Xerox est le nom de l’entreprise ayant commercialisé les premières machines photocopieuses, après la Seconde Guerre mondiale, en exploitant un brevet des années 1930. Son importance symbolique et logistique dans la diffusion de la photocopie est telle que – comme pour d’autres catégories de produits ayant gardé le nom de son producteur le plus célèbre, du Coca-Cola au Kleenex – le terme xerox fait l’objet d’un usage commun pour indiquer l’activité de photocopier et le dispositif le permettant, notamment dans la langue anglaise où on emploie le verbe « to xerox » (« xeroxer ») pour indiquer ce type de reproduction automatisée sur papier (Eichhorn, 2016). Cet usage lexical mobilise une seule des deux composantes de la définition de la technique (la xérographie) qui associe le concept d’écrire (grafein) à celui du « sec », « ξηρός » (xeros) en grec, par contraste avec des méthodes de copie développées avant la photocopieuse. Au premier abord, le fonctionnement de la Xerox ne relève pas précisément de l’écriture au sens productif, mais plutôt d’un calque au sens reproductif. Comme le déclare Lisa Gitelman dans son histoire médiale du paper knowledge (savoir des formes documentaires), les technologies de reproduction sont intimement liées aux objets documentaires : « la reproduction est une des voies les plus évidentes par lesquelles les documents s’établissent en tant que tels » (Gitelman, 2014 : 1, trad. de l’auteur). Néanmoins, malgré leur centralité dans le projet technique de la Xerox, le domaine du document et l’espace du bureau administratif n’épuisent pas les implications de l’arrivée et de la prolifération des photocopieuses. Concevoir ce phénomène à la lumière des transformations des publics et des cultures de la publication nous conduit inexorablement à percevoir au sein de ces technologies de reproduction automatique une série de perspectives productives et expressives qui relèvent d’une valeur créative et politique bien plus large.
Brève histoire de la xérographie
Le processus xérographique n’avait pas été inventé par l’entreprise Xerox, appelée initialement Haloid Photographic Company et plus tard protagoniste de l’histoire de l’informatique grâce à sa contribution dans le développement d’outils tels que les interfaces graphiques. Dans les années 1940, elle avait fait l’acquisition d’un brevet mis au point en 1938 par le jeune inventeur étasunien Chester Carlson (1906-1968). Ayant travaillé dans le secteur de la recherche et développement ainsi qu’au brevetage pour des entreprises telles que Bell Telephone Laboratories et Mallory Company, C. Carlson s’était confronté à l’intérêt pratique d’avoir à disposition une technologie capable de reproduire d’une façon efficace et fiable des documents : « “Pendant mon travail dans le domaine des brevets, j’ai eu souvent besoin de copies de certaines caractéristiques techniques ou de certains dessins. À cette époque, on ne disposait d’aucun instrument efficace pour les reproduire” » (Owen, 1986 : 67, trad. de l’auteur). En prenant appui sur sa formation scientifique et une certaine ténacité, il définira et testera le premier processus de reproduction électrophotographique qui permettait d’éviter l’usage de liquides chimiques et de simplifier un processus qui était effectué, auparavant, par d’autres techniques moins efficaces. Depuis le XIXe siècle, en effet, plusieurs instruments proposaient des copies de documents papier à destination d’institutions comme les banques ou les bibliothèques en utilisant des processus variés (comme des matrices-pochoirs ou des techniques photographiques) : le Ronéo, le Rectigraph, le Photostat, etc.
Avant la fin des années 1940, Haloid lançait ses premières machines en peaufinant le brevet de C. Carlson. La campagne de promotion de la nouvelle technologie soulignait, entre autres qualités, l’efficacité et la propreté des processus électrophotographiques comparée aux inconvénients des solutions précédentes : « Chemical solutions, fumes, negatives and sensitized papers are eliminated » (« Produits chimiques, vapeurs, papier négatif ou sensibilisé : c’est fini ! »). Le succès de la photocopieuse était alimenté, en particulier, par le modèle Xerox 914, sorti en 1959, qui permet l’affirmation de cette technique de reproduction dans les années 1960. Comme d’autres technologies développées pendant la seconde moitié du XXe siècle telles que l’ordinateur, ces machines ont d’abord fait l’objet d’un usage limité à certains contextes collectifs précis : l’administration étatique, les entreprises, les institutions universitaires. L’accessibilité, et donc le public de ces instruments, était donc initialement circonscrite avant d’évoluer vers une participation plus large alimentée, du point de vue de l’industrie, par des perspectives de profits commerciaux. L’une des raisons de ces limites d’accès était les couts de ces premières machines qui, en général, étaient fournies par des contrats de location et d’entretien plutôt que de vente (Dommann, 2019). Ce modèle économique était censé maintenir une prise sur l’outil de la part de fournisseurs qui évitait la maitrise de l’usager·ère sur le plan de la compétence technique autant que celui du droit de propriété : le paiement en fonction de l’usage selon une approche qui anticipe la généralisation contemporaine du leasing (crédit-bail).
