Huis clos


 

Exception au principe de l’audience publique, la locution « huis clos » signifie « portes fermées ». Hérité du latin (os et claudere), le mot connaitrait sa première apparition en français au XVIe siècle. Lorsqu’il est prononcé par le juge, le « huis clos » conduit à vider le public de la salle d’audience ; il ne peut donc plus assister aux débats. Une audience de justice à « huis clos » semble de prime abord porter atteinte à de nombreux principes essentiels au sein d’une société démocratique : le droit à un procès équitable, la présomption d’innocence, la transparence de la justice, ou encore le droit d’information du public. Le 16 janvier 2020, dans une affaire Yam c/ Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l’Homme a rappelé que le huis clos n’était pas une atteinte au droit à un procès équitable et aux droits de la défense lorsqu’il était nécessaire à la protection de certains intérêts. Ces intérêts peuvent être pluriels : ceux de la victime, ceux des témoins, ceux de la justice, ceux de la société ou encore de la défense nationale.

Le ministère de la Justice expliquant le concept de huis clos sur sa page Facebook officielle.

Le ministère de la Justice expliquant le concept de huis clos sur sa page Facebook officielle.

 

À l’heure où il est envisagé de réintroduire les caméras dans les salles d’audience – qui avaient été supprimées par la loi du 6 déc. 1954 –, le huis clos semble aller à l’encontre de cette mouvance de transparence accrue et de consécration d’un droit de savoir du public. En particulier, le huis clos transforme la salle d’audience : espace public par essence où chaque citoyen peut constater que la justice est effectivement rendue, elle devient un lieu où seules certaines personnes sont autorisées à entrer. Toutefois, le « huis clos » n’implique pas l’absence complète de public : au-delà des parties au litige, peuvent également être présentes des personnes du tribunal, des avocats, mais aussi des représentants accrédités de la presse, relais de l’information et témoins de la réalité du procès. Leurs présences demeurent néanmoins à l’appréciation de la victime partie civile lorsque le huis clos est de droit (Cass. Crim. 2 mars 2005, n°04-83.220).

« Huis clos » ne signifie pas pour autant justice secrète : la mesure de huis clos doit être décidée lors d’une audience publique et sous certaines conditions. Il peut être total ou partiel, et à cet égard, ne concerner que certaines auditions. Surtout, l’arrêt sur le fond est toujours rendu en présence du public, attestant l’idée que la justice est rendue au nom du peuple français qui peut donc assister au verdict. Le « huis clos » se présente ainsi comme un « espace de protection » des victimes ou encore d’une bonne administration de la justice pendant un temps déterminé, celui des débats (Polard, Linx, 2014). En effet, les débats doivent être des temps lors desquels la parole n’est pas censurée et où la vérité pourra éclater. C’est donc pour protéger les détenteurs d’informations que la publicité est momentanément altérée. Cette finalité irrigue l’ensemble des procédures de publicité restreinte que ce soient les audiences en chambre du conseil qui connaissent des restrictions plus importantes qu’en huis clos (i.e. interdiction de la présence d’avocat n’assistant pas les parties), mais aussi devant les juridictions pour mineurs. Concernant ces dernières, seul un public précis et limité est autorisé à assister aux débats afin de préserver leur future réinsertion sociale (art. 14 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante).

Le « huis clos », une exception à la publicité encadrée par la loi

Le code de procédure pénale prévoit que, par principe, « l’audience est publique ». Le juge pénal a toujours admis que la règle de la publicité des débats judiciaires est un « principe essentiel de la procédure pénale » (Cass. Crim., 10 juill. 1974, n°74-09.369), car elle permet de placer le juge sous le regard critique du public. Il s’agit d’une règle d’ordre public qui implique donc que sa non-application soit exceptionnelle et uniquement dans des hypothèses limitativement prévues par la loi. En ce sens, les articles 306 et 400 du code de procédure pénale soulignent que le prononcé du huis clos est seulement possible si la publicité est dangereuse pour l’ordre, la sérénité des débats, la dignité de la personne ou encore les intérêts d’un tiers. En dehors de ces hypothèses, le huis clos est donc impossible. La réunion de ces circonstances demeure toutefois à l’appréciation et l’interprétation du juge. Ainsi des mouvements de protestation du barreau (extérieurs au procès) ne justifient pas que les débats soient tenus à huis clos, car une mesure moins restrictive existait, celle de l’expulsion de l’audience des « fauteurs de troubles » par le Président de la cour d’assises (Cass. Crim., 20 fév. 2019, n°18-82.915).

Le juge doit toujours motiver sa décision de huis clos : à défaut, le jugement pourra être annulé. Aussi un juge qui se borne à énoncer que l’avocat des parties civiles a demandé le huis clos dans une affaire où les prévenus devaient être déclarés coupables d’agressions sexuelles sur des mineurs de quinze ans ne remplit pas son obligation de motivation (Cass. Crim., 17 oct. 2001, n° 01-80.399).

