Les programmes politiques relèvent à première vue d’une étude à la fois simple et complexe en relation avec l’histoire contemporaine, dans la mesure où leur apparition est souvent associée à l’histoire de la Révolution française (Perrineau, 2001) – ce qui n’implique pas nécessairement une antériorité en tous points par rapport à d’autres pays, en particulier si l’on tient compte de l’histoire des déclarations des droits. En effet, ils se veulent généralement accessibles, à travers une présentation jouant sur la proximité et un caractère souvent succinct, quitte à se réduire à une suite de rubriques, à une déclaration d’intention, à une suite de slogans, voire à un nom, censé tenir lieu de programme. La complexité de l’analyse tient, en outre, à de nombreux aspects. Déjà, une certaine diversité des formes et des formules a été mentionnée. Elle relève aussi des usages politiques, des contenus, de la présentation, des caractères de l’insertion dans le champ de la communication, des incertitudes associées à la réception des programmes et aux modes d’appropriation. Qui les conçoit ? Qui y adhère ou s’en inspire ? Qui les prend au sérieux, et même qui les lit ? Qu’en retiennent les dirigeants, les militants, les simples électeurs ?
De plus, les interprétations peuvent varier, moins au sujet de la lettre – encore qu’il existe des critiques détaillées telles celles concernant les programmes sociaux-démocrates de Gotha et d’Erfurt – que des buts recherchés et des effets produits : s’agit-t-il d’affirmer une ligne, de se plier aux circonstances, de rechercher un compromis, d’habiller d’un semblant de doctrine une recherche de voix qui ne s’embarrasse que pour la forme de considérations apparemment élaborées ? Le champ est donc très vaste, de même que les circonstances historiques sont diverses. Bien souvent, les programmes se sont périmés ou ont sombré dans l’oubli. Pourtant, il en est dont l’histoire et parfois les souvenirs militants ont perpétué la ou des mémoires, voire des enseignements. Qu’on songe aux multiples « plateformes » anglo-saxonnes, ou au très différent « programme de transition » de Léon Trotsky (1879-1940). Dans le cas français, on peut penser aux jalons de gauche que représentent le « programme de Belleville » de 1869, celui du Conseil national de la Résistance (CNR) de 1944 (Andrieu, 1984) ou le Programme commun de la gauche de 1972 (Tartakowsky, Bergounioux, 2012).
Ce champ a été inégalement étudié, même si des travaux présentent des analyses comparatives (Budge, Robertson, Hearl, 1987), fournissent des pistes supplémentaires (Fertikh, Hauchecorne, Bué, 2016) ou détaillent des études de cas (Cos, 2019). On l’abordera en trois points : les programmes, outils des temps démocratiques, les variations typologiques et les perspectives, entre engagements, désenchantements et renouvellements.
Programmes et temps démocratiques
Le processus de démocratisation auquel on attache en général l’apparition des programmes politiques n’a pas été linéaire. Initialement, il relève d’une forme d’expression de groupes souvent minoritaires, qui entendent s’adresser au peuple, au-delà d’un cercle restreint de militants, en mettant en exergue la nécessité d’en défendre les intérêts. En premier lieu, à quels jalons peut-on se référer lorsqu’on aborde l’émergence ou, dans certains cas, l’irruption des programmes dans le champ politique ?
Sous la Révolution française, le manifeste des Égaux de Sylvain Maréchal (1750-1803) puis le manifeste des Plébéiens de Gracchus Babeuf (1760-1797) (Perrineau, 2001 : 702) ne relèvent pas exactement de programmes au sens actuel, mais inscrivent leur démarche dans le domaine de l’histoire de la gauche la plus prononcée en France. De l’autre côté de la Manche, les mouvements populaires britanniques commencent à mettre en avant la notion de programme dans les années 1830. En l’occurrence, il s’agit de la Charte, terme à la résonance séculaire en Angleterre qui, quelques années après la réforme électorale qui n’a augmenté le nombre des électeurs que dans des proportions restreintes, correspond à une liste de six points dont le suffrage universel masculin, le scrutin secret et le renouvellement annuel du Parlement. Au programme surtout politique de la Charte du Peuple de 1838, même si le mouvement met aussi en avant des revendications sociales, correspond aussi un mode d’action : la pétition déposée auprès de la Chambre des Communes en 1839, 1842 et 1848, avec un nombre impressionnant de signatures qui n’entraîne pas l’adhésion de la plupart des parlementaires, pour lesquels le droit de suffrage est avant tout lié au droit de propriété (Bédarida, 1974 : 45-47 ; Chase, 2007).