Première brochure sur la xérographie éditée par Haloid, 1948. Source : The New York Public Library Digital Collections, Fonds Chester Carlson (CC0 1.0).
À partir du contexte urbain nord-américain, l’élargissement du public concerné et la démocratisation de l’accès ont lieu, entre les années 1970 et 1980, grâce, entre autres facteurs, à la prolifération des copy shops – à savoir des boutiques de reprographie économiques et avec des horaires d’ouverture très amples. Cette fenêtre historique coïncide avec le déploiement de mouvements underground de nature culturelle et militante – à l’instar du punk – qui se structureront aussi autour de ces moyens de création et reproduction (la photocopie, l’audiocassette, la vidéo analogique, etc.). En ce sens, les copy shops constituent la forge de tracts (Abbou, 2018), de fanzines, d’affiches (Fresnault-Deruelle, 2018), de programmes de concerts ou encore de jaquettes d’album qui incarnent physiquement ces expériences collectives de mobilisations et rébellions. Ces usages se servent en premier lieu de la photocopie en noir et blanc même si, dès la fin des années 1960, l’entreprise étasunienne 3M lance des photocopieurs couleur. Avec la diffusion des technologies numériques de reproduction visuelle à partir de la fin du siècle dernier, on peut considérer terminé l’âge d’or de la xérographie sans pouvoir en déclarer l’obsolescence. Un ancien employé du célèbre centre de recherche Xerox, situé à Palo Alto, dira rétrospectivement à propos du tournant numérique : « “Il était facile de voir que ce qui avait été une opération unitaire de ‘copiage’ se décomposait en une série de parties : scanner, stocker et imprimer ; ou peut-être scanner, stocker, modifier et imprimer ; ou même scanner, stocker, modifier, récupérer et imprimer” » (Gitelman, 2014 : 83, trad. de l’auteur).
Tract promotionnel pour un concert du groupe punk The Exploited et Biohazard aux Foufounes électriques à Montréal, oct. 1991. Source : www.metallipromo.com.
Soumission/subversion
Si l’on observe l’iconographie des campagnes publicitaires menées par Xerox autour de son modèle 914, il est aisé de constater une rhétorique et une adresse qui relient la reproduction automatique à un public de travailleur·euses peu qualifié·es et issu·es de minorités. Les femmes – jolies, affables, soumises – au service d’une hiérarchie masculine en constituent un emblème récurrent. On songe, en somme, au prototype de la secrétaire parfaite incarnée par le personnage qui est au centre d’un film promouvant la 914 que les internautes ont rebaptisé « une des publicités les plus sexistes de l’histoire ». On y voit la figure souriante de Miss Jones exécuter « bêtement » les missions dictées par son patron sur une photocopieuse : aucun besoin de compétences, d’effort et de formation pour travailler avec cette machine… Même un chimpanzé peut s’en sortir sans trop de problèmes, comme nous le suggère une autre célèbre publicité filmée de la Xerox 914. Cette image de l’outil proposée par Xerox canalise son usage vers une automatisation simplificatrice, permettant de confier à des employé·es « bas de gamme », peu specialisé·es, destiné·es à faire juste fonctionner la machine. En observant sur des photos d’époque la composition des salarié·es assigné·es aux copies d’une institution pionnière comme la National Library of Medicine aux États-Unis, la chercheuse Monika Dommann (2019 : 81) souligne comment ce « personnel était exclusivement noir ou féminin ». La variante « raciale » demeurera un facteur déterminant dans l’histoire des reprographies commerciales qui pousseront comme des champignons, en particulier autour des campus universitaires – remarque la théoricienne Kate Eichhorn (2016). La période post-11-septembre et la panique terroriste corrélée constituent, pour elle, l’occasion de constater l’importante présence de gérants d’origine immigrée dans le secteur des copyshop qui seront soupçonnés de collaboration avec les attentats et ciblés par des opérations policières musclées. Sa réflexion s’attarde en particulier sur le cas très médiatisé du magasin Best Copy à Toronto et la répression injustifiée qu’il a subie dans la phase ayant suivi l’attaque des tours jumelles du Wolrd Trade Center à cause d’une proximité infondée avec les terroristes.
