Sites orthodoxes et leurs publics (Les)


 

Avec le protestantisme et le catholicisme, l’orthodoxie constitue l’une des trois branches du christianisme. Les pays dans lesquels les orthodoxes sont majoritaire se partagent entre ceux où la religion a été mise à l’épreuve du régime communiste (1917-1989), d’un côté ; et la Grèce et Chypre, de l’autre, qui ont connu une sécularisation progressive. Cet espace hétérogène est parsemé de sites religieux qui ont développé une réputation intra-orthodoxe (comme le Mont Athos), alors que d’autres sont d’envergure nationale ou régionale. Tous ces lieux d’attraction fonctionnent comme des ressources à la fois spirituelles et territoriales. Ce qui les définit est le fait que des actes religieux et des rites, placés sous l’autorité d’une institution ecclésiastique (en l’occurrence l’Église orthodoxe), y sont accomplis. Néanmoins, les endroits où se déroule la prière ou la messe dans la vie quotidienne, comme l’église paroissiale, n’entrent pas dans cette catégorie. L’église paroissiale est une unité administrative de l’Église rassemblant principalement les pratiquants qui habitent dans un même quartier. En revanche, les sites religieux sont des lieux d’élection et de pèlerinage, qui ne sont pas toujours facilement accessibles et qui sont souvent situés en dehors du tissu urbain : ceux qui s’y rendent doivent quitter leur environnement habituel.

L'église principale du monastère de la Grande Laure de l'Athos avec le mont Athos en arrière-plan. Source : Dimboukas, Wikimédia (domaine public).

L’église principale du monastère de la Grande Laure de l’Athos avec le mont Athos en arrière-plan. Source : Dimboukas, Wikimédia (domaine public).

 

Les sites religieux imposent donc une « thérapie de la distance » (Albert, 2000 : 121) à ceux qui les fréquentent – qu’ils soient des croyants en quête d’expériences mystiques, ou des personnes qui s’intéressent à la culture et l’histoire, tout en reconnaissant l’importance de la religion dans la formation d’un héritage commun. En effet, les frontières entre visite culturelle, commémoration et pèlerinage peuvent être brouillées dans ces sites. Si la distinction entre public dévot et public touristique est parfois difficile à définir, d’autres catégorisations paraissent plus pertinentes. La hiérarchisation, la mobilité et l’ouverture aux nouveaux outils de communication sont les trois thèmes permettant de saisir les rapports des publics des sites religieux orthodoxes.

 

Sites religieux : lieux de vénération et de production

On peut distinguer quatre types de sites autour desquels le tourisme religieux se développe dans le monde orthodoxe :

  1. des lieux historiques, comme Jérusalem, qui remontent aux origines du christianisme et qui territorialisent des événements bibliques ;
  2. des centres monastiques, comme les Météores et le Mont Athos, qui s’inscrivent dans une tradition impériale (en l’occurrence byzantine) ;
  3. des lieux de mémoire, comme Butovo en Russie, où plus de vingt mille personnes ont été fusillées par le pouvoir stalinien en 1937-1938, et dont 304 ont récemment été canonisées (Rousselet, 2007) ;
  4. des lieux de culte qui abritent un objet considéré comme miraculeux (icône ou relique) ou qui sont associés à des saints ou des visionnaires – comme la voyante Vanga de Petrič (1911-1996), dont la renommée a vite franchi les frontières de la Bulgarie (Valtchinova, 1998).
Église des Saints Martyrs et Confesseurs de la foi russe de Boutovo. Source : Burov.yl, wikimédia (CC BY-SA 4.0).

Église des Saints Martyrs et Confesseurs de la foi russe de Boutovo. Source : Burov.yl, wikimédia (CC BY-SA 4.0).

 

Les fêtes religieuses, qui sont organisées dans ces lieux de culte, constituent une « marque distinctive » et une « expression typique de la vie religieuse balkano-orthodoxe » (ibid. : 404, note 10). Elles sont accompagnées de processions, de messes ou de bénédictions, mais aussi de festins, où les participants mangent et dansent. Chaque fête construit sa propre unité de temps et promet, pendant son déroulement, de vivre des moments marquants. Elle peut donc constituer, dans le même temps, une attraction touristique.

