Hymne olympique


 

Le sport est autant un spectacle visuel que sonore. Il se regarde autant qu’il s’écoute. De plus, il existe plusieurs formes d’association entre le sport et la musique (McLeod, 2013). La dimension sonore des manifestations sportives comprend l’exécution des hymnes nationaux, les chants et les acclamations des supporters qui encouragent ou montrent leurs mécontentements envers leur équipe, les adversaires, l’arbitre. Ainsi les supporters participent-ils au spectacle qui se déroule à la fois sur le stade et dans les gradins. Car l’individu fait corps dans le groupe à travers ses chants (Chovaux et Nuytens, 2012).

Olympic Hymn. Source : Ian Berwick, YouTube.

 

La musique participe aussi pleinement à l’activité sportive, comme dans le cas du patinage artistique ou de la natation synchronisée. Dans ce cas, le choix de la bande-son revêt une importance toute particulière pour l’accompagnement de la performance. Mais il existe encore des œuvres musicales composées pour célébrer, commémorer le sport ou les événements liés au sport. Ainsi, lors de chaque coupe du monde de football, une chanson choisie par les organisateurs est-elle propulsée comme hymne de la compétition. De manière plus universelle, le groupe de rock britannique Queen crée en 1977 « We are the champions », une chanson pour célébrer le sport et la victoire, et composée pour être chantée dans les stades, comme l’a voulu l’artiste Freddie Mercury (1946-1991) lors de l’écriture (Borsellino, 2020). Spontané ou commandé et mis en scène par les organisateurs, le paysage sonore du sport participe et accroit les émotions transmises aux spectateurs et leur permet de participer pleinement au spectacle.

Dans l’Antiquité, la musique est présente lors des jeux panhelléniques, au même titre que les épreuves gymniques et hippiques. À Delphes, les Pythia, qui réunissent les Grecs tous les quatre ans, organisent des épreuves musicales. Il s’agit de la récitation d’un hymne qui chante la victoire d’Apollon sur Python. Le nome pythique était exécuté à la flûte (aulos), ou bien à la cithare, ou encore, chanté par un citharède. L’origine du mot hymne est inconnue, mais il est utilisé pour la première fois dans la Grèce antique pour désigner un poème en l’honneur d’un dieu (Anderson et al., 2001). À Olympie, les jeux plus anciens ne comportent pas de concours musicaux. Toutefois, la musique est présente depuis ses origines au VIIIe siècle av. J.-C. où des chœurs et des ensembles de trompettes appellent les athlètes à descendre dans l’arène.

En 1832, avec son indépendance et sa séparation de l’Empire ottoman, la Grèce redécouvre et promeut son passé antique. L’État promulgue des lois contre la vente d’antiquités, crée la Société grecque d’archéologie et encourage les archéologues européens à faire des fouilles (Magadán, 2021). En Europe, les découvertes archéologiques suscitent un regain d’intérêt pour la culture classique. D’ailleurs, dès son plus jeune âge, Pierre de Coubertin (1863-1937) s’est révélé fasciné par la culture classique de la Grèce et de la Rome antiques. Ainsi, depuis les années 1890, P. de Coubertin rêve-t-il de recréer les Jeux olympiques. Lors du congrès international de l’Union des sociétés françaises des sports athlétiques (UFSA), rebaptisé plus tard « Congrès pour le rétablissement des jeux » et organisé à Paris en juin 1894, c’est avec l’hymne à Apollon qu’il a su charmer les participants et les convaincre de recréer des jeux modernes inspirés de l’Antiquité. En effet, il fait exécuter ce morceau dont le texte venait d’être retrouvé grâce à des fouilles archéologiques à Delphes, retranscrit par l’archéologue et philologue Théodore Reinach (1860-1928) et mis en musique par Gabriel Fauré (1845-1924).