Ancienne publicité sexiste Xerox. Source : Xerox nostalgia.
La présentation de ce malentendu permet à K. Eichhorn de souligner comment la contribution de la presse à la création de communautés nationales dans les derniers siècles – notamment par un renvoi aux imagined communities (communautés imaginées) de Benedict Anderson (1936-2015 ; 1983) – a pu être sabotée par la xérographie qui permettait, au contraire, une dispersion de la production éditoriale et une subversion des identités maitrisées. Au public centralisé rendu possible par une certaine tradition éditoriale à la base des cultures nationales du XIXe siècle se substitue – factuellement, potentiellement – une multitude de publics excentriques et proliférants. Cette force centripète et hostile à l’unification nationaliste ne se réduit pas au cas emblématique de la falsification des papiers administratifs qui a pu avoir lieu grâce aux services de la photocopieuse. Plus largement, la subversion constitue une caractéristique inhérente à un moyen qui conduit à une multiplication de reproductions difficilement maitrisables par un pouvoir central. Conçue pour des publics « soumis » à l’intérieur de métabolismes administratifs hiérarchiques (dans le public comme dans le privé), la xérographie nourrira inévitablement des publics « subversifs ».
Ces publics subversifs peuvent émerger dans un cadre professionnel et institutionnel comme dans les cas des « lanceurs d’alerte » Daniel Ellsberg (1931-2023) et Anthony J. Russo (1936-2008), employés de la Rand Corporation, qui orchestrèrent la reproduction et la divulgation de documents secrets à propos de la guerre au Vietnam en 1971 (Dommann, 2019 : 77). Le régime de « documentalité » (Ferraris, 2009), ouvert par la xérographie et basé sur une forte reproductibilité, transforme le champ de ce qui peut être rendu public et des possibilités de mener des contre-enquêtes journalistiques et activistes (Deneuville, 2024). En ce sens, la Xerox peut être considérée comme la marraine des leaks numériques et des formes de « transparence » (Alloa, Citton, 2018) propres à l’époque contemporaine où la mobilité et la copie des fichiers numériques n’ont fait qu’accélérer ce que la photocopie avait inauguré quelques décennies auparavant. Dans le cadre de l’activité professionnelle, cette veine subversive peut s’exprimer plus discrètement par les gestes de « perruque » (Anteby, 2003) qui consiste à exploiter les outils du travail pour des fins indépendantes de la productivité assignée. Le court film Lunch Break at the Xerox Machine (2003) – entièrement fabriqué par l’artiste Marie Losier à la photocopieuse pendant les pauses midi de son travail – est emblématique de ces gestes. Au-delà de convertir l’ennui en amusement créatif, la photocopieuse du bureau employée pour reproduire du matériel activiste – comme cela pouvait se faire dans le cadre des actions d’Act Up décrites par K. Eichhorn (2016) – constitue un autre exemple de ce détournement du temps et des moyens du salariat.
Xerocivilisations
En prolongeant l’interprétation du cinéma par les célèbres théories benjaminiennes sur la reproduction technique (Benjamin, 1939), l’avènement de la photocopie de masse peut être considéré comme un tournant médial significatif dans notre écosystème culturel. Ce tournant marqué par une démocratisation et une facilitation vertigineuses de la reproduction annonce la perspective contemporaine de la copie numérique. Malgré son impact bouleversant dans la culture de masse et la conception de l’expérience artistique, la « reproductibilité technique » dont parlait le philosophe allemand restait, au sein du cinéma, un phénomène industriel et complexe qui a peu à voir avec la reproductibilité domestique, populaire et amateure qui sera rendue possible à partir des années 1970 par l’accès à une série de techniques comme la photocopieuse (mais aussi la VHS, l’audiocassette, etc.). L’atteinte à l’originalité et les marges d’appropriation permises par ces nouveaux outils capables de copier rapidement et à domicile les images, les textes et les sons sont peu comparables avec ceux de la première phase d’existence du cinéma ou même de la photographie.