Ce qui différencie les quatre types de sites évoqués est l’élément qui leur confère leur caractère sacré. Dans le premier cas, ce sont les saintes Écritures qui donnent leur importance à Jérusalem ou à l’île de Patmos (réputée être l’endroit où saint Jean a écrit l’Apocalypse). Quant aux centres monastiques, ils sont associés à la vie ascétique et la quête spirituelle : ceux qui les visitent désirent souvent discuter avec les moines et recevoir leur conseil, se confesser ou créer des liens avec un père spirituel. En revanche, les lieux de mémoire sont sanctifiés par le sang de ceux qui y sont commémorés ; le pèlerinage associé correspond à une volonté de réparation. Dans cette catégorie entrent aussi les vestiges orthodoxes en Anatolie : la Turquie a permis depuis 2000 à des prêtres grecs orthodoxes d’y effectuer à nouveau des rituels (Anastassiadou, 2015). Le but est d’attirer un public, dont les voyages sont d’ordre dévotionnel et mémoriel, en hommage aux « patries perdues » que plus d’un million d’orthodoxes ont définitivement abandonnées dans les années 1922-1924. Enfin, pour la dernière catégorie, ceux qui se rendent dans ces lieux sont souvent dans l’attente d’une guérison miraculeuse ou dans la formulation de vœux à exaucer. Dans ce cadre, le caractère miraculeux d’un objet sacré peut être mesuré par le degré de participation à son culte – dispositif d’évaluation prenant en compte la quantité et la valeur des ex-voto, le nombre de participants, les sommes d’argent que l’on est disposé à dépenser pour l’honorer, ainsi que la distance parcourue pour le vénérer.

Le public des fidèles n’est pourtant pas facile à distinguer, puisqu’il se mélange à un public amateur de beaux objets, de paysages préservés ou d’édifices anciens. De ce point de vue, des non-croyants peuvent constituer un public averti, dans la mesure où ils entretiennent une relation particulière avec le monde religieux, fondée sur des jugements qualitatifs et esthétiques, alors que la question des implications religieuses ne les intéresse pas. Pour eux, le monde religieux est, d’une part, un dépositaire des trésors du passé, qui a empêché la mise sur le marché d’objets et de manuscrits ; et, d’autre part, le gardien des ressources naturelles, qui s’est opposé à des logiques d’exploitation abusives. Cela étant, « il ne saurait y avoir d’espace religieusement valorisé » sans « pratique constante d’une communauté de croyants » (Albert, 2000 : 119). En effet, l’existence et la pérennisation d’un site religieux reposent sur la fréquentation d’un public dévot.

La bénédiction qu’un pèlerin est persuadé d’avoir reçue n’a pas de limite temporelle et ne disparaît pas quand il quitte le lieu de culte. Des objets religieux lui sont offerts ou vendus, devenant véhicules matériels de cette charge spirituelle que le visiteur ramène avec lui. Exposés chez soi ou distribués à l’entourage proche, ces objets fonctionnent comme une publicité qui suscite l’envie de partager les expériences vécues dans ce site religieux. En effet, les monastères orthodoxes ont toujours été des lieux de production artisanale et de rationalité économique. Depuis le XIXe siècle, les moines du Mont Athos travaillent le bois, la corne et le cuivre ; ils peignent des icônes et font des gravures. Pendant le XIXe siècle, la péninsule est devenue un des plus importants centres pour la photographie et l’imprimerie des icônes en papier au sein de l’Empire ottoman, grâce notamment à l’esprit innovateur de la communauté monastique russe qui y résidait. De ce point de vue, les sites religieux n’échappent pas au monde mercantile, mais parviennent à lui assigner une fonction noble et désintéressée, même quand la valeur religieuse de certains produits est transformée en valeur économique. Par une sorte de « transfert d’exceptionnalité », les qualités du lieu et de ceux qui y vivent, prient et travaillent passent ainsi aux choses (Seraïdari, 2022).

Bible et croix orthodoxe. Source : Ron Lach, Анатолий Стафичук, Pexel (libre d’utilisation).

Bible et croix orthodoxe. Source : Ron Lach, Анатолий Стафичук, Pexel (libre d’utilisation).

 

De nos jours, tradition artisanale et modernité entrepreneuriale vont de pair, si l’on en croit l’engouement pour les produits monastiques depuis les années 2010. C’est surtout la commercialisation de produits de consommation courante (alimentaires et cosmétiques) qui constitue une nouveauté. Ils sont devenus accessibles dans les grandes villes grecques (Seraïdari, 2022) ou via des sites web commerciaux en Roumanie (Bănică, 2020 : 209-210). Dans ce cadre, il est difficile de séparer ceux qui veulent consommer un produit de qualité de ceux qui privilégient un achat pour soutenir économiquement une communauté monastique.