Viennent aussi les textes nouveaux liés aux divers mouvements de 1848 dont le plus célèbre est le Manifeste du Parti communiste de Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895), qui relève plutôt de l’analyse et du projet communistes, dont l’influence internationale, à travers l’appel à l’union des prolétaires et leur mobilisation révolutionnaire, est surtout postérieure et s’inscrit dans la longue durée. En France, on considère parfois comme un « programme commun » (Andrieu, 1984) le manifeste démocrate-socialiste en vue des élections législatives de mai 1849 dont l’orientation composite se révèle efficace auprès des électeurs populaires d’une minorité de départements, plutôt à court terme mais non sans rapport avec certains traits de la mémoire de gauche.
À l’échelle du Printemps des peuples, le temps du reflux est assez vite advenu. Néanmoins, sous le Second Empire, ont pu faire date deux types de manifestes. D’abord, au titre d’une opposition alors limitée, celui de l’Union libérale en 1863, qui n’a pas de succès électoral mais constitue l’une des références pour les défenseurs orléanistes ou républicains modérés des « libertés nécessaires » tel Adolphe Thiers – 1797-1877 – en 1864). Surtout, le fameux programme de Belleville de 1869 qui, présenté par son comité électoral dans la circonscription parisienne où se présente Léon Gambetta (1838-1882), est alors une liste de revendications non explicitement républicaines – la candidature à la députation ne le permet pas – avant de devenir l’un des manifestes du « Parti républicain », inscrit dans la longue durée de la Troisième République et référence du Parti radical (Baal, 1994), même si certaines revendications initiales, telles la suppression des armées permanentes ou l’élection des juges, ont été abandonnées. Au seuil des années 1880, on commence par ailleurs à recueillir en France, à l’initiative de Désiré Barodet (1823-1906), qui fut longtemps député puis sénateur radical de la Seine, les textes des programmes et engagements électoraux des députés élus (Offerlé, 2016).
D’un siècle à l’autre, la chronologie européenne des programmes renvoie à la nécessité d’organiser le suffrage universel, facteur d’apparition des partis ou de renforcement de leur rôle. En leur sein, commence à se dessiner une fonction programmatique. Elle peut correspondre à des orientations ou à des controverses caractéristiques, entre organisations socialistes dans certains cas, surtout au sein de la social-démocratie allemande. En témoignent la critique des programmes de Gotha (1875) par K. Marx, puis d’Erfurt (1891) par F. Engels et un certain nombre de leurs tenants, avant les controverses entre la majorité du parti et les partisans dits révisionnistes – dans la mesure où ils entendent réviser le marxisme, voire en abandonner certains aspects – d’Eduard Bernstein (1850-1932) (Wahl, 1999 : 137-139, 149-151).
Sans qu’il y paraisse dans les programmes officiels, la question du réformisme est bien présente au sein de la social-démocratie, comme d’un travaillisme britannique dominé par les syndicats, mais qui englobe plusieurs organisations politiques spécifiques dont la Société fabienne (1884), composée de partisans d’une sorte de démocratie industrielle et d’un socialisme administratif. Auteurs de tracts et d’essais, ceux-ci sont surtout des intellectuels tels Sydney Webb (1859-1947) et Beatrice Potter Webb (1858-1943), George B. Shaw (1856-1950) et Herbert G. Wells (1866-1946), qui ont, entre autres caractéristiques, fourni un point d’appui au « socialisme municipal » en Angleterre (Droz, 1966 : 88-90 ; Bédarida, 1974 : 105-106).
L’une des rares « plateformes » étoffées aux États-Unis, pays où les programmes des deux forces dominantes, les Républicains et les Démocrates, sont souvent flous, est le manifeste populiste de 1912. Il vise à soutenir l’ancien président républicain Theodore Roosevelt (1858-1919) au-delà de sa candidature – un ensemble de revendications en relation avec, tout à la fois, la tradition des « Pères Fondateurs » de l’Indépendance et les enjeux d’actualité, dans les domaines politique, économique et social.