Lors de la recréation des jeux modernes, P. de Coubertin souhaite des épreuves sportives et artistiques. Il estime que l’art a une place importante dans l’éducation et que l’art, la culture et le sport doivent être indissociablement liés. Il le dit et l’écrit à plusieurs reprises, notamment dans Notes sur l’éducation publique (1901) ou dans Pédagogie sportive (1919). Pour lui, l’art a donc sa place dans les Jeux olympiques modernes. Si les premiers jeux n’en comportent pas, ceux de Stockholm en 1912 jusqu’à ceux de Londres en 1948 intègrent des concours d’art avec la peinture, la sculpture, l’architecture, la littérature et la musique. L’œuvre musicale qui remporte le concours est interprétée lors de l’olympiade (Chovaux et Nuytens, 2012).

 

Mettre en place un rituel

Du fait de son origine familiale, P. de Coubertin appartient à une famille de petite noblesse, mais d’extraction ancienne. Il est donc marqué par la tradition chevaleresque et le cérémonial religieux. Homme de synthèse, il souhaite concilier des traditions et des valeurs différentes : la Grèce antique, les valeurs chevaleresques et le Moyen-Age chrétien, tout autant que la nouvelle culture libérale de l’École libre des sciences politiques qui loue l’Angleterre et les États-Unis et qu’il a découvertes pendant ses études. Pour lui, le sport réunit tout cela, notamment les Jeux olympiques. Pour les célébrer, il souhaite l’introduction d’un rituel fort (De Saint-Martin, 1993). L’hymne, comme le défilé des athlètes ou le serment, participe à ce protocole, syncrétisme entre les valeurs nobiliaires et celles, nouvelles, du sport. L’ensemble de ces rites donne aux Jeux olympiques un caractère sacré unique par rapport aux autres événements sportifs (Chovaux et al., 2017 : 81). Certes, la coupe du monde de football ou les championnats du monde d’athlétisme comportent des cérémonies d’ouverture et de clôture mais chaque organisateur est libre de la scénographie qui ne comporte aucun passage obligé, et ces spectacles sont généralement courts. De fait, l’hymne olympique est le plus ancien symbole des Jeux modernes. L’olympisme se veut un mouvement internationaliste et se dote donc d’un hymne à vocation universaliste, permettant aux participants de communier ensemble autour des valeurs sportives. Il est intéressant de remarquer que ce sont plutôt les états qui se dotent d’hymnes au XIXe siècle pour glorifier la nation. En effet, ceux-ci permettent aux publics de faire corps autour de valeurs communes en développant un sentiment d’appartenance au pays. Les hymnes sont comme des drapeaux sonores. Rares sont les institutions supra-nationales qui possèdent un tel symbole. Dans ses « Lettres olympiques » publiées dans Le Journal des débats politiques et littéraires, P. de Coubertin rappelle que « les modes ont bien des fois varié depuis deux mille ans : la musique est demeurée ce qui traduit le mieux l’ampleur d’un grand spectacle » (2018 : 101). L’hymne vient donc sacraliser le moment, tout autant que susciter l’enthousiasme des participants, unifiant les acteurs qu’ils soient sportifs, organisateurs ou spectateurs.

 

Une commande sur mesure

Le comité d’organisation des premiers Jeux, organisés à Athènes en 1896, choisit deux personnalités grecques très célèbres pour mettre en musique l’idéal olympique. Le compositeur Spýros Samáras (1861-1917) est un élève de Jules Massenet (1842-1912) qui connaît alors un succès international. Âgé de 35 ans, il est réputé sur tout le continent européen. Dix ans plus tôt, son opéra en trois actes, Flora Mirabilis, a été joué avec un grand succès à Milan au Teatro Costanzi. Appartenant au courant vériste italien, il est perçu comme l’égal des compositeurs italiens – Giacomo Puccini (1858-1924), Ruggero Leoncavallo (1857-1919) ou Pietro Mascagni (1863-1945) –, ses contemporains. Le mouvement vériste est un courant littéraire et artistique italien inspiré par le naturalisme français.

