remarques et quolibets » (Pennec, 2004), sans que cela soit leur objet principal. D’ailleurs, cette attention à l’occupation de l’espace public en fait un sujet pour des géographes et urbanistes (comme Marianne Blidon, Lucile Biarrotte, Claire Hancock, Corinne Luxembourg, Édith Maruéjouls, Yves Raibaud, Marion Tillous…), qui interrogent le genre de la production et des pratiques des espaces urbains.

La question du « harcèlement » apparaît plus spécifiquement en France avec les écrits de Marylène Lieber (2007 ; 2008), sociologue et spécialiste d’études de genre. Inspirée notamment par des travaux féministes anglophones, celle-ci parle de harcèlement dans l’espace public lorsqu’elle y étudie les expériences des femmes. Elle déconstruit aussi l’évidence de la vulnérabilité des femmes dans l’espace public, en montrant que les peurs féminines, largement naturalisées, sont construites et résultent de la récurrence d’images médiatiques, d’éducations différenciées entre filles et garçons concernant les sorties, ainsi que du vécu d’une répétition de « faits “anodins” [qui] se font menace » (Lieber, 2006 ; 2007 ; 2008). Ces actes ne sont pas lus comme des incidents isolés, mais au contraire relèvent, pour M. Lieber, de formes de contrôle social, de « rappels à l’ordre » sexué : ils rappellent aux femmes qu’elles ne sont pas complètement à leur place dans la rue, qu’« elles transgressent les normes sexuées lorsqu’elles se promènent seules dans les espaces publics » (Lieber, 2006 : 44). Ils constituent d’ailleurs des rappels à un ordre sexué mais aussi hétéronormé – c’est-à-dire fondé sur une norme hétérosexuelle –, visible dans les injures et agressions spécifiques visant des femmes identifiées comme lesbiennes (Zeilinger, 2004 ; Debonneville et Lieber, 2021).

Inspirées notamment des travaux de Carol Gardner (1980), une ancienne étudiante d’Erving Goffman (1922-1982), qui considère les remarques faites dans la rue par des hommes à des femmes comme un cas de violation de la norme goffmanienne d’inattention civile, M. Lieber, comme plus récemment Carole Gayet-Viaud (2022), mobilisent un cadre d’analyse interactionniste pour étudier les expériences des individus dans l’espace public. Elles analysent ces interactions au prisme des sollicitations des hommes et des diverses « tactiques » des femmes pour essayer de les éviter : itinéraires, vêtements, chaussures, vitesse de marche, horaires, modes de transports, placements dans l’espace, regards fuyants, affichage d’une « fermeture »… En effet, à rebours de la norme d’« inattention civile » (Goffman, 1966 : 83 et s.) prévalant dans les interactions en public, les femmes sont jugées disponibles (notamment sexuellement) et sollicitées, voire « appropriées » par ces diverses intrusions (Lieber, 2006 ; 2007 ; 2008). Carole Gayet-Viaud (2022 : 136 et sq.) note qu’en plus de ces tactiques d’évitement en amont, les femmes mobilisent aussi des tactiques en aval pour tenter de clore ou de s’extraire de ces interactions non souhaitées tout en essayant d’éviter le déclenchement de réponses hostiles (« remerciements insincères », « sourires forcés », mentionner un mari ou copain, faire mine de ne pas entendre en parlant au téléphone…).

L’usage dans la littérature française du terme « harcèlement » pour qualifier ces interactions subies dans l’espace public provient aussi de la production, au même moment, de statistiques éclairant le phénomène. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff), commandée par le service ministériel des Droits des femmes et coordonnée par l’Institut de démographie de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (Fougeyrollas-Schwebel, Jaspard, 2003 ; Brown et al., 2019), s’intéresse aux violences dans l’espace public (et pas seulement l’espace privé), et propose un indicateur de harcèlement sexuel dans l’espace public (Lieber, 2008). Quinze ans plus tard, l’enquête Virage (Violences et rapports de genre), coordonnée par l’Institut national d’études démographiques (Brown et al., 2019), vient approfondir les connaissances sur le sujet. Elle ajoute en effet deux questions visant à préciser les données sur le harcèlement sexuel dans l’espace public (Brown et al., 2019) : les sifflements et interpellations sous prétexte de drague, et les propositions sexuelles insistantes malgré le refus (Lebugle, Équipe de l’enquête Virage, 2017).

