Plébiscitée par les politiques culturelles, la résidence d’auteurs bénéficie d’un essor considérable dans de nombreux lieux (culturels, éducatifs, patrimoniaux…), tant à l’échelon national qu’international. Elle s’avère être une question vive au sein de l’espace public, à la fois pour de nombreux acteurs des filières du livre et de la culture selon la posture revendiquée (auteur, organisateur de manifestation littéraire, porteur de résidence…) et pour les instances impliquées (État, collectivités territoriales…). Elle met également en jeu la question du public culturel (Ruby, 2016), au regard de certaines notions sous-jacentes (médiation, démocratisation, démocratie culturelle).
La montée en puissance de ce dispositif culturel correspond aussi, d’une part, au développement récent de la littérature contextuelle (Viart, 2018) qui, à l’instar des sciences humaines et sociales, offre des œuvres spécifiques en prise directe avec la société et, d’autre part, à un engouement nouveau pour les lieux littéraires (maisons d’écrivain, routes littéraires…) dans une visée patrimoniale (Bisenius-Penin, 2020) ou touristique (Fournier, Le Bel, 2018). De plus, les prises de position et les débats autour du programme de travail du ministère de la Culture en faveur des auteurs cristallisant bien des tensions au sein de la filière économique du livre, première des industries culturelles de l’Hexagone. La résidence interroge, tant sur le plan de sa définition, de ses enjeux, de ses fonctions et de son utilité. Dès lors, comment définir une résidence d’auteurs et selon quels principes fondateurs identifiés dans l’espace public ? Quelles fonctions peut-on lui assigner ? Faut-il la considérer comme un lieu de circulation de la littérature contemporaine, un moyen d’accompagner des auteurs et de structurer leur parcours littéraire ? Comment ce dispositif a-t-il été institutionnalisé ? S’agit-il d’un dispositif de médiation, d’un outil de communication et de coopération ? Quels enjeux culturels pour les publics ?
Un objet culturel hybride
Laboratoire d’expérimentations, instrument politique, fabrique de la littérature contemporaine et des médiations, lieu de visibilité, outil de mobilité, le dispositif résidentiel est un objet culturel hybride (Bisenius-Penin, 2018) construit dans un jeu constant d’interactions. Il peut constituer, de par ses forces et son extrême diversité, un moyen de renouvellement de la création et un processus de mise en public sous une modalité collaborative offerte par les propositions créatives et échanges de l’écrivain résident au contact des diverses populations (jeunes, adultes, seniors…), au prisme des territoires. Nécessitant une exploration qui croise diverses perspectives et démarches, ce dispositif demeure scientifiquement fort stimulant, car, en fonction des époques et des terrains, en tant que processus non stabilisé en perpétuelle évolution, il a su emprunter à d’autres systèmes existants (littéraires ou artistiques), tout en absorbant différentes traditions. Sans vouloir se lancer ici dans une tentative d’historicisation des pratiques résidentielles, il est cependant nécessaire de souligner que la résidence d’auteurs s’est construite, au fil des siècles et des lieux, dans un jeu constant d’interférences avec d’autres formes. Du mécénat à l’atelier d’artiste en passant par le Grand Tour, on remarque que l’itinérance et les modèles académiques français (La Villa Médicis, Rome, 1803 ; La Casa de Velázquez, Madrid, 1928 ; La Chartreuse, Villeneuve-lez-Avignon, 1973 ; La Villa Kujoyama, Kyoto, 1992), instituant le dispositif résidentiel, s’imposent grâce à une variété des formes de sociabilité pratiquées. Elles sont une composante précieuse de la vie littéraire favorisant fortement la circulation des œuvres et des écrivains. Il s’agit donc, au cours des siècles, d’un système de soutien (financier, logistique…) aux écrivains et artistes qui relève de la sphère économique et politique (mécènes, princes, institutions…), participant pleinement à la mobilité des auteurs en Europe, à travers une double perspective de sens accordée au terme résidence. Il est à la fois un lieu fixe proche du sens de domicile (maison, habitation), une spatialité, un espace d’expérimentation et de transmission sur un territoire, durant un certain temps, soit le fait de « résider sans y être fixé » qui induit l’idée même de la mobilité, du déplacement, du passage. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter la plateforme des résidences d’auteurs en ligne du Centre national du livre (CNL) référençant un certain nombre de structures d’accueil en France.
