Réclame


 

Le mot réclame vient du latin re-clamare qui signifie littéralement : clamer plusieurs fois. Réclame est un terme de fauconnerie (1560, avec le sens d’« appel », « invocation », d’après Rey 1998 : 3114) qui n’existe d’abord qu’au masculin. Le substantif féminin n’apparaît qu’ensuite (1609), en tant que terme de typographie désignant un mot ou syllabe en bas de page destiné à avertir le relieur ou le correcteur de l’ordre exact des pages. C’est de cette particularité que dérive le mot dans son sens de publicité commerciale, qui ne sera en usage qu’à partir de 1842. Il désigne alors un petit article publié dans un journal à titre onéreux et faisant l’éloge d’un produit (fréquemment d’un livre), avant de prendre le sens figuré (1843) de « ce qui est propre à attirer l’attention sur quelqu’un ou quelque chose et à le faire connaître avantageusement » (Rey, 1998 : 3114). Dans les premières décennies du XXe siècle, le terme publicité s’y substituera, et le sens de « rabais, promotion » (1935) s’imposera finalement comme sens principal de « réclame ».

À la fin du XIXe siècle, la multiplication des innovations techniques concourt au développement rapide de la réclame. Son rôle est alors d’« informer les consommateurs de l’existence de nouvelles inventions, et de les convaincre que leur vie serait nettement améliorée s’ils utilisaient la voiture à la place du train, le téléphone à la place du courrier ou bien encore les lampes électriques à la place des lampes à pétrole » (Heilbrunn, 2007 : 9). Ces innovations participeront des transformations de la réclame vers la publicité, facilitant sans doute, dans un premier temps, la captation de l’attention, puis, dans un environnement informationnel de plus en plus dense, exigeant, pour se faire entendre, tout le professionnalisme d’une pratique devenue « communication ».

 

Historique

La première forme de réclame est l’annonce publiée dans la presse. Les annonces apparaissent à la fin du XVIe siècle, avec les premiers journaux. Mais comme date de naissance de la réclame, l’histoire aura retenu le 29 avril 1845. C’est ce jour-là que, dans une livraison de son journal La Presse, Émile de Girardin (1802-1881) promeut l’annonce commerciale, en définit la forme, et ce dans un organe de presse qui se veut « à la portée de tous » : l’annonce « doit être franche, concise et simple. […] La publicité ainsi comprise se réduit à dire : “dans telle rue, à tel numéro, on vend telle chose à tel prix” » (d’après Plas, Verdier, 1947 : 7). Les premières annonces sont donc très sobres et sans illustration. « La matrice du tampon peut resservir pendant plus d’une décennie et rien ne canalise l’attention du lecteur » note Myriam Tsikounas (2010 : 205). Toutefois, peu à peu, le dessin s’y introduira : dessin du produit, quelquefois de la fabrique, avant que ne soient aussi représentés des personnages.

À partir des années 1860, l’annonce qui, en 1865, couvre près d’un tiers de l’espace des journaux, est concurrencée par l’affiche. La liberté d’afficher est promulguée en 1881. Dessinateurs, peintres, lithographes, graphistes, sont alors les artistes de la réclame. Jules Chéret (1836-1932), par exemple, produit des affiches pour des spectacles, des boissons, des produits de toilette. Ou encore Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901) pour l’affiche du Moulin Rouge et aussi Alfons Mucha (1860-1939) pour Nestlé, Moët & Chandon, que la postérité aura résolument consacrés comme artistes. Tandis que le nom du caricaturiste Leonetto Cappiello (1875-1942), qui domine le monde de l’affiche entre les deux guerres (cachou Lajaunie, bouillon Kub, vin et apéritifs Dubonnet…), reste indissociable de l’affiche publicitaire ; tout comme Cassandre, pseudonyme d’Adolphe Mouron (1901-1968), et auteur de la célèbre affiche en trois temps – Dubo, Dubon, Dubonnet – et de nombreuses autres affiches, touristiques notamment, ainsi que du logotype d’Yves Saint Laurent. Citons encore Jean Carlu (1900-1997) dont le style est considéré comme typique de l’art déco.

