Pour définir le concept d’influence dans le domaine des médias et des technologies de l’information et de la communication, il convient de le distinguer selon un sens large ou un sens restreint. Au sens large et dans une conception transdisciplinaire, l’influence des médias est l’ensemble des phénomènes (processus, changement, empreintes…) dans lesquels les médias jouent des rôles, plus ou moins directs, en lien avec des personnes – considérées aux niveaux cognitif (les « pensées »), affectif (les émotions et sentiments) et comportemental –, des groupes et systèmes sociaux, des systèmes socio-politiques et économiques, des sociétés et des cultures. Dans le sens restreint, l’influence des médias est plus directe, plus active et plus causale dans le fonctionnement des phénomènes sociaux observés. Étudier l’influence consiste alors à s’intéresser aux processus impliqués dans les changements (formation, modification ou renforcement), dans les cognitions, affects et actions, individuels et collectifs, suite aux contacts avec les médias.
Déterminée par un ensemble complexe de facteurs en interaction, l’influence des médias (sens large et restreint) est notamment constituée, d’une part, d’aspects « dynamiques » comme « la réception », c’est-à-dire les processus qui se déroulent suite à des contacts sensoriels avec les médias et, d’autre part, d’aspects plus « statiques », comme « les effets », c’est-à-dire les « résultats » à court, moyen et long termes du processus de réception.
Certaines recherches portent sur des thèmes ou contenus particuliers comme les images violentes, la communication des marques et la publicité, la propagande et la communication politiques, la communication d’utilité publique (santé publique, protection de l’environnement…), la sexualité explicite, les représentations et stéréotypes (par exemple associés au genre ou à certains groupes minoritaires tels les fonctionnaires, les chômeurs, les « ethnies » particulières…). D’autres recherches s’intéressent plus spécifiquement aux influences des médias eux-mêmes et de leurs caractéristiques socio-techniques : influence de l’interactivité (par exemple sur le processus de persuasion), des médias mobiles (par exemple sur la communication sociale), des réseaux sociaux numériques (par exemple sur le déclenchement des « Printemps arabes »), des serious games (par exemple sur la nutrition), des jeux vidéo (par exemple sur l’addiction qu’ils provoquent), des objets connectés (par exemple sur la publicité qu’ils diffusent)… Examinons les principaux courants de recherches en fonction de leur échelle d’observation.
Courants de recherches sur l’influence vue à l’échelle individuelle et micro-sociale
Ces courants de recherches, apparus dans les années 1950, sous l’impulsion de chercheurs comme Carl Hovland, Irving Janis et Harold Kelley, portent le plus souvent sur les processus cognitifs et affectifs, contrôlés (conscients) et automatiques (non conscients) impliqués dans la construction de sens (attention, compréhension, mémorisation), d’attitudes (évaluation affective) et d’actions pendant et après les contacts avec les médias. Ces processus sont fréquemment étudiés en lien avec des caractéristiques sociales comme les appartenances, motivations et postures sociales des récepteurs, considérés comme des sujets sociaux. Utilisant souvent des méthodologies expérimentales en milieu contrôlé ou en conditions ordinaires, ces travaux font souvent appel à des concepts de psychologie cognitive ou sociale.
Les recherches des deux dernières décennies sont notamment caractérisées par un fort développement des études sur les influences dont les personnes n’ont pas conscience impliquant des processus automatiques très rapides, irrépressibles et non verbalisables, en lien avec la mémoire et l’attitude implicites : effet de simple exposition, conditionnement évaluatif et associations automatiques de stimuli avec des émotions en mémoire…
Par exemple, des travaux ont expliqué comment des bannières publicitaires sur Internet entrant dans le champ visuel en vision périphérique et non vues consciemment provoquent des effets positifs sur les jugements relatifs à la marque et dont certaines représentations sont toujours présentes en mémoire implicite, sept jours après l’exposition (Courbet et al., 2008). D’autres études ont montré que plus les sujets sociaux utilisent certaines marques pour construire leur identité sociale, plus ils seront impliqués par les messages publicitaires, et plus ils les traiteront en analysant les arguments centraux des messages de façon élaborée (théorie de la persuasion de Richard Petty et John Cacioppo, 1986). La mémorisation de leurs « réponses cognitives » aux messages et les effets seront donc plus marqués, comparés aux personnes moyennement ou faiblement impliquées qui traiteront des éléments périphériques du message à l’aide de simples heuristiques.