 

La hiérarchisation et la mobilité des publics

Le terme « public » désigne une communauté de pratiques, d’expériences et de convictions. L’un des premiers à utiliser la notion de « publics » (audiences) dans le rapport aux objets religieux dans le monde orthodoxe est Gabriel Hanganu (2010 : 51), qui considère que quatre éléments méritent d’être analysés dans ce cadre : les producteurs, les publics, les prototypes et les matériaux utilisés. L’icône peut ainsi être perçue différemment selon les publics – objet remarquable pour sa beauté ou son ancienneté pour les uns ; véhicule de messages théologiques, support de prière et source de miracles pour les autres.

Toutefois, même le public dévot ne constitue pas un ensemble homogène, puisqu’il est traversé par différents courants de pensée, par des tendances modernistes ou, au contraire, traditionalistes, et parfois par des conflits plus marquants, comme avec les anciens calendaristes en Grèce (Seraïdari, 2019). Persuadés que le nouveau calendrier constituait un premier pas vers l’occidentalisation de l’orthodoxie et que le dialogue œcuménique conduirait inévitablement à la soumission à l’Église catholique, ils ont refusé d’adopter le calendrier grégorien en dépit de la décision prise par l’Église orthodoxe de Grèce en 1924. Seules quatre Églises orthodoxes ont choisi de passer à ce calendrier à cette date : le Patriarcat de Constantinople et les Églises de Grèce, de Chypre et de Roumanie. Aujourd’hui, des quatorze Églises autocéphales orthodoxes, seules quatre (les Églises de Serbie, de Géorgie, de Russie et le Patriarcat de Jérusalem) conservent le calendrier julien, ce qui signifie que le monde orthodoxe reste divisé sur ce sujet. La fête de Noël est donc célébrée à des dates différentes à l’intérieur du monde orthodoxe et même au sein de la société grecque – à cause des anciens calendaristes, mais aussi du Mont Athos qui suit le calendrier julien. Quant à un autre site religieux majeur, Jérusalem, Noël y est célébré trois fois : le 25 décembre par les catholiques, le 7 janvier par les orthodoxes grecs et les Églises syriaque, copte et éthiopienne (selon le calendrier julien), et le 19 janvier par les Arméniens.

La désynchronisation des calendriers religieux influe sur le déroulement des festivités dans un site religieux. La coexistence de différents publics peut aussi être problématique, surtout avec « le mouvement progressif vers l’esthétisation de l’église qui devient un espace d’art » (Valtchinova, 2002 : 90). Pour ne prendre qu’un seul exemple, « le moment de la célébration du culte n’est pas propice à la contemplation d’une œuvre » qui se trouve dans cet espace (Dufour, 2004 : 230). En règle générale, la priorité revient au public dévot aux dépens du public touristique. Les croyants sont non seulement prioritaires, mais aussi beaucoup plus actifs, puisque certains d’entre eux se chargent aussi des tâches d’entretien et d’embellissement.

Trois catégories principales se dégagent par rapport à ces formes de hiérarchisation. D’abord, des cas où une priorité est donnée à un public aux dépens d’un autre à cause des interdictions de nature religieuse. Ainsi l’interdiction d’accès aux femmes dans le Mont Athos laisse-t-elle par définition la place centrale au public masculin, alors que le public féminin doit se contenter d’une place totalement périphérique. Jusqu’en 1917, les pèlerines russes restaient dans les bateaux pour prier, alors que les hommes les accompagnant accostaient et entraient dans les monastères (Gabrièl L’Archimandrite, 1959 : 211-212). Cette distinction existe encore aujourd’hui, puisque les femmes ne peuvent effectuer qu’un « pèlerinage flottant » autour de la péninsule, essayant d’observer les monastères de loin à l’aide de jumelles ; puis, le bateau qui longe la côte s’arrête en face d’un monastère et des moines le rejoignent en barque, apportant des reliques à vénérer et des souvenirs religieux à acheter (Kotsi, 2007).

Ensuite, des cas où un arrangement pour l’accueil des différents publics est obtenu après des négociations politiques et religieuses. C’est ce qui s’est passé pour résoudre le conflit autour de l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem entre catholiques et orthodoxes, mais aussi entre trois Églises orthodoxes (de Grèce, d’Arménie et d’Éthiopie) : il a fallu fixer des horaires d’occupation des lieux (Bowman, 2011), ce qui signifie que des publics orthodoxes de nationalité différente y accèdent à des heures différentes.

