Label culturel


 

Les labels, que l’on peut définir comme des dispositifs de certification, de qualité, ou encore de confiance (Karpik, 2007), sont communs à des univers très diversifiés. Si l’étymologie du mot « label » remonte au Moyen Âge – le « lambel » est alors synonyme de « blason » (Roux-Durand, 2012) –, cette notion est encore très floue. En effet, faute de définition juridique, le label ne repose sur « aucune caractérisation univoque, et peut être, selon les cas, employé dans son sens anglophone d’“étiquette” tout en jouant sur la perception qualitative de son sens francophone » (Cadoret et al., 2021). Proches de notions telles que celles de normes et de standards, mais aussi d’inscription (Patrimoine mondial de l’Unesco), de classement (Monuments historiques), voire de conventionnement (Scènes conventionnées), les labels ont tendance à « englober par magnétisme tous les marqueurs existants » (Tanchoux, Priet, 2020).  Nous considérons ici les labels dans ce sens élargi, comme un équipement ou un dispositif (Dubuisson-Quellier, François, 2011) qui parvient à s’imposer comme catégorie performative dans des univers variés. Ils renvoient en même temps à un objectif de visibilité dans les sphères économique, publique et médiatique, ou du moins de distinction par rapport à d’autres produits, services ou lieux, et à une garantie de processus de fabrication et d’élaboration considérés comme vertueux.

D’abord imaginés pour des biens de consommation courante comme l’alimentation, le vin, les cosmétiques ou encore l’habitat, les labels ont progressivement été mis en place pour des biens immatériels tels que l’environnement, la santé et l’enseignement, et des biens et services culturels (patrimoine, industries culturelles). La généralisation de catégories comme les Appellations d’origine contrôlée (AOC), créées dans les années 1930 pour lutter contre la fraude sur le marché du vin, et le « bio » dans le domaine alimentaire, depuis les années 1980, pour encadrer les conditions de production de l’agriculture n’utilisant pas de produits chimiques de synthèse, de même que le développement de modes de consommation alternatifs, ont renforcé cette tendance à la labellisation par des organismes tant publics que privés à l’échelle locale, nationale et internationale.

Selon l’analyse économique, il s’agit de guider les consommateurs dans leurs choix face à la profusion de références et de répondre à une asymétrie d’information entre producteurs et consommateurs. Les labels peuvent ainsi renvoyer à des modes de production spécifiques (le « label rouge »), à l’origine des produits (AOC, Appellation d’origine protégée [AOP] et autres Indication géographique protégée [IGP]), à des formes de commercialisation ou à des normes environnementales et/ou sociales (Max Havelaar ou divers labels de Responsabilité sociale des entreprises [RSE]). Dans tous les cas, ils indiquent une conformité avec des normes préétablies et garanties, matérialisée par un signe distinctif (logotype, macaron) et sont destinés à envoyer un « signal de qualité » (Rodet, 2013). Relevant d’enjeux à la fois économiques et symboliques, on peut considérer que les labels participent de la production de la croyance en la valeur des biens (Bourdieu, 1977), donnant lieu à des luttes de classement au sein des secteurs considérés, tout en constituant un moyen de communication visant à accroître l’attractivité des structures ou des biens labellisés.

Les labels sont souvent étudiés en économie, en sciences de gestion et en marketing (Linnemer, Perrot, 2000), en sociologie économique (Garcia-Parpet, 2012 ; Rodet, 2013) voire en théorie politique (Ferrarese, 2023). Plus rarement abordés en sciences de l’information et de la communication (Aïm, Lallement, 2016), l’extension de leur usage dans le secteur de la culture est à analyser : en effet, elle peut signaler une progression de critères économiques dans ces secteurs, la frontière entre « label » et « marque déposée » n’étant pas toujours claire, ou encore une forme spécifique d’action publique (Bergeron et al., 2014).

