Festival – Festivalier


 

La fin du XXe siècle a vu la forme festival devenir globale. Le festival constitue aujourd’hui un format paradigmatique de la manifestation culturelle, associant un lieu, une programmation, des rituels et la volonté, pas toujours couronnée de succès, d’acquérir du renom et de s’inscrire dans l’histoire. Le festival est un universel. Il incarne tous les paradoxes de la contemporanéité : d’abord, le souci de localité et l’ambition de globalité. Les exemples français ne manquent pas. Ils alimentent la présente notice et sont à appréhender depuis leurs spécificités. Ils pourront être comparés à d’autres festivals internationaux, qu’ils se déploient sur notre continent (Bayreuth en Allemagne, Sziget en Hongrie), outre-Manche (Edimburg en Ecosse, Glastonbury en Angleterre) ou bien outre-Atlantique (Toronto au Canada, Coachella ou Burning Man aux Etats-Unis), en tenant compte de leur logique historique et territoriale.

Ainsi, Cannes et Avignon sont des marqueurs de la France au même titre que les figures héroïques de son histoire : ils disent parfaitement l’éminence culturelle que le pays entend conserver contre les vents et les marées de la mondialisation ; simultanément ils constituent le lieu par excellence de retrouvailles de microsociétés qui ne prennent leur sens que par leur co-présence en un lieu et en un moment. Une telle mémoire festivalière est aussi un permanent enjeu de lutte pour la définition légitime de l’essence du festival : ses conflits, ses réorientations, ses déclins et ses renaissances supposés sont l’objet d’évaluations contradictoires qui font, autant que la programmation, les metteurs en scène et les artistes, le contenu du festival (Éthis, Fabiani, Malinas, 2008). Avignon et Cannes éclairent les logiques politiques qui sous-tendent la création de festivals. Il est question, dans les deux cas, de faire fonctionner ensemble des citoyens. Ce projet politique est largement issu des fêtes révolutionnaires : en lieu et place de la religion, que commémorer au sein de la République ?

 

Un temps, un espace, une action et la récurrence de l’évènement

En festival, ce n’est pas le caractère unique de la représentation qui affecte l’expérience de l’œuvre, puisque, pour l’essentiel, ces œuvres peuvent être vues ailleurs dans des contextes non-festivaliers. C’est plutôt le tempo spécifique de leur distribution dans un espace qui est simultanément un lieu de mémoire et une épreuve cruciale de la présence au monde à travers le constat de l’existence d’un collectif (monde de la nation pour Avignon, monde global pour Cannes). L’anthropologue Alessandro Falassi définit la notion de « festival » comme un événement délimité dans le temps, dans l’espace et défini par une action. En festival le temps quotidien est perturbé et suspendu ; les espaces utilisés le sont rarement à l’année pour la même activité que celle – collective – du festival ; et l’action se traduit par une intensification d’activités spéciales telles des spectacles, des fêtes, des concerts, qui ne font généralement pas partie de la vie quotidienne. Lorsque ces trois facteurs interviennent simultanément, la vie « normale » est modifiée par une interruption graduelle ou soudaine qui introduit « un temps hors du temps, une dimension temporelle spéciale consacrée à des activités spéciales » (Falassi, 1987). Il faut y ajouter la récurrence de l’événement.

 

L’invention de la forme moderne des festivals français

Cette définition est celle de la forme moderne des grands festivals français qui s’est inventée à Cannes en 1946 et à Avignon en 1947. Dans la France d’après-guerre, le théâtre est l’axe de développement sur lequel l’État espère créer un vecteur de l’organisation des loisirs culturels, loisirs conçus et pensés comme un mode de médiation et d’appropriation d’un patrimoine culturel national mis à la portée de tous. Avignon s’impose rapidement comme un modèle définitoire de la forme festival construite sur un engouement résultant d’une amélioration du niveau de vie économique, social et culturel : situé sur un itinéraire de « vacances », le festival est généralement installé dans une ville qui tente de remettre en valeur son patrimoine grâce à une programmation culturelle originale propre à capter l’intérêt des publics qui sont en recherche d’un nouveau type de tourisme. Chaque époque a créé sa forme de festival. Depuis la fin des années 1970, les Trans Musicales de Rennes (décembre) et le Printemps de Bourges (avril) soutiennent les musiques amplifiées dans un élan de diversité culturelle et de découverte rattaché à celui des salles de musiques actuelles. En 1989 et 1990 naissent des festivals de plein air : les Eurockéennes de Belfort (juillet), à l’est, et les Vieilles Charrues (juillet) à Carhaix, à l’ouest, dans une volonté similaire de dynamisation de leurs territoires. En 2000 le Hellfest (juin) propose, en Loire-Atantique, une nouvelle forme de festival spécialisé dans les musiques « métal » dites « extrêmes ».

