Cri public et en public


 

Berlin : avenue du 17 juin, près de la Porte de Brandebourg. Le passant découvre une sculpture de Gerhard Marcks (1889-1981). Commandée en 1966 par Radio Brême, tournée vers Berlin Est, elle devait appeler au développement, là-bas, de la liberté d’expression sur le modèle du monde « libre ». À cette époque, le sculpteur indiquait : « Je vous fais un crieur. La sculpture devra représenter de manière relativement intemporelle la mission radiophonique et télévisuelle de la chaîne » (Ich mache euch einen Rufer. Die Skulptur sollte die Aufgabe von Rundfunk und Fernsehen möglichst zeitlos darstellen). Sa plastique était inspirée du Stentor de l’Illiade, dont le cri « faisait autant de bruit que cinquante hommes » dans la cité.

Sculpture d'un crieur

Photographie par Christian Ruby.

Déposée en 1989, juste avant la chute du Mur, elle est devenue familière aux Berlinois de l’Ouest sous une autre interprétation. Elle évoquait désormais le cri de négation public des manifestants : « Non ! » à la partition, « non ! » au régime de la République Démocratique Allemande (DDR). Quant aux mécènes, ils firent graver sur son socle un troisième cri : « Je vais à travers le monde en criant : paix, paix, paix ! ». Au demeurant, cette œuvre publique a inspiré le titre de la revue Le Crieur (éditée par les Éditions La Découverte et Médiapart, depuis 2015) dont l’objectif est de « crier non » en public, de manière incisive, à propos de rapports sociaux coercitifs et d’infox. Cette œuvre, comme ses interprétations labiles, introduit fort bien l’objet de cette notice du Publictionnaire. Il y est question du « cri public ». D’un cri destiné à nier, refuser, réfuter un rapport social et politique. D’un cri d’indignation et de dissentiment mettant en question un tel rapport. D’un cri susceptible de provoquer des effets politiques, selon les analyses contemporaines (Ruby, 2019).

Ce cri d’indignation et de dissentiment nous l’envisageons « public ». Ce n’est pas uniquement l’affaire de sa présence dans un lieu public, donc d’opposition entre cri privé ou domestique et cri public. En effet, l’étymologie du terme « cri » incite à faire prévaloir deux autres composantes. Dérivant du latin « critare », « cri » désigne certes un objet et une adresse : crier au secours à l’adresse de quelqu’un, protester auprès de quelqu’un à l’encontre de ceci ou cela. À cet égard, il est donc bien ouvert sur un public (récepteur). Mais voilà qui est plus frappant encore. Alain Rey, l’auteur du Dictionnaire historique de la langue française (1992), raconte que l’écrivain romain Varron (116-27 av. notre ère) rattache « critare » à « citoyen », même s’il précise comprendre mal comment, afin de mieux suggérer que crier en publicet à destination d’un public revient à convoquer le corps public des citoyens en ses dissentiments. C’est sans aucun doute la triple mission – en public, au public, pour faire public – que se fixent aussi ceux qu’on appelle, dans le monde européen moderne depuis Dante Alighieri (1265-1321) et sa Divine comédie (Chant XI, Purgatoire, 94-6), les cris publics et les « crieurs publics ». Leur présence revient à la mode. Ils espèrent susciter des conversations et échanges publics en réfutant activement la solitude des individus et en criant « non » aux violences sociales. Ils prennent pour référence tantôt les anciens conteurs publics revalorisés par Walter Benjamin (1892-1940) ou Elias Canetti (1905-1994), tantôt les griots africains (Benjamin, 1936 ; Canetti, 1967).

Photographie par Christian Ruby à Chalon-sur-Saône, 2017.

