Octobre rose


 

Le cancer du sein représente un quart des cancers féminins et 10 % de l’ensemble des cancers, ce qui en fait la forme la plus commune chez les femmes (Sancho-Garnier, Colonna, 2019). Ainsi touche-t-il environ une sur huit d’entre elles dans le monde (Anastasiadi, et al., 2017), parmi lesquelles une sur cinq n’y survit pas (Ghoncheh, Pournamdar, Salehiniya, 2016), ce qui en fait également la principale cause de décès chez les femmes âgées de 20 à 50 ans (Iacoviello, et al., 2020). En France, 12 146 femmes sont mortes du cancer du sein en 2018, tandis que 58 459 découvraient en avoir un (Defossez et al., 2019).

Face à l’ampleur de la maladie, chaque année en France depuis 1994, le mois d’octobre fait l’objet d’une vaste campagne de sensibilisation au cancer du sein, soutenue par le gouvernement, permettant également la récolte de fonds pour la recherche sur ledit cancer. Surnommé « Octobre rose » en référence au ruban rose qui est l’emblème de la lutte contre le cancer du sein, l’événement rassemble plusieurs organisations, entreprises et personnes qui souhaitent mettre fin à cette maladie. Pourtant, plusieurs critiques ont été faites à Octobre rose, remettant notamment en cause les procédés marketings qui lui sont sous-jacents, et qui exploitent le corps des femmes pour générer du profit et/ou valoriser une image de marque.

Après avoir fait l’historique d’Octobre rose, il s’agira donc d’en discuter les méthodes mercatiques qui ciblent principalement les femmes, mais aussi d’en réévaluer l’efficacité à l’aune des critiques qui lui ont été faites, émanant tant des milieux féministes et universitaires, que des premières concernées par la maladie.

 

Race for the Cure : aux origines d’Octobre rose

En octobre 1985, l’association American Cancer Society et l’entreprise Imperial Chemical Industries ont instauré, aux États-Unis, le National Breast Cancer Awareness Month (Mois National de la Sensibilisation au Cancer du Sein ; NBCAM), la première campagne nationale de sensibilisation contre le cancer du sein. L’objectif principal était alors d’inciter les femmes à réaliser un dépistage précoce du cancer du sein par mammographie ou par autoexamen des seins (AstraZeneca HealthCare Foundation, 2002). L’efficacité de cette première édition a permis une hausse des diagnostics du cancer du sein (Jacobsen, Jacobsen, 2011), si bien que l’événement national s’est vite répandu à travers le monde, devenant le Breast Cancer Awareness Month (Mois de la Sensibilisation au Cancer du Sein ; BCAM).

Néanmoins, certains pays doivent faire face à une réticence du public à ces campagnes, qui peut avoir des origines socio-culturelles, le sein étant un organe érotisé et de l’ordre du privé (El Saghir et al., 2007 ; Ahmadian, Abu Samah, 2012). Dans les pays en voie de développement ne disposant pas des infrastructures nécessaires ou des compétences, ni des moyens pour déployer une campagne publique de dépistage, pas plus que de prodiguer des soins aux personnes diagnostiquées positives (Agarwal, et al., 2009 ; Edge, et al., 2014).

Aux États-Unis, des initiatives existaient toutefois de manière locale avant 1985, notamment des courses caritatives, la première ayant eu lieu le 2 octobre 1983 à Dallas. Derrière cette démarche se cache Nancy Brinker, qui a fondé l’association caritative Susan G. Komen Breast Cancer Foundation (SGKBCF), nommée en l’honneur de sa sœur aînée – Susan G. Komen (1944-1980) –, morte du cancer du sein. Persuadée que le sort de celle-ci aurait été différent si les femmes étaient plus informées sur le cancer du sein et les moyens de le détecter au plus tôt, elle souhaitait récolter des fonds pour la recherche et pour informer les malades et futures malades sur la maladie (Fernandez, 1998).