Oscillant entre temps de création et médiation offerts à l’écrivain, en fonction des contextes spécifiques, des modalités et des finalités de chaque opérateur sur le territoire, la forme résidentielle implique tout particulièrement un écosystème, un monde de l’art (Becker, 1982) structuré par diverses contraintes et incluant des auteurs, mais aussi des structures, des partenaires fonctionnels, financiers. Ainsi, cet écosystème se déployant sur un territoire ciblé, un « espace social vécu » (Di Méo, 1998) offre-t-il la possibilité de toucher, en fonction des lieux associés (école, musée, hôpital, prison, librairie…) et des objectifs visés, divers publics, aussi bien experts (Leveratto, 2016 ; Ruby, 2017) que populaires (Masclet, 2021), à travers un large spectre. Il convient de définir plus précisément la résidence d’auteurs face à une flambée d’occurrences qualificatives qui méritent réflexion (dispositif résidentiel pérenne, éphémère, itinérant, hors les murs, croisé, associé, partagé…) et surtout par rapport au risque de confusion souvent observé, émanant d’une dénomination expansive et fautive, sous l’étiquette résidentielle, dès qu’un écrivain se déplace sur un territoire. Quoiqu’il en soit, avant d’envisager les enjeux propres à ce dispositif culturel, on peut dire que la résidence d’auteurs s’élabore et se sectorise toujours par rapport aux ajustements dominants effectués (agencement temporel, spatial, social…), c’est-à-dire en fonction des contraintes propres au dispositif, en l’occurrence six principes essentiels (Bisenius-Penin, 2023 : 219) qui sont brièvement explicités :
• Un principe spatio-temporel précis (ancrage territorial, durée) via une structure d’accueil (bibliothèque, musée, école, château, phare, maison des illustres, parc naturel, entreprise, hôpital, association…) qui offre à un auteur une immersion sur un territoire durant un temps long (un à trois mois en général). Concernant les lieux patrimoniaux par exemple, citons les résidences du domaine national de Chambord ou celles du phare de Créac’h sur l’île d’Ouessant qui accueillent et logent un auteur durant deux mois sur leurs sites.
• Un principe de création littéraire, soit la réalisation par l’auteur d’un projet littéraire. Ainsi, la résidence doit fournir les conditions nécessaires à la mise en œuvre du projet englobant toutes les phases du processus créatif (recherche-préparation, expérimentation, incubation, réalisation…). On peut évoquer, par exemple, la résidence de Patrice Pluyette au muséum national d’histoire naturelle (2017) qui a souhaité, en lien avec l’écriture de son roman initiatique portant sur le désir des expéditions, découvrir les techniques scientifiques d’échantillonnage afin de nourrir la phase de préparation de sa création rendue possible grâce à l’aide fournie par l’équipe du musée.
• Un principe de médiation (Araszkiewiez et al., 2019) envisagé comme « un processus de régulation et de construction de nouvelles perceptions partagées » (Chaumier, Mairesse, 2013 : 14), sous l’angle de la rencontre avec les publics et qui induit des « actions d’accompagnement et la construction de dispositifs d’interprétation des œuvres pour des publics, l’espace de production d’objets culturels et de langages qui produisent du sens et des liens » (Gellereau, 2006 : 27). En résidence à la maison de Robert Schuman (1886-1963 ; Récit’Chazelles), l’écrivain Jacques Jouet a mis en œuvre avec la structure, une série de médiations (ateliers d’écriture, performances…) à partir d’une pratique littéraire ouverte à tous, une sorte de création partagée avec les habitants incluant une forme épistolaire poétique et en même temps transportée, c’est-à-dire une littérature faite au rythme des déambulations paysagères du poète et du public dans les rues, les vignes, les jardins. Il est intéressant de constater que le paysage résidentiel devient alors un espace relationnel pour une pratique de la littérature contemporaine pensée en trajet et envisagée comme un échange de subjectivités.