C’est une mission que se donnent non moins les lanceurs d’alerte (Chateauraynaud, 2013) et les veilleurs critiques de la société postmoderne (Lyotard, 1983). Leur cri y devient « public » à la fois parce que proféré dans les lieux publics (rues, places) ; parce qu’il se donne une vocation universelle propre à réfuter les secrets gouvernementaux et à dire « non » aux injustices ; et parce que proféré devant un public (une foule, des réseaux sociaux internes à une société et des réseaux internationaux) susceptible de l’amplifier.

 

Différents types de cris

Quel qu’en soit le cas, le cri fortifie le vacillement selon lequel quelqu’un ne peut plus supporter ce qui est. Cependant, parmi l’immense variété de cris humains repérables, nous ne retenons ici que le cri public – dans les rues, sur les places, dans les réseaux sociaux – en forme d’appel au rassemblement ou en forme de cri de refus dans une manifestation. C’est un cri marqué au sceau d’une négation, porté par une indignation (Foucault, 1971 ; Bourdieu, 2002 ; Hessel, 2010) ou un dissentiment (Rancière, 2009 ; Coulibaly, 2018). Cependant, cette négation est tournée vers une manière d’affirmer une existence dans un milieu défavorable, en exposant un seuil de diminution des résistances aux assignations. Elle est tournée vers l’invention de gestes permettant d’exposer la montée d’une exigence. Elle produit une estimation éthique et politique de l’espace social, met en déroute un plan d’organisation habituel. Elle est puissance.

Ce n’est donc ni du cri « primal », ni du cri domestique, ni du cri de douleur de l’écrivain confronté à la solitude peuplée par les Muses, ni de celui qui renvoie à la nécessité de crier afin de se faire entendre au milieu du bruit, dont il est question ici. Le cri public d’indignation et de dissentiment, sur lequel nous nous concentrons, a d’emblée une vocation publique à l’interruption et cherche à se muer en flux. En effet, il ne peut se maintenir qu’en se multipliant. Il se répand alors en ondes, parfois accompagnées de techniques sonores, gagnant en ralliements, pourtant imposer d’abord un drapeau ou un mot d’ordre. Son efficacité propre réside dans cette force du multiple. Le cri public irradie et inquiète. Il défait ce qui est admis ou attendu. Il réfute le côté lisse de la communication ou de la vie urbaine habituelle, en un geste traçant un partage entre émission et réception. Il y déploie ses propriétés : une intensité et une texture (on crie plus ou moins fort), un objet (on crie quelque chose ou contre quelque chose), une adresse (on crie à l’adresse de quelqu’un), une résonance. En un mot, le cri public surprend et sollicite une réaction.

Relativement à une indignation et un dissentiment – le cri de l’exilé ou du migrant non accueilli (Jelinek, 2013), le cri à l’encontre de l’idéal bafoué (Hessel, 2010), le cri du veilleur critique (Lyotard, 1983) ou du manifestant (N’Guessan Larroux, 2018) –, le cri en « non » porte à des considérations spécifiques sur cette conjonction des intensités en flux (par mimétisme, solidarité ou tissage), cette manière de faire surgir une blessure ou une clôture qui en sont l’origine, l’enthousiasme pour agir susceptible de s’engendrer dans ce gonflement des mouvements et des flots dans lesquels il déploie sa force « argumentative ».

Tract de rue Non! écrit en blanc sur fond rouge

Tract de rue

 