Dès les origines, le souci de multiplier les supports et de diversifier les modalités de la réclame se fait jour. Ainsi la réclame s’empare-t-elle du cinématographe dès son apparition (premier film publicitaire : 1898, pour la peinture Ripolin), puis de la radio (1920). En revanche la publicité de marques à la télévision française ne sera autorisée qu’à partir de 1968. Dès les origines aussi, l’État se soucie de prévenir les éventuels méfaits de la réclame. La première loi réglementant les annonces sera promulguée en 1885 (interdiction de la réclame pour les armes à feu) et sera suivie d’autres lois visant la protection de la santé publique, dont la première sera l’interdiction de la réclame pour des médicaments en 1946.

Simultanément, la réclame devient un secteur professionnel à part entière et ses métiers se spécialisent. La première revue professionnelle, La Publicité, paraît à partir de 1903. L’UDA (Union des annonceurs) est créée en 1913. Les affichistes eux-mêmes fondent en 1929 l’Union des artistes modernes pour défendre l’« art utilitaire » et le faire reconnaître comme « art appliqué », lié aux beaux-arts (Tsikounas, 2010 : 206). Quant aux agences, le bureau Havas (né en 1832), première agence d’information internationale, fusionne en 1920 avec la Société générale des annonces (née en 1845), première société de courtage en publicité. En 1927, c’est l’agence Publicis qui voit le jour. L’École technique de publicité ouvre en 1932. Mais ce n’est qu’à partir des années 1960 que l’offre de formation se développera, avec la création en 1962 d’un brevet de technicien supérieur (BTS) Publicité. En même temps apparaîtra le terme de « créatif », « terme désignant à la fois l’homme d’images, le directeur artistique, le maquettiste et le concepteur-rédacteur de slogans » (Tsikounas, 2010 : 202).

C’est au cours de ce processus de professionnalisation, dans le courant de l’entre-deux-guerres, que la réclame deviendra publicité. S’il faut retenir un fait susceptible de dater cette transformation, la parution de l’ouvrage d’Edward Bernays, Propaganda, en 1928, serait le plus approprié. Car, parmi d’autres, l’auteur y fonde une nouvelle discipline, dont il pose les bases tout à la fois théoriques et pratiques : les relations publiques, qu’il appelle aussi propagande. Son objet, c’est la « diffusion à grande échelle des idées » et, au sens large, « tout effort organisé pour propager une croyance ou une idée particulière » (1928 : 40), afin de contrôler l’opinion publique. Cette diffusion est rendue possible, d’abord via de nouveaux moyens de communication : « Grâce à l’imprimerie et aux journaux, au chemin de fer, au téléphone, au télégraphe, à la radio, aux avions, les idées se propagent très vite, voire instantanément, à l’ensemble du territoire américain » (ibid. : 33). Et les « idées » dont parle Edward Bernays couvrent en fait l’ensemble des activités des sociétés, « qu’il s’agisse de construire une cathédrale, de financer une université, de commercialiser un film, de préparer une émission d’obligations ou d’élire le chef de l’État ». En somme, c’est tout à la fois publicité commerciale, marketing politique et action publique qui se trouvent regroupées dans le projet des « relations publiques » – projet de la « communication », dirions-nous aujourd’hui. Edward Bernays remarque d’ailleurs que la politique est à cet égard quelque peu en retard sur les entreprises : il est « incompréhensible que les hommes politiques ignorent les procédés commerciaux mis au point par l’industrie », qu’ils ne soient « pas qualifiés pour vendre des idées » (ibid. : 95).

 

« Réclame », « Publicité », « Communication »

Le mot « publicité », dans son sens d’action sur le public à des fins commerciales, existe depuis 1829 (Rey, 1998 : 3002), mais il restera en concurrence avec le mot « réclame » jusqu’au début du XXe siècle. D’ailleurs en 1877, Émile Littré définit la publicité exclusivement à partir de son caractère public, et sans aucune référence à sa visée commerciale : « 1. Notoriété publique. […] 2. Qualité de ce qui est rendu public. […] 3. État de ce qui appartient au public, de ce qui est d’un usage public » (1877 : 5084). Mais les pratiques de la réclame, telles la multiplication des annonces mensongères pour des produits miraculeux (par exemple l’apéritif Suze, « amie de l’estomac », vantée par une femme centenaire), ou encore la répétition à outrance du même message (« matraquage »), favorisent son rejet, au point que le mot se charge d’une valeur négative. On l’assimile au puff, anglicisme qui désigne une réclame outrancière et menteuse, une « tromperie de charlatan, annonce faite pour tromper » (ibid. : 5087). Ce terme d’argot a disparu.