Enfin, des cas où une priorité est négociée concernant l’usage d’un lieu et les publics le fréquentant (comme dans le cas de la contemplation d’une oeuvre lors de la messe). Le fait que la Rotonde, dans la ville de Thessalonique, ait été une église pendant un temps et qu’une messe y soit donnée deux ou trois fois par an, pousse l’Église de Grèce à s’opposer à certaines utilisations profanes de cet espace – qu’il s’agisse de la projection de films artistiques (accusés d’avoir des scènes de nudité) ou de récitals de musique jazz (Stewart, 1998). Le mélange des publics et des activités est ici assimilé à un acte disqualifiant, voire une profanation, même si le temps d’occupation des lieux par les uns et les autres est complètement dissocié.

Alors que les deux premières catégories ne concernent que des croyants, la dernière met en lumière l’antagonismes entre différents publics et la demande d’exclusivité de la part du public dévot. Ce qui est intéressant est le fait que la Rotonde est devenue un site religieux grâce à cette dispute : son importance, initialement historique, a été accentuée à cause des stratégies d’appropriation de la part de l’Église.

Quant à la mobilité des publics et des choses, elle conditionne la visibilité et l’accessibilité de ces dernières. La question de la mobilité fait émerger deux catégories de publics :

  1. ceux qui se déplacent pour des raisons dévotionnelles ou pour admirer un objet sacré ou un édifice in situ ;
  2. ceux qui vont à la rencontre d’un objet en mouvement (en tournée ou lors d’une exposition muséographique).

En effet, les visiteurs ne sont pas les seuls à se déplacer dans l’espace ; les reliques et les icônes voyagent également en dehors de leur site religieux, comme dans le cadre des « quêtes » (ζητείες), permettant aux monastères et églises grecques de subvenir à leurs besoins, surtout pendant l’occupation ottomane qui a duré jusqu’au début du XXe siècle dans certaines régions. Alors que les fêtes religieuses sont de nature périodique (puisque liées au calendrier ecclésiastique), ces tournées sont des événements ponctuels, redevenus populaires après la chute du régime communiste : un certain nombre d’icônes et de reliques ont ainsi voyagé entre la Grèce et la Russie au cours des dernières décennies (Seraïdari, 2013). Un objet sacré, qui est mis en mouvement, attire à chaque arrêt, tout au long de son itinéraire, des croyants mais aussi des curieux. Un objet liturgique qui quitte son monastère difficilement accessible pour être présenté lors d’une exposition muséographique suit une trajectoire similaire, puisque le but est d’être vu par le plus large public possible. Si certains monastères athonites exposent leur « trésor » dans des vitrines depuis la fin des années 1990, ces espaces restent souvent inaccessibles aux pèlerins ; c’est plutôt l’organisation d’expositions à Thessalonique ou à l’étranger au cours des dernières décennies qui a permis à un large public, notamment féminin, d’approcher ces objets (Alexopoulos, 2013). La mobilité des choses permet de se rapprocher du site religieux sans s’y rendre, et ainsi contribue à multiplier son rayonnement. Une autre manière d’éviter le voyage, tout en instaurant un contact avec le site religieux, passe par l’utilisation des technologies numériques.

Œuf représentant Marie et l'Enfant-Jésus. Source : Plato Terentev, Pexel (libre d’utilisation).

Œuf représentant Marie et l’Enfant-Jésus. Source : Plato Terentev, Pexel (libre d’utilisation).

 