Après la Grande Guerre, en France, les campagnes électorales se poursuivent en fonction d’une certaine routine ou sur des bases antérieures (El Gammal, 2003), mais les préoccupations programmatiques s’expriment parfois. Certes, il n’existe pas de vrai programme commun pour le cartel des gauches (Andrieu, 1984 : 21-22), mais il en va différemment du Front populaire, même si l’on retient surtout les grands thèmes : le pain, la paix, la liberté. Au sujet des années 1930, il peut aussi être question aussi du New Deal ; repose-t-il sur un programme ? Il s’agit plutôt d’un slogan, d’un héraut, d’une volonté de rétablir la confiance et, après l’arrivée de Franklin D. Roosevelt (1882-1945) au pouvoir, d’une suite de mesures. Dans le monde complexe des années 1930, il est aussi, au temps où s’appesantissent les menaces totalitaires, des programmes dissidents, dont le Programme de transition de L. Trotsky en 1938 (Marie, 2002 : 63-64). À l’inverse, au sujet des régimes dictatoriaux, peut-on vraiment parler de programme ? La question est complexe dès lors que le culte de la personnalité, voire du chef, en tient lieu, même si des objectifs sont tracés (par exemple des plans) ou des projets sont préparés, sans contrôle extérieur il est vrai. Le « public » visé est contraint d’adhérer, du moins publiquement, à ces objectifs, formulés bien souvent en temps de crise, et eux-mêmes porteurs de conflits.
Ensuite, de nouveaux jalons sont posés vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Parmi eux, le programme du Conseil national de la Résistance, réunissant des représentants des principaux mouvements et date de mars 1944 (Andrieu, 1984), s’inscrit à bien des égards dans un temps court, des premières tentatives en 1943 à son abandon en 1947, mais demeure pendant des décennies une référence. Quant au programme travailliste de 1945, en Grande-Bretagne, il vaut au Labour une victoire imprévue et prélude à une série de mesures située à la fin de la décennie, pour l’essentiel, posant certaines des bases de ce que William Beveridge (1879-1963) avait qualifié d’État-providence, dans le domaine social.
La notion de programme a évolué au fil des décennies. Au sein du Sozialdemokratische Partei Deutschlands (SPD), des distances claires avec le marxisme ont été prises lors d’un célèbre congrès de 1959 à Bad Godesberg (Wahl, 1999 : 271-272 ; Fertikh, 2014). Il n’en va pas de même dans le cas des références présentes au sein du socialisme français, assez hétérogène. Peut-on considérer que, au début des années 1970, le « marxisme » serait à l’origine du Programme commun de gouvernement de 1972 ? C’est assurément plus complexe, du côté du Parti socialiste en tout cas. En pleine recomposition sous la direction de François Mitterrand (1916-1996), il compte dans ses rangs des tenants d’un marxisme en partie rhétorique, mais aussi des représentants de courants bien plus modérés, ou encore autogestionnaires. De leur côté, les adversaires de la gauche trouvent leur avantage à attaquer ce programme en critiquant le « socialo-communisme » à l’approche des élections législatives de 1973 et autour d’un programme en quelque sorte pompidolien. De toute façon, le programme commun ne sera ni appliqué en tant que tel, ni actualisé (Tartakowsky, Bergounioux, 2012 : Fertikh et al., 2016 : 3e partie) et une nouvelle défaite face à la droite et au centre alors conduits par Raymond Barre (1924-2007), sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing – dont le programme vise, entre autres objectifs, à regrouper deux Français sur trois –, survient en mars 1978. On retrouve quelques éléments du programme commun au sein des « 110 propositions » de F. Mitterrand candidat à l’élection présidentielle de 1981. Il reste que, dans le courant des années 1980, alors que la crise persiste, le temps des programmes relevant des « grands discours », du moins à gauche, s’éloigne. C’est plutôt à droite que sont mis en en avant des éléments de « néo-libéralisme ». Plus que de programme, même si, au sujet des États-Unis, on utilise parfois le terme de reaganomics, il s’agit d’une sorte de vague internationale, surtout anglo-saxonne.