• Un principe de coopération partenariale nécessitant l’ajustement constant des relations entre toutes les parties (auteurs, publics, opérateurs). À la suite des analyses de Georg Simmel (1858-1918) et de la sociologie de la transaction sociale, il convient d’envisager la résidence d’auteurs en tant que dynamique relationnelle convergente incluant de multiples modalités partenariales. En somme, un art du compromis (Fraisse, 2018) qui implique, entre consensus et conflit potentiel, un apport de savoirs, de savoir-faire, de moyens et de formes de contractualisation entre des cultures professionnelles différentes. À l’instar de l’association Les Nouvelles Hybrides (2005) qui met en place dans les villages du Luberon et pays d’Aix-Marseille, des résidences autour de la relation entre écriture et oralité, en prenant appui sur un réseau partenarial constitué de bibliothèques, d’associations, d’établissements scolaires et de structures locales au cœur du parc naturel du Luberon.
• Un principe de diffusion des œuvres de l’auteur résident se définissant comme l’ensemble des opérations qui ont pour but d’assurer la promotion des ouvrages et de l’écrivain, s’actualisant à travers diverses modalités et différents canaux communicationnels. Citons, par exemple, la résidence La Marelle (Marseille) qui recourt à une stratégie pluricommunicationnelle entrecroisant plusieurs types de supports (rédactionnels, visuels, sonores…) visant à augmenter la traçabilité et la diffusion. En effet, l’auteur reçu dispose d’au moins trois espaces de diffusion possible de ses œuvres, avec une revue papier, un autoportrait radiophonique en partenariat avec Radio Grenouille et un carnet de résidence en ligne.
• Un principe économique enfin, par le biais d’une bourse de résidence (autour de 2000 € mensuel), une rémunération attribuée à l’auteur durant son séjour. Elle est à la fois une aide directe à la création littéraire et une manne financière déterminant la viabilité et la pérennité de tout dispositif résidentiel soumis à la nécessité de recourir chaque année à des demandes de financements publics. À un premier niveau, celui de l’organisation territoriale de l’État, les résidences d’auteurs peuvent solliciter les services déconcentrés, c’est-à-dire les directions générales de l’action culturelle, en charge, depuis 1977, de piloter et de mettre en œuvre en région les politiques du ministère de la Culture, en intervenant notamment dans les domaines du soutien à la création et à la diffusion artistique dans toutes leurs composantes et du développement du livre et de la lecture. Dans le cadre de ce périmètre, elles mettent en place des aides annuelles destinées aux porteurs de résidence selon un calendrier partagé avec les autres collectivités. Au niveau national, le principal interlocuteur reste le CNL qui attribue des « bourses de résidence » aux auteurs et illustrateurs invités par une structure (association, école, institution, lieu patrimonial…) impliquant différents publics.
« Fabienne Jacob Résidence ». Source : Carole Bisenius-Penin sur Youtube.
Enjeux symboliques : stratégies de reconnaissance à l’épreuve de l’espace littéraire
Quels que soient le cadre d’hospitalité établi et ses modalités, une résidence se construit toujours à partir du projet littéraire de l’auteur. Il est soumis à une structure d’accueil qui cherche à soutenir la création en offrant à l’écrivain les conditions nécessaires (bourse d’écriture, logement, dépaysement, coupure avec les charges du quotidien…) et pouvant parfois inclure une commande d’écriture, en lien avec un événement ou un territoire.
« Guillaume Poix Résidence ». Source : Carole Bisenius-Penin sur Youtube.
