Avant l’existence du mouvement paralympique, des athlètes aux « corps abimés » ou différents (Marcellini, 2023 : 363) participent aux Jeux olympiques. Le premier, un unijambiste, le gymnaste américain Georges Eyser (1870-1919), concourt aux jeux de Saint-Louis aux États-Unis en 1904 (Bailey, 2008 : 23-12). En effet, il n’existe pas alors de séparation en deux mouvements sportifs distinctifs comme nous les connaissons actuellement. La notion d’handicap est d’ailleurs peu utilisée avant la deuxième moitié du XXe siècle pour désigner un groupe de personnes. « De fait, ces athlètes ne sont pas désignés à l’époque comme des “handicapés”, mais toujours caractérisés par l’atteinte corporelle qui est la leur, en l’occurrence leur paralysie ou leur amputation. Par ailleurs, ils ne font pas encore “groupe”, et apparaissent comme isolés les uns des autres dans leur pratique sportive » explique Anne Marcellini (2023 : 364), professeure associée en sociologie du sport et de l’activité physique adaptée.
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— The Olympic Games (@Olympics) June 27, 2019
Naissance et structuration des jeux paralympiques
Les Jeux paralympiques se déroulent pour la première fois officiellement en 1960 à Rome, six jours après la clôture des Jeux olympiques. Leur origine est à chercher du côté du Royaume-Uni où à Stoke Mandeville, un hôpital militaire situé à 60 km au nord de Londres. Sir Ludwig Guttmann (1899-1980), un neurologue allemand, organise en 1948 des épreuves sportives au moment même où les Jeux olympiques se déroulent à Londres. Pour lui, c’est un moyen d’accélérer le rétablissement de ses patients, tous vétérans de la Seconde Guerre mondiale (Auberger, 2005 : 15-18). Progressivement, l’initiative se développe et s’internationalise sur le modèle des Jeux olympiques. Le Comité paralympique international (IPC) est créé seulement en 1989. D’ailleurs, le terme « Jeux paralympiques » n’est officiellement utilisé et validé par le Comité international olympique (CIO) qu’à partir des Jeux de 1984. De 1960 à 1980, ils portent le nom de « Jeux Internationaux de Stoke Mandeville ». Ainsi se développent deux circuits sportifs distincts qui se réclament de l’olympisme, un pour les valides et un pour les handicapés (Marcellini, 2023 : 366). Si, à la fin du XXe siècle, certains athlètes handicapés souhaitaient participer aux Jeux olympiques au nom de l’inclusion (ibid. : 369), ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les athlètes ont conscience de la difficulté de juger les sportifs appareillés et non appareillés sur les mêmes compétitions. Surtout, une fierté du mouvement paralympique s’est installée, vitrine des personnes en situation de handicap et du dépassement de soi. Le mouvement paralympique possède désormais une identité spécifique (ibid. : 372) et le revendique. En 2001, un accord entre le CIO et l’IPC garantit et protège l’organisation des Jeux paralympiques. Il définit des principes similaires pour l’organisation des jeux olympiques et paralympiques. De la sorte, il établit le rapprochement entre les comités d’organisation des deux événements qui, désormais, se succèdent systématiquement dans la même ville, à quelques jours d’intervalle et sur les mêmes installations sportives. La convention entre en vigueur avec les jeux de Pékin en 2008 (ibid. : 369).
Valeurs et symboles paralympiques
La séparation n’empêche pas la filiation et, comme pour les Jeux olympiques, des symboles sont très vite choisis pour célébrer et transmettre les valeurs paralympiques. Elles sont au nombre de quatre : courage, détermination, inspiration, égalité. Ces valeurs soulignent l’importance de la volonté des para-athlètes, démontrant par leur performance qu’il est possible de dépasser son handicap, d’être des modèles, de combattre les discriminations et de promouvoir l’inclusion (Comité international paralympique, s. d.). Elles sont symbolisées par les Agitos, le logo officiel du paralympisme (ibid.). Sa dénomination vient du latin signifiant « je bouge ». Les trois éléments en vert, rouge et bleu, les couleurs les plus utilisées pour les drapeaux du monde entier, les mêmes que pour les anneaux olympiques, symbolisent le mouvement et le rassemblement des athlètes venus des quatre coins du monde. « Le symbole souligne également le fait que les athlètes paralympiques ne cessent d’inspirer et d’enthousiasmer le monde avec leurs performances : toujours aller de l’avant et ne jamais abandonner ».