Variations typologiques
Au-delà de la chronologie, mais non sans rapport avec elle, on peut aborder des aspects plus structurels. Souvent, n’accèdent à la dignité de programmes, aux yeux de certains spécialistes, que les textes étoffés de partis ou de coalitions de partis. Mais l’enjeu est aussi la diffusion, la communication, voire l’imprégnation politique. Il existe des variables chronologiques et spatiales, notamment au sujet des États-Unis, ainsi que des formes différentes de documents présentant ou mettant plus ou moins en relief des versions condensées, voire minimalistes, de programmes : discours d’acceptation de nomination, brochures, livres de campagne, courtes biographies, plaquettes, feuillets en diverses langues (Ostrogorski, 1903 : 503-505).
Même dans des pays moins étendus, se posent des questions d’échelle et de format : par exemple, il faut moduler les propositions à l’échelle, dans le cas français au moins jusqu’aux années 1980, de la commune, du canton (on ne parle guère, il est vrai, de programme cantonal, mais les candidats n’en mènent pas moins campagne), du département ou du pays. D’autres échelons s’ajoutent, telle la région à compter de 1986, puisque les conseils sont désormais élus au suffrage universel. Les scrutins de listes sont d’ailleurs assez propices à la mise en place de programmes dès lors que les listes sont présentées par des partis. Il existe aussi des programmes adaptés aux scrutins visant à renouveler le Parlement européen : mais il s’agit d’un cas de figure différent, car ces scrutins sont fortement marqués par des spécificités nationales et ce n’est qu’ex post que les programmes sont réajustés dans le cadre des groupes ou des « europartis », même si ces derniers ont un caractère bien plus fonctionnel que programmatique (El Gammal 2019a ; Audigier, 2019).
Sous un autre angle, à l’échelle de la recherche, ou de la réflexion comparative dans un cadre européen, les travaux sur les programmes ont pu d’ailleurs prendre de l’ampleur depuis 1979, date d’origine du Comparative Manifesto Project de l’European Consortium for Political Research (Fertikh et al., 2016 : 12-13). La réflexion tient aussi aux rapports entre les types de partis et la notion de programme. Après le temps de la domination des partis de cadres et des partis de masse, selon la fameuse distinction de Maurice Duverger (1917-2014 ; 1951), sont apparus les partis « attrape-tout » (« catch-all » ou « candidate-centered », selon Otto Kirchheimer – 1905-1965 – ou les « partis-cartels », imbriqués dans l’État et tributaires des crédits publics – Offerlé, 1987 : 41-42). Ils semblent bien désidéologisés, ce qui n’empêche pas l’usage de l’expression « entreprise programmatique » pour aborder certains aspects, non dépourvus d’ambiguïté, de l’activité de partis de gouvernement (Cos, 2019).
De surcroît, les décennies récentes ont mis en tension l’offre politique en fonction d’enjeux médiatiques et de stratégies de communication. En partie tributaires des sondages d’opinion, qui s’efforcent de mesurer les attentes des publics tout en exprimant aussi celles des « décideurs » et de leurs conseillers, les programmes traditionnels sont reformatés en fonction de paramètres relevant du marketing et du management politiques : offre, demande, entreprises, signes de reconnaissance entrent dans ces cadres. Ceci débouche sur des interrogations relatives non seulement aux usages, mais aussi à la crédibilité des programmes. Peuvent-ils encore inspirer confiance ?
Des engagements à la méfiance ?
Dans l’histoire des programmes, il fut des temps favorables aux enthousiasmes militants (1848, 1936), aux controverses théoriques (Gotha et Erfurt, voire le programme politique de L. Trostsky) ou à des formules ou slogans ramassés, sans que disparaissent les « discours-programmes ». Ensuite, serait venu le temps du pragmatisme et de formules convenues. Si usée qu’elle paraisse parfois, l’idée de programme n’a pas disparu, voire résiste dans deux, voire trois cas de figure. D’une part, parmi les tenants de lignes argumentées, dans des courants à fortes identités – mais même eux s’efforcent de moderniser leur propos et escamotent parfois leurs anciens programmes. De leur côté, les partis de gouvernement veulent attester de leurs sérieux à travers les objectifs que leurs candidats reprennent, parfois dans le sillage d’un scrutin présidentiel (dans le cas français). Mais un parti nouvellement créé est-il lié de la même façon ? Une manière de procéder consiste à se montrer « disruptif », sans renoncer à présenter un programme, puis à tenter de l’appliquer, non sans aléas ni controverses.