Si le dispositif résidentiel s’avère être surtout un espace d’invention littéraire, une instance de production qui laisse la part belle aux écrivains en leur mettant à disposition un lieu et surtout un temps long consacré à la création littéraire, d’autres enjeux du dispositif sont à considérer. Entre spatialité symbolique et instance de médiation, la résidence d’auteurs est un lieu qui participe à des stratégies de reconnaissance à l’épreuve de l’espace littéraire. Dans la lignée de travaux en sociologie de la littérature (Dubois, 1978 ; Viala, 1990), on peut estimer que la résidence d’auteurs peut être considérée comme une instance qui relève bien de l’institution littéraire dans sa triple dimension : une « organisation autonome » propre à un secteur d’activité et à des pratiques, un « système socialisateur » par le biais de normes et valeurs imposées aux individus et « un appareil idéologique » incluant des logiques de domination et subordination (Dubois, 1978). Elle se définit d’abord en tant que lieu délimitant un espace spécifique réservé aux auteurs sur un territoire, ayant pour fonction principale d’organiser, par le recours à diverses prescriptions, le droit d’accès à cet espace destiné à la création littéraire et aux médiations culturelles. En cela, la résidence constitue une instance de circulation des écrivains et des œuvres soumises au public, en assurant dans un périmètre défini et stable, la succession, le passage d’auteurs qui engendre en même temps, à travers une dynamique renouvelée, la circulation et la diffusion des objets textuels.
Le dispositif résidentiel en tant que norme, instance constituante, doit être pensé ensuite au regard des interactions sociales et communicationnelles au sein de réseaux, d’une « chaîne de coopération » (Becker, 1982) qui remet en cause une perception de la production culturelle comme une activité individuelle, liée au seul « régime vocationnel » ou « génie » de l’artiste, perçu comme un être solitaire aux dons exceptionnels et affranchi de toutes contraintes sociales.
Considéré par certains auteurs avant tout comme un lieu de repli et de solitude nécessaire à la création, le « monde » résidentiel offre, pour d’autres, l’occasion de rompre avec l’isolement et surtout d’établir des liens entre pairs, de repenser la notion de sociabilité, même si la question du positionnement personnel et des tensions découlant du champ demeure sous-jacente. Le dispositif résidentiel devient un moyen de favoriser les interactions entre pairs et correspond à une demande émanant souvent de la part des auteurs (Bisenius-Penin, 2023 : 67). Une convivialité visant ainsi plusieurs objectifs sociaux, professionnels et personnels (créer des liens entre pairs, échanger des pratiques littéraires, bénéficier d’un regard d’expert sur sa production, élargir un réseau, comprendre et évaluer des trajectoires…). Certains opérateurs culturels inscrivent la démarche collaborative au centre du fonctionnement en instaurant des résidences partagées, en tandem, qui associent, selon les combinatoires possibles, deux auteurs, un auteur et un autre artiste, un auteur et un traducteur, comme le festival Concordan(s)e (Montreuil), le Collège international des traducteurs littéraires (Arles), la Künstlerhaus Edenkoben (Rhénanie-Palatinat), la Villa Marguerite Yourcenar (Saint-Jans-Cappel) ou le Chalet Mauriac (Saint-Symphorien).
Enfin, en tant qu’espace transitionnel entre l’individuel et le collectif, lieu de monstration d’un ethos auctorial (Amossy, 2009), la résidence semble être un moyen pour un écrivain de se construire ou de renforcer son identité littéraire en fonction de son parcours, en occupant de façon singulière une position dans le champ littéraire, en négociant sa place sur la scène littéraire, ou encore en orientant le regard des publics sur sa production. Lors d’entretiens menés avec des résidents (Bisenius-Penin, 2016, 2023), nous avons pu noter à plusieurs reprises que la résidence constitue pour eux une forme de reconnaissance de leur posture, sorte de consécration, de par l’action médiane du dispositif résidentiel qui effectue une sélection d’auteurs accréditant ainsi « la valeur littéraire » de chaque résident.