Les vers sont écrits par le grand poète Costis Palamas, né à Patras en 1859 et mort à Athènes en 1943. En 1886, ce dernier publie son premier recueil de poésie qui est très remarqué. Dans une lettre adressée à Jean Guéhenno (1890-1978), Romain Rolland (1866-1944) dit de lui : « Pour les écrivains aimant Victor Hugo, adressez-vous de ma part au poète grec Costís Palamás […]. Il est un des mieux qualifiés pour en parler : car il est un Hugo hellénique ». Chef de file de toute une génération, il domine la littérature néo-héllénique. Son œuvre agrège l’héritage antique, le lyrisme et le néo-romantisme.

La commande faite à ces deux artistes grecs est de symboliser poétiquement et musicalement les valeurs de l’olympisme et de créer un trait d’union entre les Jeux de l’Antiquité et les Jeux de l’ère moderne (Comité international olympique, s. d.).

 

« Esprit antique et éternel, créateur auguste
De la beauté, de la grandeur et de la vérité
Descends ici, parais, brille comme l’éclair,
Dans la gloire de la terre et de ton ciel.

Dans la course et la lutte et le poids
Des nobles jeux éclairent l’élan,
Prépare la couronne faite de la branche immortelle,
Et donne au corps la force de l’acier et la dignité.

Les campagnes, les monts, les mers brillent autour de toi,
Comme un grand temple fait de pourpre et de blancheur,
Et dans le temple ici accourent tous les peuples
Pour se prosterner devant toi, Esprit antique et éternel. »

 

Musicalement, cette « cantate chorale » commence par une introduction cuivrée, presque une fanfare, une sorte de signal d’ouverture. Puis, les cordes et les bois apportent de la légèreté. Les chœurs entrent ensuite en scène, chargés de lyrisme et de puissance, ponctués par les cuivres toujours très présents. L’utilisation des trompettes et des timbales se veut un rappel de l’esthétique antique des Jeux olympiques. Les chœurs chantés à l’unisson viennent renforcer la symbolique du rassemblement des pays, des sportifs dans une égalité et une fraternité toute pacifique.

Partition originale de l’hymne olympique par Spyridon Samaras (1861-1917). Source : Wikisource, Greek National Library (domaine public). (Voir aussi, Comité nationale olympique et sportif français, s. d.)

Partition originale de l’hymne olympique par Spyridon Samaras (1861-1917). Source : wikisource, Greek National Library (domaine public). (Voir aussi, Comité nationale olympique et sportif français, s. d.).

 

Les jeux d’Athènes

L’hymne retentit pour la première fois le 6 avril 1896, lorsque la première olympiade de l’ère moderne s’ouvre à Athènes. La cérémonie d’ouverture rassemble 80 000 spectateurs, essentiellement venus de Grèce et notamment d’Athènes. Le Roi George Ier de Grèce (1863-1913) « proclame l’ouverture des premiers Jeux Olympiques internationaux » (Comité international olympique, s. d.). Puis, après de longs applaudissements, un ensemble de neuf orchestres philharmoniques locaux, sans doute essentiellement des musiques militaires et des fanfares, soit 600 musiciens et 250 choristes, entonnent l’hymne olympique de S. Samaras et C. Palamas, sous la direction du compositeur. La masse orchestrale, phénomène plusieurs fois réitéré au XIXe siècle, participe à la démonstration de force de l’olympisme et, au-delà, de la célébration de l’union des nations autour du sport. Elle est aussi destinée à impressionner le public et lui permettre d’entrer en communion. Didier Francfort (2004 : 288) précise qu’« un vaste ensemble d’exécutants peut donner une image sonore de la force de la nation ». Pour la Grèce, c’est aussi l’occasion de célébrer et de renforcer son unité. La date du 6 avril marque l’anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance de la Grèce (1821-1829) face à l’Empire ottoman. Pour les nationalistes grecs, l’organisation de ces premiers Jeux olympiques modernes permet de renforcer le lien avec l’Europe occidentale. Mais plus encore, le rendez-vous olympique permet d’exacerber le sentiment national dont l’apothéose se manifeste lors de la victoire du Grec Spyrídon Loúis (1873-1940) lors du marathon.