Ouverture aux technologies numériques

Depuis quelques années, il est possible de faire ses dévotions sans se déplacer, grâce aux nouveaux médias de communication que les instances religieuses orthodoxes utilisent pour diffuser leurs idées. Le but est d’attirer un public empêché ou éloigné, comme ceux qui ne peuvent pas facilement se rendre sur un site religieux à cause de leur santé, de leur âge, de leur situation économique ou de la grande distance ; il y a aussi ceux dont l’éloignement révèle un manque de foi ou de l’indifférence. Afin de reconquérir ce public récalcitrant, de mouvoir et d’émouvoir ceux qui se tiennent à distance de l’Église, différentes initiatives ont été prises – comme la prière électronique dans un des plus importants lieux de culte grecs, Tinos, depuis 2008 (Seraïdari, 2012 : 175-177) ; ou la formation du premier groupe de rock orthodoxe en 2000, composé exclusivement de moines grecs (Molokotos-Liederman, 2004). Cette musique était censée non seulement favoriser la prière et le contact avec le divin, mais aussi plaire à un jeune public. Le groupe véhiculait des messages conservateurs, souvent contre la globalisation, au travers de media progressifs et globaux, comme la musique rock et les technologies numériques. Comme le montre Mirel Bănică (2020 : 215) pour la Roumanie, l’environnement virtuel a favorisé la visibilité de « groupements virtuels violemment antimodernistes qui contestent avec véhémence l’autorité de la hiérarchie officielle et l’œcuménisme ». Mais l’espace virtuel n’appartient pas aux seuls conservateurs, même si le numérique est « manichéen par essence » (Morelli, 2016 : 28). Ainsi Ekaterina Grishaeva (2019) examine-t-elle comment un groupe d’intellectuels orthodoxes russes, qui s’auto-définissent comme « hérétiques » et qui travaillent pour la modernisation de l’Église en Russie, ont pu s’organiser grâce à l’internet.

Nous pouvons parler de « spiritualisation de la technologie », dans la mesure où la communication religieuse s’appuie sur des outils techniques, qui servent à construire un dispositif méditatif – comme dans le cas de ceux qui utilisent les CD et les MP3 comme des supports pouvant conduire le fidèle à prier (Engelhardt, 2018). Cette ouverture étend les possibilités de délocalisation, mais aussi de visibilité et d’audibilité. Le site religieux orthodoxe constitue un espace d’action rituelle ancré dans un territoire et ayant sa propre histoire : l’utilisation des technologies numériques finit par redéfinir cette réalité, en rendant le site religieux plus accessible mais aussi, dans une large mesure, virtuel.

Chaine Youtube « Foi Orthodoxe » qui propose différents formats de vidéos – parfois de manière interactives. Source : Capture d’écran Youtube.

Chaine Youtube « Foi Orthodoxe » qui propose différents formats de vidéos – parfois de manière interactives. Source : Capture d’écran Youtube.

 

Conclusion

Les sites religieux sont des lieux d’attraction qui fonctionnent comme des arguments promotionnels, incitant différents publics à visiter une région – comme en Turquie (pays où l’orthodoxie constitue une religion minoritaire), avec les voyages dévotionnels et commémoratifs sur les vestiges chrétiens d’Anatolie. Ces lieux de culte (et de vie, dans le cas des monastères) contribuent à la formation d’une culture populaire, à la vulgarisation de notions théologiques et à la diffusion de techniques de prière et de recettes culinaires (pour les périodes de jeûnes, par exemple). C’est là que des représentations et des pratiques (surtout quand elles investissent des formes extra-canoniques) sont validées, reproduites ou mises à l’épreuve.

Le public qui fréquente ces sites en présentiel ou via les nouveaux médias n’est pas seulement le récepteur d’un message émis par les instances officielles orthodoxes, ni un simple usager des dispositifs mis en place ; par ses réactions et ses préférences, il participe à la construction du message et à l’évolution des dispositifs. L’incommunication entre différents publics dévots, souvent séparés entre progressistes et conservateurs, montre la distance qui sépare leurs goûts, leurs attentes et leurs comportements. La question du dialogue œcuménique est au centre de ce débat. L’Église de Géorgie a été la première à quitter le Conseil œcuménique des Églises (CEO) en 1997. L’Église de Bulgarie l’a suivie en 1998. La montée de l’intolérance, qui imprègne depuis les années 1990 les différentes sociétés dans lesquelles l’orthodoxie est majoritaire, concerne aussi la Grèce, qui, jusqu’ici, était la seule (avec la diaspora orthodoxe des États-Unis) à ne pas condamner l’homosexualité. De ce point de vue, le monde orthodoxe est traversé par des évolutions qui rappellent la montée d’un islam fondamentaliste dans le monde musulman et l’expansion d’une mouvance évangélique conservatrice dans le monde chrétien. Ces changements pourraient affecter le fonctionnement des sites religieux, les interactions qu’ils autorisent, et surtout leur qualité d’accueil et leur ouverture à de larges publics.


Bibliographie

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Auteur·e·s

Seraïdari Katerina

Institute for Mediterranean Studies (Grèce) Foundation for Research & Technology (Grèce)

Citer la notice

Seraïdari Katerina, « Sites orthodoxes et leurs publics (Les) » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 16 février 2023. Dernière modification le 11 mai 2023. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/sites-orthodoxes-et-leurs-publics-les.

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