Ce rapide panorama des festivals – forcément incomplet tant ils sont présents en nombre sur l’ensemble du territoire francais – est représentatif de la diversité des formes festivalières en France autant en termes de formes artistiques présentées, que du point de vue de leur géographie, de la période de l’année où ils se déroulent ou de leurs publics. Il présente des festivals qui regroupent chaque année plus de 50 000 festivaliers, et ne doit pas cacher les milliers de festivals de taille plus modeste qui se développent sur l’ensemble du territoire (voir le site France Festivals : http://www.francefestivals.com pour la liste des festivals selon leur genre, leur période et leur région). Les enjeux que représentent les publics pour ces festivals sont essentiels et souvent moins considérés du fait de la taille des équipes organisatrices et des moyens disponibles. À ce titre les rencontres, débats et tables rondes qu’accueillent les grands festivals sont des lieux de collaboration et d’échanges d’expériences communes, quelles que soient les échelles concernées par les festivals en termes de nombres de festivaliers, d’impact sur le territoire et de rayonnement. Ces rencontres marquent la spécificité d’un grand nombre de grands festivals dont les festivaliers sont des participants : ils prennent la parole sur leur pratique et cette parole fait partie intégrante de cette pratique.

 

Les festivaliers, un public participant

La forme festival implique en effet une mobilisation et une disponibilité du spectateur avant et après la représentation qui constitue un des traits les plus saillants de la situation festivalière. Cet « adjuvant puissant du jugement critique » (Fabiani, 2012) contribue à faire des festivals des espaces de débat. Les festivals sont, à ce titre, une « sphère culturelle publique », c’est-à-dire un lieu de prise de paroles consistant en un avant, un pendant et un après dont le format suscite des expériences originales, à la fois émotionnelles et discursives, particulièrement lorsqu’il a lieu en plein air et en été, comme dans un amphithéâtre de la Grèce antique (ibid.).

Chaque édition du festival doit symboliser l’ensemble des éditions du festival et, dans le même temps, se singulariser. Si beaucoup de festivals échappent, à leur début, à la dénomination « festival », l’histoire montre que l’étiquette leur est attribuée souvent dès la seconde édition. En France, la semaine d’art d’Avignon ou les rencontres Trans Musicales ont ainsi précédé les festivals d’Avignon et des Trans Musicales. Les publics font de ces évènements des festivals, avec ou sans l’accord des organisateurs qui ne leur attribuent pas forcément l’appellation « festival ». Cette force symbolique impose à la définition de ces évènements la participation de leurs publics, jusque dans l’assignation qui définit leur identité et leur forme.

À Avignon par exemple, l’ensemble des participants à la manifestation se saisit d’une « fonction-auteur » du festival (Malinas et al., 2012), composante déterminante du sens que les uns et les autres déposent dans leur participation. Jean Vilar nommait les publics d’Avignon « les participants ». Cette acceptation du dispositif qui passe par la volonté de participation à la fête fixe le cadre de l’expérience festivalière. En effet, être festivalier c’est prendre une place dans le dispositif du festival, car « il ne suffit pas d’y être pour en être » (Éthis, 2011). Les prises de parole de festivaliers et la fréquentation des lieux de débats sont des indicateurs de l’« être festivalier » qui se complètent parfois par l’objectif de faire du spectateur un participant capable d’émettre des jugements d’ordre éthique et esthétique, en connaissance de cause (Fabiani, 2008).

