Supposées connues et comprises par tous, ce qui est pourtant bien loin d’être toujours vérifié, les notions les plus essentielles et fréquemment utilisées s’avèrent souvent aussi les plus mal définies. Il en est ainsi de celle de « service public », particulièrement dans son application au secteur de l’audiovisuel. Elle est souvent confondue avec celle de « secteur public » auquel s’imposent ou devraient s’imposer des missions de « service public ». Ces missions devraient être sa justification, mais elles ne lui sont pourtant pas spécifiques. Il n’en a pas l’exclusivité et, de plus, il ne paraît pas toujours en être le garant.
Sous prétexte de service du public et de satisfaction de l’intérêt général, et en raison du caractère alors limité du nombre des canaux de diffusion disponibles, un régime de monopole d’État a longtemps été maintenu, au profit du seul « secteur public » de la radio-télévision. La réalité des techniques employées est maintenant très différente. Le monopole a été officiellement abandonné, en France, en 1982. Tel que déterminé par la loi du 30 septembre 1986, le système audiovisuel y est désormais double et concurrentiel : public et privé. Sur l’un et l’autre de ces deux secteurs continuent cependant de peser, dans des conditions qui ne sont pas toujours très distinctes, des contraintes et des contrôles par lesquels sont supposées leur être imposées des obligations de « service public ».
Pour rendre compte de cette réalité et tenter de contribuer à remédier à la confusion, nous évoquons ici brièvement les deux acceptions de la notion en cause, dans son sens dit « fonctionnel » de « service public » et dans son sens « organique » de « secteur public ». Celui-ci n’est pourtant pas le seul à assumer le premier, pas plus qu’il ne l’assure de manière certaine.
Service public
Par la notion dite « fonctionnelle » de « service public » veut être signifiée, en divers domaines dont celui de l’audiovisuel, une activité plus ou moins directement assumée sinon assurée ou, à tout le moins, partiellement prise en charge, financée et contrôlée par la collectivité publique, officiellement afin de satisfaire un besoin considéré comme d’intérêt général ou public.
À la notion de « service public » sont attachés les principes de neutralité, d’égalité, de continuité, de qualité. S’agissant du « service public » de l’audiovisuel, il était traditionnellement plus ou moins explicitement fait mention de missions telles que celles d’informer, d’éduquer, de cultiver et de distraire. De telles exigences de « service public » sont admises tant par le droit français que par le droit européen. Introduisant quelque confusion entre « secteur public » et « service public », l’article 5 de la loi du 29 juillet 1982 posait que le secteur public a « pour mission de servir l’intérêt général : en assurant l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information ; en répondant aux besoins contemporains en matière d’éducation, de distraction et de culture » et que « cette mission doit être assurée dans le respect des principes de pluralisme et d’égalité entre les cultures, les croyances, les courants de pensée et d’opinion ». En son article 1er, la loi du 30 septembre 1986 fait étrangement mention des « exigences de service public » parmi les possibles motifs de limites à l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle. Mais ne devrait-on pas tout autant y voir une condition ou une garantie de ladite liberté ? En son article 3-1, il est notamment posé que l’instance dite de « régulation » qu’est le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) « veille à la qualité et à la diversité des programmes […] à la défense et à l’illustration de la langue et de la culture françaises » ; qu’il « contribue aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations dans le domaine de la communication audiovisuelle » et qu’il veille « à ce que la programmation reflète la diversité de la société française ».
Le droit de l’actuelle Union Européenne conditionne à la satisfaction de missions de « service public » l’admission des aides publiques dont peuvent bénéficier les services dits « d’intérêt économique général ». Annexé au Traité de Maastricht (1992), le protocole sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres considère que « la radiodiffusion de service public […] est directement liée aux besoins démocratiques, sociaux et culturels ». Il se réfère à « l’accomplissement de la mission de service public telle qu’elle a été conférée, définie et organisée par chaque État membre ». Une telle mission de « service public » justifie l’existence d’un « secteur public » de l’audiovisuel, même si ce dernier n’en a pas l’exclusivité.
Secteur public
Bien que décidant de l’abandon du monopole d’État, la loi de juillet 1982 posait, en son article 4, que la liberté et les « droits qui en découlent sont garantis notamment par les conditions du fonctionnement du service public de la radiodiffusion sonore et de la télévision ». Par son article 12 était assignée à la première instance dite de « régulation » qu’a été la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) la mission de « garantir l’indépendance du service public de la radiodiffusion sonore et de la télévision », probablement davantage entendu dans le sens du « secteur public ». L’article 32 de la même loi faisait mention des « obligations de service public » des sociétés du « secteur public ». Son article 79 soumettait les entreprises du secteur privé au régime de la « concession de service public ». Dans la version première de la loi de 1986, la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL) se voyait, par son article 13, notamment attribuer pour fonction de veiller « au respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des sociétés nationales de programme ». L’article 23 se référait aux conditions d’attribution des autorisations d’exploitation des entreprises privées « dans les limites nécessaires à l’accomplissement des missions de service public ». Par les articles 54 et suivants, des missions de « service public » étaient confiées aux entreprises du « secteur public ». Parmi les missions aujourd’hui assignées au CSA, par l’article 3-1 de la loi modifiée, il est notamment fait mention qu’il « garantit l’indépendance et l’impartialité du secteur public ».