Ainsi la connotation négative du terme « réclame » a-t-elle précipité son effacement au profit du terme publicité. Mais cette connotation a fini par atteindre le remplaçant « publicité », puis l’apocope pub qui était apparue à la rescousse vers 1965 (Rey, 1998 : 3002). Vient alors le règne de la « communication », tendant à faire oublier que si la publicité relève bien de la communication, elle en est une forme bien particulière –, mais qui de fait tend à s’ériger en prototype de toute communication (Camus, 1999). Cela étant, l’évolution n’est pas exclusivement lexicale car les pratiques de la publicité diffèrent quelque peu de celles de la réclame. Edward Bernays lui-même, en 1928, oppose la « réclame » du « propagandiste de la vieille école », aux relations publiques du « propagandiste moderne » : « Selon le schéma en usage autrefois, le fabricant suppliait l’acheteur potentiel : “Achetez-moi un piano, s’i vous plaît !” Aujourd’hui, le schéma s’est inversé et c’est l’acheteur potentiel qui dit au fabricant : “Vendez-moi un piano, s’il vous plaît.” » (ibid. : 66). Cette distinction sera relayée pendant quelques décennies encore, témoignant de la persistance de cette forme originelle de la publicité qu’est la réclame, même si les termes de l’opposition varient. Par exemple, en 1947, Bernard de Plas et Henri Verdier opposent la « publicité » qui détaille les avantages du produit et se termine par l’invitation : « Achetez… » (donc la réclame à strictement parler), aux « relations publiques » qui valoriseront l’entreprise et son apport pour la collectivité, tout en s’abstenant « de tout message direct » (ibid. : 13 sq.), ce qui se traduit aussi par des règles dans les milieux professionnels visant à distinguer les professions les unes des autres, voire à les légitimer (Walter, 1995).

De nos jours, l’ère de la réclame en tant que forme particulière de publicité est bien achevée, en même temps que la différence de nature entre réclame et publicité est clairement posée, par exemple par Benoît Heilbrunn (2007 : 10) : « Alors que les réclames communiquaient soit sur des bénéfices fonctionnels soit sur des effets miraculeux des produits, la publicité introduit un nouveau style de communication : les produits commencent à incorporer des idéaux sociétaux liés aux aspirations des individus […] qui n’ont plus qu’un lien extrêmement ténu avec leurs bénéfices fonctionnels ».

 

De la marchandise à l’objet-signe

Le passage de pratiques relevant de la réclame à des pratiques relevant d’un nouveau champ : celui de la « communication » aura permis de mettre à distance la représentation d’une publicité par trop prescriptive, mise à distance nécessaire à l’efficacité persuasive. La réclame d’antan, focalisée sur le produit et ses qualités substantielles, et enjoignant au récepteur de l’acquérir, affichait quant à elle sans détour sa visée persuasive (intention communicationnelle et objet). Par exemple (réclames datant de la Première Guerre mondiale présentant en visuel un soldat avec le produit) : « Il est prêt à donner son sang pour la patrie. Mais pour donner son sang, il faut en avoir, et pour en avoir, il faut prendre des pilules Vallet ». Ou encore : « Pour bien se battre il faut bien manger. Pour bien manger, il faut avoir de bonnes dents. Pour avoir de bonnes dents, il faut prendre du Dentol ». Ainsi la réclame prend-elle appui sur des besoins naturels ; elle argumente pour convaincre (enchaînement logique d’arguments) ; et elle est explicitement prescriptive. Or, la forme de ces messages publicitaires se révèlera contre-productive (voir « Modèles de la persuasion » dans la notice Publicité). De plus, à partir des années 1950, la surproduction de marchandises invite à créer des besoins, plutôt que de se contenter de faire appel à des besoins préexistants.