Création et utilisation de l’hymne de l’avenir
À partir du milieu des années 1970 et surtout des années 1980, les Jeux paralympiques s’émancipent et connaissent une audience de plus en plus importante. Ainsi en 1976, les Jeux de Toronto réunissent-ils 1 657 athlètes de 40 pays. Ces Jeux sont fortement médiatisés puisque pour la première fois ils sont retransmis quotidiennement sur une télévision canadienne (Comité national olympique, s. d.). En 1984, aux jeux de New York, 80 000 spectateurs assistent aux épreuves disputées par 1 800 sportifs venus de 45 pays (Auberger, 2005 : 24). En 1992, les Jeux Paralympiques de Barcelone accueillent 2 999 athlètes venus de 83 pays et environ 1,5 million de téléspectateurs regardent les épreuves (ibid.).
Pour poursuivre cette vague d’expansion des paralympiques et d’autonomisation par rapport aux JO, l’ICP souhaite la création d’un hymne pour les jeux de 1996 organisés à Atlanta. Le compositeur français, Thierry Darnis, est à l’origine de sa création (Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, 2024). Ce compositeur est un autodidacte. D’abord jazzman, puis musicien de studio et de scène où il accompagne divers chanteurs, il compose de nombreux morceaux pour la publicité et le théâtre. Il collabore également avec la classe de composition pour l’image du Conservatoire national supérieur de musique (CNSM) de Lyon (témoignage de T. Darnis recueilli par l’auteur, 16 févr. 2024). Un peu par hasard, il répond à l’appel d’offres de l’IPC et entre concurrence avec de grands compositeurs et chefs d’orchestre aux États-Unis et en Suède. Finalement, il est retenu au terme du concours. Cet « Hymne de l’avenir » (« Anthem of the Future ») est une pièce musicale pour orchestre. Elle est jouée lors des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux paralympiques, au moment de la levée ou de la descente du drapeau.
Art Yoon Sputnik, 2021, « Paralympic Anthem | Anthem of the Future | IPC Anthem | Official Anthem », YouTube. Accès : https://www.youtube.com/watch?v=9CWW3hX9tGY.
Ce morceau sans paroles en est doté en 2001 : le célèbre chanteur de country australien Graeme Connors écrit un texte pour cet hymne. G. Connors est un chanteur, compositeur et interprète australien de musique country. Il a publié dix-neuf albums et a reçu quatorze Golden Guitar Awards, parmi d’autres prix prestigieux de la musique country australienne. Sa chanson la plus connue est « A Little Further North Each Year », extraite de son album North, sorti en 1988 (Graeme C., s. d.). Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques de Sydney en 2000, il chante une chanson de son propre répertoire, « Being Here », devant les athlètes et les spectateurs. Au vu du succès de sa prestation, G. Connors entreprend d’écrire des paroles pour l’hymne du mouvement paralympique (Comité international paralympique, 2001). Les paroles célèbrent l’engagement, la joie de se retrouver et l’envie de se dépasser quel que soit le handicap et ainsi être des modèles d’espoir pour le plus grand nombre. Les paroles s’adressent autant aux athlètes qu’à toute la population. Il semble que les paroles de l’Hymne de l’Avenir n’ont jamais été utilisées lors de cérémonies officielles, seule la musique est jouée.
Graeme Connors, 2018, « Graeme Connors – Being Here (2000 Paralympic Games) », YouTube. Accès : https://youtu.be/hFXFFVNJqME.
La mélodie répond à la facture habituelle du genre. Elle est créée pour galvaniser le public et solenniser un évènement. Cependant, le compositeur n’a pas souhaité transmettre de message dans son œuvre (témoignage de T. Darnis recueilli par Laurent Martino le 16 févr. 2024). En effet, pour lui, la musique n’est pas figurative. Elle est un miracle, une langue universelle qui parle à tous les publics par le biais des émotions. Il se détache de l’hymne olympique qui avait été composé et écrit à la gloire de l’olympisme et de la Grèce. Il était pensé comme un pont entre l’Antiquité et le monde moderne.
À l’origine, l’hymne a été écrit pour un ensemble à vent, car l’IPC prévoyait de le faire exécuter par des fanfares. Un arrangement avec des cordes a été réalisé par l’Orchestre philharmonique de Londres. L’hymne débute parfois par une introduction où dominent les trompettes, il s’agit d’une fanfare qui joue le rôle d’appel, réclamer l’attention des auditeurs et une certaine solennité. Une composition assez classique pour les hymnes. Le début est doux avec une dominante de cordes pour exposer le motif musical principal qui est repris tout au long de la pièce. Ce motif symbolise le rassemblement des athlètes et des spectateurs autour des jeux. Puis, un crescendo progressif fait monter l’exaltation des athlètes et des spectateurs. Les cuivres en nombre reprennent la mélodie ponctuée par des coups de cymbales et de grosse caisse. Puis après un apaisement, le final brillant réunit toutes les familles d’instrument avec le même motif musical dans une apothéose.