Rassemblant près de 800 participantes, cette première Race for the Cure [course pour la guérison] entraîna d’autres éditions qui se sont tenues en 1984 et 1985, toujours à Dallas, et en 1986 à Peoria dans l’Illinois – ville où est décédée S. G. Komen –, avant que les courses ne s’exportent ensuite dans d’autres villes des États-Unis, puis ailleurs dans le monde, organisées par différentes associations locales. En France, la première édition du BCAM a été organisée en 1984 par l’association Cancer du sein, parlons-en ! – aujourd’hui renommée Ruban Rose –, née de l’initiative conjointe de l’entreprise de cosmétiques Esthée Lauder France et du magazine « féminin » Marie-Claire (Ruban Rose, 2023).

Départ du marathon caritatif contre le cancer du sein organisé par la Susan G. Komen Breast Cancer Foundation à Francfort-sur-le-Main (Allemagne) le 28 sept. 2014. Source : Gerbil, Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).

Départ du marathon caritatif contre le cancer du sein organisé par la Susan G. Komen Breast Cancer Foundation à Francfort-sur-le-Main (Allemagne) le 28 sept. 2014. Source : Gerbil, Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0).

 

Marathon caritatif contre le cancer du sein organisé par l'association Be Yourself à Gennevilliers (France) le 29 oct. 2022. Source : Ville de Gennevilliers, Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Marathon caritatif contre le cancer du sein organisé par l’association Be Yourself à Gennevilliers (France) le 29 oct. 2022. Source : Ville de Gennevilliers, Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

 

Ruban rose : histoire d’un emblème

C’est dans le cadre de ces Races for the Cure que le rose fut progressivement associé à la lutte contre le cancer du sein : à partir de 1990, N. Brinker décida de distinguer les participantes s’étant remises d’un cancer du sein – surnommées les « survivantes » – des autres coureuses en leur remettant gratuitement une visière rose (Brinker, Rodgers, 2010 : 277). L’année suivante, lors de l’édition de New York organisée le 13 octobre, les volontaires de la SGKBCF ont épinglé un ruban rose sur la tenue des coureuses « survivantes » : N. Brinker avait eu l’idée de cette décoration en voyant l’acteur britannique Jeremy Irons porter le ruban rouge de la lutte contre le VIH/sida lors de la cérémonie des récompenses théâtrales des Tony Awards de 1991 (ibid. : 284). Par coïncidence, le ruban rose était déjà présent dans la première version du logo de l’association : il formait les contours d’une coureuse, mais il était aussi un rappel de la ceinture que portait S. G. Komen lors de son bal de promo au lycée (ibid.).

Ruban rose. Source : marijana1, Pixabay (CC 0).

Ruban rose. Source : marijana1, Pixabay (CC 0).

 

« Peu coûteuse, facile à réaliser et agréable à l’œil, la boucle de ruban rose s’est rapidement imposée comme un moyen d’identifier les participant·es, les survivantes et les sympathisant·es lors des manifestations de Susan G. Komen », raconte N. Brinker (ibid. ; ma traduction). C’est toutefois le magazine américain Self, consacré à la santé des femmes, qui établira de manière durable le ruban rose comme emblème de la lutte contre le cancer du sein. En octobre 1991, Self publia un premier numéro consacré au BCAM de la même année, qui avait été édité par Evelyn Lauder (1936-2011), vice-présidente de l’entreprise de cosmétiques Estée Lauder, et surtout « survivante » d’un cancer du sein en 1984, qu’elle avait combattu en faisant réaliser une mammectomie. Après le succès de ce premier numéro, Alexandra Penney, alors rédactrice en chef de Self, sollicita de nouveau E. Lauder, lui demandant de créer un ruban rose à distribuer avec le numéro d’octobre 1992. Dépassant les attentes d’A. Perney, E. Lauder distribua gratuitement 1,5 millions de rubans dans les magasins Estée Lauder des États-Unis, chacun étant accompagné d’une carte expliquant comment réaliser un autoexamen du cancer du sein (Smith, 2014 : 189-190).

The Estée Lauder Companies, « The Breast Cancer Campaign », 2017. Vidéo de femmage à Evelyn Lauder, à l’occasion de 25 ans de l’invention du ruban rose. Source : YouTube. Accès : https://www.youtube.com/watch?v=uubMUexYIqg.