Le gymnaste grec, Ioannis Chrissafis (1873-1932), présent dans le stade, témoigne : « Cette imposante formation symphonique sut toucher si profondément l’âme des spectateurs que tous, du roi au citoyen le plus modeste, voulurent réécouter ce chant » (Comité international olympique, s. d.). Le morceau est donc rejoué et applaudi une nouvelle fois. Le rapport officiel des Jeux d’Athènes de 1896 confirme cela : « Ces paroles chantées en plein air, sous le soleil resplendissant, par des centaines de voix accompagnées de centaines d’instruments firent un effet merveilleux. Les accords harmonieux de la musique flottaient dans l’air et faisaient brûler un feu d’enthousiasme dans le cœur de chaque auditeur. Tout le monde était profondément touché, l’esprit de l’Antiquité semblait planer autour du Stade. La composition de M. Samaras a créé une immense sensation, et a été applaudie comme elle le méritait. La mélodie, lente et douce au début, devient progressivement plus vive et se termine dans un crescendo triomphant gonflé par toutes les voix et tous les instruments de l’orchestre » (Comité international olympique, s. d.).

 

Errance de l’hymne olympique de S. Samaras et C. Palmas

L’hymne olympique n’est ensuite plus utilisé pour les jeux suivants qui, eux-mêmes, se déroulent dans une grande indifférence jusqu’aux jeux de Stockholm en 1912. En effet, ceux de Paris en 1900 ou ceux de Saint-Louis aux États-Unis, en 1904, sont couplés à l’exposition universelle. Peu visibles et mal organisés (Hache, 1992), ils ne servent pas la cause olympique. Parfois, l’hymne national du pays organisateur ou une composition spécialement écrite pour la cérémonie d’ouverture sont joués. En 1912 à Stockholm, les athlètes quittent le stade aux sons de la marche triomphale olympique du compositeur suédois Helmer Alexanderson (1886-1927). Cette œuvre avait été primée au concours organisé par le Comité olympique suédois (Comité international olympique, 1969). De même, Richard Strauss (1864-1949) compose une œuvre pour les Jeux olympiques de Berlin en 1936. Il dirige lui-même sa composition qui sert la propagande nazie lors de ces jeux controversés, comme on peut le voir en visionnant le film Les Dieux du stade de Leni Riefenstahl (1902-2003). Le régime totalitaire met en scène le sport et ces Jeux olympiques en détournant les valeurs universalistes de l’olympisme au service de sa propagande et la musique joue un rôle pour magnifier le régime. R. Strauss est choisi en dépit de sa disgrâce (il avait une belle-fille juive et donc des petits enfants menacés par les lois raciales), car sa musique connue dans le monde entier symbolise le génie allemand. L’hymne permet au compositeur tombé en disgrâce « de remporter deux succès d’estime » (Krebs, 2001 : 80). En février 1936 d’abord, le Comité international olympique (CIO) décide que l’œuvre de R. Strauss constitue l’hymne olympique « pour l’éternité ». Puis, le 1er août 1936, R. Strauss dirige son œuvre lors de la cérémonie d’ouverture au stade olympique à Berlin en présence d’un Hitler (1889-1945) qui avait ignoré toutes les sollicitations du compositeur et, surtout, devant une foule massée dans les gradins qui applaudit avec ferveur le compositeur.