Du reste, les programmes peuvent-ils être considérés comme « sérieux », dans des temps post-modernes et, à travers leurs caractères énumératifs, sont-ils adaptés à des périodes où différentes formes de scepticisme abondent ? Si un programme est appliqué, s’agit-il vraiment d’effectuer des comptages relatifs à la réalisation des promesses ? Dans ce domaine, dès lors que l’offre programmatique initiale a pu évoluer et qu’il faut distinguer qualitativement différents niveaux de discours, comme Rafaël Cos (2019 : 555) le souligne à propos du quinquennat de François Hollande, le fact-checking est-il aussi rigoureux qu’il y paraît tel qu’il est abordé par le site www.luipresident.fr ? De surcroît, le rôle croissant du marketing politique (Lees-Marshment, 2011), surtout axé sur le court terme, les slogans et les effets d’images, tend à la fois à simplifier les enjeux et à faire ressortir des fragments de discours.
On observe surtout, sans toujours entrer dans le détail, les manques et les « trahisons » réelles ou supposées. Vote-t-on, quand on vote encore, pour un programme ou bien pour une personnalité ? On le fait parfois, malgré le programme, qui ennuie, qui indiffère, qu’on ne lit pas (ce n’est pas nouveau). Il arrive aussi que l’indifférence face aux programmes – et aux candidats – contribue à nourrir la « démocratie de l’abstention » (Braconnier, Dormagen, 2007).
Du côté de l’offre, en partie pour répondre à cette lassitude, ne simplifie-t-on pas à l’extrême, du moins le temps des campagnes, comme l’a fait le conservateur Boris Johnson, notamment avant son succès de 2019 lors des élections à la Chambre des Communes (Delessalle-Stolper, 2019), en l’occurrence à travers le désormais célèbre slogan « Get Brexit Done » (« Faisons le Brexit »). Avec d’autres formules, un certain nombre de populistes en ont ainsi usé avant lui (Dard, 2019 ; El Gammal, 2019b) ou en même temps que lui.
Mais par ailleurs, n’y a-t-il pas aussi une demande de programmes jugés plus expédients, plus moraux, plus efficaces, ou tout cela à la fois ? On s’efforce parfois d’y répondre, à l’heure actuelle, sans que l’on sache encore si des décisions suivront, en jouant sur la proximité et en « verdissant » des programmes, non sans opportunisme ni surenchères, dans certains cas. La demande est aussi celles d’usages renouvelés des programmes, plus participatifs, à travers la constitution d’assemblées citoyennes, mais aussi des exigences en dehors du système programmatique traditionnel telles qu’elles ont été formulées par exemple lors du mouvement des Gilets jaunes (qui a émergé en 2018), autour de la thématique du référendum d’initiative populaire. De manière plus générale, s’expriment des aspirations à la tenue d’assemblées citoyennes, voire à l’élaboration de programmes, dont le mode de régulation reste à déterminer. Cela peut aussi s’apparenter à une forme de démocratie électronique – il arrive que l’on parle de « cyber-partis » –, notamment dans le cadre du mouvement Cinq Étoiles en Italie, mais celui-ci connaît désormais un fort déclin. Il est certes bien des manières de formuler des questions et d’orienter des réponses, la référence à des programmes relevant d’intensités et de densités variables en termes de discours, de pratiques et de stratégies.
Le programme est une figure imposée, dans différents sens du terme, aux producteurs comme aux consommateurs de politique. Peut-on faire différemment, du moins quand la politique ne se décompose pas ? Il faut a minima énumérer des revendications, corréler des protestations, voire des exigences. À l’échelle des représentations, certains programmes ont pu traverser les décennies, non sans banalisations de la référence ou de l’expression (New Deal, voire « plan Marshall », CNR). Il y a aussi des « micro-programmes », dont les candidats aux élections locales peuvent difficilement faire l’économie, à moins d’être taxés d’indifférence. Néanmoins, certains, tel Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle française de 2017, préfèrent vanter leur « projet » plutôt que de proposer un programme détaillé. Il faut aussi être en quelque sorte aux aguets pour moderniser non seulement les formulations, mais aussi les modes de diffusion, tout en continuant à distribuer des tracts, à organiser des réunions et à rendre compte, pour les sortants, des mandats échus. Ainsi les programmes, fût-ce sous des formes nouvelles, sont-ils encore des objets politiques. Ils peuvent servir aussi à conjurer les angoisses et à faire apparaître des garde-fous, les vérifications ne s’inscrivant pas seulement dans le temps court.
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