 

Le BCAM est depuis surnommé Octobre rose en référence à ce ruban, devenu l’emblème internationalement reconnu de la lutte contre le cancer du sein. La couleur seule – qu’importe la nuance – suffit même à porter ces significations (Hughes, Wyatt, 2015) : elle se retrouve sur le logo de la plupart des associations de lutte contre la maladie, sur les vêtements portés par les participant∙es des courses caritatives dédiées, ainsi que sur les produits commerciaux (t-shirts, peluches, bouteilles d’eau…) vendus par les organisations ou les marques au profit de la lutte contre ce cancer. Des bâtiments sont mêmes illuminés en rose dans certaines grandes villes, projetant l’événement à une échelle architecturale, ce qui témoigne de son importance aujourd’hui (Ruban rose, 2023).

Tours de La Chaîne et Saint-Nicolas illuminées en rose à l’occasion d’Octobre rose à La Rochelle (France) le 26 oct. 2020. Source : Raphaël Chekroun, Flickr (CC BY-ND 2.0).

Tours de La Chaîne et Saint-Nicolas illuminées en rose à l’occasion d’Octobre rose à La Rochelle (France) le 26 oct. 2020. Source : Raphaël Chekroun, Flickr (CC BY-ND 2.0).

 

Au sein du genre : le cancer du sein n’est-il qu’une affaire de femmes ?

Les chercheuses en science de l’information de de la communication Kate Hughes et Donna Wyatt (2015) vont plus loin et parlent du rose comme l’emblème d’une « culture du cancer du sein », qui inclut le cancer lui-même, la sensibilisation à cette maladie, la recherche d’un remède, la communauté des femmes touchées par ce cancer, celles qui y ont survécu, le soutien à la cause…. Mais choisir le rose comme emblème de cette culture est de loin la plus forte critique portée à Octobre rose, principalement parce que cette couleur est aussi fortement associée au féminin et à la féminité. Le rose a ainsi tendance à féminiser le cancer du sein jusqu’à en faire une « maladie de femmes », alors qu’il s’agit bien d’un problème de santé publique qui repose sur l’ensemble de la société (Elliot, 2007 : 531).

Pourtant, on pourrait arguer que, effectivement, le cancer du sein touche à plus de 99 % des femmes (Giordano, 2018) : comment expliquer alors qu’il n’existe rien d’équivalent pour les hommes et le cancer de la prostate, qu’on peut considérer comme le pendant masculin du cancer du sein – exclusivement masculin, incidence équivalente (Siegel, Miller, Jemal, 2019), atteinte à un attribut masculin ? S’il existe bien le Movember – contraction de « moustache » et « november » – organisé par la Movember Foundation Charity (2023) qui invite les hommes à se laisser pousser la moustache pour sensibiliser l’opinion publique sur les maladies masculines, ce qui inclut le cancer de la prostate, aucune campagne publique de la même envergure qu’Octobre rose n’existe : pas de produits estampillés d’un ruban bleu, ni de bâtiments illuminés en bleu, pas plus qu’un hypothétique « Novembre Bleu ».

Il semble ainsi qu’Octobre rose s’appuie sur une prétendue appétence naturelle pour la consommation (Kumaravel, 2017), tout en renforçant le stéréotype qui associe les femmes au shopping (King, 2006 : p. XXV). Et les stéréotypes de genre ne s’arrêtent pas ici : le rose ne symbolise en réalité qu’une version stéréotypée de « la femme », alternativement ou simultanément infantilisée et sexualisée (Bideaux, 2023), que l’on retrouve dans le choix des produits vendus au profit d’Octobre rose tels que de nombreux produits cosmétiques, des vêtements féminins, des denrées alimentaires allégées, des peluches… qui associent les femmes à la douceur, l’innocence et la maternité, d’une part, à la beauté, la séduction et la sexualité, d’autre part.

Pourtant, le vécu du cancer et de son traitement est à l’opposé de ces représentations de la féminité : en effet, la chimiothérapie et/ou la radiothérapie peuvent entraîner la perte de cheveux et la perte de poids, tandis que la mastectomie s’avère dans bien des cas le seul remède contre la maladie, et dans les 10 à 30 % de formes héréditaires, le seul moyen de le prévenir (Lilyquist et al., 2018). Cette opération est sujette à de lourds dilemmes pour les femmes, tant cette partie du corps est liée à la féminité, la séduction, la maternité et la sexualité (Francequin, 2014) ; or, le choix du rose comme emblème de la lutte contre le cancer du sein tend à focaliser sur le corps féminin et sur la perte de ses attributs de féminité, pensés comme nécessaires à l’expression de cette féminité et à la désirabilité du corps féminin. Associer le rose au cancer du sein participe donc à en faire une atteinte à la féminité et à la sexualité, alors qu’il est avant tout une atteinte à la santé et à la vie (Elliott, 2007 : 524).