Cependant, l’œuvre de R. Strauss, trop marquée par les jeux de 1936 et le nazisme, ne peut pas demeurer l’hymne olympique (Barker, 2004). Ainsi le Royaume-Uni choisit-il, en 1948, un hymne composé par Roger Quilter (1877-1953) à partir d’un texte de Rudyard Kipling (1865-1936), et la Finlande, en 1952, une musique composée par Jaakka Linjama (1909-1983) sur un texte de Toivo Lyy (1898-1976). Cependant, le comité olympique souhaite un hymne permanent. Ainsi, en 1955, le CIO demande-t-il au prince Pierre de Monaco (1895-1964) d’organiser un concours pour un nouvel hymne olympique. À partir d’un texte tiré des Olympiques du poète grec Pindare (518 av. J.-C.-438 av. J.-C), les compositeurs doivent créer une mélodie. 387 œuvres venus de 40 pays différents sont proposées. Un jury international composé de personnalités imminentes de la musique : Gian Francesco Malipiero (1882-1973 ; compositeur italien, musicologue et éditeur de musique), Nadia Boulanger (1887-1979 ; compositrice, pédagogue, cheffe de musique française), Necil Kazim Akses (1908-19999 ; compositeur turc), du prince Pierre de Monaco (administrateur du concours), et du chancelier du CIO est mis sur pied. Au terme du concours, le lauréat est Michal Spisak (1914-1965), un musicien polonais habitant Paris. Mais ce morceau ne fait pas l’unanimité. En effet, il s’agit d’une œuvre dodécaphonique très moderne (comité international olympique, 1969). Cette musique, également connue sous le nom de musique sérielle, développée par Arnold Schoenberg (1874-1951) et ses disciples au début du XXe siècle, rompt avec les conventions harmoniques traditionnelles. Cette approche novatrice de la composition a pu choquer certains contemporains. De plus, le compositeur M. Spisak demandait des droits d’auteur trop importants. L’hymne est seulement joué lors des 2e Jeux méditerranéens de Barcelone en 1955, puis aux Jeux olympiques d’été de Melbourne en 1956. En 1958, lors de la 55e Session du CIO à Tokyo, l’œuvre de S. Samáras de C. Palomas est jouée lors de la séance d’ouverture. L’auditoire est séduit et le prince Axel de Danemark (1888-1964), membre éminent du CIO (s. d.), propose alors que « l’on revienne à ce pæan, au lieu de ce qui a été composé récemment et qui ne plaît pas à la majorité des membres ». De même, « dans l’atmosphère hautement politisée de la guerre froide des années 1950, l’hymne olympique a souvent été suggéré comme un moyen de désamorcer un nationalisme excessif », écrit Philip Barker (2004). Le CIO adopte à l’unanimité la version initiale de S. Samaras et C. Palamas comme hymne officiel. L’hymne olympique de S. Samaras et C. Palmas est ainsi rétabli définitivement en 1960. À partir de cette date, l’hymne olympique est définitivement intégré dans le protocole consigné dans la Charte olympique. Il est joué après le défilé des athlètes et l’ouverture officielle des Jeux prononcée par le chef d’État du pays hôte. Il est parfois chanté en grec ou traduit dans la langue du pays hôte, parfois, il est simplement instrumental.

L’hymne olympique a également remplacé l’hymne national d’un vainqueur lors de la remise de sa médaille d’or pour les athlètes privés des couleurs de leur pays pour des raisons nationales ou internationales (Kessous, 2012). Ils concourent alors en tant qu’« athlètes olympiques individuels » (ibid.). C’est le cas par exemple pour les dix sportifs réfugiés, issus de différentes nationalités, lors des Jeux de 2016 à Rio de Janeiro ou pour les sportifs occidentaux ayant participé aux Jeux de 1980 à Moscou, boycottés par certains comités olympiques nationaux à cause de l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge. Cette décision symbolique place les athlètes sous la bannière neutre de l’olympisme, et leur permet de concourir en dépit des préoccupations politiques de leur pays. Elle illustre le triomphe du sport sur la politique, et donc des valeurs olympiques.