Les recherches scientifiques au sein de ce courant peuvent aussi bien être utilisées pour nourrir les études critiques (voir plus loin) que des recherches-action et des applications, comme dans le très critiqué « neuromarketing ». En communication d’utilité publique, par exemple, un courant français récent développe le concept de communication engageante (Girandola, Joule, 2012), dans le but d’accroitre les effets de la communication dans les domaines de la santé publique ou de la protection de l’environnement.
Courants de recherches sur l’influence vue à l’échelle mésosociale
Considérant l’influence médiatique au sens large, l’ethnographie de la réception étudie les publics en tant qu’appartenant à des communautés socio-culturelles dans lesquelles les lectures sont identiques et où l’on observe des rituels anthropologiques. Dans les années 1980-90, des auteurs comme Tamar Liebes et Elihu Katz aux États-Unis, ou Daniel Dayan en France, sont illustratifs de ce domaine de recherches. Par exemple, lorsqu’une communauté regarde au même moment les images de « cérémonies télévisées », les comportements, souvent stéréotypés, sont sous-tendus par des valeurs de l’ordre d’un sacré sécularisé : « reliance sociale » (au sens de Marcel Bolle De Bal), nationalisme, partage social des émotions… Au cours de la réception des grands événements socio-médiatiques, hors du commun et imprévisibles (attentats à Charlie Hebdo en 2015 ou à New York en 2001, mort de Michael Jackson en 2009), les publics recherchent activement des échanges sociaux afin de co-construire du sens à l’évènement et de réguler des émotions partagées collectivement. Les médias sociaux contribuent alors à construire une « conscience collective virtuelle » en régulant des émotions collectives majeures et en participant à la co-construction de nouvelles significations socialement partagées.
Les cultural studies s’intéressent à la fois aux conditions de production et aux conditions de réception des médias. Elles soulignent les contraintes institutionnelles qui influencent le processus de construction de la signification (par exemple Stuart Hall, dans les années 1970). Ces contraintes imposeraient un mode de mise en écran et une grammaire audiovisuelle diminuant la polysémie en réception et incitant à la production d’une seule signification en faveur de l’idéologie dominante. Une partie des cultural studies ont toutefois dépassé cette perception critique des médias de masse. Même si les publics gardent un rôle actif dans la réception médiatique, la problématique de domination de classes est remplacée par celles de la construction des identités collectives ou des liens sociaux. Certains travaux s’emploient à dégager des patterns d’interprétation à travers des variables de groupe ethnique ou de genre.
Courants de recherches sur l’influence vue à l’échelle macro-sociale
Deux principaux courants étudient les influences des médias sur les cultures, les systèmes sociaux et politiques. Le premier est celui des études sociologiques fonctionnalistes et quantitatives, dans lequel des travaux cherchent à comprendre comment les thèmes apparaissant fréquemment dans les médias (par exemple, dans les actualités, la violence dans les films, les images de groupes minoritaires, les stéréotypes…) sont assimilés dans les représentations sociales à long terme de la réalité (par exemple un contact régulier avec des images pornographiques influencent les représentations que se font les adolescents de sexe masculin de leur partenaire sexuelle et les comportements qu’ils ont avec elle) ou deviennent socialement importants pour les personnes à un moment donné (modèle de l’agenda-setting de Maxwell McCombs et Donald Shaw dans les années 1970). Dès lors, les recherches s’étendent à l’étude de la circulation des thèmes médiatiques qui passent des écrans aux communications sociales, médiatisées ou non, impliquant notamment une influence sociale via les leaders d’opinion. Toujours dans ce courant, les cultivation studies considèrent les médias, notamment la télévision, comme un agent de socialisation. Une forte exposition pourrait « cultiver » des représentations sociales cohérentes avec les programmes diffusés, influençant la perception des publics en les incitant à intérioriser la version de la réalité médiatique : les travaux de George Gerbner dans les années 1980-90 ont par exemple montré que plus les téléspectateurs regardent fréquemment la télévision, plus le monde réel leur semble violent et plus ils se sentent en insécurité. Une forte exposition aux images médiatiques pourrait aussi entraîner le mainstreaming, c’est-à-dire un effet d’homogénéisation des représentations et valeurs sociales.