De grande ampleur, ces enquêtes nationales participent à l’objectivation du phénomène en mettant en évidence son existence, sa fréquence et certaines de ses caractéristiques. Elles montrent d’abord le caractère genré des violences dans les espaces publics, les femmes étant plus souvent victimes que les hommes, et les auteurs étant le plus souvent des hommes (Lebugle, Debauche, Lieber, 2020). Plus spécifiquement, on apprend, avec l’enquête Virage, qu’au cours des douze derniers mois, 20 % des femmes déclarent avoir été sifflées ou interpellées sous prétexte de drague ; 8 % avoir été insultées ; 3 % été suivies ; 1 % fait l’objet de propositions sexuelles insistantes dans l’espace public (ibid., 2020). Deux caractéristiques du phénomène sont notamment mises en avant dans les analyses : le harcèlement – et plus généralement les violences dans les espaces publics – touche surtout les jeunes femmes, d’une part, et se produit surtout dans les grandes villes, d’autre part (Maillochon, Équipe Enveff, 2004 ; Lebugle, Équipe de l’enquête Virage, 2017 ).

Le « harcèlement de rue », ou plutôt ici le harcèlement sexuel dans l’espace public, est problématisé par des chercheur·ses, qui participent, en produisant des connaissances, chiffrées ou non, sur le sujet et en construisant des catégories visant à l’objectiver, à sa légitimation et construction comme problème public.

 

Des politiques publiques… et la pénalisation

En plus de la commande d’études et d’enquêtes statistiques, des plans, politiques publiques et autres dispositifs sont annoncés dès 2015 pour s’attaquer au problème : marches exploratoires, formations des agent·es des entreprises de transport à la question, campagnes de sensibilisation dans les transports et les villes… Ces mesures apparaissent notamment en 2015 dans un « plan national de lutte contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles » du ministère de l’Intérieur et des secrétariats d’État aux Transports et aux Droits des femmes, puis en 2016 dans le « 5e plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux femmes » du ministère des Droits des femmes, pour la période 2017-2019.

C’est en 2018 que se produit l’évolution la plus marquante : c’est en effet l’année de la traduction pénale du « harcèlement de rue », avec la création d’une infraction dédiée, pensée pour le punir. Celle-ci, l’« outrage sexiste », fait son apparition dans le Code pénal, comme contravention de 4classe, ou dans certains cas, de 5e classe comme lorsque ces actes ont lieu dans les transports ou en raison de l’orientation sexuelle de la victime – jusque de très récentes modifications en 2023. Projet porté par l’Exécutif formé autour du Président Emmanuel Macron et défendu notamment par Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, entre autres motifs comme une réponse au « problème » médiatique de « La Chapelle », le projet de pénalisation est loin de faire consensus. Au contraire, il fait l’objet de nombreuses controverses, au Parlement et à l’extérieur, sur un grand nombre de points allant de son principe même aux modalités les plus concrètes de son écriture juridique (Archat, 2022). Dans le débat public, l’un des points saillants des contestations vise le risque de racialisation de l’infraction. Des chercheur·euses en sciences sociales (voir notamment la tribune « Contre la pénalisation du harcèlement de rue » publiée dans Libération en 2017), des militant·es féministes et antiracistes ainsi que des hommes et femmes politiques de gauche s’opposent au projet en mettant en avant un risque de répression accrue d’hommes racisés des classes populaires (Dekker, 2021b, Archat, 2022). Cependant, malgré les oppositions de parlementaires – à la droite et à la gauche de la majorité présidentielle –, de juristes, de chercheur·euses et militant·es féministes, la pénalisation du harcèlement de rue est menée à son terme, avec la loi du 3 août 2018, et transforme un problème d’abord médiatique et militant, en un objet non seulement de politiques publiques mais aussi du travail policier et judiciaire.


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Auteur·e·s

Archat Stéphanie

Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales Université Paris Dauphine-PSL Centre universitaire de recherches sur l'action publique et le politique Université de Picardie Jules Verne

Citer la notice

Archat Stéphanie, « Harcèlement de rue » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 29 juin 2023. Dernière modification le 29 juin 2023. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/harcelement-de-rue.

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