Dans une célèbre conférence sur la bibliothèque, le sémiologue italien Umberto Eco (1932-2016 ; 1981) a forgé un terme spécifique pour désigner le changement de paradigme social et culturel engendré par la technique de la photocopie : la xerocivilisation. En pressentant de nombreuses modifications produites par la numérisation, U. Eco remarquait que la généralisation de la photocopie dans les milieux pédagogiques et intellectuels était en train de transformer le rapport du public aux objets textuels. Par l’expression « névrose de la photocopieuse » (Eco, 1981 : 27) le chercheur transalpin indique une pathologie endémisée par la société numérique consistant à accumuler des quantités exponentielles d’artefacts facilement accessibles dont la valeur a inexorablement chuté : on accède à de plus en plus de documents qui risquent de recevoir de moins en moins d’attention dans une économie où la quantité stockée prime sur l’usage actif. Les espaces publics de consultation propres aux archives et aux bibliothèques, selon U. Eco, sont également condamnés à une transformation à partir du moment où les supports de l’étude peuvent être emportés à domicile, à travers la photocopie. Cette transformation s’oriente, bien entendu, vers une réduction des espaces ainsi que vers une réinvention des fonctions.
Parmi les mouvements entrainés par la xerocivilisation dans l’analyse d’U. Eco, on trouve aussi une remise en discussion du droit d’auteur dont l’histoire a toujours été influencée par les évolutions des supports et des médias (Bellos, Montagu, 2024). L’un des ajustements problématiques mis en exergue par le philosophe italien est l’adaptation du marché éditorial scientifique qui, notamment dans le domaine anglo-saxon, prendra en considération la perte de clients engendrés par les possibilités de copie en bibliothèque en augmentant les prix. Dénoncées par de nombreuses voix comme enclosures de l’intelligence collective (Swartz, 2015), les éditions scientifiques coutant plusieurs centaines de dollars peuvent être considérées, pour U. Eco, la réponse marchande à la démocratisation d’un accès public et sauvage aux textes via leur reproduction à la Xerox. La publication et le lectorat générés par la civilisation de la photocopie s’inscrivent dans des économies et des valorisations incompatibles avec les plus légitimes d’un point de vue marchand et institutionnel. Ces gestes et ces communautés remplacent la logique du « texte précieux » par celle du « texte pauvre », pour reprendre les termes bien connus proposés par l’artiste-chercheuse Hito Steyerl dans sa réflexion sur la poor image (Steyerl, 2009) : comme dans la perspective de l’image pauvre à l’ère de la circulation numérique, la « forme de valeur » qui importe aux publics et aux publications des textes pauvres sont moins la précision formelle ou la valeur d’échange, mais « la vitesse, l’intensité et la diffusion ». Comme le démontre le travail de l’historien Robert Darnton (2021) sur les éditions pirates au siècle des Lumières, des écosystèmes techniques de reproduction de textes précédant la xérographie et le numérique avaient déjà échafaudé des économies de circulation des textualités pauvres qui trouveront dans les médias des XXe et XIXe siècles une occasion de croissance exponentielle.
Le jugement de ces dynamiques où la propriété intellectuelle est mise en tension avec le droit d’accès doit se faire dans une perspective contextuelle, comme le rappelle Clara Lobregat Balaguer (Lobergat Balaguer, Cramer, 2023) depuis les Philippines. En présentant « le paysage de la copie dans le Grand Manille » où « photocopier des livres en entier est une pratique relativement habituelle pour les étudiant·es » (2023 : 5), C. Lobregat Balaguer raconte une série de situations où la violation du droit d’auteur ou bien de l’officialité administrative pour reproduire textes et documents constitue une nécessité justifiée par des moyens limités et des défaillances institutionnelles faciles à constater sur le terrain. Il est effectivement difficile de décrire l’existence d’une unique xerocivilisation en déterminant ses effets généraux sur la sphère socioculturelle publique. Comme le signale le théoricien indien Lawrence Liang (2009), les questions de piratage et de définition du domaine public ne peuvent pas faire l’objet d’une définition universelle fabriquée dans le seul contexte occidental, mais doivent être situées au sein de rapports géopolitiques spécifiques. La reproduction sauvage – photocopieuse à l’appui – d’un texte destiné à un lectorat comme celui de l’Inde, pour qui l’achat d’un livre « officiel » coute 1,33 % du revenu annuel moyen, ne peut pas être comparée à la même opération destinée à un public comme l’étasunien où le même achat correspond au 0,026 % du revenu annuel moyen.