Pour chaque cérémonie, les organisateurs proposent au public des arrangements différents de l’hymne de l’avenir. Ainsi, lors des Jeux d’Athènes en 2004, une adaptation avec des instruments balkaniques est-elle proposée. En Asie, pour les jeux de Tokyo en 2020, une version rock avec guitare électrique saturée est interprétée lors de la montée du drapeau paralympique (Paralympic Games, 2021 : 2:26:54)
Paralympic Games, 2021, « Opening Ceremony | Tokyo 2020 Paralympic Games », YouTube. Accès : https://www.youtube.com/watch?v=2cW1-plwqeQ&t=8814s.
Les paroles de Graeme Connor ajoutées à l’hymne (traduite en français)
« Nous avons parcouru de longues distances, à travers la nuit,
Attirés par la promesse, dans la lumière,
Nous nous rassemblons, nous venons seuls,
Nous venons dans la gloire, nous venons inconnus,Guidés par l’esprit, nous sommes ici, nous ne faisons qu’un,
Souvenons-nous, saisissant le jour,
Vivre l’instant présent, montrer la voie,
Relever le défi, s’efforcer de trouver,
Force dans le corps, puissance de l’espritGuidés par l’esprit, nous sommes ici, nous sommes un,
Partageant le rêve, nous élevant plus haut,
Des amitiés se nouent, se forgent dans le feu,
Guidés par l’esprit, nous sommes ici, nous sommes un,
Nous n’en sommes qu’un ! »
La création de l’hymne de l’avenir, est concomitante à l’autonomisation des Jeux paralympiques et à la reconnaissance du mouvement paralympique. Il fait partie des symboles qui permettent l’identification des jeux paralympiques.
Auberger A., dir, 2005, La même Flamme. 50 ans de défis et d’exploits handisport, Paris, Éd. Le Cherche midi.
Bailey S., 2008, Athlete First: A History of the Paralympic Movement, Chichester, John Wiley & Sons.
Comité international paralympique, 2001, « The Paralympian online », Archives du site du Comité international paralympique. Accès : https://web.archive.org/web/20020106221526/
Comité international paralympique, s. d., « The Agitos Logo – Paralympic Symbol », Site officiel du Comité international paralympique. Accès : https://www.paralympic.org/logo.
Comité international paralympique, s. d., « Who we are », Site officiel du Comité international paralympique. Accès : https://www.paralympic.org/ipc/who-we-are.
Comité national olympique, s. d., « L’histoire des jeux paralympiques », Site officiel des Jeux Paris 2024. Accès : https://olympics.com/fr/paris-2024/jeux-paralympiques/les-jeux/jeux-olympiques-et-paralympiques/histoire-des-jeux-paralympiques.
Graeme C., s. d., Site officiel de l’artiste. Accès : https://graemeconnors.com/.
Marcellini A., 2023, « Paralympisme et Olympisme. Pour une histoire-monde de la mise en spectacle des performances extraordinaires », pp. 363-373, in : Bancel N. et al. dirs. Une histoire mondiale de l’Olympisme, Paris, Éd. Atlande.
Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, 2024, « Les valeurs de l’olympisme et du paralympisme », Eduscol. Accès : https://eduscol.education.fr/document/54270/download.
Bibliothèque sonore
Art Yoon Sputnik, 2021, « Paralympic Anthem | Anthem of the Future | IPC Anthem | Official Anthem », YouTube. Accès : https://www.youtube.com/watch?v=9CWW3hX9tGY.
DMac’s Pace, 2012, « Hymne a l’avenir (Paralympic Anthem) (London Paralympic Opening Ceremony) », YouTube. Accès : https://www.youtube.com/watch?v=VIi-dlav2ic.
Graeme Connors, 2018, « Graeme Connors – Being Here (2000 Paralympic Games) », YouTube. Accès : https://youtu.be/hFXFFVNJqME.
Paralympic Games, 2021, « Opening Ceremony | Tokyo 2020 Paralympic Games », YouTube. Accès : https://www.youtube.com/watch?v=2cW1-plwqeQ&t=8814s.
Slovak Philharmonic Orchestra, 2019, « Paralympic Movement: Hymn de l’Avenir (Anthem of the Future) », YouTube. Accès : https://www.youtube.com/watch?v=CZIF3cgLBE0.
Autre source
Témoignage de Thierry Darnis recueilli par Laurent Martino le 16 févr. 2024.
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