Le second courant est celui des études critiques. Celles-ci reposent le plus souvent sur une théorie de la société marquée par une profonde asymétrie des relations entre les groupes sociaux et par les conflits intergroupes ou interclasses, entretenus et amplifiés par les médias via de la propagande ou de la manipulation. Avec, d’un côté les groupes possédant les médias et, de l’autre, les citoyens, on y retrouve la logique issue du courant de l’économie politique des médias (issue, par exemple, de l’École de Francfort dont faisaient partie, au milieu du XXe siècle, Theodor W. Adorno, Max Horkheimer et Herbert Marcuse) qui inclut systématiquement les médias dans une conception plus générale des industries culturelles. Les médias créeraient une culture de masse uniformisant les individus. Ils auraient une fonction de reproduction des idéologies et valeurs dominantes, essentiellement libérales. De manière intentionnelle ou non, par les contenus, les images, les normes et valeurs qu’ils véhiculent (dans les fictions, les actualités…) les médias façonneraient, à long terme, les idéologies sociales et agiraient sur les structures sociales, économiques, politiques et culturelles. Jean-Léon Beauvois (2011) a notamment expliqué les processus psychosociaux, en grande partie non conscients, sous-tendant ce type d’influences. En transposant l’expérience de Milgram dans un contexte de jeu télévisé, Jean-Léon Beauvois et ses collaborateurs (2012) ont montré que la télévision, en tant qu’institution, aurait même acquis un pouvoir d’autorité sociale tel qu’elle serait capable de faire commettre aux candidats d’un jeu TV des actes cruels que pourtant ils réprouvent (envoyer de violents chocs électriques, potentiellement mortels, à un autre joueur).
D’autres chercheurs ont exploré empiriquement les thèses critiques et le rôle supposé des médias dans la construction de la réalité sociale et politique. Ils ont expliqué comment les médias agissent sur l’espace public en supprimant les opinions des groupes ou cultures minoritaires (théorie de la spirale du silence de Elisabeth Noelle-Neumann en 1974) ou comment ils pérennisent et renforcent les disparités sociales notamment en termes d’accès à la culture, de connaissances et de possibilités d’expression (théorie du knowledge gap de George Tichenor en 1975).
Beauvois J.L., 2011, Les Influences sournoises : précis des manipulations ordinaires, Paris, F. Bourin Éd.
Beauvois J.-L, Courbet D., Oberlé D, 2012, « The prescriptive power of the television host. A transposition of Milgram’s obedience paradigm to the context of TV game show », European Review of Applied Psychology, 62, pp. 111-119.
Courbet D., Fourquet M.P., dirs., 2003, La Télévision et ses Influences, De Boeck Université, coll. Médias Recherches-INA.
Courbet D., Vanhuele M., Lavigne F., 2008, « Les effets persuasifs de l’e-publicité perçue sans conscience en vision périphérique. Implications pour les recherches sur la réception des médias », Questions de communication, 14, pp. 197-219.
Girandola F., Joule R.-V., 2012, « La communication engageante : aspects théoriques, résultats et perspectives, L’Année psychologique, 112, pp. 115-143.
Marchand P. dir., 2004, Psychologie sociale des médias, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
Petty R.E, Cacioppo J.T., 1986, Communication and persuasion: central and peripheral routes to attitude change, New York, Springer-Verlag.
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