Un régime de réception méprisant

Procédant à une négation, réfutant activement tout destin, ce cri d’indignation et de dissentiment est pourtant trop souvent reçu sous les traits d’un affect irrationnel, empreint à bas bruit d’une psychologie de l’opacité. À tel point que l’on cherche à le souffler rapidement en lui substituant une parole pleine qui en délivrerait la vérité (Lecercle, 1995). Face à ce qu’il prend pour des épanchements, alors qu’il s’agit de condamner une situation, le baromètre de la raison publique et de la normalisation sociale, qui se présente toujours comme un roc fermement dressé, entre en une virulente hostilité. À ses yeux, le « non »-public correspondrait à un entier abandon du/au seul corps, à un sensible ou une émotion immaitrisables. Réduite à sa forme de vagues vocales, cette négation correspondrait à une sorte d’aberration humaine, la plus éloignée de la raison, de sa lisséité et de sa discursivité, et de l’utilité sociale (Seuphor, 1965). C’est ainsi que beaucoup condamnent les révolutions pour excès sensible. En exemple, le visuel ci-dessous présente un ouvrage conservé à la Bibiothèque nationale de France, rédigé par Monsieur Marchand du Chaume (« ancien jurisconsulte » et pamphlétaire du Ier Empire), datant de 1814 (numéro 7072 de la bibliothèque des avocats à la cour), condamnant les « excès » de la Révolution (la violence, la mort du roi, etc.), les plaçant sous le coup d’une émotion publique, et leur opposant la raison (à la fois la raison et la nécessité d’être raisonnable) en soutien de la royauté.

Enfermés dans une psychologie, les commentateurs de cette négation qu’est le cri d’indignation et de dissentiment voudraient voir sa force annulée, à défaut de la voir supprimée sur le terrain social et politique. Mais ces interprétations ont-elles bien toute la consistance qu’ils leur prêtent ?

À y réfléchir, il n’est pas possible de laisser le cri et la raison ainsi isolés l’un de l’autre. Une simple enquête empirique, que chacun·e peut conduire, débouche sur plusieurs constats. Cri et raison sont articulés l’un à l’autre. Tantôt on appelle un crieur à revenir à la raison. Tantôt, de la raison, on requiert qu’elle cesse d’être sourde aux cris proférés. Tantôt encore un cri veut inspirer à la raison la possibilité d’une transformation de soi. De plus, on ne peut se défaire si aisément du constat selon lequel on peut crier pour dire que l’on a raison. Parfois même, il faut crier pour qu’on accepte d’écouter des raisons. Toutes attitudes qui relient cri et raison, le négatif et le positif. On est donc en droit de tenter de penser une autre logique, tant du sensible que de la raison publique, ainsi qu’une autre logique de la négation. Elle reviendrait sans aucun doute à libérer la raison à partir du cri. Pourquoi, le cri ne favoriserait-il pas une raison ouverte ? Laquelle ferait du cri émis et du cri à entendre une négation productrice d’une Histoire qui pourrait advenir. Cette raison s’ouvrirait sur un mouvement qui interromprait les intrigues sociales et politiques, suspendrait le rôle qu’on lui fait jouer dans la cité en l’obligeant à légitimer le statu quo. En cessant de mépriser le cri, cette (autre) raison s’obligerait à se transformer et, en cessant de se croire toujours identique à soi, se ferait autre avec le cri. Le cri deviendrait une occasion de nier les raisons dogmatiques.

 

Les premiers modes du cri en négation publique

Admettons donc cette possibilité de relier cri et raison, en transformant la raison et les propos négligents sur le cri, en dynamisant la raison par une négation. Reste à savoir quelle logique de la négation envisager. Longtemps, il est vrai, et il le fallait sans aucun doute pour se démarquer des protocoles nihilistes et des protocoles identitaires, des philosophes ont cru possible d’accorder un statut particulier à cette figure du cri public en négation, lequel statut se logeait à l’ombre d’une exigence de valorisation du « non » en héros d’une existence plus ou moins utopique débarrassée de tout jeu brutal. L’histoire philosophique de la modernité – de glorification de la notion de révolution en élaboration d’utopies – a l’intérêt d’avoir souligné que la négation a bien une signification publique. Il y est reconnu que la genèse de la négation s’opère dans un rapport social et que sa dynamique le traverse. Si le cri contre le statu quo existe et est audible, ce n’est pas en soi ; c’est comme une énergie à amplifier afin de délivrer quelqu’un ou un groupe d’une trame ou d’un ordre public à réfuter (La Boétie, 1576).