 

Variations olympiques, la bande son d’un événement planétaire 

Dans la seconde moitié du XXe siècle, les Jeux olympiques deviennent un grand rendez-vous mondial de spectacle, autant que de sport. Ils sont retransmis à la télévision, partout sur la planète, et la musique tient une place prépondérante dans les cérémonies d’ouverture et de clôture. Si l’hymne olympique est systématiquement interprété, cela n’empêche pas la diffusion de nombreuses autres pièces musicales, faisant parfois concurrence à l’hymne officiel. Ces morceaux marquent davantage le spectateur et deviennent des marqueurs forts et identifiants de l’olympiade pour laquelle ils ont été composés, devenant le véritable hymne de la compétition. Un hymne est fait pour être chanté, repris ensemble ; or, l’hymne de S. Samáras et C. Palamás est très solennel. C’est pour cela que les organisateurs lui préfèrent une chanson que le public peut reprendre en cœur, et accompagner le rythme en tapant des mains.

Le célèbre compositeur américain de musique de film, John Williams, alors au sommet de sa gloire, est choisi en 1984 pour composer l’hymne des Jeux de Los Angeles. Il dirige lui-même son œuvre « Olympic Fanfare and Theme » lors de la cérémonie d’ouverture. Il est à nouveau choisi pour les éditions olympiques suivantes se déroulant aux États-Unis. Pour les Jeux d’Atlanta en 1996, il compose « Summon the Heroes » et en 2002 à Salt Lake City retentit « Call of the Champions ». À chaque fois, il utilise les mêmes codes : chœurs, cuivres, solennité et grandiloquence. Ces œuvres brillantes, pleines d’emphase, sont idéales pour susciter l’enthousiasme du public et pour personnifier les athlètes et leurs exploits. Il réalise une épopée musicale, il compose une musique avec des images qui viennent en tête. C’est la rencontre entre le cinéma et le sport. En 1988, il compose également « The Olympic Spirit » aux Jeux de la XXIVe olympiade à Séoul en Corée du Sud.

Dans un autre genre, en 1992, c’est la chanson « Barcelona », écrite et composée par F. Mercury du groupe Queen et Mike Moran pour les Jeux de Barcelone qui marque les esprits. Interprétée par le chanteur britannique de rock et la cantatrice catalane Montserrat Caballé (1933-2018) dans un style symphonique pop, la chanson comme l’album éponyme connaissent un succès mondial.

Freddie Mercury & Montserrat Caballé – Barcelona (Original David Mallet Video 1987 Remastered). Source : Freddie Mercury Solo, YouTube.

 

Elle raconte l’histoire d’une rencontre entre une femme et un homme et avec une ville. La chanson est construite comme un dialogue, chacun se répondant dans sa langue, en espagnol et en anglais. C’est un peu aussi l’analogie de la rencontre entre M. Caballé et F. Mercury, une rencontre qui se passe tellement bien qu’ils ne réalisent pas une seule chanson mais un album. Cette chanson est aussi la rencontre entre deux univers musicaux. « C’est un morceau de musique qui transcende les genres. Il mélange la flamboyance et l’art de Freddie à son meilleur niveau. Il a probablement fait découvrir à des millions de personnes une dimension lyrique qui ne les intéressait peut-être pas auparavant », a déclaré Lesley-Ann Jones, auteur de Freddie Mercury: the definitive biography (Comité international olympique, 2018). La chanson aurait dû être chantée par les deux artistes lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Barcelone en juillet 1992. Mais cela n’a pas eu lieu à cause du décès F. Mercury quelques mois auparavant. M. Caballé chante donc un autre titre lors de cette cérémonie. Malgré tout, le clip de « Barcelona » est diffusé au début de la cérémonie d’ouverture sur les écrans géants, provoquant beaucoup d’émotion chez les spectateurs et téléspectateurs (Alicia C., 2021).