 

« Être festivalier » c’est revenir en festival

La sociologie des publics de la culture s’est intéressée aux festivals et a contribué à préciser la notion de festivalier. Les enquêtes qui fixent leur focale sur le point de vue des publics, à travers des observations (Éthis, 2011) et des entretiens ou par le traitement de données quantitatives collectées par le biais de questionnaires (Éthis, 2000 ; Malinas, 2008), indiquent que la carrière du festivalier se révèle à lui-même et commence, le plus souvent, lors d’une deuxième venue au festival. On sait, en effet, que l’on est festivalier lorsque l’on retourne en festival. C’est alors que le festivalier se définit en tant que tel. La récurrence de la participation au festival et la reconnaissance par le festivalier du statut qu’il endosse alors sont ainsi les premiers éléments définitoires de ce statut. Ici ce sont les publics des festivals qui se donnent eux-mêmes un nom. Les résultats récoltés dans le cadre des grandes enquêtes réalisées dans les années 1990 à Cannes ou Avignon pour le ministère de la culture et de la communication affichent une sociologie des festivals à la fois dépendante de la forme artistique qu’ils présentent mais également des invariants d’un festival à l’autre, quels que soient le champ artistique ou le territoire concernés. Ainsi le festivalier d’Avignon serait, dans sa grande majorité, une femme, abonnée à Télérama, pas forcément parisienne, retraitée de la fonction publique, qui a un ami metteur en scène. Ce portrait de festivalier d’Avignon – trop caricatural pour saisir finement la complexité de l’identité festivalière – présente des traits caractéristiques de la pratique du festival par ses publics. Si les pratiques culturelles sont majoritairement féminines, les festivals ont ceci de particulier qu’ils attirent un public majoritairement local et régional, avec une présence des parisiens qui, certes sureprésentés, sont loin de constituer le public majoritaire qui ferait d’Avignon ou des Trans Musicales de Rennes des festivals parisiens.

 

L’« être festivalier » relève de l’« être ensemble »

Les sorties en festivals sont de celles qui relèvent le plus du collectif. Les festivaliers fréquentent très majoritairement les festivals en groupe, surtout lorsqu’il s’agit de festivals attirant plutôt des publics jeunes, également pour se retrouver autour d’emblèmes générationnels partagés (Malinas, Roth, 2015). La dimension collective de la pratique festivalière marque une spécificité du statut de festivalier. Les rendez-vous annuels que sont les festivals sont aussi des séances de rattrapage culturel (Éthis, 2002) qui se vivent d’autant plus intensément qu’elles sont collectives. Les échanges à la sortie du spectacle ou pendant le concert font souvent des festivals le point culminant de la pratique du spectateur de théâtre ou de l’amateur de musique.


Bibliographie

Éthis E., dir., 2000, Aux marches du palais. Le Festival de Cannes sous le regard des sciences sociales, Paris, La Documentation française.

Éthis E., dir., 2002, Avignon, le public réinventé. Le festival sous le regard des sciences sociales, Paris, La Documentation française.

Éthis E., 2011, La Petite fabrique du spectateur. Être et devenir festivalier à Cannes et à Avignon, Avignon, Éd. universitaires d’Avignon.

Éthis E., Fabiani J.-L., Malinas D., 2008, Avignon ou le public participant. Une sociologie du spectateur réinventé, Montpellier, Éd. L’Entretemps.

Fabiani J.-L., 2008, L’Éducation populaire et le théâtre, Le public d’Avignon en action, Saint-Martin-d’Hères, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.

Fabiani J.-L., 2012, « Les festivals dans la sphère culturelle en France », Territoires contemporains, 3. Accès : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Festivals_societes/JL_Fabiani.html.

Falassi A., 1987, Time out of time: essays on the festival, Albuquerque, University of New Mexico Press.

Malinas D., 2008, Portrait des festivaliers d’Avignon. Transmettre une fois ? Pour toujours ?, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.

Malinas D. et al., 2012, « Continuer le Festival d’Avignon Mythes et “fonction-auteur” », Communication et Langages, 173, pp. 129-138.

Malinas D., Roth R., 2015, « Les festivaliers comme publics en SIC. Une sémio-anthropologie des drapeaux et emblèmes communicationnels du festival des Vieilles Charrues », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 7. Accès : http://rfsic.revues.org/1495.

Auteur·e·s

Malinas Damien

Institut national supérieur de l'éducation artistique et culturelle Conservatoire national des arts et métiers Dispositifs d’information et de communication à l’ère numérique – Paris Île de France

Roth Raphaël

Institut national supérieur de l'éducation artistique et culturelle Conservatoire national des arts et métiers Dispositifs d’information et de communication à l’ère numérique – Paris Île de France

Citer la notice

Malinas Damien et Roth Raphaël, « Festival - Festivalier » Publictionnaire. Dictionnaire encyclopédique et critique des publics. Mis en ligne le 20 septembre 2015. Dernière modification le 21 janvier 2022. Accès : https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/festival-festivalier.

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