 

Pourquoi des labels dans la culture ? Une origine patrimoniale

Si la labellisation dans le domaine de la culture s’inscrit, dès le XIXe siècle, dans le sillage de l’identification d’édifices ou de lieux considérés comme devant être défendus du fait de leur valeur patrimoniale (le classement, en 1837, puis l’inscription, en 1913), la pratique a connu une forte extension à partir des années 1950, dans un contexte de développement du tourisme et des loisirs. C’est ainsi que les biens et lieux culturels sont depuis plusieurs décennies l’objet de politiques de labellisation et de certification destinées à instaurer un principe de classement et une définition de l’excellence légitimée par l’État à partir de plusieurs marqueurs à finalité juridique (Tanchoux, Priet, 2020). L’existence de cahiers des charges précis, définis par des commissions qualifiées qui contrôlent périodiquement la conformité des structures labellisées à ces attendus, fait office de garantie de qualité. Le label apparaît dès lors comme un levier de l’action publique voire comme un outil de normalisation pour le ministère de la Culture (Roux-Durand, 2012).

Plusieurs logiques président à l’instauration de labels dans le domaine culturel, qui reposent toutes sur la reconnaissance de valeurs à porter au sein ou à côté du jeu marchand. En effet, dans la mesure où le marché est réputé ne pouvoir par lui seul régler la production, la préservation et la diffusion de biens perçus comme reflétant le bien commun, le label est de plus en plus considéré comme une forme d’action collective (publique ou privée) permettant de corriger les risques d’appauvrissement de l’offre ou d’éloignement durable de certains publics. Si les logiques de hiérarchisation se déploient depuis longtemps au cœur des univers culturels, notamment par l’organisation de remises de prix et de distinctions, d’accueils d’artistes en résidence ou de sélection dans des festivals (Ducas, 2013 ; Delaporte, 2022), la prolifération récente des références renforce le besoin d’orientation. En même temps que se sont multipliés les sites spécialisés dans l’évaluation et la notation par les pairs, ainsi que les comparateurs, les labels, qui concernent avant tout des lieux ou des structures produisant ou diffusant des œuvres, participent ainsi grandement de cette fabrique des hiérarchies culturelles.

Dans le domaine du patrimoine, les labels apparaissent à la fin des années 1960, dans un contexte d’inflation du champ patrimonial (archéologique, urbain, industriel…) et de déclinaison de nouveaux outils juridiques de protection, avec notamment la mise en place d’un Inventaire en 1964. Ces labels couvrent le patrimoine culturel (Vieilles maisons françaises, Ville et Pays d’art et d’histoire) et naturel (Jardins remarquables, Géoparcs, Parc naturel régional), dans une optique de protection juridique des sites. Ils ont continué à se multiplier jusqu’à aujourd’hui, le label Grand Site de France datant de 2010. Ces initiatives émanent de divers acteurs : l’État (Maisons des illustres), les collectivités territoriales, qui cherchent à défendre certains édifices ou lieux, souvent de proximité, non protégés par l’État (Plus beaux villages de France, Petites cités de caractère), mais aussi des associations et organismes privés comme la Fondation du patrimoine. Une nette accélération s’observe au mitan des années 1990, dans le contexte de la décentralisation, autour de plusieurs objectifs : développement du territoire, promotion du tourisme et mise en valeur du patrimoine tant national que local, mais aussi démocratisation de l’accès à la culture, à partir de 1981. La dimension internationale a parallèlement gagné en importance depuis la signature de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, en 1972, et la création du label Patrimoine européen, en 2007. Il faudra attendre 2016 pour qu’une loi englobe sous le terme générique de labels des initiatives patrimoniales préexistantes, telles que les Fonds régionaux d’art contemporain (Frac) et les Centres culturels de rencontre (Tanchoux, Priet, 2020).

Pour prendre un exemple précis de fonctionnement de l’un de ces labels, on peut évoquer le label Ville et Pays d’art et d’histoire. Créé en 1985, ce dernier qualifie des territoires qui « s’engagent dans une démarche active de connaissance, de conservation, de médiation et de soutien à la qualité architecturale et du cadre de vie » (Ministère de la Culture, s. d.). Conclu entre l’État et les collectivités territoriales pour une période de 10 ans, il ouvre droit à une subvention du ministère de la Culture. Il permet l’inscription dans un réseau national de lieux labellisés et l’accession à des services de conseil et d’expertise de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), l’organisme déconcentré de l’État en région en matière culturelle).