 

Le huis clos de droit : le choix de la partie civile victime

Le huis clos de droit a été introduit par la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 afin de permettre aux victimes (notamment de viol) de préserver leur vie privée, libérer leur parole et favoriser le dépôt de plainte. Plus précisément, le code de procédure pénale prévoit que « lorsque les poursuites sont exercées du chef de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, de traite des êtres humains ou de proxénétisme aggravé, […] le huis clos est de droit si la victime partie civile ou l’une des victimes parties civiles le demande ». Cette demande ne peut être remise en cause ni par l’accusé ni par le ministère public. La partie civile victime devient ainsi juge de l’opportunité du huis clos. Et dans les autres cas, son consentement demeure requis : le huis clos ne peut être prononcé que si elle ne s’y oppose pas.

En 2017, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité afin de vérifier si cet article ne méconnaissait pas le droit à un procès équitable et le principe d’égalité devant la justice. Celui-ci a estimé que cette dérogation à la publicité des débats était constitutionnelle et poursuivait un objectif d’intérêt général : en effet, elle entend « assurer la protection de la vie privée des victimes de certains faits criminels et éviter que, faute d’une telle protection, celles-ci renoncent à dénoncer ces faits » (Cons. const. n° 2017-645 QPC, 21 juillet 2017). En mettant en balance les différents intérêts en présence, le Conseil constitutionnel a donc jugé que l’intérêt de la victime devait prévaloir sur le droit de l’accusé de bénéficier d’un procès transparent.

À noter, seule la partie civile victime peut bénéficier de cette procédure : par exemple, le huis de clos de droit a été refusé aux parents d’une victime décédée d’un viol (Cass. Crim., 30 oct. 1985, n° 85-92.109).

 

« Huis clos » et crise sanitaire : quand l’exception peut devenir la règle…

Si la confiance du public en la justice résulte de sa transparence et de sa possibilité d’assister aux audiences pour juger de sa justesse et sa célérité, la crise sanitaire qui a débuté en 2020 a eu des conséquences sur la vie juridictionnelle et notamment sur la publicité du procès. Les règles de procédure pénale ont été modifiées pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Il est ainsi prévu que « le président de la juridiction peut décider, avant l’ouverture de l’audience, que les débats se dérouleront en publicité restreinte, ou, en cas d’impossibilité de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes à l’audience, à huis clos » (art. 7 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19). La protection de la santé des personnes peut donc conduire le juge à fermer les portes de sa salle d’audience au public. Cette décision est présentée par le juge comme un acte relevant de l’exercice de son pouvoir de police de l’audience (Cass. Crim.,1 déc. 2020, n° 20-85.108). Si plusieurs requérants ont tenté de contester ses mesures et de faire annuler leur jugement, la Cour de cassation n’a pas fait droit à ses demandes malgré parfois la faible motivation de ses choix de huis clos.

Aucun principe n’est absolu dans une société démocratique. Le principe de la publicité des audiences n’y fait pas exception. En présence de certains intérêts supérieurs strictement déterminés par la loi, le juge est conduit à prononcer « le huis clos » et donc à exclure le public de la salle d’audience. Les portes de la salle sont alors fermées à tout regard extérieur et le public, situé en dehors de celles-ci, voit par conséquence son droit à l’information altéré. Cette exclusion sert en réalité un intérêt qui est au cœur de la fonction de la justice, celui de protéger les victimes, protéger ceux qui détiennent des informations du regard du public, afin que la justice soit effectivement rendue. La confiance du public dans le système juridictionnel ici ne tient plus à sa transparence, mais à son humanité, qualité également indispensable.


Bibliographie

CEDH 16 janv., 2020, Yam c/ Royaume-Uni, n° 31295/11.

Cass. Crim,.1 déc. 2020, n° 20-85.108.

Cass. Crim., 20 fév. 2019, n°18-82.915.

Cass. Crim., 2 mars 2005, n°04-83.220

Cass. Crim., 17 oct. 2001, n° 01-80.399.

Cass. Crim., 30 oct. 1985, n° 85-92.109.

Cass. Crim., 10 juill. 1974, n°74-09.369.

Cons. const., décision n° 2017-645 QPC du 21 juillet 2017.

Janville T., 2005, « Petite histoire des principes généraux de droit processuel dans les constitutions de la France », Petites affiches, 57, pp. 6-12.

Loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentas aux mœurs.

Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

Piot P., 2012, Du caractère public du procès pénal, thèse de doctorat en droit privé et sciences criminelles, Université de Lorraine. Accès : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01749221/.

Polard J., Linx P., 2014, Vieillir en huis clos. De la surprotection aux abus, Toulouse, Éd. Érès.

Roure S., 2006, « L’élargissement du principe de publicité des débats judiciaires : une judiciarisation du débat public », Revue française de droit constitutionnel, 68, pp. 737-779. Accès : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2006-4-page-737.htm.

Auteur·e·s

Noel Johanna

Institut de recherches sur l’évolution de la nation et de l’État Université de Lorraine

Citer la notice

Noel Johanna, « Huis clos » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 05 mars 2021. Dernière modification le 21 janvier 2022. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/huis-clos.

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