Enjeux politiques et territoriaux dans l’espace public
Dans le cadre des politiques culturelles (Ruby, 2017) et de manière générale pour les professionnels de la culture, le dispositif renvoie, selon une acceptation plus lâche, à un outil de support ou à un cadre organisateur. Il devient un instrument politique pouvant inclure la co-construction du discours, des objets et des techniques entre les acteurs. Aujourd’hui, qu’il s’agisse des régions, départements, intercommunalités ou communes, la multiplication des différentes politiques afférentes à la culture pouvant se compléter, se renforcer mutuellement, mais parfois aussi se concurrencer selon une logique compétitive, rend difficile la lisibilité des champs d’intervention et des modalités d’accès pour les différents acteurs culturels, sans même évoquer l’évolution actuelle des dépenses culturelles des collectivités territoriales. De plus, on peut noter que certaines collectivités ont fait le choix politique de porter elles-mêmes des dispositifs résidentiels consacrés à la littérature sur différents périmètres territoriaux. Par exemple, au niveau régional (Chalet Mauriac, région Nouvelle-Aquitaine, 2013), départemental (la Villa Marguerite Yourcenar, conseil départemental du Nord, 1997 ; la Maison Jules-Roy, conseil départemental de l’Yonne, 2002), métropolitain (la résidence de création littéraire Lattara, Montpellier Méditerranée Métropole, 2017), intercommunal (la résidence d’écrivain de la communauté d’agglomération du Niortais, 2018) et communal (la Maison des écritures, ville de la Rochelle, 2018 ; la Villa Bloch, ville de Poitiers, 2019). Cette configuration a un avantage notable, celui d’assurer une pérennisation du site en termes de financement évitant la recherche et la lourde démultiplication de montages financiers que connaissent chaque année la plupart des résidences d’auteurs, même si cela induit aussi une priorisation plus ciblée des publics sur le territoire (collèges, médiathèques, centre pénitentiaire…) en lien avec les politiques conduites par les diverses collectivités. Ainsi, en fonction de la localisation de la résidence d’auteurs, le poids des financeurs n’est pas forcément le même, tout comme leur implication.
La politique issue de la déconcentration étatique amorcée dès 1967 a opéré les différents transferts de compétence entre les États et les collectivités territoriales (1982), en parallèle avec l’essor des politiques culturelles des villes (Urfalino, 1996). C’est dans ce contexte que les résidences d’auteurs font l’objet, depuis peu, d’une tentative de formalisation de la part des autorités politiques du pays, à la fois sur le plan national et local. Cette institutionnalisation se manifeste par un arsenal réglementaire émanant à la fois de l’État (circulaires) et des collectivités (règlements des résidences de création littéraire, contrats de filière du livre), cherchant à encadrer le dispositif et, par des forces en présence, fixant la place du livre au sein des politiques publiques.
La première circulaire sur les résidences d’artistes (no 2006/001) du 13 janvier 2006 vise à formaliser un cadre contractuel et à identifier des catégories. Pour ce faire, le texte s’inspire d’un autre document (« note préparatoire à la mise en place de la déconcentration du dispositif des aides à la création et à la diffusion chorégraphiques, préalable à l’avis de la circulaire d’emploi des crédits déconcentrés » du 4 décembre 1997) portant notamment sur l’aide aux résidences chorégraphiques et qui marque la priorité accordée par la politique culturelle au spectacle vivant. Outre un rappel des objectifs du dispositif résidentiel et des obligations en matière de contractualisation et de rémunération d’artistes, on note que la circulaire de 2006 propose un élargissement aux arts plastiques et à la littérature. La circulaire interministérielle no 2008-059 du 29 avril 2008 relative au développement de l’éducation artistique et culturelle reconnaissant la résidence comme « un dispositif spécifique constituant un cadre pédagogique privilégié » constitue aussi une étape importante, tout comme la circulaire du 8 juin 2016 « relative au soutien d’artistes et d’équipes artistiques dans le cadre de résidences » qui participe pleinement à l’institutionnalisation du dispositif résidentiel.