Source : Pixabay

Toutefois, ce statut particulier a trouvé sa condensation et en même temps son coup d’arrêt dans ce qu’on a appelé un « travail du négatif ». Ce « non » là, un « non » pris dans une réflexion, affirmant que le positif sort du négatif, renvoie à une certaine perspective d’Histoire dans laquelle l’absolu se révèle progressivement alors qu’il est toujours en germe dans les actions, mais que les contemporains sont incapables de voir. Le « sérieux, la douleur et la patience du négatif », selon la formule de Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831), a la propriété de retourner les « choses » contre elles-mêmes et de donner naissance à un devenir orienté vers une fin, laquelle est inscrite dans le commencement, déjà porteur de ce qu’il est (Hegel, 1807). Presque simultanément, on le saisissait aussi dans une dialectique des lendemains qui chantent, à la manière de Karl Marx (1818-1883), ayant par avance nommé un sujet essentiel de l’Histoire, le prolétaire ou le résistant en héros de l’avenir parce qu’il entend les cris de ceux que l’on massacre, fussent-ils coupables de quelque crime, comme le manifeste encore l’artiste Pierre Buraglio, dans les années 2000 :

Photographie prise par Christian Ruby.

Mais, dans le marxisme réalisé, ce héros public ne pouvait advenir que sous la forme d’un Sujet collectif, une organisation ou un Sujet organisateur, s’imposant comme moteur dans une « lutte de libération », avant de passer pour une idole.

 

Le cri dans d’autres modes de négation

Ces manières de poser le problème de la négation publique ne sont cependant plus les seules à prêter leur concours à la connaissance du cri public. Érigée en référence pour des manifestations plus récentes, la négation à la manière de Bartleby – ce personnage d’une nouvelle d’Hermann Melville (1819-1891) – prend une autre tournure, résumée par la formule : « I would prefer not to » (« Je préférerais ne pas », Melville : 1853). Elle constituerait un cri public au neutre, l’émission d’un cri ambigu, qui n’opposerait pas encore un refus, un non pur et simple à un pouvoir, mais laisserait la possibilité du oui (je préférerais) et du non (ne pas) à ce pouvoir, tout de même déstabilisé. Disons un cri qui refuserait d’entrer dans un processus de recouvrement ou de totalisation soit philosophique à la manière de G. W. F. Hegel, soit partidaire à la manière du marxisme. Ce refus des pensées et des pratiques binaires (pour ou contre) indique bien qu’il n’est pas question de renfermer ce cri en négation dans un système qui lui prêterait une signification après coup dans une perspective finale. Le « non » de Bartleby reste ravageur et dévastateur en ce qu’il met en question les rôles sociaux et déborde les explications psychologiques et politiques. Son geste le constitue en retrait sans affrontement particulier avec la loi (Deleuze, 1989).

Une autre configuration de cette négation publique n’articule le cri ni à un sujet absolu, ni à une désobéissance sans affrontement. En elle, l’indignation et le dissentiment deviendraient des formes d’énonciation dont le ressort tiendrait à une manière d’ébranler le langage qui dérobe ou étouffe les violences et les oppositions aux yeux et aux oreilles de chacun·e. Crier donc, en public, pour ne pas mourir étouffé en en appelant à la construction d’un autre commun ! Et encore : crier pour introduire dans la société la subjectivité et la multiplicité qui font son Histoire. Dire « non » en public, devient alors le geste de celui qui se révolte, de celui qui se lève contre l’insupportable ou réagit à l’intolérable, en bousculant la crédibilité de celui qui parle pour tous. Michel Foucault (1926-1984) construit pour ce cri public la notion de « contre-conduite », parce que le pouvoir veut conduire (sur le modèle du pasteur conduisant son troupeau) et maintenir dans sous l’organisation spécifique d’une raison instrumentale (Dastooreh, 2016). La contre-conduite constitue une révolte contre l’assujettissement, une alternative ponctuelle aux objectivations imposées par les procédures par lesquelles les individus sont conduits à se constituer et à se lier à eux-mêmes selon des modalités pratiques et théoriques historiques, des dispositifs socio-historiques de savoir-pouvoir instituant le sujet en tant que sujet. Une contre-conduite dessine une pratique créatrice, une pratique que le sujet entreprend lui-même et par laquelle il se transforme et se constitue dans un rapport déterminé à la vérité. Mais le cri individuel, même public, ne peut qu’aller à sa déperdition (Seuphor, 1965).