 

Une extension continue

Dans les domaines du spectacle vivant et de la musique, les labels sont également nombreux : ils visent à valoriser des lieux ou des structures « dont le projet artistique et culturel présente un intérêt général pour la création artistique » (Article 5 Loi no 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine). Ils concernent les Centres chorégraphiques nationaux (19 en 2024), les Centres dramatiques nationaux (38), les Centres nationaux des arts de la rue et de l’espace public (13), les Scènes nationales (77), les Scènes conventionnées d’intérêt national (141), les Centres nationaux de la marionnette (7) et les pôles nationaux du cirque (14). Dans le domaine musical, les labels s’appliquent aux Centres nationaux de création musicale (8 en 2024), aux Opéras nationaux en région (6) et aux Orchestres nationaux en région (17), tandis que les salles de concert peuvent être labellisées Scènes de musiques actuelles (Smac, 94). Ce dernier label, mis en place en 2010, après la création du réseau en 1996, vise à soutenir des pans de la création musicale jusque-là peu reconnus, identifiés sous le terme de « musiques actuelles » ou « musiques populaires » : rap, musiques électroniques, pop, rock, jazz, musiques traditionnelles, musiques du monde. Il permet d’identifier et de réorienter les aides jusque-là consacrées aux genres musicaux de la culture dite « savante » comme la musique classique ou contemporaine. Afin de répondre à des missions de création, de production et de diffusion d’œuvres musicales, de soutien aux pratiques musicales professionnelles et amateures et de médiation envers les publics, les salles labellisées bénéficient de subventions de l’État et des collectivités locales.

Comme on le voit par ces exemples, les labels du domaine du spectacle vivant et de la musique s’intéressent à toutes les activités de ces filières : ils soutiennent ainsi les lieux pour leur activité en matière de création, d’expérimentation, de diffusion, de valorisation, de formation et de médiation, voire de conservation. En outre, leur mise en place cumulative reflète l’évolution des considérations plus générales en matière de politique culturelle, avec l’intégration progressive de pratiques amateures, de périmètres d’œuvres et de disciplines artistiques en voie de reconnaissance.

L’extension des labels renvoie aussi à la visibilisation de lieux culturels et d’œuvres auprès des publics face à des volumes de production en forte augmentation, du fait notamment de la multiplication des supports de diffusion liée au développement de l’offre numérique ; cette extension s’appuie sur des dispositifs déjà éprouvés sur des marchés culturels soumis à des logiques de concentration.

La création, en 2009, du label LIR, décerné à un certain nombre de « Librairies indépendantes de référence », puis de « Librairies de référence » par le ministère de la Culture (525 au 1er janvier 2024), fournit un exemple intéressant d’extension de la labellisation à une filière restée jusqu’alors en dehors des logiques de labellisation culturelle, celle du livre (Noël, Pinto, 2022). En s’arrogeant le droit d’opérer un tri entre des commerces et de distinguer les librairies indépendantes d’autres circuits de distribution physique et numérique, ces labels marquent une inflexion dans la politique publique du livre au moment où la concurrence des sites de vente en ligne se fait durement sentir. L’idée est de valoriser et d’aider financièrement les librairies qui contribuent à défendre la diversité éditoriale sur l’ensemble du territoire du fait de leur choix d’assortiment et de leur politique d’animation. Les aides publiques sont ainsi perçues comme venant compenser un service d’intérêt général : « le label a pour vocation de reconnaître, valoriser et soutenir les engagements et le travail qualitatif des libraires » (Centre national du livre, s. d.). Il engage une certaine vision de la librairie idéale, indépendante dans sa politique d’offre et définie par une proposition culturelle.

 

Ce modèle de labellisation par l’État de structures commerciales est à chercher du côté du cinéma et du classement Art et essai (AE), officiellement créé en 1961, suite au travail mené par des critiques de cinéma et des exploitants, à la fin des années 1950. La procédure de classement des salles consiste à évaluer la part d’œuvres recommandées Art et essai par un collège de professionnels dans la programmation des salles candidates ainsi que leurs pratiques d’animation envers les publics. Les films susceptibles d’être retenus sont des films « ayant un caractère de recherche ou de nouveauté dans le domaine cinématographique », ou « présentant d’incontestables qualités mais n’ayant pas obtenu l’audience qu’elles méritaient », ou encore des « classiques de l’écran » et des courts-métrages « de qualité » ainsi que, dans certains cas, des « œuvres cinématographiques récentes ayant concilié les exigences de la critique et la faveur du public » (CNC, s. d. : 3). En outre, la spécificité du travail de certaines salles leur permet d’accéder à des sous-labels plus distinctifs (labels Recherche et Découverte, Patrimoine et Répertoire, Jeune Public).