Ajoutons que d’autres chansons ont marqué les cérémonies d’ouverture, les dix plus marquantes étant consultables en ligne (Ethellau, 2012). Pour les Jeux olympiques et paralympiques d’été de 2024 organisés à Paris, un premier hymne a déjà été composé. Il s’agit de « Prologue » composé par l’auteur-compositeur-interprète Woodkid pour le passage de relais entre les JO de Tokyo et Paris (France Inter, 2021). Le musicien à l’univers personnel à la fois folk, électro et pop a enregistré cette pièce musicale avec la Maîtrise de Radio France et l’Orchestre national de France. Celle-ci a retenti lors de la cérémonie de clôture, le 8 août 2021 à Tokyo. « C’était un challenge, très excitant parce que c’est un rêve d’enfant pour moi de pouvoir célébrer les valeurs de l’olympisme à travers une pièce artistique », raconte Woodkid qui explique avoir été très libre dans sa composition. « Il y avait un pacte un peu tacite de valeurs à respecter mais j’ai voulu faire une pièce qui s’inspirait surtout du mouvement sportif, des idées de cycles, d’amplification. C’est une pièce contemporaine, un peu pop, assez longue. Les enfants de la maitrise ont donné une énergie folle ». Selon lui, la musique « sert à donner de l’énergie » et le rythme « est inhérent au sport » (ibid.).

Pochette de l'album Good Life. Official Song Of The London 2012 Olympic Games. CD produit par Delfic.

Pochette de l’album Good Life. Official Song Of The London 2012 Olympic Games. CD produit par Delfic.

 

Pochette de l’album Tokyo Olympic Games, 1963. 33 tours, composé par Mitsuya Imai.

Pochette de l’album Tokyo Olympic Games, 1963. 33 tours, composé par Mitsuya Imai.

 

Le succès des Jeux olympiques de Paris 2024 est aussi le succès de sa bande son. En témoigne le fameux « Parade », hymne des jeux parisiens qui a retenti lors des moments protocolaires, mais également le choix de mettre en avant les grands classiques de la chanson française tant lors des cérémonies que lors des épreuves.

Le morceau « Parade », composé par Victor le Masne, directeur musical de Paris 2024, restera emblématique de ces jeux. « De l’arrivée de la flamme Olympique à Marseille le 8 mai dernier jusqu’à la fin des Jeux Paralympiques au Stade de France dimanche, “Parade” aura été le Thème accompagnant tous les temps forts des Jeux. De la Seine à la Concorde, en passant par les sites de compétitions, les remises de médailles, les sites de célébration… les spectateurs ont vibré et chanté d’une seule voix sur cette musique. Après l’avoir partagé au monde entier cet été, je suis heureux qu’elle puisse désormais être écouté au-delà », déclare V. le Masne dans un communiqué de presse du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (COJOP)  à l’occasion de la sortie du thème musical sur les plateformes de streaming (COJOP, 2024).

Jeux Olympiques Paris 2024 Thème Musical Officiel I Parade – Victor Le Masne. Source : Fashion Playlist, Youtube.

 

Sur les sites des épreuves olympiques, les DJ recrutés pour créer une ambiance festive ont utilisé une playlist de 4000 morceaux. Le choix par l’organisation de Paris 2024 est de consacrer 60 % du catalogue à la musique francophone. « Édith Piaf, Johnny Hallyday, Charles Aznavour… les plus grands tubes de la chanson française ou francophone ont électrisé les foules », titre ainsi France 24 (Hamza, 2024). Ce choix n’est pas fait au hasard, « “on voulait vraiment essayer de faire chanter le public et lui permettre de déclarer son amour aux athlètes”, explique Leslie Dufaux, responsable de la présentation sportive au sein du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques » (Parrot et Godon, 2024).