En août 2000, un article 43-11 a été introduit à l’égard du « secteur public », par lequel il est désormais posé – dans la complexité d’une rédaction ne voulant rien oublier des missions de service public – que les sociétés de programme de radio et de télévision du secteur public
« poursuivent, dans l’intérêt général, des missions de service public. Elles offrent au public, pris dans toutes ses composantes, un ensemble de programmes et de services qui se caractérisent par leur diversité et leur pluralisme, les exigences de qualité et d’innovation, le respect des droits de la personne et des principes démocratiques […]. Elles présentent une offre diversifiée de programmes […] dans les domaines de l’information, de la culture, de la connaissance, du divertissement et du sport. Elles favorisent le débat démocratique, les échanges entre les différentes parties de la population ainsi que l’insertion sociale et la citoyenneté. Elles mettent en œuvre des actions en faveur de la cohésion sociale, de la diversité culturelle, de la lutte contre les discriminations, les préjugés sexistes […]. Elles proposent une programmation reflétant la diversité de la société française. Elles assurent la promotion de la langue française et, le cas échéant, des langues régionales et mettent en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France. Elles concourent au développement et à la diffusion de la création intellectuelle et artistique et des connaissances civiques, économiques, sociales, scientifiques et techniques ainsi qu’à l’éducation à l’audiovisuel et aux médias […]. Elles assurent l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information ainsi que l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion […] ».
Le détail des obligations de « service public » qui pèsent sur les sociétés nationales de programme de radio et de télévision est déterminé par leur cahier des charges et les contrats d’objectifs et de moyens, pluriannuels, signés avec l’exécutif. En contrepartie d’engagements quant aux conditions de gestion et la nature des programmes, l’État garantit, pour la même période, les moyens de financement de ces entreprises du secteur public.
Financement du secteur public
La question du financement du secteur public de l’audiovisuel doit être considérée tant au regard du droit national que de la conformité de celui-ci aux exigences du droit européen. C’est officiellement pour atténuer la pression des préoccupations d’audience, au profit de la qualité du service rendu, que, par la loi de mars 2009, il a été décidé de supprimer la publicité à la télévision publique entre 20 heures et 6 heures. Mais n’a-t-on pas en partie substitué à la publicité le « parrainage » et le « placement de produits » comme modes de financement des programmes, en début de soirée au moins, aux heures de plus grande écoute ? En réalité, les préoccupations d’audience n’en sont pas moindres ! Faute d’autres moyens pour compenser cette perte de recettes, il a été renoncé à la suppression de la publicité dans la journée, telle qu’elle avait été envisagée pour entrer en vigueur à partir de novembre 2011.
Un financement public des entreprises de l’audiovisuel public est aujourd’hui admis par les institutions européennes. L’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (dans sa dernière version modifiée par le Traité de Lisbonne, du 13 décembre 2007) pose que « sont incompatibles avec le marché intérieur […] les aides accordées par les États […] qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence ». Au titre de ces dérogations, il y est cependant précisé que « peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur […] les aides destinées à promouvoir la culture […] quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges ». Le Protocole sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres (annexé au Traité d’Amsterdam, du 2 octobre 1997) consacre « la compétence des États membres de pourvoir au financement du service public de radiodiffusion dans la mesure où ce financement est accordé aux organismes de radiodiffusion aux fins de l’accomplissement de la mission de service public ». À plusieurs reprises, la Commission européenne a validé un tel financement public du secteur public de l’audiovisuel dans différents pays.
S’agissant de l’audiovisuel, les notions de « service public » et de « secteur public » sont souvent confondues. L’exécution de missions d’intérêt général ou public peut justifier, en la matière, l’existence d’entreprises publiques et un financement public au moins partiel. Les droits nationaux sont, à cet égard, encadrés par le droit européen, d’inspiration libérale, mais qui admet cependant cette exception ou spécificité culturelle. Le constat de ce à quoi conduisent, en ce domaine, des préoccupations d’audience et de rentabilité économique pousse à se référer à cette notion de « service public » dont le « secteur public » devrait être le meilleur garant.
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