Les labels AE et LIR reposent ainsi sur un principe commun : récompenser les salles et les librairies qui proposent une offre diversifiée ainsi qu’une politique d’animation active, en regard de la composition sociale de leurs publics potentiels et de leur environnement concurrentiel. En réaffirmant le caractère symbolique des biens considérés, ils exercent des effets importants au sein des filières.

 

Les labels : signaux de qualité destinés aux publics ou outils de structuration interne ?

Si la relation aux publics tient théoriquement une grande place dans les procédures d’attribution des labels, elle peut aussi être envisagée sous l’angle de la réception de ces labels par les publics eux-mêmes. Or, il semble que ce soit « moins le contenu labellisé qui est évocateur que le mot label, comme s’il existait une identité label » (Abrioux et al., 2019). À la manière du logo d’une sélection en festival présent sur l’affiche d’un film, c’est avant tout l’existence d’une distinction, quelle qu’elle soit, qui est susceptible d’avoir un effet de visibilité et de choix. Cette hypothèse peut être corroborée par la multiplication de labels-logos apposés par des entreprises de diffusion pour aider les spectateurs à faire des choix face à une offre qui se renouvelle toujours plus vite. On pense ici aux labels « UGC spectateurs », « UGC aime », « UGC découvre », ou par la Fnac « Coups de cœur », « Attention talent » et « Fnac aime » destinés à orienter les publics. Ces labels attribués par des entreprises privées, qui visent avant tout des œuvres, représentent un signal pour le consommateur et participent à la structuration de l’offre exponentielle des industries culturelles.

Les labels publics évoqués dans cette notice, qui ciblent davantage des lieux et des espaces d’intermédiation des marchés culturels, plutôt que des œuvres, n’agissent pas de la même façon sur les consommateurs culturels. En effet, généralement peu et mal reconnus, les labels semblent surtout assurer une reconnaissance, tant symbolique que matérielle pour les acteurs concernés et constituer un outil d’intervention pour la puissance publique, dans les rapports de force entre acteurs industriels de puissance inégale. Pour ce qui est des salles de cinéma et des librairies, les labels permettent de différencier les acteurs selon différents principes concurrentiels (gros vs petits ; indépendants vs enseignes ; public vs privé ; acteurs physiques vs numériques) à un moment de profondes transformations de ces secteurs sous l’effet de la concentration croissante et de la montée des acteurs numériques transnationaux. Ils s’avèrent des instruments de politique publique efficaces pour « récompenser » les structures répondant aux attentes publiques en matière de diversité de l’offre, tout en favorisant certaines conduites (lieux d’implantation, animation…). Et, du côté des publics, la perception de lieux labellisés passe souvent par des critères différents de ceux inscrits dans les procédures officielles d’attribution. Par exemple, si la catégorie d’Art et essai est largement connue par les professionnels de la diffusion cinématographique, d’abord comme enjeu pratique pour la gestion et la programmation de leur salle (pour le calcul de la part de séances consacrées à des films recommandés Art et essai, par exemple), elle n’est pas nécessairement connue des publics, qui vont avant tout qualifier les salles qui bénéficient du classement de « petite » salle, qui passe des films « qu’on ne voit pas ailleurs », souvent avec des gens qui « parlent autour des films », de salle qui ne ressemble pas à au multiplexe souvent situé en périphérie de la ville voire de salle dans laquelle on va avec l’école.