Privilégier la musique française et la musique en langue française reflète la volonté de s’adresser à la France et au monde, à la fois aux français et aux touristes étrangers. Il s’agit pour les premiers de s’unir autour d’un patrimoine commun et d’en être fier. Pour les seconds, l’organisation a souhaité qu’ils s’immergent par la bande son dans la culture française. Plus généralement, l’objectif est de diffuser la culture française, dont la musique populaire fait entièrement partie. « “La vision de Paris 2024, c’est de faire sortir le sport des stades pour l’implanter dans la ville, et de mêler l’art, la culture et le sport partout”, confirme Leslie Dufaux » (ibid.).

En 1896, l’hymne de S. Samáras et C. Palamas n’est que l’hymne des premiers jeux olympiques. Il n’a pas vocation à devenir l’hymne des jeux olympiques. Ce n’est que progressivement, en renforçant les jeux, en les rendant universels et incontournables tous les quatre ans, et du fait des aléas géopolitiques, que le CIO a décidé, à la fin des années 1950, de définir un hymne unique et officiel. Aussi l’hymne olympique remplit-il bien sa mission : participer au cérémonial et symboliser en musique les valeurs de l’olympisme voulues par P. de Coubertin. Mais il subit aussi la concurrence d’hymnes non officiels qui marquent souvent plus la mémoire des spectateurs et des téléspectateurs car ils sont plus festifs et plus participatifs. Une concurrence qui illustre aussi la contradiction entre internationalisme des jeux et compétition des Nations. Enfin, même s’il est le symbole le plus ancien des Jeux, l’hymne olympique est sans doute le moins connu des symboles olympiques (Musée olympique, 2007).


Bibliographie

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Anderson W. et al., 2001, « Hymn », Grove Music Online. Accès : https://doi.org/10.1093/gmo/9781561592630.article.13648.

Bancel N. et al., 2023, Une histoire mondiale de l’olympisme 1896-2024, Poitiers/Neuilly, Éd. Atlantique/Éd. Atlande.

Barker P., 2004, « The Anthem: Olympisms’s oldest symbol », Journal of olympic history : the official publication of the international society of olympic historians, 12 (2), pp. 46-53. Accès : https://library.olympics.com/Default/doc/SYRACUSE/2875101/the-anthem-olympism-s-oldest-symbol-by-philip-barker?_lg=fr-FR.

Borsellino S., 2020, « Comment We Are the Champions est devenu un hymne du football », So foot, 30 mars. Accès : https://www.sofoot.com/articles/comment-we-are-the-champions-est-devenu-un-hymne-du-football-culture-article-issu-magazine.

Chovaux O. et al., dirs, 2017, L’Idée sportive, l’idée olympique : quelles réalités au XXIe siècle ?, Arras, Artois Presse Université.

Chovaux O. et Nuytens W., 2012, « Les voix du sport. Hymnes et chants dans les pratiques du spectacle sportif (XIXe-XXIe siècles) », pp. 78-93, in : Maison de Robert Schuman, éd., Europe en Hymnes. Des hymnes nationaux à l’hymne européen/Europa in hymnen. Von den Nationalhymnen zur Europahymne, Milan, Silvana Editoriale.

COJOP, 2024, « “Parade”, l’hymne musical des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, disponible dès vendredi 13 septembre sur les plateformes de musique », Paris 2024, 11 sept. Accès : https://presse.paris2024.org/actualites/parade-lhymne-musical-des-jeux-olympiques-et-paralympiques-de-paris-2024-disponible-des-vendredi-13-septembre-sur-les-plateformes-de-musique-4db85-e0190.html.

Comité international olympique, dir., 1969, « L’hymne olympique à travers les jeux », Revue olympique, 18 mars.

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Auteur·e·s

Martino Laurent

Centre de recherche sur les cultures et les littératures européennes Université de Lorraine

Citer la notice

Martino Laurent, « Hymne olympique » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 23 février 2024. Dernière modification le 03 octobre 2024. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/hymne-olympique.

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