 

La convergence des cris

Reste à soulever le problème de l’efficace du cri public. Parler du cri public et en public implique une réflexion sur la convergence éventuelle ou nécessaire des cris. Une convergence à deux titres : afin d’éviter son épuisement – un individu ne peut crier longtemps – et afin de gagner en efficacité. En dehors de représentations célèbres – par exemple, Francis Bacon (1929-1992) peignant le Portrait du pape Innocent X d’après Velasquez en 1953 –, quelques vidéos de cris mis en scène par des artistes – Jochen Gerz (Crier jusqu’à épuisement, 1972), Absalon (Bruits, 1993) – postulent, par fait de techniques (des vidéos en boucle), que le cri peut être rendu infini et son efficacité décuplée.

Absalon, Bruit, 1993

Dans les faits, il ne peut devenir un moteur de la transformation d’une situation que sous forme d’une multiplicité, dans un enroulement de voix, de cris convergeant de bouche en bouche, relayés et ainsi fortifiés. C’est ainsi qu’il manifeste une puissance d’action collective. Sans doute le cri public et en public, cette forme d’énonciation en refus, désobéissance, contestation et soulèvement, est un « non » qui rend de plus en plus visible ce que l’on ne perçoit pas dans la situation de référence, ce qui n’a pas de raison d’être dans son champ perceptif, ce qui n’a pas encore de nom. Mais ce non ne se multiplie et ne prend une dimension politique qu’en fabricant des interruptions collectives propres à peser sur le maintien de ce qui est. Avec ce « non », des citoyennes et des citoyens construisent une scène publique requérant de voir leurs objections prises en compte dans la collectivité établie, à condition de la transformer.

Ce cri public en « non » est bien un énoncé, fût-il fluide, varié, répétitif et rythmé. Il déploie une résonance mettant en question le donné. Il interrompt l’ordre prégnant de la domination en le rendant visible. Mais quels pourraient être les plans politiques les plus pertinents susceptibles de proposer à la fois des formes de configuration de la collectivité et des manières de s’affranchir des distributions sociales et politiques ? Telle est notamment la question que se pose Jacques Rancière (2009) lorsqu’il pense le cri public politique sans accepter de le laisser aller à la divagation ou à un système fermé. « L’homme du cri », c’est celui que le dominant n’entend pas. « Cri » ici désigne la dissymétrie que, par exemple, les « prolétaires » introduisent dans le commun en soulignant qu’ils n’y sont pas comptés. J. Rancière fait valoir l’idée selon laquelle le cri public, langage dénié, produit des dynamiques de subjectivation, des pratiques qui nourrissent de nouvelles expériences du sensible, de la reconfiguration du temps et de l’espace, du « je », du « nous », etc. Ces devenirs, en rendant à la visibilité des partages et des mots qui les dérangent – « nous sommes le peuple ! », « nous sommes des humains ! », « notre corps, nous-mêmes ! » –, engagent des manifestations portées par des configurations du commun dans le parler de chacun(e). Si les mots rendent soudain les partages visibles, ils se mélangent aussi dans des actions et des situations hétérogènes. Et certes, ajoute-t-il, pour faire valoir le cri public et en public, « il faut de l’organisation assurément », mais l’organisation politique ne se définit pas par une architecture interne. Elle se définit par une forme d’intervention. C’est donc cette forme qui « collectivise » les subjectivations au profit d’un « sujet collectif ». S’il y a des tensions internes à une telle organisation, il faut distinguer les tensions « policières » (entre membres qui veulent y prendre « le pouvoir », ou entre membres qui veulent des agencements différents de l’identité collective), et les tensions portant sur le type de visibilité à manifester. Une organisation politique, par conséquent une « configuration de corps » en cris publics, doit pratiquer une convergence des cris en favorisant le moment où plusieurs litiges deviennent une mésentente parce que le déni d’appartenance se retourne en affirmation commune de capacités communes. La revendication criée ne suffit pas. Il faut encore qu’elle singularise un universel.