La labellisation, telle qu’exposée ici, peut, à certains égards, renvoyer aux pratiques de classification en matière de cinéma et de télévision (pour la puissance publique) ou de jeux vidéo (pour les acteurs privés) qui participent à distinguer (négativement) des œuvres : les commissions de classification (anciennement comités de censure) s’adressent ainsi tout autant aux publics, sous la forme de mises en garde, qu’aux acteurs des marchés culturels par les contraintes de production et de diffusion que leurs décisions impliquent (restriction d’âge pour l’accès à certains films, par exemple). Ces pratiques de classification s’appuient de manière similaire sur des formes d’affichages (tels que les pictogrammes des signalétiques) pour manifester le rôle de protection des publics que les pouvoirs publics incarnent en les protégeant de l’exposition à des contenus jugés contraires à la morale (violence et sexe, notamment).

Mais la multiplication continue des labels crée indéniablement une confusion, pour les acteurs comme pour les publics, comme en témoigne la situation récente de l’enseignement supérieur et de la recherche (Nunès, 2023). Sur un marché de plus en plus libéralisé, où prolifèrent les formations privées dans un contexte de désengagement budgétaire de l’État, se sont ainsi multipliés les mécanismes de certification qui visent à garantir la qualité des enseignements, le droit d’accès à des bourses pour les étudiants et la poursuite de leurs études par l’obtention des différents grades universitaires. L’État peut ainsi « reconnaître » des établissements privés après un audit et labelliser les formations, indépendamment du statut des établissements. Dans le même esprit, le label « Bienvenue en France » délivré par Campus France s’adresse aux étudiants étrangers qui doivent pouvoir, par ce biais, être assurés d’être accueillis dans un établissement mettant en œuvre une politique et des moyens d’accueil spécifiques. Si cette extension des labels accompagne une tendance à la marchandisation de certains secteurs, elle signe également la restriction des moyens publics qui leur sont alloués par un ciblage des aides sur quelques structures labellisées, à l’image des keylabs envisagés pour organiser l’allocation des ressources publiques aux laboratoires CNRS. Au-delà de la question de la répartition des moyens, cette politique de labellisation marque également une redéfinition des rapports entre l’État et les institutions publiques de recherche, par la distinction de quelques « champions » sur des critères qui échappent au jugement par les pairs, traditionnellement privilégié dans ces espaces jusque-là réputés bénéficier d’une forme d’autonomie dans la définition de leurs objets et de leurs méthodes.

 

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L’extrême variété des biens et services concernés par les labels, des structures « labellisantes », des publics visés, de même que l’ampleur des objectifs poursuivis par leur attribution rendent complexe l’étude de cette catégorie élastique et polymorphe (Tanchoux, Priet, 2020). Dans un contexte de recomposition des rapports de force au sein des industries culturelles et de pression commerciale accrue dans le domaine artistique et culturel, on peut analyser l’accroissement des labels comme reflétant un rapprochement avec le concept de marque commerciale, mais aussi comme un signe d’évolution d’une politique publique réduite à l’identification d’acteurs « d’excellence », de pratiques « vertueuses » ou encore de productions de « qualité ». Cette proximité entre politique de labellisation publique et privée montre bien l’ambivalence d’une pratique utilisée pour contrebalancer des logiques du marché mais qui en reprend certaines modalités d’action (proche de la marque et du logo).

Pour autant, la politique de labellisation menée par l’État dans le domaine du livre et du cinéma atteste d’effets réels sur la structuration des filières concernées, avec une polarisation croissante entre structures labellisées et acteurs dominants au détriment des intermédiaires, montrant bien l’importance des enjeux portant sur le périmètre des labels (Noël, Pinto, 2022). Le risque de saturation autour des labels, aux yeux des publics, n’est cependant pas négligeable, leur multiplication conduisant paradoxalement à uniformiser plutôt qu’à singulariser (Aïm, Lallement, 2020). Victimes de leur succès, les labels sont un outil souple qui reste à manier avec prudence, au risque de perdre leur pouvoir de distinction.


Bibliographie

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Tanchoux P., Priet F., dirs, 2020, Les Labels dans le domaine du patrimoine culturel et naturel, Rennes, Presses universitaires de Rennes.

Auteur·e·s

Noël Sophie

Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaire sur les médias Université Paris-Panthéon-Assas

Pinto Aurélie

Institut de recherche sur le cinéma et l'audiovisuel Université Sorbonne Nouvelle

Citer la notice

Noël Sophie et Pinto Aurélie, « Label culturel » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 31 janvier 2025. Dernière modification le 31 janvier 2025. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/label-culturel.

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