Enjeux d’appropriation ou de réappropriation : un art de la médiation
Enfin, sous l’angle inédit de la confrontation du concept de médiation culturelle avec la résidence d’auteurs, il s’avère utile d’interroger les enjeux d’appropriation ou de réappropriation qui en découlent, malgré la plasticité de cette notion souvent controversée (Casemajor et al., 2017). En l’occurrence, il s’agit de replacer les résidences d’auteurs dans les espaces et les situations d’intervention rencontrés afin de cerner les types de médiations imaginés et les stratégies communicationnelles des différents milieux de pratique qui touchent des profils d’individus ayant des répertoires culturels différents selon leurs goûts, postures, pratiques d’activités et modes d’appropriation (Bourdeloie, 2018). Cette spatialisation résidentielle (Bisenius-Penin, 2023 : 287) nous conduit à appréhender ce dispositif comme un possible laboratoire social, outil de communication et de coopération. En effet, les résidences investissent de nombreux lieux (école, festival littéraire, musée, hôpital, parc naturel, bibliothèque…) souvent mouvants et marqués par une grande diversité et y inscrivent des médiations culturelles en fonction du projet de l’auteur et des publics rencontrés. De multiples dispositifs identifiables dans des espaces variés : celui de l’entreprise (l’écrivaine Anne Mulpas, dans une agence de communication corporate ; la romancière Joy Sorman, dans une usine de fabrication de lits au Pré-Saint-Gervais), des lieux sociaux d’accueil (l’écrivain Aiat Fayez à l’office français de protection des réfugiés et des apatrides ; la romancière et traductrice Marie Cosnay à l’accueil de jour Agora Emmaüs) ou encore de l’école (l’écrivaine Lilyane Beauquel, au lycée Fabert à Metz).
« La résidence d’auteur·es à l’école. Web-série, épisode 02 : L’auteur en médiation ». Source : Carole Bisenius-Penin sur Youtube.
Ainsi, en évaluant notamment les possibilités d’échange et de production de sens au sein des diverses pratiques mises en œuvre, de la participation à la cocréation, est-il possible d’affirmer que la résidence d’auteurs vise à valoriser la communication interpersonnelle, c’est-à-dire la relation des individus à l’écrivain in situ et des participants aux activités de médiation entre eux selon l’expérience participative choisie (table ronde, atelier d’écriture, performance, création collective…) et à travers une certaine horizontalité des pratiques. En effet, on constate de manière fréquente que de multiples activités de médiation des résidences d’auteurs reposent sur une logique relationnelle, c’est-à-dire la volonté d’établir un partage d’expérience fondé sur l’échange et la rencontre des publics avec l’écrivain et l’œuvre littéraire. En écho à l’approche interactionniste et à l’apport des travaux de John Dewey (1859-1952 ; 1934), on remarque que le modèle expérientiel irrigue fortement les activités de médiation résidentielle qui tendent à privilégier des actions rendant les publics non seulement spectateurs, mais acteurs et parfois même cocréateurs. Ils ont l’opportunité d’expérimenter, de manière efficiente et personnelle, le processus littéraire sous la conduite d’un professionnel et en lien avec les autres participants. En l’occurrence, cette médiation participative au fil d’une création littéraire partagée donne accès au sujet à l’expérience esthétique et aux formes de sociabilité de la collectivité formée.
En cela, la résidence d’auteurs met en place des modalités de rencontre entre les habitants, les auteurs et les acteurs du territoire, en ayant comme objectif l’élaboration d’un sens construit dans la confrontation, l’échange collectif autour de la création et des relations intersubjectives établies avec le public. Cela inclut bien évidemment aussi le surgissement de l’imprévisible lié à la situation contextuelle et aux interactions sociales. En somme, sous l’angle des publics (Ruby, 2016), de l’éclectisme culturel (Bourdeloie, 2018), de la démocratisation culturelle (Caune, 2006) et des travaux de Bernard Lahire (concept de dissonance culturelle, 2004) ou de Richard A. Peterson (1932-2010 ; concept d’omnivorité, 2004), le dispositif résidentiel constitue une belle opportunité d’exploiter la grande hétérogénéité des pratiques culturelles des individus, grâce à la participation des publics aux activités de médiation proposées par l’auteur reçu. Dans la lignée de la déclaration de l’Unesco sur la diversité culturelle (2001) et celle de Fribourg sur les droits culturels (2007), l’enjeu culturel de la participation dans ce cadre spécifique replace les individus au centre des préoccupations en leur donnant la possibilité de prendre part à des activités créatives et littéraires, tout en favorisant l’accès aux œuvres et aux références culturelles nécessaires au développement de chaque personne. La résidence d’auteurs peut donc être un lieu de coopération et d’interaction culturelles particulièrement fécond à partir du moment où les formes participatives construites respectent les composantes inhérentes au processus et amènent les publics à expérimenter diverses postures.
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