Bibliographie

Benjamin W., 1936, « Le conteur », pp. 114-151, in : Œuvres III, trad. de l’allemand par M. de Gandillac, R Rochlitz, P Rusch, Paris, Gallimard, 2000.

Bourdieu P., 2002, « Si le monde social m’est supportable, c’est parce que je peux m’indigner », La Tour d’Aigue, Éd de l’Aube.

Canetti E., 1967, « Conteurs et écrivains publics », pp. 235sq, in : Mouchard C., Hartje H., eds, Les Voix de Marrakech, trad. de l’allemand par F. Ponthier, Paris, Livre de poche, 1992.

Chateauraynaud F., 2013, « Lanceur d’alerte », Dicopart. Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et participation. Accès : http://www.dicopart.fr/fr/dico/lanceur-dalerte.

Coulibaly A., 2018, « Sur Jules Vallès et la rue-cri », in : N’Guessan Larroux B., dir., La Rue dans tous ses états, Paris, Éd. L’Harmattan.

Dastooreh K., 2016, « Penser la résistance avec Foucault », Strathèse, 3. Accès : https://strathese.unistra.fr:443/strathese/index.php?id=592

Deleuze G., 1989, « Bartleby, ou la formule », in : Melville H., Bartleby, Paris, Flammarion.

Foucault M., 1971, « Je perçois l’intolérable » in : Defert D., Ewald F., dirs, Dits et écrits. 1954-1975, Tome I, Paris, Gallimard, 1994, pp. 1071-1972.

Hegel G. W. F., 1807, Préface à la Phénoménologie de l’esprit, trad. de l’allemand par J. Hyppolite, Paris, Aubier, 1978.

Hessel S., 2010, Indignez-vous !, Bouzigues, Éd. Indigène.

Jelinek E., 2013, Les Suppliants, trad. de l’allemand par M. Jourdan, M. Sobottke, Paris, Éd. L’Arche, 2016.

La Boétie É., 1576, Discours sur la servitude volontaire, Paris, Éd. Ellipses, 2016.

Lecercle J.-J., 1995, Le Dictionnaire et le cri, Nancy, Presses universitaires de Nancy.

Lyotard J.-F., 1983, Le Différend, Paris, Éd. de Minuit.

Melville H., 1853, Bartleby, Paris, Flammarion, 1989

N’Guessan Larroux B., dir.,2018, La Rue dans tous ses états, Paris, Éd. L’Harmattan.

Rancière J., 2009, Et tant pis pour les gens fatigués, Paris, Amsterdam.

Rey A., dir., 1992, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert.

Ruby C., 2019, « Criez et qu’on crie ! », Neuf notes sur le cri d’indignation et de dissentiment, Bruxelles, Éd. La Lettre volée.

Seuphor M., 1965, Le Style et le cri. Quatorze essais sur l’art de ce siècle, Paris, Éd. Le Seuil.

Auteur·e·s

Citer la notice

Ruby Christian, « Cri public et en public » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 19 décembre 2019. Dernière modification le 03 juin 2021. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/cri-public-et-en-public.

footer

Copyright © 2024 Publictionnaire - Tous droits réservés - ISSN 2609-6404