C’est pourquoi le message publicitaire ne prendra plus appui sur les caractéristiques substantielles du produit pour convaincre de sa valeur, mais en construira la valeur symbolique. La publicité a ainsi progressivement évolué vers le branding (marketing des marques), mettant au centre du message non plus le produit, mais la relation entre marque et consommateur, masquant, ce faisant, l’objectif commercial. Et si le branding est récent, les marques existent depuis longtemps, et ont même précédé l’apparition de la réclame : Schweppes est créé en 1798, Heineken en 1864, Coca-Cola en 1886, etc. (Heilbrunn, 2007 : 9). Ces stratégies visent la fabrique d’une motivation d’achat n’entretenant plus aucun rapport de nécessité avec son objet. Car marque et branding, en chargeant l’objet d’attributs symboliques sans rapport avec sa fonctionnalité, en font non plus tant un produit qu’un signe. Et ce dont l’objet est signe, c’est d’abord de la position sociale de celui qui le possède. Afficher sa richesse par la consommation, encouragée par la réclame, n’est en soi pas nouveau. Ainsi l’affichiste Gustave Fabre (in : Musée de la Publicité), en 1930, note-t-il : « L’affiche est un phénomène économique qui pose un problème esthétique. Son essor est, en quelque sorte, l’appareil de mesure de la prospérité économique, puisque celle-ci est intimement liée à l’accroissement du pouvoir d’achat de l’individu. Être riche aujourd’hui, c’est consommer, c’est acheter ».

Mais l’adjonction d’une valeur symbolique au produit confère à la richesse une signification sociale particulière, ce que la réclame ne faisait pas. Car la valeur symbolique ne peut exister qu’avec la médiation du regard social, qui en assure le partage ; et cette médiation est assurée par le caractère public de l’exposition publicitaire. C’est pourquoi la valeur symbolique du produit définit la valeur sociale de son possesseur. Toute chose mise en publicité peut ainsi devenir marqueur social, en même temps que prothèse identitaire. En même temps, l’association répétée entre valeur sociale et consommation conforte l’assimilation entre valeur sociale et valeur économique, l’acquisition de signes de distinction reposant fondamentalement sur le pouvoir d’achat. Cette assimilation est idéologique, en ce que la valeur économique y apparaît comme l’expression des goûts, des choix personnels, bref : de la personnalité. En même temps, ce jeu symbolique confère à la publicité une dimension ludique que la réclame n’avait pas. La réclame se définissait exclusivement par son objectif commercial, et elle cherchait à convaincre pour l’atteindre, tandis que la publicité vise à séduire, et apparemment pour elle-même ; sa cible première n’est plus le consommateur potentiel du produit, mais le récepteur de la publicité en tant que produit culturel. En 1982, le Musée de l’Affiche, émanation du Musée des Arts Décoratifs, est devenu Musée de la Publicité, s’ouvrant ainsi à l’ensemble des médias publicitaires, et consacrant la publicité comme objet culturel.


Bibliographie

Bernays E., 1928, Propaganda, trad. de l’anglais (États-Unis) par O. Bonis, Paris, Éd. La Découverte, 2007.

Camus O., 1999, « Idéologie et communication », pp. 269-334, in : Pétard J.-P., dir., Psychologie sociale, Paris, Bréal, 2007.

Heilbrunn B., 2007, La Marque, Paris, Presses universitaires de France, 2010.

Littré É., 1877, Dictionnaire de la langue française, Chicago, Encyclopaedia Britannica Inc., 1987.

Musée de la Publicité, Accès : http://madparis.fr/archives/fr/03museepublicite/expositions/reclame_publicite/. Consulté le 15/12/2018.

Plas B. de, Verdier H., 1947, La Publicité, Paris, Presses universitaires de France, 1982.

Rey A., 1998, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert.

Tsikounas M., 2010, « La publicité, une histoire, des pratiques », Sociétés et représentations, 30, pp. 195-209. Accès : https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2010-2-page-195.htm#.

Walter J., 1995, Directeur de communication. Les avatars d’un modèle professionnel, Paris, Éd. L’Harmattan.

Auteur·e·s

Camus Odile

Centre de recherche sur les fonctionnements et dysfonctionnements psychologiques Université de Rouen Normandie

Citer la notice

Camus Odile, « Réclame » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 septembre 2015. Dernière modification le 19 septembre 2024. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/reclame.

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