Copy art
Les usages « subversifs » et insoupçonnés de la Xerox appartiennent également au monde de la création artistique et aux publics les composant (artistes, enseignant·es, commissaires, étudiant·es, etc.) : la gamme complète des pratiques répertoriées dans la catégorie du copy art y a contribué précocement (Brunet-Weinmann, 1991). Toute la contradiction d’un usage expressif de cette technologie censée produire des copies industrielles est inscrite dans le titre d’une célèbre série de pièces réalisées par le designer italien Bruno Munari (1907-1998) : Xerografie originali. Cet ensemble d’images, datant des années 1960 et tordant astucieusement le principe de fidélité reproductive de la Xerox, constitue un travail pionnier de cette discipline. Le geste de subversion créative de la reproduction standardisée propre au copy art obtient une signification politique particulière et ultérieure lorsque c’est une femme à l’effectuer (Donnelly, 2024). Pour des artistes comme Pati Hill (1921-2014 ; plasticienne et écrivaine) ou Barbara T. Smith – qui s’emparent artistiquement de la photocopieuse entre les années 1960 et 1970 – cette opération était dictée par un accès limité aux moyens et au milieu de l’art, par l’urgence de s’exprimer avec des outils disponibles et inhabituels. Bien que socialement situées dans des classes privilégiées, ces artistes se retrouvent à cause de leur genre dans une situation initiale d’exclusion de la sphère artistique publique et tendent à produire leurs créations à la périphérie du monde de l’art et de ses instruments les plus légitimes. Leurs productions se réalisent dans le domaine domestique en associant les objets et les présences de leur quotidien au foyer aux photocopieuses. Le stéréotype de la secrétaire mise au travail par la Xerox est renversé par ces œuvres féminines parmi les plus mémorables et précoces dans le domaine du copy art.
Exemple de copy art : Puppets, 2002. Source : Mitzi.humphrey, wikimedia (CC BY-SA 3.0).
La reconnaissance institutionnelle de ces pratiques amènera à son accueil dans des contextes comme les musées et les expositions tout au long des années 1980 : Photocopies (Centre Pompidou, Paris, 1980) ; Medium: Photocopie (Montréal, 1987) ; Copy Art, 50 Jahre. Xerografie, Fotokopie in der Kunst (Bâle, 1988) ; Museo Internacional de Electrografia (Cuenca, 1990), etc. En France, cette approche créative se glissera aussi dans les contextes pédagogiques consacrés aux arts plastiques avec l’ouverture de cours de création xérographique dans des institutions comme l’Université Paris 8 ou l’École nationale des beaux-arts (Énba) de Dijon : le public étudiant fera la connaissance de la photocopieuse bien au-delà de la reproduction des textes à étudier. L’Énba de Dijon organise, en 1984, une importante exposition appelée Copy-Art. Électrographie, électroradiographie, télécopie et qui réunit les « stars » de cette pratique (de Sonia Sheridan [1925-2021] à Gianni Castagnoli). Le catalogue de l’événement contient, entre autres éléments, un texte de Christian Rigal, l’un des principaux protagonistes de la diffusion de cet art dans le contexte français. Dans son essai, il propose un terme spécifique – l’électrographie – pour le décrire en marquant une distance avec l’expression technique « xérographie » : « L’éléctrographie consiste à détourner le copieur de sa fonction première pour créer des œuvres originales » (Rigal, 1984 : 11). Tout le programme du copy art est condensé dans cette formule. La politique de la Xerox n’est pas uniquement une politique du droit d’accès, mais aussi une politique du droit d’expression qui croit en l’« indétermination » (Simondon, 1958) des objets techniques face aux puissances des publics qui les rencontrent.
L’auteur remercie Pascaline Morincome et Marie-Helène Desestre pour leur précieux partage d’idées et de références.
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