Néanmoins, quel serait l’intérêt de faire réfléchir des femmes atteintes d’un cancer sur les stéréotypes de féminité ou l’aliénation, alors que la mort est une menace concrète et qu’elles doivent apprendre à accepter un corps transformé par la maladie (Francequin, 2014) ? Le choix du rose comme emblème de la lutte contre le cancer du sein peut ainsi être aussi conçu comme une forme de résistance qui opposerait à la maladie, potentiellement mortelle, le plaisir et la joie de se sentir belle car féminine, voire, pourquoi pas, la légèreté et la futilité de cette quête de féminité à travers l’achat de produits stéréotypés et roses.

 

Think before you pink! Le marketing philanthropique en questions

Toutefois, il y a un avantage à faire du rose l’emblème de la lutte contre le cancer du sein : adoucir la perception qu’on en a en l’associant à une couleur qui signifie tout son contraire permet de donner un aspect – tant visuel que symbolique – moins grave à la maladie, ce qui semble être plus efficace dans le cadre de campagnes de sensibilisation ou de prévention qui demandent aux gens de s’intéresser à une cause… et éventuellement d’y contribuer financièrement. En effet, outre les courses caritatives qui continuent d’être organisées partout en France et dans le monde, des centaines de marques s’emparent de la lutte contre le cancer du sein chaque année au mois d’octobre, mettant en vente des produits estampillés d’un ruban rose avec la promesse de reverser une partie des bénéfices à diverses associations.

Si l’on peut se réjouir de ces démarches qui permettent de récolter des fonds pour la lutte, elles participent surtout à améliorer l’image des marques en plus de leur permettre de bénéficier de réductions de taxes ou d’impôts (King, 2001). Elles auraient d’ailleurs tout aussi bien pu faire directement un don auprès des associations en question, mais derrière l’altruisme affiché des marques se cache en réalité une stratégie mercatique doublée d’une stratégie de communication. La chercheuse en santé Samantha King (ibid. : 121) parle de cause-related marketing [marketing lié à une cause] – qu’on pourrait aussi traduire par « marketing philanthropique » –, et que les militantes survivantes du cancer du sein dénoncent, reprochant une dépolitisation de la lutte au profit d’une stratégie marketing de valorisation de marques (Elliot, 2007 : 526). Le marketing lié au cancer du sein n’a ainsi d’autre finalité que de redorer l’image d’une marque en captant l’attention d’un nouveau public sensible à la cause (Berger-Douce, 2007), tout en faisant des bénéfices en proposant une nouvelle gamme de produits, pour la plupart conçus « pour les femmes ».

Ce marketing philanthropique est aussi davantage orienté vers un public féminin que masculin : la coloration en rose des produits concernés est un frein à leur achat par des hommes (Bideaux, 2023 : 277-278), tandis que la nature des produits sélectionnés répond à des stéréotypes sexistes et hétéronormatifs. K. Hughes et D. Wyatt (2015) font ainsi remarquer que le marketing du cancer du sein « repose confortablement sur un discours post-féministe qui évalue le rôle de la marchandisation à travers des appels aux stéréotypes de genre », ce qui n’en fait ni plus ni moins qu’une variante du marketing de genre. S’inquiétant du nombre en constante augmentation de produits arborant un ruban rose vendus chaque mois d’octobre au profit de la lutte contre le cancer du sein, l’association américaine Breast Cancer Action (BCA, 2023) a lancé en 2002 une campagne de sensibilisation : Think Before You Pink [litt. « Réfléchis avant de “roser” », c’est-à-dire réfléchir avant d’acheter des produits designés en rose dans le cadre d’Octobre rose]. Dès la première année, BCA a acheté un encart dans le journal quotidien New York Times pour dénoncer les entreprises qui tirent davantage profit de la lutte contre le cancer du sein qu’elles n’ont apporté leur contribution à la cause. Année après année, BCA pointe ainsi les dérives de ce marketing philanthropique ainsi que son inefficacité, en dénonçant l’hypocrisie des entreprises cosmétiques et agroalimentaires qui vendent des produits au profit de la lutte, alors que ces mêmes produits contiennent des composants carcinogènes, ou en remettant en question les levées de fonds auprès des consommatrices et des consommateurs (ibid.).

Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, « Octobre Rose 2022 : Découvrez le témoignage de Sylvie, touchée par un cancer du sein », 2022. Témoignage vidéo d’une personne atteinte du cancer du sein. Source : YouTube. Accès : https://www.youtube.com/watch?v=hXmsxDry820.

 

Partie prenante des différentes campagnes de sensibilisation au cancer du sein, mais aussi des campagnes de dépistage organisés visant à détecter le plus tôt possible la maladie, les médecin·es mettent toutefois en garde sur les risques de telles entreprises. Certain·es chercheur·euses et praticien·nes pointent ainsi que la multiplication des institutions médicales, scientifiques et politiques impliquées dans les campagnes publiques de prévention du cancer du sein « pourrait conduire à des compétences enchevêtrées, à une absence de synergie ou à des défauts de coordination mais également à des inégalités sociales dans l’accès à l’information de sensibilisation à la prévention et/ou au dispositif de dépistage organisé » (Omrane, Mignot 2018 : 46). D’autres affirment que les campagnes de dépistage massif promues par Octobre rose sont inutiles car n’atteignant pas suffisamment les femmes de plus de 50 ans – les plus sujettes à développer un cancer du sein –, pouvant occasionner des faux positifs qui peuvent impacter la participation à des dépistages ultérieurs (Seigneurin, 2011 : 100-112), ou entraînant des sur-diagnostics entraînant des sur-traitements aux effets délétères sur la santé (Paci, Duffy, 2005). Il faut ajouter à cela des biais racistes, aussi véhiculées par des professionnel·les de santé, qui éloignent certains publics de l’accès à la sensibilisation, au dépistage ou au soin (Chen et al., 2022 ; Krumholz, Massey, Dorsey 2022,).

En dépit de toutes les critiques faites aux campagnes de prévention du cancer du sein par dépistage mammographique, la plupart des études statistiques s’accordent sur leur efficacité : elles réduisent le nombre de décès et augmentent le taux de guérison en favorisant un dépistage précoce (Seigneurin, 2011 : 125-126 ; Bulliard, Levi, 2012). L’épidémiologiste Catherine Hill (2014) conclut toutefois plus relativement : « le dépistage du cancer du sein est plus utile que dommageable, mais le bénéfice n’est pas énorme et ce n’est pas une folie que de le refuser. […] Une femme qui refuse le dépistage du cancer du sein est beaucoup moins déraisonnable qu’une femme qui continue à fumer car le tabac tue un consommateur régulier sur deux ».

Véritable outil de communication permettant de sensibiliser le plus grand nombre sur le cancer du sein (Gathers, et al., 2021), il semble ainsi qu’Octobre rose et la culture qui lui est associée doivent s’évaluer à partir du rapport entre leurs bénéfices pour les patientes – mais aussi les patients – et pour la recherche médicale – le gain en visibilité, les nombreux fonds récoltés –, et leur coût pour les femmes en termes de représentations qui renforcent les stéréotypes sexistes. Octobre rose serait ainsi un moindre mal, permettant à la recherche de progresser plus rapidement, à la prévention d’atteindre plus de femmes, et aux malades – ou du moins certaines malades – de trouver les ressources pour se reconstruire à travers leur féminité. L’abandon du (ruban) rose comme emblème de la lutte contre le cancer du sein ne changerait de toute manière rien à la construction du genre ni à la symbolique du rose, déjà solidement installées dans nos sociétés.


Bibliographie

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Auteur·e·s

Bideaux Rose K.

Laboratoire d’études de genre et de sexualité Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis Centre français de la couleur

Citer la notice

Bideaux Rose K., « Octobre rose » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 03 octobre 2023. Dernière modification le 04 octobre 2023. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/octobre-rose.

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